ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"494"> l'objet, mais par le nombre plus ou moins grand des propriétés qu'on y considere à la fois; ainsi quoique l'espace & le tems soient composés de parties, & par conséquent ne soient pas des êtres simples, cependant l'idée que nous en avons est une idée simple, parce que toutes les parties du tems & de l'espace sont absolument semblables, que l'idée que nous en avons est absolument la même, & qu'enfin cette idée ne peut être décomposée, puisqu'on ne pourroit simplifier l'idée de l'étendue & celle du tems sans les anéantir: aulieu qu'en retranchant de l'idée de corps, par exemple, l'idée d'impénétrabilité, de figure, & de couleur, il reste encore l'idée de l'étendue.

Les idées simples dans le sens où nous l'entendons, peuvent se réduire à deux especes: les unes sont des idées abstraites; l'abstraction en effet n'est autre chose que l'opération, par laquelle nous considérons dans un objet une propriété particuliere, sans faire attention à celles qui se joignent à celle - là pour constituer l'essence de l'objet. La seconde espece d'idées simples est renfermée dans les idées primitives que nous acquérons par nos sensations, comme celles des couleurs particulieres, du froid, du chaud, & plusieurs autres semblables; aussi n'y a - t - il point de circonlocution plus propre à faire entendre ces choses, que le terme unique qui les exprime.

Quand on a trouvé toutes les idées simples qu'un mot renferme, on le définira en présentant ces idées d'une maniere aussi claire, aussi courte, & aussi précise qu'il sera possible. Il suit de ces principes, que tout mot vulgaire qui ne renfermera qu'une idée simple, ne peut & ne doit pas être défini dans quelque science que ce puisse être, puisqu'une définition ne pourroit en mieux faire connoître le sens. A l'égard des termes vulgaires qui renferment plusieurs idées simples, fussent - ils d'un usage très - commun, il est bon de les définir, pour développer parfaitement les idées simples qu'ils renferment.

Ainsi dans la Méchanique ou science du mouvement des corps, on ne doit définir ni l'espace ni le tems, parce que ces mots ne renferment qu'une idée simple; mais on peut & on doit même définir le mouvement, quoique la notion en soit assez familiere à tout le monde, parce que l'idée de mouvement est une idée complexe qui en renferme deux simples, celle de l'espace parcouru, & celle du tems employé à le parcourir. Il suit encore des mêmes principes, que les idées simples qui entrent dans une définition doivent être tellement distinctes l'une de l'autre, qu'on ne puisse en retrancher aucune. Ainsi dans la définition ordinaire du triangle rectiligne, on fait entrer mal - à - propos les trois côtés & les trois angles; il suffit d'y faire entrer les trois côtés, parce qu'une figure renfermée par trois lignes droites a nécessairement trois angles. C'est à quoi on ne sauroit faire trop d'attention, pour ne pas multiplier sans nécessité les mots non plus que les êtres, & pour ne pas faire regarder comme deux idées distinctes, ce qui n'est individuellement que la même.

On peut donc dire non - seulement qu'une définition doit être courte, mais que plus elle sera courte, plus elle sera claire; car la briéveté consiste à n'employer que les idées nécessaires, & à les disposer dans l'ordre le plus naturel. On n'est souvent obscur, que parce qu'on est trop long: l'obscurité vient principalement de ce que les idées ne sont pas bien distinguées les unes des autres, & ne sont pas mises à leur place. Enfin la briéveté étant nécessaire dans les définitions, on peut & on doit même y employer des termes qui renferment des idées complexes, pourvû que ces termes ayent été définis auparavant, & qu'on ait par conséquent développé les idées simples qu'ils contiennent. Ainsi on peut dire qu'un triangle rectiligne est une figure terminée par trois lignes droi<cb-> tes, pourvû qu'on ait défini auparavant ce qu'on entend par figure, c'est - à - dire un espace terminé entierement par des lignes: ce qui renferme trois idées, celle d'étendue, celle de bornes, & celle de bornes en tout sens.

Telles sont les regles générales d'une définition; telle est l'idée qu'on doit s'en faire, & suivant laquelle une définition n'est autre chose que le développement des idées simples qu'un mot renferme. Il est fort inutile après cela d'examiner si les définitions sont de nom ou de chose, c'est - à - dire si elles sont simplement l'explication de ce qu'on entend par un mot, ou si elles expliquent la nature de l'objet indiqué par ce mot. En effet, qu'est - ce que la nature d'une chose? En quoi consiste - t - elle proprement, & la connoissons-nous? Si on veut répondre clairement à ces questions, on verra combien la distinction dont il s'agit est futile & absurde: car étant ignorans comme nous le sommes sur ce que les êtres sont en eux - mêmes, la connoissance de la nature d'une chose (du moins par rapport à nous) ne peut consister que dans la notion claire & décomposée, non des principes réels & absolus de cette chose, mais de ceux qu'elle nous paroît renfermer. Toute définition ne peut être en visagée que sous ce dernier point de vûe: dans ce cas elle sera plus qu'une simple définition de nom, puisqu'elle ne se bornera pas à expliquer le sens d'un mot, mais qu'elle en décomposera l'objet; & elle sera moins aussi qu'une définition de chose, puisque la vraie nature de l'objet, quoiqu'ainsi décomposé, pourra toûjours rester inconnue.

