ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"450"> vers; d'un autre côté l'une de ces substances est figurée, & ne peut, selon ce philosophe, se concevoir distinguée & séparée de l'autre que par abstraction. Leur nature n'est pas essentiellement différente; d'ailleurs cette ame de l'univers que Xénophane paroît avoir imaginée, & que tous les Philosophes qui l'ont suivi ont admise, n'étoit rien de ce que nous entendons par un esprit.

Physique de Xénophane. Il n'y a qu'un univers; mais il y a une infinité de mondes. Comme il n'y a point de mouvement vrai, il n'y a en effet ni génération, ni dépérissement, ni altération. Il n'y a ni commencement, ni fin de rien, que des apparences. Les apparences sont les seules processions réelles de l'état de possibilité à l'état d'existence, & de l'état d'existence à celui d'annihilation. Les sens ne peuvent nous élever à la connoissance de la raison premiere de l'univers. Ils nous trompent nécessairement sur ses lois. Il ne nous vient de science solide que de la raison; tout ce qui n'est fondé que sur le témoignage des sens est opinion. La Métaphysique est la science des choses; la Physique est l'étude des apparences. Ce que nous appercevons en nous, est; ce que nous appercevons hors de nous, nous paroît. Mais la seule vraie philosophie est des choses qui sont, & non de celles qui paroissent.

Malgré ce mépris que les Eléatiques faisoient de la science des faits & de la connoissance de la nature, ils s'en occupoient sérieusement; ils en jugeoient seulement moins favorablement que les philosophes de leur tems. Ils auroient été d'accord avec les Pyrrhoniens sur l'incertitude du rapport des sens; mais ils auroient défendu contre eux l'infaillibilité de la raison.

Il y a, disoient les Eléatiques, quatre élémens; ils se combinent pour former la terre. La terre est la matiere de tous les êtres. Les astres sont des nuages enflammés: ces gros charbons s'éteignent le jour & s'allument la nuit. Le Soleil est un amas de particules ignées, qui se détruit & se reforme en 24 heures; il se leve le matin comme un grand brasier allumé de vapeurs récentes: ces vapeurs se consument à mesure que son cours s'avance; le soir il tombe épuisé sur la terre; son mouvement se fait en ligne droite: c'est la distance qui donne à l'espace qu'il parcourt, une courbure apparente. Il y a plusieurs Soleils; chaque climat, chaque zone a le sien. La Lune est un nuage condensé; elle est habitée; il y a des régions, des villes. Les nuées ne sont que des exhalaisons, que le Soleil attire de la surface de la terre; est - ce l'affluence des mixtes qui se précipitent dans les mers qui les sale? Les mers ont couvert toute la terre; ce phénomene est démontré par la présence des corps marins sur sa surface & dans ses entrailles. Le genre humain finira lorsque la terre étant entraînée au fond des mers, cet amas d'eau se répandra également par - tout, détrempera le globe, & n'en formera qu'un bourbier; les siecles s'écouleront, l'immense bourbier se séchera, & les hommes renaîtront. Voilà la grande révolution de tous les êtres.

Ne perdons point de vûe au milieu de ces puérilités, plusieurs idées qui ne sont point au - dessous de la philosophie de nos tems; la distinction des élémens, leur combinaison, d'où résulte la terre; la terre, principe général des corps; l'apparence circulaire, effet de la grande distance; la pluralité des mondes & des Soleils; la Lune habitée; les nuages formés des exhalaisons terrestres; le séjour de la mer sur tous les points de la surface de la terre. Il étoit difficile qu'une science qui en étoit à son alphabet, rencontrât un plus grand nombre de vérités ou d'idées heureuses.

