ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"526"> prendre la plus longue. La maniere la plus naturelle & la plus sûre d'arriver à un objet, c'est d'y aller par le plus court chemin, pourvû qu'on y aille en marchant, & non pas en sautant d'un lieu à un autre. On peut juger de - là combien est opposée à l'éloquence véritable, cette loquacité si ordinaire au barreau, qui consiste à dire si peu de choles avec tant de paroles. On prétend, il est vrai, que les mêmes moyens doivent être présentés différemment aux différens juges, & que par cette raison on est obligé dans un plaidoyer de tourner de différens sens la même preuve. Mais ce verbiage prétendu nécessaire deviendra évidemment inutile, si on a soin de ranger les idées dans l'ordre convenable; il résultera de leur disposition naturelle une lumiere qui frappera infailliblement & également tous les esprits, parce que l'art de raisonner est un, & qu'il n'y a pas plus deux logiques, que deux géométries. Le préjugé contraire est fondé en grande partie sur les fausses idées qu'on acquiert de l'éloquence dans nos colléges; on la fait consister à amplifier & à étendre une pensée; on apprend aux jeunes gens à délayer leurs idées dans un déluge de périodes insipides, au lieu de leur apprendre à les resserrer sans obscurité. Ceux qui douteront que la concision puisse subsister avec l'éloquence, peuvent lire pour se desabuser les harangues de Tacite.

Il ne suffit pas au style de l'orateur d'être clair, correct, propre, précis, élégant, noble, convenable au sujet, harmonieux, vif, & serré; il faut encore qu'il soit facile, c'est - à - dire que la gêne de la composition ne s'y laisse point appercevoir. Le style naturel, dit Pascal, nous enchante avec raison; car on s'attendoit de trouver un auteur, & on trouve un homme. Le plaisir de l'auditeur ou du lecteur diminuera à mesure que le travail & la peine se feront sentir. Un des moyens de se préserver de ce défaut, c'est d'éviter ce style figuré, poétique, chargé d'ornemens, de métaphores, d'antitheses, & d'épithetes, qu'on appelle, je ne sai par quelle raison, style académique. Ce n'est assûrément pas celui de l'académie Françoise; il ne faut, pour s'en convaincre, que lire les ouvrages & les discours même des principaux membres qui la composent. C'est tout au plus le style de quelques académies de province, dont la multiplication excessive & ridicule est aussi funeste aux progrès du bon. goût, que préjudiciable aux vrais intérêts de l'état; depuis Pau jusqu'à Dunkerque, tout sera bien - tôt académie en France.

Ce style académique ou prétendu tel, est encore celui de la plûpart de nos prédicateurs, du moins de plusieurs de ceux qui ont quelque réputation; n'ayant pas assez de génie pour présenter d'une maniere frappante, & cependant naturelle, les vérités connues qu'ils doivent annoncer, ils croyent les orner par un style affecté & ridicule, qui fait ressembler leurs sermons, non à l'épanchement d'un coeur pénétré de ce qu'il doit inspirer aux autres, mais à une espece de représentation ennuyeuse & monotone, où l'acteur s'applaudit sans être écouté. Ces fades harangueurs peuvent se convaincre par la lecture réfléchie des sermons du P. Massillon, sur - tout de ceux qu'on appelle le petit - carême, combien la véritable éloquence de la chaire est opposée à l'affectation du style: nous ne citerons ici que le sermon qui a pour titre de l'humanité des grands, modele le plus parfait que nous connoissions en ce genre; discours plein de vérité, de simplicité, & de noblesse, que les princes devroient lire sans cesse pour se former le coeur, & les orateurs chrétiens pour se former le goût.

