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La secte éclectique ancienne finit à la mort d'Hypatie: c'est une époque bien triste. Cette philosophie s'étoit répandue successivement en Syrie, dans l'Egypte, & dans la Grece. On pourroit encore mettre au nombre de ces Platoniciens réformés, Macrobe, Chalcidius, Ammian Marcellin, Dexippe, Thémistius, Simplicius, Olimpiodore, & quelques autres; mais à considérer plus attentivement Olimpiodore, Simplicius, Thémistius, & Dexippe, on voit qu'ils appartiennent à l'école péripatéticienne, Macrobe au platonisme, & Chalcidius à la religion chrétienne.
L'Eclectisme, cette philosophie si raisonnable, qui
avoit été pratiquée par les premiers génies long - tems
avant que d'avoir un nom, demeura dans l'oubli jusqu'à la fin du seizieme siecle. Alors la nature qui étoit
restée si long - tems engourdie & comme épuisée, fit
un effort, produisit enfin quelques hommes jaloux de
la prérogative la plus belle de l'humanité, la liberté
de penser par soi - même: & l'on vit renaître la philosophie
éclectique sous Jordanus Brunus de Nole; Jérôme Cardan, V. Philosophie de Cardan à l'art.
Nous ne finirions point, si nous entreprenions d'exposer ici les travaux de ces grands hommes, de suivre l'histoire de leurs pensées, & de marquer ce qu'ils ont fait pour le progrès de la Philosophie en général, & pour celui de la philosophie éclectique moderne en particulier. Nous aimons mieux renvoyer ce qui les concerne aux articles de leurs noms, nous bornant à ébaucher en peu de mots le tableau du renouvellement de la philosophie éclectique.
Le progrès des connoissances humaines est une route tracée, d'où il est presque impossible à l'esprit humain de s'écarter. Chaque siecle a son genre & son espece de grands hommes. Malheur à ceux qui destinés par leurs talens naturels à s'illustrer dans ce genre, naissent dans le siecle suivant, & sont entraînés par le torrent des études régnantes, à des occupations littéraires, pour lesquelles ils n'ont point reçu la même aptitude; ils auroient travaillé avec suc<cb->
Ceux qui convaincus non seulement qu'il nous manque des matériaux, mais qu'on ne fera jamais rien de bon de ceux que nous avons dans l'état où ils sont, s'occupent sans relâche à en rassembler de nouveaux; ceux qui pensent au contraire qu'on est en état de commencer quelque partie du grand édifiee, ne se lassent point de les combiner, & ils parviennent à force de tems & de travail, à soupçonner les carrieres d'où l'on peut tirer quelques - unes des pierres dont ils ont besoin. Voilà l'état où les choses en sont en Philosophie, où elles demeureront encore long - tems, & où le cercle que nous avons tracé les rameneroit nécessairement, si par un évenement qu'on ne con<pb-> [p. 284]
D'où l'on voit qu'il y a deux sortes d'Eclectisme; l'un expérimental, qui consiste à rassembler les vérités connues & les faits donnés, & à en augmenter le nombre par l'étude de la nature; l'autre systématique, qui s'occupe à comparer entr'elles les vérités connues & à combiner les faits donnés, pour en tirer ou l'explication d'un phénomene, ou l'idée d'une expérience. L'Eclectisme expérimental est le partage des hommes laborieux, l'Eclectisme systématique est celui des hommes de génie; celui qui les réunira, verra son nom placé entre les noms de Démocrite, d'Aristote & de Bacon.