Tel étoit l'état de la philosophie éléatique, lorsque Parménide naquit. Il étoit d'Elée. Il eut Zénon pour disciple. Il s'entretint avec Socrate. Il écrivit sa phi<cb-> losophie en vers; il ne nous en reste que des lambeaux si décousus, qu'on n'en peut former aucun ensemble systématique. Il y a de l'apparence qu'il donna aussi la préférence à la raison sur les sens; qu'il regarda la Physique comme la science des opinions, & la Métaphysique comme la science des choses, & qu'il laissa l'Eléatisme spéculatif où il en étoit; à moins qu'on ne veuille s'en rapporter à Platon, & attribuer à Parménide tout ce que le Platonisme a débité depuis sur les idées. Parménide se fit un système de physique particulier. Il regarda le froid & le chaud, ou la terre & le feu, comme les principes des êtres; il découvrit que le Soleil & la Lune brilloient de la même lumiere, mais que l'éclat de la Lune étoit emprunté; il plaça la terre au centre du monde; il attribua son immobilité à sa distance égale en tout sens, de chacun des autres points de l'univers. Pour expliquer la génération des substances qui nous environnent, il disoit: le feu a été appliqué à la terre, le limon s'est échauffé, l'homme & tout ce qui a vie a été engendré; le monde finira; la portion principale de l'ame humaine est placée dans le coeur.

Parménide naquit dans la soixante - neuvieme olympiade. On ignore le tems de sa mort. Les Eléens l'appellerent au gouvernement; mais des troubles populaires le dégoûterent bien - tôt des affaires publiques, & il se retira pour se livrer tout entier à la Philosophie.

Mélisse de Samos fleurit dans la 84e olympiade. Il fut homme d'état, avant que d'être philosophe. Il eût peut - être été plus avantageux pour les peuples qu'il eût commencé par être philosophe, avant que d'être homme d'état. Il écrivit dans sa retraite de l'étre & de la nature. Il ne changea rien à la philosophie de ses prédécesseurs: il croyoit seulement que la nature des dieux étant incompréhensible, il falloit s'en taire, & que ce qui n'est pas est impossible; deux principes, dont le premier marque beaucoup de retenue, & le second beaucoup de hardiesse. On croit que ce fut notre philosophe qui commandoit les Samiens, lorsque leur flote battit celle des Athéniens.

Zénon l'éléatique fut un beau garçon, que Parménide ne reçut pas dans son école sans qu'on en médît. Il se mêla aussi des affaires publiques, avant que de s'appliquer à l'étude de la philosophie. On dit qu'il se trouva dans Agrigente, lorsque cette ville gémissoit sous la tyrannie de Phalaris; qu'ayant employé sans succès toutes les ressources de la philosophie pour adoucir cette bête féroce, il inspira à la jeunesse l'honnête & dangereux dessein de s'en délivrer; que Phalaris instruit de cette conspiration, fit saisir Zénon & l'exposa aux plus cruels tourmens, dans l'espérance que la violence de la douleur lui arracheroit les noms de ses complices; que le philosophe ne nomma que le favori du tyran; qu'au milieu des supplices, son éloquence réveilla les lâches Agrigentins; qu'ils rougirent de s'abandonner eux - mêmes, tandis qu'un étranger expiroit à leurs yeux, pour avoir entrepris de les tirer de l'esclavage; qu'ils se soûleverent brusquement, & que le tyran fut assommé à coups de pierre. Les uns ajoûtent qu'ayant invité Phalaris à s'approcher, sous prétexte de lui révéler tout ce qu'il desiroit savoir, il le mordit par l'oreille, & ne lâcha prise qu'en mourant sous les coups que les boureaux lui donnerent. D'autres que, pour ôter à Phalaris toute espérance de connoître le fond de la conjuration, il se coupa la langue avec les dents, & la cracha au visage du tyran. Mais quelque honneur que la Philosophie puisse recueillir de ces faits, nous ne pouvons nous en dissimuler l'mcertitude. Zénon ne vécut ni sous Phalaris, ni sous Denis; & l'on raconte les mêmes choses d'Anaxarque.