L'affectation du style paroît sur - tout dans la prose de la plûpart des poëtes: accoûtumés au style orné & figuré, ils le transportent comme malgré eux dans leur prose; ou s'ils font des efforts pour l'en bannir, leur prose devient traînante & sans vie: aussi avons-nous très - peu de poëtes qui ayent bien écrit en prose. Les préfaces de Racine sont foiblement écrites; celles de Corneille sont aussi excellentes pour le fond des choses, que défectueuses du côté du style; la prose de Rousseau est dure, celle de Despréaux pesante, celle de la Fontaine insipide; celle de la Motte est à la vérité facile & agréable, mais aussi la Mote ne tient pas le premier rang parmi les Versificateurs. M. de Voltaire est presque le seul de nos grands poëtes dont la prose soit du moins égale à ses vers; cette supériorité dans deux genres si différens, quoique si voisins en apparence, est une des plus rares qualités de ce grand écrivain.

Telles sont les principales lois de l'élocution oratoire. On trouvera sur ce sujet un plus grand détail dans les ouvrages de Cicéron, de Quintilien, &c. surtout dans l'ouvrage du premier de ces deux écrivains qui a pour titre Orator, & dans lequel il traite à fond du nombre & de l'harmonie du discours. Quoique ce qu'il en dit soit principalement relatif à la langue latine qui étoit la sienne, on peut néanmoins en tirer des regles générales d'harmonie pour toutes les langues.

Nous ne parlerons point ici des figures, sur lesquelles tant de rhéteurs ont écrit des volumes: elles servent sans doute à rendre le discours plus animé; mais si la nature ne les dicte, elles sont froides & insipides. Elles sont d'ailleurs presque aussi communes, même dans le discours ordinaire, que l'usage des mots, pris dans un sens figuré, est commun dans toutes les langues. Voyez Langue, Dictionnaire, Figure, Trope, Eloquence . Tant pis pour tout orateur qui fait avec réflexion & avec dessein une métonymie, une catachrese, & d'autres figures semblables.

Sur les qualités du style en général dans toutes sortes d'ouvrages, voyez Elegance, Style, Grace, Gout , &c.

Je finis cet article par une observation, qu'il me semble que la plûpart des rhéteurs modernes n'ont point assez faite; leurs ouvrages, calqués pour ainsi dire sur les livres de rhétorique des anciens, sont remplis de définitions, de préceptes, & de détails, nécessaires peut - être pour lire les anciens avec fruit, mais absolument inutiles, & contraires même au genre d'éloquence que nous connoissons aujourd'hui. « Dans cet art, comme dans tous les autres, dit très - bien M. Freret (hist. de l'acad. des Belles - Lettres, tome XVIII. pag. 461.), il faut distinguer les beautés réelles, de celles qui étant arbitraires dépendent des moeurs, des coûtumes, & du gouvernement d'une nation, quelquefois même du caprice de la mode, dont l'empire s'étend à tout, & a toûjours été respecté jusqu'à un certain point ». Du tems de la république romaine, où il y avoit peu de lois, & où les juges étoient souvent pris au hasard, il suffisoit presque toûjours de les émouvoir, ou de les rendre favorables par quelque autre moyen; dans notre barreau, il faut les convaincre: Cicéron eût perdu à la grand - chambre la plûpart des causes qu'il a gagnées, parce que ses cliens étoient coupables; osons ajoûter que plusieurs endroits de ses harangues qui plaisoient peut - être avec raison aux Romains, & que nos latinistes modernes admirent sans savoir pourquoi, ne seroient aujourd'hui que médiocrecrement goûtés. (O)

ELOGE (Page 5:526)

ELOGE, s. m. (Belles - Lettres.) loüange que l'on donne à quelque personne ou à quelque chose, en considération de son excellence, de son rang, ou de ses vertus, &c.

