ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"275"> ques provinces de l'empire. Aurélien marcha contre elle, la vainquit, & la fit prisonniere. Longin soupçonné d'avoir mal conseillé Zénobie, fut condamné à mort par l'empereur. Il apprit l'ordre de son supplice avec fermeté, & il employa l'art dans lequel il excelloit, à relever le courage de ses complices, & à les détacher de la vie. Il avoit beaucoup écrit; les fragmens qui nous restent de son traité du sublime, suffisent pour nous montrer quelle étoit la trempe de son esprit.

Herennius & Origene sont les deux éclectiques de l'école d'Ammonius, que l'histoire de la secte nous offre immédiatement après Longin. Nous ne savons d'Herennius qu'une chose, c'est qu'il viola le premier le secret qu'il avoit juré à Ammonius, & qu'il entraîna par son exemple Origene & Plotin à divulguer la philosophie éclectique. Cet Origene n'est point celui des Chrétiens. L'éclectique mourut âgé de soixante - dix ans, peu de tems avant la fin du regne des empereurs Gallus & Volusien.

Voici un des plus célebres défenseurs de l'école Ammonienne, c'est Plotin; Porphyre son condisciple & son ami nous a laissé sa vie. Mais quel fond peuton faire sur le récit d'un homme qui s'étoit proposé de mettre Plotin en parallele avec Jesus - Christ; & qui étoit assez peu philosophe pour s'imaginer qu'il les placeroit de niveau dans la mémoire des hommes, en attribuant des miracles à Plotin? Si l'on rendoit justice à Porphyre sur cette misérable supercherie, loin d'ajoûter foi aux miracles de Plotin, on regarderoit son historien, malgré toute la violence avec laquelle on sait qu'il s'est déchaîné contre la religion chrétienne, comme peu convaincu de la fausseté des miracles de Jesus - Christ. Plotin naquit dans l'une des deux Lycopolis d'Egypte, la treizieme année du regne d'Alexandre Severe, & se livra à l'étude de la philosophie à l'âge de vingt - huit ans. Il suivit les maîtres les plus célebres d'Alexandrie; mais il sortit chagrin de leurs écoles. C'étoit un homme mélancholique & superstitieux, & comme les philosophes qu'il avoit écoutés, saisoient assez peu de cas des mysteres de son pays, il les regarda comme des gens qui promettoient la sagesse sans la posseder. Le dégout de leurs principes, le conduisit dans l'école d'Ammonius. A peine eut - il entendu celui - ci disserter du grand principe & de ses émana<-> tions, qu'il s'écria: voila l'homme que je cherchois. Il étudia sous Ammonius pendant onze ans. Il ne se détermina à quitter son école, que pour parcourir l'Inde & la Perse, & s'instruire plus à fond des rêveries mystiques & des opérations théurgiques des Mages & des Gymnosophistes; car il prenoit ces choses pour la seule véritable science. Une circonstance qu'il regarda comme favorable à son dessein, ce fut le départ de l'empereur Gordien pour son expédition contre les Parthes: mais Gordien fut tué dans la Mésopotamie, & notre philosophe risqua plusieurs fois de perdre la vie avant que d'avoir regagné Antioche. Il passa d'Antioche à Rome; il avoit alors quarante ans; il se trouvoit sur un grand théatre; rien ne l'empêchoit de s'y montrer, que le serment qu'il avoit fait à Ammonius; l'indiscrétion d'Herennius leva cet obstacle; Plotin se croyant dégagé de son serment par le parjure d'Herennius, professa publiquement l'Eclectisme pendant dix ans, mais seulement de vive voix, sans rien dicter. On l'interrogeoit, & il répondoit. Cette maniere de philosopher devenant de jour en jour plus bruiante, par les disputes qu'elle excitoit entre ses disciples, & plus fatigante pour lui par la nécessité où il se trouvoit à chaque instant de répondre aux mêmes questions, il prit le parti d'écrire. Il commença la premiere année de Galien; & la dixieme il avoit composé vingt & un ouvrages sur différens sujets. On ne se les procuroit pas facilement: pour conserver encore quelques vestiges de la discipline philosophique d'Ammonius, on ne les communiquoit qu'à des éléves bien éprouvés, qu'aux éclectiques d'un jugement sain & d'un âge avancé. C'etoit, comme on le verra dans la suite, tout ce que la Métaphysique peut avoir de plus entortillé & de plus obscur, la Dialectique de plus subtil & de plus ardu, un peu de morale, & beaucoup de fanatisme & de théurgie. Mais s'il y avoit peu de danger à lire Plotin, il y en avoit beaucoup à l'entendre. La présence d'un auditoire nombreux élevoit son esprit; sa bile s'enflammoit; il voyoit en grand; on se laissoit insensiblement entraîner & séduire par la force des idées & des images qu'il déployoit en abondance; on partageoit son enthousiasme; & comme l'on jugeoit de la vérité & de la beauté de ce qu'on venoit d'entendre, par la violence de l'émotion qu'on en avoit éprouvé, on s'en retournoit convaincu que Plotin étoit le premier homme du monde; & en effet c'étoit une tête de la trempe de celle de nos Cardans, de nos Kircher, de nos Malbranches, de ces hommes moins utiles que rares: Quorum ingenium miro ardore in<-> flammatum, & nescio quâ ambitione ductum, se se ju<-> dicii habenis coerceri oegre fert & indignatur; qui objec<-> torum magnitudine capti & abrepti sibi soepe ipsi non sunt proesentes; ex horum numero qui non quid dicant sen<-> tiantve perpendunt, sed cogitationum vividissimarum fer<-> tilissimarumque fluctibus obvoluti, amplectuntur, quid<-> quid oestuanti imaginationi occurrit altum, singulare & ab aliis diversum, fundamento fulciatur aliquo vel nullo, dummodo mentilus aliorum attonitis offèratur aliquid portentosum & enorme. Voilà ce que Plotin possédoit dans un degré surprenant; sa figure d'ailleurs étoit imposante & noble. Tous les mouvemens de son ame venoient se peindre sur son visage; & lorsqu'il parloit, il s'échappoit de son regard, de son geste, de son action & de toute sa personne, une persuasion dont il étoit difficile de se défendre, sur - tout quand on apportoit de son côté quelque disposition naturelle à l'enthousiasme. C'est ce qui arriva à un certain Rogatien; les discours de Plotin lui échaufferent tellement la tête, qu'il abandonna le soin de ses affaires, chassa ses domestiques, méprisa des dignités auxquelles il étoit désigné, & tomba dans une misere affreuse, mais au milieu de laquelle il eut le bonheur de conserver sa frénésie.

