ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"283"> s'en étoient point mêlées; l'historien Socrate & le sage M. Fleuri qu'on en croira facilement, disent que cette action violente, indigne de gens qui portent le nom de Chrétien & qui professent notre foi, couvrit de deshonneur l'église d'Alexandrie & son patriarche. Je ne prononcerai point, ajoûte M. Brucker dans son histoire critique de la Philosophie, s'il en faut rassembler toute l'horreur sur cet homme; je sai qu'il y a des historiens qui ont mieux aimé la rejetter sur une populace effrénée: mais ceux qui connoîtront bien la hauteur de caractere de l'impétueux patriarche, croiront le traiter assez favorablement en convenant que, s'il ne trempa point ses mains dans le sang innocent d'Hypatie, du moins il n'ignora pas entierement le dessein qu'on avoit formé de le répandre. M. Brucker oppose à l'innocence du patriarche, des présomptions assez fortes; telles que le bruit public, le caractere impétueux de l'homme, le rôle turbulent qu'il a fait de son tems, la canonisation du moine de Nitrie, & l'impunité du lecteur Pierre. Ce fait est du regne de Théodose le jeune, & de l'an 415 de Jesus - Christ.

La secte éclectique ancienne finit à la mort d'Hypatie: c'est une époque bien triste. Cette philosophie s'étoit répandue successivement en Syrie, dans l'Egypte, & dans la Grece. On pourroit encore mettre au nombre de ces Platoniciens réformés, Macrobe, Chalcidius, Ammian Marcellin, Dexippe, Thémistius, Simplicius, Olimpiodore, & quelques autres; mais à considérer plus attentivement Olimpiodore, Simplicius, Thémistius, & Dexippe, on voit qu'ils appartiennent à l'école péripatéticienne, Macrobe au platonisme, & Chalcidius à la religion chrétienne.

L'Eclectisme, cette philosophie si raisonnable, qui avoit été pratiquée par les premiers génies long - tems avant que d'avoir un nom, demeura dans l'oubli jusqu'à la fin du seizieme siecle. Alors la nature qui étoit restée si long - tems engourdie & comme épuisée, fit un effort, produisit enfin quelques hommes jaloux de la prérogative la plus belle de l'humanité, la liberté de penser par soi - même: & l'on vit renaître la philosophie éclectique sous Jordanus Brunus de Nole; Jérôme Cardan, V. Philosophie de Cardan à l'art. Cardan; François Bacon de Verulam, voyez l'artic. Baconisme; Thomas Campanella, voyez l'article Phi<-> losophie de Campanella, à l'article Campanella; Thomas Hobbes, voyez l'article Hobbisme; René Descartes, voyez l'article Cartésianisme; Godefroid, Guillaume Léibnitz, voyez l'article Léibnitzianisme; Christian Thomasius, voyez l'article Phi<-> losophie de Thomasius, au mot Thomasius; Nicolas Jérôme Gundlingius, François Buddée, André Rudigerus, Jean Jacques Syrbius, Jean Leclerc, Mallebranche, &c.

Nous ne finirions point, si nous entreprenions d'exposer ici les travaux de ces grands hommes, de suivre l'histoire de leurs pensées, & de marquer ce qu'ils ont fait pour le progrès de la Philosophie en général, & pour celui de la philosophie éclectique moderne en particulier. Nous aimons mieux renvoyer ce qui les concerne aux articles de leurs noms, nous bornant à ébaucher en peu de mots le tableau du renouvellement de la philosophie éclectique.