Zénon étoit grand dialecticien. Il avoit divisé sa [p. 451] logique en trois parties. Il traitoit dans la premiere de l'art de raisonner; dans la seconde, de l'art de dialoguer; & dans la troisieme, de l'art de disputer. Il n'eut point d'autre métaphysique que celle de Xénophane. Il combattit la réalité du mouvement. Tout le monde connoît son sophisme de la tortue & d'Achille. « Il disoit, si je souffre sans indignation l'injure du méchant, je serai insensible à la loüange de l'honnête homme ». Sa physique fut la même que celle de Parménide. Il nia le vuide. S'il ajoûta au froid & au chaud l'humide & le sec, ce ne fut pas proprement comme quatre différens principes, mais comme quatre effets de deux causes, la terre & le feu.

Histoire des Eléatiques physiciens. Leucippe d'Abdere, disciple de Mélisse & de Zénon, & maître de Démocrite, s'apperçut bien - tôt que la méfiance outrée du témoignage des sens détruisoit toute philosophie, & qu'il valoit mieux rechercher en quelles circonstances ils nous trompoient, que de se persuader à soi - même & aux autres par des subtilités de Logique qu'ils nous trompent toûjours. Il se dégoûta de la métaphysique de Xénophane, des idées de Platon, des nombres de Pythagore, des sophismes de Zénon, & s'abandonna tout entier à l'étude de la nature, à la connoissance de l'univers, & à la recherche des propriétés & des attributs des êtres. Le seul moyen, disoit - il, de réconcilier les sens avec la raison, qui semblent s'être brouillés depuis l'origine de la secte éléatique, c'est de recueillir des faits & d'en faire la base de la spéculation. Sans les faits, toutes les idées systématiques ne portent sur rien: ce sont des ombres inconstantes qui ne se ressemblent qu'un instant.

On peut regarder Leucippe comme le fondateur de la philosophie corpusculaire. Ce n'est pas qu'avant lui on n'eût considéré les corps comme des amas de particules; mais il est le premier qui ait fait de la combinaison de ces particules, la cause universelle de toutes choses. Il avoit pris la métaphy sique en une telle aversion, que pour ne rien laisser, disoit, d'arbitraire dans sa philosophie, il en avoit banni le nom de Dieu. Les philosophes qui l'avoient precédé, voyoient tout dans les idées; Leucippe ne voulut rien admettre que ce qu'il observeroit dans les corps. Il fit tout émaner de l'atome, de sa figure, & de son mouvement. Il imagina l'atomisme; Démocrite perfectionna ce système; Epicure le porta jusqu'où il pouvoit s'élever. Voyez Atomisme.

Leucippe & Démocrite avoient dit que les atomes différoient par le mouvement, la figure, & la masse, & que c'étoit de leur co - ordination que naissoient tous les êtres. Epicure ajoûta qu'il y avoit des atomes d'une nature si hétérogene, qu'ils ne pouvoient ni se rencontrer, ni s'unir. Leucippe & Démocrite avoient prétendu que toutes les molécules élémentaires avoient commencé par se mouvoir en ligne droite. Epicure remarqua que si elles avoient commencé à se mouvoir toutes en ligne droite, elles n'auroient jamais changé de direction, ne se seroient point choquées, ne se seroient point combinées, & n'auroient produit aucune substance: d'où il conclut qu'elles s'étoient mûes dans des directions un peu inclinées les unes aux autres, & convergentes vers quelque point commun, à - peu - près comme nous voyons les graves tomber vers le centre de la terre. Leucippe & Démocrite avoient animé leurs atomes d'une même force de gravitation. Epicure fit graviter les siens diversement. Voilà les principales différences de la philosophie de Leucippe & d'Epicure, qui nous soient connues.