Avec des qualités telles que celles que l'histoire accorde à Plotin, on ne manque pas de disciples; aussi en eut - il beaucoup, parmi lesquels on nomme quelques femmes. Ses vertus lui mériterent la considération des citoyens les plus distingués; ils lui confierent en mourant la fortune & l'éducation de leurs enfans. Pendant les vingt - six ans qu'il vêcut à Rome, il fut l'arbitre d'un grand nombre de différends, qu'il termina avec tant d'équité, que ceux - mêmes qu'il avoit condamnés devinrent ses amis. Il fut honoré des grands. L'empereur Galien & sa femme Salonine en firent un cas particulier. Il ne leur demanda jamais qu'une grace, qu'il n'obtint pas; c'étoit la souveraineté d'une petite ville de la Campanie, qui avoit été ruinée, & du petit territoire qui en dépendoit. La ville devoit s'appeller Platonopolis ou la ville de Platon. Plotin s'engageoit à s'y renfermer avec ses amis, & à y réaliser la république de ce philosophe: mais il arriva alors ce qui arriveroit encore aujourd'hui; les courtisans tournerent ce projet en ridicule, traduisirent Plotin comme une espece de fou, en dégoûterent l'empereur, & empêcherent qu'une expérience très - intéressante ne fût tentée.

