RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
"484">
Cependant le pathétique en général se peint encore mieux dans le vers ïambe, dont la mesure simple & variée approche de la nature, autant que l'art du vers peut en approcher; & il est vraissemblable que si ce vers n'a pas eu la préférence dans le genre élégiaque, comme dans le dramatique, c'est que l'élégie étoit mise en chant.
Quintilien regarde Tibulle comme le premier des
poëtes élégiaques; mais il ne parle que du style, mihi
tersus atque elegans maximè videtur. Pline le jeune préfere
Catule, sans doute pour des élégies qui ne sont
point parvenues jusqu'à nous. Ce que nous connoissons
de lui de plus délicat & de plus touchant, ne
peut guere être mis que dans la classe des madrigaux.
Voyez
Si l'on demande quel est l'ordre dans lequel ces poëtes se sont succédés, il est marqué dans ces vers d'Ovide. Trist. lib. IV. el. 10.
. . . . . . Nec amara Tibullo Tempus amicitioe fata dedere meoe; Successor fuit hîc tibi, Galle, Propertius illi; Quartus ab his serie temporis ipse fui.
Il ne nous reste rien de ce Gallus; mais si c'est le
même que le Gallus ami de Properce, il a dû être
le plus véhément de tous les poëtes élégiaques, comme
il a été le plus dur, au jugement de Quintilien.
Article de M.
M. l'abbé Souchai divise les élégiaques grecs en deux classes: l'une comprend ceux qui à la vérité ont fait des élégies, mais qui sont plus connus par d'autres genres de littérature; & l'autre renferme ceux qui s'étant plus particulierement adonnés à l'élégie, méritent aussi plus proprement le titre d'élégiaques. Il compte dans la premiere classe Archiloque, Clonas, Polymnestus, Sapho, Eschyle, Sophocle, Euripide, Ion, Melanthus, Alexandre Etolien, Platon, Aristote, Antimaque, Euphorion, Eratosthene, & Parthénius; & dans la seconde classe, Callinus, Mimnerme, Tyrtée, Périandre, Solon, Sacadas, Xénophane, Simonide, Evenus, Critias, Denis Chatius, Philetas & Callimaque; Myro de Bizance, Hermianax, &c. Mem. de l'acad. des Belles Lettres, tome VII.
Les poëtes flamands se sont distingués parmi les modernes par leurs élégies latines. Celles de Biderman, de Grotius, & de Vallius, approchent du
ELÉGIE (Page 5:484)
ELÉGIE, s. f. (Belles - Lettres.) petit poëme dont les plaintes & la douleur sont le principal caractere.
La plaintive élégie en longs habits de deuil, Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil. Boil. Art poët.
Nous disons le principal caractere, car bien que ce poëme se fixe ordinairement aux objets lugubres, il ne s'y borne pourtant pas uniquement:
Elle peint des amans la joie & la tristesse, Flate, menace, irrite, appaise une maîtresse. Ibidem.
Les Grammairiens sont partagés sur l'étymologie
de ce nom: Vossius, après Dydime, le tire du grec
Le vrai caractere de l'élégie consiste dans la vivacité des pensées, dans la délicatesse des sentimens, dans la simplicité des expressions.
La diction dans l'élégie doit être nette, aisée & claire, tendre & pathétique; peindre les moeurs, n'admettre ni pointes ni jeux de mots; & le sens de chaque pensée (au moins dans l'élégie latine) doit être renfermé dans chaque distique. Voyez mém. de l'acad. des Belles - Lettres, tome VII. (G)
L'élégie dans sa simplicité touchante & noble, réunit tout ce que la Poésie a de charmes, l'imagination & le sentiment; c'est cependant, depuis la renaissance des Lettres, l'un des genres de poésie qu'on a le plus négligés: on y a de plus attaché l'idée d'une tristesse fade, soit qu'on ne distingue pas assez la tendresse de la fadeur; soit que les poëtes, sur l'exemple desquels cette opinion s'est établie, ayent pris eux - mêmes le style doucereux pour le style tendre.
Il n'est donc pas inutile de développer ici le caractere de l'élégie, d'après les modeles de l'antiquité.
Comme les froids législateurs de la Poésie n'ont pas jugé l'élégie digne de leur sévérité, elle joüit encore de la liberté de son premier âge. Grave ou legere, tendre ou badine, passionnée ou tranquille, riante ou plaintive à son gré, il n'est point de ton, depuis l'héroïque jusqu'au familier, qu'il ne lui soit permis de prendre. Properce y a décrit en passant la formation de l'univers, Tibulle les tourmens du tartare; l'un & l'autre en ont fait des tableaux dignes tour - à - tour de Raphaël, du Correge & de l'Albane: Ovide ne cesse d'y joüer avec les fleches de l'Amour.
Cependant pour en déterminer le caractere par quelques traits plus marqués, nous la diviserons en trois genres, le passionné, le tendre, & le gracieux.