La vérité simple & exacte devroit être la base & l'ame de tous les éloges; ceux qui sont outrés & sans vraissemblance, font tort à celui qui les reçoit, & à [p. 527] celui qui les donne. Car tous les hommes se croyent en droit jusqu'à un certain point, d'établir la réputation des autres, ou d'en décider; ils ne peuvent souffrir qu'un panégyriste s'en rende le maître, & en fasse pour ainsi dire une espece de monopole; la loüange les indispose, leur donne lieu de discuter les qualités prétendues de la personne qu'on loue, souvent de les contester, & de démentir l'orateur. (G)

Voyez au mot Dictionnaire, les réflexions qui ont été faites sur les éloges qu'on peut donner dans les dictionnaires historiques: ces réflexions s'appliquent à quelque éloge que ce puisse être. Bien pénétrés de leur importance & de leur vérité, les Editeurs de l'Encyclopédie déclarent qu'ils ne prétendent point adopter tous les éloges qui pourront y avoir été donnés par leurs collegues, soit à des gens de lettres, soit à d'autres, comme ils ne prétendent pas non plus adopter les critiques, ni en général les opinions avancées ou soûtenues ailleurs que dans leurs propres articles. Tout est libre dans cet ouvrage, excepté la satyre; mais par la raison que tout y est libre, chacun doit y répondre au public de ce qu'il avance, de ce qu'il blâme, & de ce qu'il loue. Voy. Editeur. C'est en partie pour cette raison que nous nous sommes fait la loi de nommer dorénavant nos collegues sans aucun éloge; la reconnoissance est sans doute un sentiment que nous leur devons, mais c'est au public à apprétier leur travail.

Qu'il nous soit permis à cette occasion de déplorer l'abus intolérable de panégyriques & de satyres, qui avilit aujourd'hui la république des Lettres. Quels ouvrages que ceux dont plusieurs de nos écrivains periodiques ne rougissent pas de faire l'éloge? quelle ineptie, ou quelle bassesse? Que la postérité seroit surprise de voir les Voltaire & les Montesquieu déchirés dans la même page où l'écrivain le plus médiocre est célébré! Mais heureusement la postérité ignorera ces loüanges & ces invectives éphémeres; & il semble que leurs auteurs l'ayent prévû, tant ils ont eu peu de respect pour elle. Il est vrai qu'un écrivain satyrique, après avoir outragé les hommes célebres pendant leur vie, croit réparer ses insultes par les éloges qu'il leur donne après leur mort; il ne s'apperçoit pas que ses éloges sont un nouvel outrage qu'il fait au mérite, & une nouvelle maniere de se deshonorer lui - même. (O)

Eloge, Louange (Page 5:527)

Eloge, Louange, synon. (Gram.) ces mots different à plusieurs égards l'un de l'autre. Loüange au singulier & précédé de l'article la, se prend dans un sens absolu; éloge au singulier & précédé de l'article, se prend dans un sens relatif. Ainsi on dit: la loüange est quelquefois dangereuse; l'éloge de telle personne est juste, est outré, &c. Loüange au singulier ne s'employe guere, ce me semble, quand il est précédé du mot une; on dit un éloge plûtôt qu'une loüange: du moins lo@ange en ce cas, ne se dit guere que lorsqu'on loue quelqu'un d'une maniere détournée & indirecte. Exemple: Tel auteur a donné une loüange bien fine à son ami. Il semble aussi que lorsqu'il est question des hommes, éloge dise plus que loüange, du moins en ce qu'il suppose plus de titres & de droits pour être loüé; on dit de quelqu'un qu'il a été comblé d'éloges, lorsqu'il a été loüé beaucoup & avec justice; & d'un autre qu'il a été accablé de loüanges, lorsqu'on l'a loüé à l'excès ou sans raison. Au contraire, en parlant de Dieu, loüange signifie plus qu'éloge; car on dit les loüanges de Dieu. Eloge se dit encore des harangues prononcées, ou des ouvrages imprimés à la loüange de quelqu'un; éloge funebre, éloge historique, éloge académique. Enfin ces mots different aussi par ceux auxquels on les joint: on dit faire l'éloge de quelqu'un, & chanter les loüanges de Dieu. (O)

Eloges Académiques (Page 5:527)