Ce philosophe vivoit durement, ainsi qu'il convenoit à un homme qui regardoit ce monde comme le lieu de son exil, & son corps comme la prison de son ame; il professoit la philosophie sans relâche; il abu<pb-> [p. 276] soit trop de sa santé pour se bien porter, & il en saisoit trop peu de cas pour appeller le medecin quand il étoit indisposé; il fut attaqué d'une esquinancie, dont il mourut à l'âge de 66 ans, la seconde année du regne de l'empereur Claude. Il disoit en mourant: equidem jam enitor quod in nobis divinum est, ad divinum ipsum quod viget in universo, adjungere: « je m'efforce de rendre à l'ame du monde, la particule divine que j'en tiens séparée ». Il admettoit la métempsycose, comme une maniere de se purifier; mais il mourut convaincu que son ame étoit devenue si pure par l'étude continuelle de la Philosophie, qu'elle alloit rentrer dans le sein de Dieu, sans passer par aucune épreuve nouvelle. Sa philosophie fut généralement adoptée, & l'école d'Alexandrie le regarda comme son chef, quoiqu'il eût eu pour prédécesseurs Ammonius & Potamon.

Amelius successeur de Plotin avoit passé ses premieres années sous l'institution du stoïcien Lisimaque. Il s'attacha ensuite à Plotin. Il travailla pendant vingt - quatre ans à débrouiller le cahos des idées moitié philosophiques, moitié théurgiques, de ce vertueux & singulier fanatique. Il écrivit beaucoup; & quand ses ouvrages n'auroient servi qu'à reconcilier Porphyre avec l'Eclectisme de Plotin, ils n'auroient pas été inutiles au progrès de la secte.