Voilà ce qui concerne la définition des termes vulgaires. Mais une science ne se borne pas à ces termes, elle est forcée d'en avoir de particuliers; soit pour abréger le discours & contribuer ainsi à la clarté, en exprimant par un seul mot ce qui auroit besoin d'être exprimé par une phrase entiere; soit pour désigner des objets peu connus sur lesquels elle s'exerce, & que souvent elle se produit à elle - même par des combinaisons singulieres & nouvelles. Ces mots ont besoin d'être définis, c'est - à - dire simplement expliqués par d'autres termes plus vulgaires & plus simples; & la seule regle de ces définitions, c'est de n'y employer aucun terme qui ait besoin lui - même d'être expliqué, c'est - à - dire qui ne soit ou clair de lui - même, ou déjà expliqué auparavant.

Les termes scientifiques n'étant inventés que pour la nécessité, il est clair que l'on ne doit pas au hasard charger une science de termes particuliers. Il seroit donc à souhaiter qu'on abolît ces termes scientifiques & pour ainsi dire barbares, qui ne servent qu'à en imposer; qu'en Géométrie, par exemple, on dît simplement proposition au lieu de théorème, conséquence au lieu de corollaire, remarque au lieu de scholie, & ainsi des autres. La plûpart des mots de nos Sciences sont tirés des langues savantes, où ils étoient intelligibles au peuple même, parce qu'ils n'étoient souvent que des termes vulgaires, ou dérivés de ces termes: pourquoi ne pas leur conserver cet avantage?

Les mots nouveaux, inutiles, bisarres, ou tirés de trop loin, sont presque aussi ridicules en matiere de science, qu'en matiere de goût. On ne sauroit, comme nous l'avons déjà dit ailleurs, rendre la langue de chaque science trop simple, & pour ainsi dire trop populaire; non - seulement c'est un moyen d'en faciliter l'étude, c'est ôter encore un prétexte de la décrier au peuple, qui s'imagine ou qui voudroit se persuader que la langue particuliere d'une science en fait tout le mérite, que c'est une espece de rempart inventé pour en défendre les approches: les ignorans ressemblent en cela à ces généraux malheureux ou malhabiles, qui ne pouvant forcer une place se vengent en insultant les dehors. [p. 495]

Au reste ce que je propose ici a plûtôt pour objet les mots absolument nouveaux que le progrès naturel d'une science oblige à faire, que les mots qui y sont déjà consacrés, sur - tout lorsque ces mots ne pourroient être facilement changés en d'autres plus intelligibles. Il est dans les choses d'usage, des limites où le philosophe s'arrête; il ne veut ni se réformer, ni s'y soûmettre en tout, parce qu'il n'est ni tyran ni esclave.

Les regles que nous venons de donner, concernent les élémens en général pris dans le premier sens. A l'égard des élémens pris dans le second sens, ils ne different des autres qu'en ce qu'ils contiendront nécessairement moins de propositions primitives, & qu'ils pourront contenir plus de conséquences parsiculieres. Les regles de ces deux élémens sont d'ailleurs parfaitement semblables; car les élémens pris dans le premier sens étant une fois traités, l'ordre des propositions élémentaires & primitives y sera reglé par le degré de simplicité ou de multiplicité, sous lequel on envisagera l'objet. Les propositions qui envisagent les parties les plus simples de l'objet, se trouveront donc placées les premieres; & ces propositions en y joignant ou en omettant leurs conséquences, doivent former les élémens de la seconde espece. Ainsi le nombre des propositions primifives de cette seconde espece d'élémens, doit être déterminé par l'étendue plus ou moins grande de la science que l'on embrasse, & le nombre des conséquences sera déterminé par le détail plus ou moins grand dans lequel on embrasse cette partie.

On peut proposer plusieurs questions sur la maniere de traiter les élémens d'une science.

En premier lieu, doit - on suivre, en traitant les élémens, l'ordre qu'ont suivi les inventeurs? Il est d'abord évident qu'il ne s'agit point ici de l'ordre que les inventeurs ont pour l'ordinaire réellement suivi, & qui étoit sans regle & quelquefois sans objet, mais de celui qu'ils auroient pû suivre en procédant avec méthode. On ne peut douter que cet ordre ne soit en général le plus avantageux à suivre; parce qu'il est le plus conforme à la marche de l'esprit, qu'il éclaire en instruisant, qu'il met sur la voie pour aller plus loin, & qu'il fait pour ainsi dire pressentir à chaque pas celui qui doit le suivre: c'est ce qu'on appelle autrement la méthode analytique, qui procede des idées composées aux idées abstraites, qui remonte des conséquences connues aux principes inconnus, & qui en généralisant celles - là, parvient à découvrir ceux - ci; mais il faut que cette méthode réunisse encore la simplicité & la clarté, qui sont les qualités les plus essentielles que doivent avoir les élémens d'une science. Il faut bien se garder sur - tout, sous prétexte de suivre la méthode des inventeurs, de supposer comme vraies des propositions qui ont besoin d'être prouvées, sous prétexte que les inventeurs, par la force de leur génie, ont dû appercevoir d'un coup - d'oeil & comme à vûe d'oiseau la vérité de ces propositions. On ne sauroit traiter trop exactement les Sciences, surtout celles qui s'appellent particulierement exactes.