Eloges Académiques, sont ceux qu'on pro<cb-> nonce dans les académies & sociétés littéraires, à l'honneur des membres qu'elles ont perdus. Il y en a de deux sortes, d'oratoires & d'historiques. Ceux qu'on prononce dans l'académie françoise, sont de la premiere espece. Cette compagnie a imposé à tout nouvel académicien le devoir si noble & si juste de rendre à la mémoire de celui à qui il succede, les hommages qui lui sont dûs. Cet objet est un de ceux que le récipiendaire doit remplir dans son discours de reception. Dans ce discours oratoire on se borne à loüer en général les talens, l'esprit, & même, si on le juge à - propos, les qualités du coeur de celui à qui l'on succede, sans entrer dans aucun détail sur les circonstances de sa vie. On ne doit rien dire de ses défauts; du moins, si on les touche, ce doit être si legerement, si adroitement & avec tant de finesse, qu'on les présente à l'auditeur ou au lecteur par un côté favorable. Au reste, il seroit peut - être à souhaiter que dans les receptions à l'académie Françoise, un seul des deux académiciens qui parlent, savoir le récipiendaire ou le directeur, se chargeât de l'éloge du défunt; le directeur seroit moins exposé à répéter une partie de ce que le récipiendaire a dit, & le champ seroit par ce moyen un peu plus libre dans ces sortes de discours, dont la matiere n'est d'ailleurs que trop donnée: sans s'affranchir entierement des éloges de justice & de devoir, on seroit plus à portée de traiter des sujets de littérature intéressans pour le public. Plusieurs académiciens, entr'autres M. de Voltaire, ont déjà donné cet exemple, qui paroît bien digne d'être suivi.

Les éloges historiques sont en usage dans nos académies des Sciences & des Belles - Lettres, & à leur exemple dans un grand nombre d'autres: c'est le secrétaire qui en est chargé. Dans ces éloges on détaille toute la vie d'un académicien, depuis sa naissance jusqu'à sa mort; on doit néanmoins en retrancher les détails bas, puérils, indignes enfin de la majesté d'un éloge philosophique.

Ces éloges étant historiques, sont proprement des mémoires pour servir à l'histoire des Lettres: la vérité doit donc en faire le caractere principal. On doit néanmoins l'adoucir, ou même la taire quelquefois, parce c'est un éloge, & non une satyre, que l'on doit faire; mais il ne faut jamais la déguiser ni l'altérer.

Dans un éloge académique on a deux objets à peindre, la personne & l'auteur: l'une & l'autre se peindront par les faits. Les réflexions philosophiques doivent sur - tout être l'ame de ces sortes d'écrits; elles seront tantôt mêlées au récit avec art & briéveté, tantôt rassemblées & développées dans des morceaux particuliers, où elles formeront comme des masses de lumiere qui serviront à éclairer le reste. Ces réflexions séparées des faits, ou entre - mêlées avec eux, auront pour objet le caractere d'esprit de l'auteur, l'espece & le degré de ses talens, de ses lumieres & de ses connoissances, le contraste ou l'accord de ses écrits & de ses moeurs, de son coeur & de son esprit, & sur - tout le caractere de ses ouvrages, leur degré de mérite, ce qu'ils renferment de neuf ou de singulier, le point de perfection où l'académicien avoit trouvé la matiere qu'il a traitée, & le point de perfection où il l'a laissée, en un mot, l'analyse raisonnée des écrits; car c'est aux ouvrages qu'il faut principalement s'attacher dans un éloge académique: se borner à peindre la personne, même avec les couleurs les plus avantageuses, ce seroit faire une satyre indirecte de l'auteur & de sa compagnie; ce seroit supposer que l'académicien étoit sans talens, & qu'il n'a été reçu qu'à titre d'honnête homme, titre très - estimable pour la société, mais insuffisant pour une compagnie littéraire. Cependant comme il n'est pas sans exemple de voir adopter par

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