Porphyre, cet ennemi si fameux du nom chrétien, naquit à Tyr la douzieme année du regne d'Alexandre Severe; 233 ans après la naissance de J. C. il apostasia pour quelques coups de bâton que des chrétiens lui donnerent mal - à - propos. Il étudia à Athenes sous Longin, qui l'appella Porphyre; Malchus, son nom de famille, paroissoit trop dur à l'oreille du rhéteur. Malchus ou Porphyre avoit alors dix - huit ans; il étoit déjà très - versé dans la Philosophie & dans les Lettres. A l'âge de vingt ans il vint à Rome étudier la Philosophie sous Plotin. Une extrème sobriété, de longues veilles, des disputes continuelles lui brûlerent le sang, & tournerent son esprit à l'enthousiasme & à la mélancholie. J'observerai ici en passant, qu'il est impossible en Poésie, en Peinture, en Eloquence, en Musique, de rien produire de sublime sans enthousiasme. L'enthousiasme est un mouvement violent de l'ame, par lequel nous sommes transportés au milieu des objets que nous avons à représenter; alors nous voyons une scene entiere se passer dans notre imagination, comme si elle étoit hors de nous: elle y est en effet, car tant que dure cette illusion, tous les êtres présens sont anéantis, & nos idées sont réalisées à leur place: ce ne sont que nos idées que nous appercevons, cependant nos mains touchent des corps, nos yeux voyent des êtres animés, nos oreilles entendent des voix. Si cet état n'est pas de la folie, il en est bien voisin. Voilà la raison pour laquelle il faut un très - grand sens pour balancer l'enthousiasme. L'enthousiasme n'entraîne que quand les esprits ont été préparés & soûmis par la force de la raison; c'est un principe que les Poëtes ne doivent jamais perdre de vûe dans leurs fictions, & que les hommes éloquens ont toûjours observé dans leurs mouvemens oratoires. Si l'enthousiasme prédomine dans un ouvrage, il répand dans toutes ses parties je ne sai quoi de gigantesque, d'incroyable & d'énorme. Si c'est la disposition habituelle de l'ame, & la pente acquise ou naturelle du caractere, on tient des discours alternativement insensés & sublimes; on se porte à des actions d'un héroïsme bisarre, qui marquent en même tems la grandeur, la force, & le desordre de l'ame. L'enthousiasme prend mille formes diverses: l'un voit les cieux ouverts sur sa tête, l'autre les enfers s'ouvrir sous ses piés: celui - ci se croit au milieu des esprits célestes, il entend leurs divins concerts, il en est transporté; celui - là s'adresse aux furies, il voit leurs torches allumées, il est frappé de leurs cris; elles le poursuivent; il fuit effrayé devant elles. Porphyre n'étoit pas éloigné de cet état enchanteur ou terrible, lorsque Plotin, qui le suivoit à la piste, l'atteignit; il étoit assis à la pointe du promontoire de Lilybée; il versoit des larmes; il tiroit de profonds soupirs de sa poitrine; il avoit les yeux fixement attachés sur les eaux; il repoussoit les alimens qu'on lui présentoit; il craignoit l'approche d'un homme; il vouloit mourir. Il étoit dans un accès d'enthousiasme, qui grossissoit à son imagination les miseres de la nature humaine, & qui lui représentoit la mort comme le plus grand bonheur d'un être qui pense, qui sent, qui a le malheur de vivre. Voici un autre enthousiaste; c'est Plotin, qui fortement frappé du péril où il apperçoit son disciple & son ami, éprouve sur le champ un autre accès d'enthousiasme qui sauve Porphyre de la fureur tranquille & sourde dont il est possedé. Ce qu'il y a de singulier, c'est que celui - ci se prend pour un homme sense: écoutez - le; studium nunc istud, ô Porphyri, tuum, non sanoe mentis est, sed animi atrâbile furentis. Un troitieme qui eût été témoin, de sang froid, de l'action outrée & du ton emphatique de Plotin, n'auroit - il pas été tenté de lui rendre à lui - même son apostrophe, & de lui dire en imitant son action & son emphase: studium nunc istud, ô Plotine, tuum, honestoe revera mentis est, sed animi splendida bile furentis. Au reste, si un acces d'enthousiasme peut être reprimé, c'est par un autre accès d'enthousiasme. La veritable éloquence seroit en pareil cas foible, froide, & resteroit sans effet: il faut un choc plus violent, & la secousse d'un instrument plus analogue. Porphyre follement persuadé que le Christianisme rend les hommes méchans & misérables (méchans, disoit - il, en multipliant les devoirs à l'infini & en pervertissaut l'ordre des devoirs; misérables, en remplissant les ames de remords & de terreurs) écrivit quinze livres pour les détromper. Je crains bien que Théodose ne leur ait fait trop d'honneur par l'édit qui les supprima; & j'oserois presqu'assûrer, sur les fragmens qui nous en restent dans les Peres qui l'ont refuté, qu'il y avoit beaucoup plus d'éloquence & d'enthousiasme que de bon sens & de philosophie. Il m'a semblé que l'enthousiasme étoit une maladie épidémique particuliere à ces tems, qui n'avoit pas entierement épargné les hommes les plus respectables par leurs talens, leurs connoissances, leur état, & leurs moeurs. L'un croyoit avoir répondu à Porphyre, lorsqu'il lui avoit dit qu'il étoit l'ami intime du dia<-> ble; un autre prenoit, sans s'en appercevoir, le ton de Porphyre, lorsqu'il l'appelloit impie, blasphema<-> teur, sou, calomniateur, impudent, sycophante. La cause du Christianisme étoit trop bonne, & les Peres avoient trop de raisons pour accumuler tant d'injures. Cet endroit ne sera pas le seul de cet article où nous aurons lieu de remarquer, pour la consolation des ames foibles & la nôtre, que dans les plus grands saints l'homme perce toûjours par quelqu'endroit. Porphyre vêcut beaucoup plus long tems qu'on ne pouvoit l'espérer d'un homme de son caractere. Il atteignit l'âge de soixante & douze ans, & ne mourut que l'an 305 de J. C.

Jamblique disciple de Porphyre, fut une des lumieres principales de l'école d'Alexandrie. Le Paganisme menaçoit ruine de toutes parts, lorsque ce philosophe théurgiste parut; il combatrit pour ses dieux, & ne combattit pas sans succès. C'est une chose remarquable que l'aversion presque générale des philosophes éclectiques pour le Christianisme, & leur attachement opiniâtre à l'idolatrie. Pouvoit - il donc y avoir un système plus ridicule que celui de la Mythologie? S'il étoit naturel que le sacrifice exigé dans la religion chrétienne, de l'esprit de l'homme par des mystères, de son corps par des jeûnes & des

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