Le progrès des connoissances humaines est une route tracée, d'où il est presque impossible à l'esprit humain de s'écarter. Chaque siecle a son genre & son espece de grands hommes. Malheur à ceux qui destinés par leurs talens naturels à s'illustrer dans ce genre, naissent dans le siecle suivant, & sont entraînés par le torrent des études régnantes, à des occupations littéraires, pour lesquelles ils n'ont point reçu la même aptitude; ils auroient travaillé avec suc<cb-> cès & facilité; ils se seroient fait un nom; ils travaillent avec peine, avec peu de fruit, & sans gloire, & meurent obscurs. S'il arrive à la nature, qui les a mis au monde trop tard, de les ramener par hasard à ce genre épuisé dans lequel il n'y a plus de réputation à se faire, on voit par les choses dont ils viennent à - bout, qu'ils auroient égalé les premiers hommes dans ce genre, s'ils en avoient été les contemporains. Nous n'avons aucun recueil d'Académie qui n'offre en cent endroits la preuve de ce que j'avance. Qu'arriva - t - il donc au renouvellement des lettres parmi nous? On ne songea point à composer des ouvrages: cela n'étoit pas naturel, tandis qu'il y en avoit tant de composés qu'on n'entendoit pas; aussi les esprits se tournerent - ils du côté de l'art grammatical, de l'érudition, de la critique, des antiquités, de la littérature. Lorsqu'on fut en état d'entendre les auteurs anciens, on se proposa de les imiter, & l'on écrivit des discours oratoires & des vers de toute espece. La lecture des Philosophes produisit aussi son genre d'émulation; on argumenta, on bâtit des systêmes, dont la dispute découvrit bien - tôt le fort & le foible: ce fut alors qu'on sentit l'impossibilité & d'en admettre & d'en rejetter aucun en entier. Les efforts que l'on fit pour relever celui auquel on s'étoit attaché, en réparant ce que l'expérience journaliere détruisoit, donna naissance au Sincrétisme. La nécessité d'abandonner à la fin une place qui tomboit en ruine de tout côté, de se jetter dans une autre qui ne tardoit pas à éprouver le même sort, & de passer ensuite de celle - ci dans une troisieme, que le tems détruisoit encore, détermina enfin d'autres entrepreneurs (pour ne point abandonner ma comparaison) à se transporter en rase campagne, afin d'y construire des matériaux de tant de places ruinées, auxquels on reconnoîtroit quelque solidité, une cité durable, éternelle, & capable de résister aux efforts qui avoient détruit toutes les autres: ces nouveaux entrepreneurs s'appellerent éclectiques. Ils avoient à peine jetté les premiers fondemens, qu'ils s'apperçurent qu'il leur manquoit une infinité de matériaux; qu'ils étoient obligés de rebuter les plus belles pierres, faute de celles qui devoient les lier dans l'ouvrage; & ils se dirent entre eux: mais ces maté<-> riaux qui nous manquent sont dans la nature, cherchons<-> les donc; ils se mirent à les chercher dans le vague des airs, dans les entrailles de la terre, au fond des eaux, & c'est ce qu'on appella cultiver la philosophie expérimentale. Mais avant que d'abandonner le projet de bâtir & que de laisser les matériaux épars sur la terre, comme autant de pierres d'attente, il fallut s'assûrer par la combinaison, qu'il étoit absolument impossible d'en former un édifice solide & régulier, sur le modele de l'univers qu'ils avoient devant les yeux: car ces hommes ne se proposent rien de moins que de retrouver le porte - feuille du grand Architecte & les plans perdus de cet univers; mais le nombre de ces combinaisons est infini. Ils en ont déjà essayé un grand nombre avec assez peu de succès; cependant ils continuent toûjours de combiner: on peut les appeller éclectiques systématiques.

Ceux qui convaincus non seulement qu'il nous manque des matériaux, mais qu'on ne fera jamais rien de bon de ceux que nous avons dans l'état où ils sont, s'occupent sans relâche à en rassembler de nouveaux; ceux qui pensent au contraire qu'on est en état de commencer quelque partie du grand édifiee, ne se lassent point de les combiner, & ils parviennent à force de tems & de travail, à soupçonner les carrieres d'où l'on peut tirer quelques - unes des pierres dont ils ont besoin. Voilà l'état où les choses en sont en Philosophie, où elles demeureront encore long - tems, & où le cercle que nous avons tracé les rameneroit nécessairement, si par un évenement qu'on ne con<pb-> [p. 284] coit guere, la terre venoit à se couvrir de longues & épaisses ténebres, & que les travaux en tout genre fussent suspendus pendant quelques siecles.