Deux causes ont retardé les progrès de cet Eclec<-> tisme; l'une nécessaire, inévitable, & fondée dans la nature des choses; les autres accidentelles & conséquentes à des évenemens que le tems pouvoit ou ne pas amener, ou du moins amener dans des circonstances moins défavorables. Je me conforme dans cette distinction à la maniere commune d'envisager les choses, & je fais abstraction d'un système qui n'entraîneroit que trop facilement un homme qui réfléchit avec profondeur & précision, à croire que tous les évenemens dont je vais parler, sont également nécessaires. La premiere des causes du retardement de l'Eclectisme moderne, est la route que suit naturellement l'esprit humain dans ses progrès, & qui l'occupe invineiblement pendant des siecles entiers à des connoissances qui ont été & qui seront dans tous les tems antérieures à l'étude de la Philosophie. L'esprit humain a son enfance & sa virilité: plût au ciel qu'il n'eût pas aussi son déclin, sa vieillesse & sa caducité. L'érudition, la littérature, les langues, les antiquités, les beaux arts, sont les occupations de ses premieres années & de son adolescence; la Philosophie ne peut être que l'occupation de sa virilité, & la consolation ou le chagrin de sa vieillesse: cela dépend de l'emploi du tems & du caractere; or l'espece humaine a le sien; & elle apperçoit très - bien dans son histoire générale les intervalles vuides, & ceux qui sont remplis de transactions qui l'honorent ou qui l'humilient. Quant aux causes du retardement de la Philosophie éclectique, dont nous formons une autre classe, il suffit d'en faire l'énumération. Ce sont les disputes de religion qui oecupent tant de bons esprits; l'intolérance de la superstition qui en persécute & décourage tant d'autres; l'indigence qui jette un homme de génie du côté opposé à celui où la nature l'appelloit; les récompenses mal placées qui l'indignent & lui font tomber la plume des mains; l'indifférence du gouvernement qui dans son calcul politique fait entrer pour infiniment moins qu'il ne vaut, l'éclat que la nation reçoit des lettres & des arts d'agrément, & qui négligeant le progrès des arts utiles, ne sait pas sacrifier une somme aux tentatives d'un homme de génie qui meurt avec ses projets dans sa tête, sans qu'on puisse conjecturer si la nature réparera jamais cette perte: car dans toute la suite des individus de l'espece humaine qui ont existé & qui existeront, il est impossible qu'il y en ait deux qui se ressemblent parfaitement; d'où il s'ensuit pour ceux qui savent raisonner, que toutes les fois qu'une découverte utile attachée à la différence spécifique qui distinguoit tel individu de tous les autres, & qui le constituoit tel, ou n'aura point été faite, ou n'aura point été publiée, elle ne se fera plus; c'est autant de perdu pour le progrès des Sciences & des Arts, & pour le bonheur & la gloire de l'espece. J'invite ceux qui seront tentés de regarder cette considération comme trop subtile, d'interroger là - dessus quelques - uns de nos illustres contemporains; je m'en rapporte à leur ju<cb->
Jusqu'à présent on n'a guere appliqué l'Eclectisme
qu'à des matieres de Philosophie; mais il n'est pas
difficile de prévoir à la fermentation des esprits, qu'il
va devenir plus général. Je ne crois pas, peut - être
même n'est - il pas à souhaiter, que ses premiers effets
soient rapides; parce que ceux qui sont versés dans
la pratique des Arts ne sont pas assez raisonneurs, &
que ceux qui ont l'habitude de raisonner, ne sont ni
assez instruits, ni assez disposés à s'instruire de la partie
méchanique. Si l'on met de la précipitation dans
la réforme, il pourra facilement arriver qu'en voulant
tout corriger, on gâtera tout. Le premier mouvement
est de se porter aux extrèmes. J'invite les Philosophes à s'en méfier; s'ils sont prudens, ils se résoudront
à devenir disciples en beaucoup de genres,
avant que de vouloir être maîtres; ils hasarderont
quelques conjectures, avant que de poser des principes.
Qu'ils songent qu'ils ont affaire à des especes
d'automates, auxquels il faut communiquer une impulsion
d'autant plus menagée, que les plus estimables
d'entre eux sont les moins capables d'y résister.
Ne seroit - il pas raisonnable d'étudier d'abord les ressources
de l'art, avant que de prétendre aggrandir ou
resserrer ses limites? c'est faute de cette initiation,
qu'on ne sait ni admirer ni reprendre. Les faux amateurs
corrompent les artistes; les demi - connoisseurs
les découragent: je parle des arts libéraux, Mais tan<pb->
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