La méthode analytique peut surtout être employée dans les sciences dont l'objet n'est pas hors de nous, & dont le progrès dépend uniquement de la méditation; parce que tous les matériaux de la science étant pour ainsi dire au - dedans de nous, l'analyse est la vraie maniere & la plus simple d'employer ces matériaux. Mais dans les sciences dont les objets nous sont extérieurs, la méthode synthétique, celle qui descend des principes aux conséquences, des idées abstraites aux composées, peut souvent être employée avec succès & avec plus de simplicité que l'autre; d'ailleurs les faits sont eux - mêmes en ce cas les vrais principes. En général la méthode ana<cb-> lytique est plus propre à trouver les vérités, ou à saire connoître comment on les a trouvées. La méthode synthétique est plus propre à expliquer & à faire entendre les vérités trouvées: l'une apprend à lutter contre les difficultés, en remontant à la source; l'autre place l'esprit à cette source même, d'où il n'a plus qu'à suivre un cours facile. Voyez Analyse, Synthese.

On demande en second lieu, laquelle des deux qualités doit être préférée dans des élémens, de la facilité, ou de la rigueur exacte. Je réponds que cette question suppose une chose fausse; elle supposc que la rigueur exacte puisse exister sans la facilité, & c'est le contraire; plus une déduction est rigoureuse, plus elle est facile à entendre: car la rigueur consiste à réduire tout aux principes les plus simples. D'où il s'ensuit encore que la rigueur proprement dite entraîne nécessairement la méthode la plus naturelle & la plus directe. Plus les principes seront disposés dans l'ordre convenable, plus la déduction sera rigoureuse; ce n'est pas qu'absolument elle ne pût l'être si on suivoit une méthode plus composée, comme a fait Euclide dans ses élémens: mais alors l'embarras de la marche feroit aisément sentir que cette rigueur précaire & forcée ne seroit qu'improprement telle.

Nous n'en dirons pas davantage ici sur les regles qu'on doit observer en général, pour bien traiter les élémens d'une science. La meilleure maniere de faire connoître ces regles, c'est de les appliquer aux différentes sciences; & c'est ce que nous nous proposons d'exécuter dans les différens articles de cet ouvrage. A l'égard des élémens des Belles - Lettres, ils sont appuyés sur les principes du goût. Voy. Gout. Ces élémens, semblables en plusieurs choses aux élémens des Sciences, ont été faits après coup sur l'observation des différentes choses qui ont paru affecter agréablement les hommes. On trouvera de même à l'article Histoire, ce que nous pensons des élémens de l'histoire en général. Voyez aussi Collége.

Nous dirons seulement ici que toutes nos connoissances peuvent se réduire à trois especes; l'Histoire, les Arts tant libéraux que méchaniques, & les Sciences proprement dites, qui ont pour objet les matieres de pur raisonnement; & que ces trois especes peuvent être réduites à une seule, à celle des Sciences proprement dites. Car, 1°. l'Histoire est ou de la nature, ou des pensées des hommes, ou de leurs actions. L'histoire de la nature, objet de la méditation du philosophe, rentre dans la classe des sciences; il en est de même de l'histoire des pensées des hommes, sur - tout si on ne comprend sous ce nom que celles qui ont été vraiment lumineuses & utiles, & qui sont aussi les seules qu'on doive présenter à ses lecteurs dans un livre d'élémens. A l'égard de l'histoire des rois, des conquérans, & des peuples, en un mot des évenemens qui ont changé ou troublé la terre, elle ne peut être l'objet du philosophe qu'autant qu'elle ne se borne pas aux faits seuls; cette connoissance stérile, ouvrage des yeux & de la mémoire, n'est qu'une connoissance de pure convention quand on la renferme dans ses étroites limites, mais entre les mains de l'homme qui sait penser elle peut devenir la premiere de toutes. Le sage étudie l'univers moral comme le physique, avec cette patience, cette circonspection, ce silence de préjugés qui augmente les connoissances en les rendant utiles; il suit les hommes dans leurs passions comme la nature dans ses procedés; il observe, il rapproche, il compare, il joint ses propres observations à celles des siecles précédens, pour tirer de ce tout les principes qui doivent l'éclairer dans ses recherches ou le guider dans ses actions: d'après cette idée, il n'envisage

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