Leucippe disoit encore: l'univers est infini. Il y a un vuide absolu, & un plein absolu: ce sont les deux portions de l'espace en général. Les atomes se meu<cb-> vent dans le vuide. Tout naît de leurs combinaisons. Ils forment des mondes, qui se résolvent en atomes. Entraînés autour d'un centre commun, ils se rencontrent, se choquent, se séparent, s'unissent; les plus legers sont jettés dans les espaces vuides, qui embrassent extérieurement le tourbillon général. Les autres tendent fortement vers le centre; ils s'y hâtent, s'y pressent, s'y accrochent, & y forment une masse qui augmente sans cesse en densité. Cette masse attire à elle tout ce qui l'approche; de - là naissent l'humide, le limoneux, le sec, le chaud, le brûlant, l'enflammé, les eaux, la terre, les pierres, les hommes, le feu, la flamme, les astres. Le Soleil est environné d'une grande atmosphere, qui lui est exterieure. C'est le mouvement qui entretient sans cesse le feu des astres, en portant au lieu qu'ils occupent des particules qui réparent les pertes qu'ils sont. La Lune ne brille que d'une lumiere empruntée du Soleil. Le Soleil & la Lune souffrent des éclipses, parce que la terre panche vers le midi. Si les éclipses de Lune sont plus fréquentes que celles de Soleil, il en faut chercher la raison dans la différence de leurs orbes. Les générations, les dépérissemens, les altérations, sont les suites d'une loi générale & nécessaire, qui agit dans toutes les molécules de la matiere.

Quoique nous ayons perdu les ouvrages de Leucippe, il nous est resté, comme on voit, assez de connoissance des principes de sa philosophie, pour juger du mérite de quelques - uns de nos systématiques modernes; & nous pourrions demander aux Cartésiens, s'il y a bien loin des idées de Leucippe à celles de Descartes. Voyez Cartésianisme.

Leucippe eut pour successeur Démocrite, un des premiers génies de l'antiquité. Démocrite naquit à Abdere, où sa famille étoit riche & puissante. Il fleurissoit au commencement de la guerre du Peloponese. Dans le dessein qu'il avoit formé de voyager, il laissa à ses freres les biens fonds, & il prit en argent ce qui lui revenoit de la succession de son pere. Il parcourut l'Egypte, où il apprit la Géométrie dans les séminaires; la Chaldée; l'Ethiopie, où il conversa avec les Gymnosophistes; la Perse, où il interrogea les mages; les Indes, &c. Je n'ai rien épargné pour m'instruire, disoit Démocrite; j'ai vû tous les hommes célebres de mon tems; j'ai parcouru toutes les contrées où j'ai espéré rencontrer la vérité: la distance des lieux ne m'a point effrayé; j'ai observé les différences de plusieurs climats; j'ai recueilli les phénomenes de l'air, de la terre, & des eaux: la fatigue des voyages ne m'a point empêché de méditer; j'ai cultivé les Mathématiques sur les grandes routes, comme dans le silence de mon cabinet; je ne crois pas que personne me surpasse aujourd'hui dans l'art de démontrer par les nombres & par les lignes, je n'en excepte pas même les prêtres de l'Egypte.

Démocrite revint dans sa patrie, rempli de la sagesse de toutes les nations, mais il y fut réduit à la vie la plus étroite & la plus obscure; ses longs voyages avoient entierement épuisé sa fortune; heureusement il trouva dans l'amitié de Damasis son frere, les secours dont il avoit besoin. Les loix du pays refusoient la sépulture à celui qui avoit dissipé le bien de ses peres. Démocrite ne crut pas devoir exposer sa mémoire à cette injure: il obtint de la république une somme considérable en argent, avec une statuc d'airain, sur la seule lecture d'un de ses ouvrages. Dans la suite, ayant conjecturé par des observations météorologiques, qu'il y auroit une grande disette d'huile, il acheta à bon marché toute celle qui étoit dans le commerce, la revendit fort cher, & prouva aux détracteurs de la philosophie, que le philosophe savoit acquérir des richesses quand il le vouloit. Ses concitoyens l'appellerent à l'administrationdes affaires publiques: il se conduisit à la tête

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