D'où l'on voit qu'il y a deux sortes d'Eclectisme; l'un expérimental, qui consiste à rassembler les vérités connues & les faits donnés, & à en augmenter le nombre par l'étude de la nature; l'autre systématique, qui s'occupe à comparer entr'elles les vérités connues & à combiner les faits donnés, pour en tirer ou l'explication d'un phénomene, ou l'idée d'une expérience. L'Eclectisme expérimental est le partage des hommes laborieux, l'Eclectisme systématique est celui des hommes de génie; celui qui les réunira, verra son nom placé entre les noms de Démocrite, d'Aristote & de Bacon.

Deux causes ont retardé les progrès de cet Eclec<-> tisme; l'une nécessaire, inévitable, & fondée dans la nature des choses; les autres accidentelles & conséquentes à des évenemens que le tems pouvoit ou ne pas amener, ou du moins amener dans des circonstances moins défavorables. Je me conforme dans cette distinction à la maniere commune d'envisager les choses, & je fais abstraction d'un système qui n'entraîneroit que trop facilement un homme qui réfléchit avec profondeur & précision, à croire que tous les évenemens dont je vais parler, sont également nécessaires. La premiere des causes du retardement de l'Eclectisme moderne, est la route que suit naturellement l'esprit humain dans ses progrès, & qui l'occupe invineiblement pendant des siecles entiers à des connoissances qui ont été & qui seront dans tous les tems antérieures à l'étude de la Philosophie. L'esprit humain a son enfance & sa virilité: plût au ciel qu'il n'eût pas aussi son déclin, sa vieillesse & sa caducité. L'érudition, la littérature, les langues, les antiquités, les beaux arts, sont les occupations de ses premieres années & de son adolescence; la Philosophie ne peut être que l'occupation de sa virilité, & la consolation ou le chagrin de sa vieillesse: cela dépend de l'emploi du tems & du caractere; or l'espece humaine a le sien; & elle apperçoit très - bien dans son histoire générale les intervalles vuides, & ceux qui sont remplis de transactions qui l'honorent ou qui l'humilient. Quant aux causes du retardement de la Philosophie éclectique, dont nous formons une autre classe, il suffit d'en faire l'énumération. Ce sont les disputes de religion qui oecupent tant de bons esprits; l'intolérance de la superstition qui en persécute & décourage tant d'autres; l'indigence qui jette un homme de génie du côté opposé à celui où la nature l'appelloit; les récompenses mal placées qui l'indignent & lui font tomber la plume des mains; l'indifférence du gouvernement qui dans son calcul politique fait entrer pour infiniment moins qu'il ne vaut, l'éclat que la nation reçoit des lettres & des arts d'agrément, & qui négligeant le progrès des arts utiles, ne sait pas sacrifier une somme aux tentatives d'un homme de génie qui meurt avec ses projets dans sa tête, sans qu'on puisse conjecturer si la nature réparera jamais cette perte: car dans toute la suite des individus de l'espece humaine qui ont existé & qui existeront, il est impossible qu'il y en ait deux qui se ressemblent parfaitement; d'où il s'ensuit pour ceux qui savent raisonner, que toutes les fois qu'une découverte utile attachée à la différence spécifique qui distinguoit tel individu de tous les autres, & qui le constituoit tel, ou n'aura point été faite, ou n'aura point été publiée, elle ne se fera plus; c'est autant de perdu pour le progrès des Sciences & des Arts, & pour le bonheur & la gloire de l'espece. J'invite ceux qui seront tentés de regarder cette considération comme trop subtile, d'interroger là - dessus quelques - uns de nos illustres contemporains; je m'en rapporte à leur ju<cb-> gement. Je les invite encore à jetter les yeux sur les productions originales, tant anciennes que modernes, en quelque genre que ce soit, à méditer un moment sur ce que c'est que l'originalité, & à me dire s'il y a deux originaux qui se ressemblent, je ne dis pas exactement, mais à de petites différences près. J'ajoûterai enfin la protection mal placée, qui abandonne les hommes de la nation, ceux qui la représentent avec dignité parmi les nations subsistantes, ceux à qui elle devra son rang parmi les peuples à venir, ceux qu'elle révere dans son sein, & dont on s'entretient avec admitation dans les contrées éloignées, à des malheureux condamnés au personnage qu'ils font, ou par la nature qui les a produits médiocres & méchans; ou par une dépravation de caractere qu'ils doivent à des circonstances telles que la mauvaise éducation, la mauvaise compagnie, la débauche, l'esprit d'intérêt, & la petitesse de certains hommes pusillanimes qui les redoutent, qui les flattent, qui les irritent peut - être, qui rougissent d'en être les protecteurs déclarés, mais que le public à qui rien n'échappe, finit par compter au nombre de leurs protégés. Il semble que l'on se conduise dans la république littéraire par la même politique cruelle qui régnoit dans les démocraties anciennes, où tout citoyen qui devenoit trop puissant, étoit exterminé. Cette comparaison est d'autant plus juste que, quant on eut sacrifié par l'ostracisme quelques honnêtes gens, cette loi commença à deshonorer ceux qu'elle épargnoit. J'écrivois ces réflexions, le 11 Février 1755, au retour des funérailles d'un de nos plus grands hommes, desolé de la perte que la nation & les lettres faisoient en sa personne, & profondément indigné des persécutions qu'il avoit essuyées. La vénération que je portois à sa mémoire, gravoit sur son tombeau ces mots que j'avois destinés quelque tems auparavant à servir d'inscription à son grand ouvrage de l'Esprit des lois: alto quoesivit coelo lu<-> cem, ingemuitque reperta. Puissent - ils passer à la postérité, & lui apprendre qu'allarmé du murmure d'ennemis qu'il redoutoit, & sensible à des injures périodiques, qu'il eût méprisées sans doute sans le sceau de l'Autorité dont elles lui paroissoient revêtues, la perte de la tranquillité de cet homme né sensible, fut la triste récompense de l'honneur qu'il venoit de faire à la France, & du service important qu'il venoit de rendre à l'univers!