Dans tous les trois elle prend également le ton de la douleur & de la joie; car c'est sur - tout dans l'élégie que l'Amour est un enfant qui pour rien s'irrite & s'appaise, qui pleure & rit en même tems. Par la même raison, le tendre, le passionné, le gracieux, ne sont pas des genres incompatibles dans l'élégie amoureuse; mais dans leur mélange il y a des nuances, des passages, des gradations à ménager. Dans la même situation où l'on dit torqueor infelix! on ne doit pas comparer la rougeur de sa maîtresse convaincue d'infidélité, à la couleur du ciel, au lever de l'aurore, à l'éclat des roses parmi les lis, &c. (Ovid. Amor. lib. II. el. 5.) Au moment où l'on crie à ses amis: Enchaînez - moi, je suis un furieux, j'ai [p. 485]
En général, le sentiment domine dans le genre passionné, c'est le caractere de Properce; l'imagination domine dans le gracieux, c'est le caractere d'Ovide. Dans le premier l'imagination modeste & soûmise ne se joint au sentiment que pour l'embellir, & se cache en l'embellissant, subsequiturque. Dans le second le sentiment humble & docile ne se joint à l'imagination que pour l'animer, & se laisse couvrir des fleurs qu'elle répand à pleines mains. Un coloris trop brillant refroidiroit l'un, comme un pathétique trop fort obscurciroit l'autre. La passion rejette la parure des graces, les graces sont effrayées de l'air sombre de la passion; mais une émotion douce ne les rend que plus touchantes & plus vives: c'est ainsi qu'elles regnent dans l'élégie tendre, & c'est le genre de Tibulle.
C'est pour avoir donné à un sentiment foible le ton du sentiment passionné, que l'élégie est devenue fade. Rien n'est plus insipide qu'un desespoir de sang froid. On a cru que le pathétique étoit dans les mots; il est dans les tours & dans les mouvemens du style. Ce regret de Properce après s'être éloigné de Cinthie,
Nonne fuit melius dominoe pervincere mores? ce regret, dis - je, seroit froid. Mais combien la réflexion l'anime!
Quamvis dura, tamen rara puella fuit. C'est une étude bien intéressante que celle des mouvemens de l'ame dans les élégies de ce poëte, & de Tibulle son rival! Je veux, dit Ovide, que quelque jeune homme blessé des mêmes traits que moi, r connoisse dans mes vers tous les signes de sa flamme, & qu'il s'écrie après un long étonnement: qui peut avoir appris à ce poëte à si bien peindre mes malheurs? C'est la regle générale de la poésie pathétique. Ovide la donne; Tibule & Properce la suivent, & la suivent bien mieux que lui.
Quelques poëtes modernes se sont persuadés que l'élégie plaintive n'avoit pas besoin d'ornemens: non sans doute, lorsqu'elle est passionnée. Une amante éperdue n'a pas besoin d'être parée pour attendrir en sa faveur; son desordre, son égarement, la pâleur de son visage, les ruisseaux de larmes qui coulent de ses yeux, sont les armes de sa douleur, & c'est avec ces traits que la pitié nous pénetre. Il en est ainsi de l'élégie passionnée.
Mais une amante qui n'est qu'affligée, doit réunir pour nous émouvoir les charmes de la beauté, la parure, ou plûtôt le négligé des graces. Telle doit être l'élégie tendre, semblable à Corine au moment de son réveil:
Soepe etiam nondùm digestis mane capillis, Purpureo jacuit semi supina thoro; Tumque fuit neglecta decens. Un sentiment tranquille & doux, tel qu'il regne dans l'élégie tendre, a besoin d'être nourri sans cesse par une imagination vive & féconde. Qu'on se figure une personne triste & rêveuse qui se promene dans une campagne, où tout ce qu'elle voit lui retrace l'objet qui l'occupe sous mille faces nouvelles: telle est dans l'élégie tendre la situation de l'ame à l'égard
On peut entrevoir quel est le ton du sentiment dans Tibulle & dans Properce, par les extraits que nous en avons donnés, n'ayant pas osé les traduire. Mais ce n'est qu'en les lisant dans l'original, qu'on peut sentir le charme de leur style: tous deux faciles avec précision, véhémens avec douceur, pleins de naturel, de délicatesse, & de graces. Quintilien regarde Tibule comme le plus élégant & le plus poli des poëtes élégiaques latins; cependant il avoue que Properce a des partisans qui le préferent à Tibulle, & nous ne dissimulerons pas que nous sommes de ce nombre. A l'égard du reproche qu'il fait à Ovide d'être ce qu'il appelle lascivior; soit que ce mot - là signifie moins châtié, ou plus diffus, ou trop livré à son imagination, trop amoureux de son bel esprit, nimiùm amator ingenii sui, ou d'une mollesse trop négligée dans son style (car on ne sauroit l'entendre comme le lasciva puella de Virgile, d'une volupté folâtre); ce reproche dans tous ces sens est également fondé. Aussi Ovide n'a - t - il excellé que dans l'élégie gracieuse, où les négligences sont plus excusables.
Aux traits dont Ovide s'est peint à lui - même l'élégie amoureuse, on peut juger du style & du ton qu'il lui a donnés.
Venit odoratos elegia nexa capillos
Forma decens, vestis tenuissima, cultus amantis. . . . . . . limis subrisit ocellis. Fallor? an in dextrâ myrthea virga fuit? Il y prend quelquefois le ton plaintif; mais ce tonlà même est un badinage.
Croyez qu'il est des dieux sensibles à l'injure, Après mille sermens Corine se parjure. En a - t - elle perdu quelqu'un de ses attraits, Ses yeux sont - il, moins beaux, son teint est - il moins frois? Ah ce Dieu, s'il en est, sans doute aime les belles; Et ce qu'il nous défend, n'est permis que pour elles!
L'amour avec ce front riant & cet air leger, peut être aussi ingénieux, aussi brillant que l'on veut. La parure sied bien à la coquetterie; c'est elle qui peut avoir les cheveux entrelacés de roses. C'est sur le ton galant qu'un amant peut dire:
Cherche un amant plus doux, plus patient que moi;
Du tribut de mes voeux ma poupe couronnée
Brave au port les fureurs de l'onde mutinée.
C'est - là que seroit placée cette métaphore si peu naturelle,
dans une élégie sérieuse:
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.