Jusqu'à présent on n'a guere appliqué l'Eclectisme qu'à des matieres de Philosophie; mais il n'est pas difficile de prévoir à la fermentation des esprits, qu'il va devenir plus général. Je ne crois pas, peut - être même n'est - il pas à souhaiter, que ses premiers effets soient rapides; parce que ceux qui sont versés dans la pratique des Arts ne sont pas assez raisonneurs, & que ceux qui ont l'habitude de raisonner, ne sont ni assez instruits, ni assez disposés à s'instruire de la partie méchanique. Si l'on met de la précipitation dans la réforme, il pourra facilement arriver qu'en voulant tout corriger, on gâtera tout. Le premier mouvement est de se porter aux extrèmes. J'invite les Philosophes à s'en méfier; s'ils sont prudens, ils se résoudront à devenir disciples en beaucoup de genres, avant que de vouloir être maîtres; ils hasarderont quelques conjectures, avant que de poser des principes. Qu'ils songent qu'ils ont affaire à des especes d'automates, auxquels il faut communiquer une impulsion d'autant plus menagée, que les plus estimables d'entre eux sont les moins capables d'y résister. Ne seroit - il pas raisonnable d'étudier d'abord les ressources de l'art, avant que de prétendre aggrandir ou resserrer ses limites? c'est faute de cette initiation, qu'on ne sait ni admirer ni reprendre. Les faux amateurs corrompent les artistes; les demi - connoisseurs les découragent: je parle des arts libéraux, Mais tan<pb->

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