ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"207"> qu'une eau sale & brouillée. Aristote, Crescentius, Ruellius & quelques autres, prêtent donc à l'animal une intention qu'il n'a point, & ont laissé échapper celle qu'il a réellement, & qui lui est suggérée par un instinct & par un goût qu'ils reconnoissoient néanmoins en lui.

Il n'est pas douteux que c'est ce même goût qui le sollicite & qui l'engage à plonger sa tête plus ou moins profondément dans l'auge ou dans le seau qui contient sa boisson. Cette action, à laquelle il ne se livre que lorsque l'altération n'est pas considérable, a cependant occasionné de nouveaux écarts. Pline en a conclu que les chevaux trempent les nazeaux dans l'eau quand ils s'abreuvent. Jerôme Garembert, quest. xlv. a avancé qu'ils y plongent la tête jusqu'aux yeux, tandis que les ânes & les mulets hument du bord des levres. Un naturaliste moderne, qui sans doute n'a vérifié ni l'un ni l'autre de ces faits, & qui n'a peut - être prononcé que sur la foi des Naturalistes qu'il a consultés, n'a pas craint de regarder la froideur de l'eau qui frappe la membrane muqueuse de l'animal au moment où il boit, comme la cause d'une maladie dont la source n'est réellement que dans le sang: il suggere même un expédient assez particulier pour la prévenir. Il conseille à cet effet d'essuyer les nazeaux du cheval chaque fois qu'il a bû. Telle est la triste condition de l'esprit humain, les vérités les plus sensibles se dérobent à lui; & des écrits dans lesquels brillent l'érudition & le plus profond savoir, sont toûjours semés d'une foule d'erreurs.

Ce n'en seroit pas une moins grossiere que d'imaginer sur le nom & sur la réputation d'Aristote, que l'eau trouble engraisse le cheval, & lui est plus salutaire que d'autre. Pour peu que l'on soit éclairé sur le méchanifine des corps animés, on rejette loin de soi le principe pitoyable sur lequel est établie cette doctrine. Il seroit tres - difficile de découvrir la sorte d'élaboration à la faveur de laquelle des corpuscules terrestres & grossiers aideroient à fournir un chle balsamique, & propre à une assimilation d'où résulteroit une homogenéité véritable. Non - seulement le fluide aqueux dissout les humeurs visqueuses, entretient la fluidite du sang, tient tous les émonctoires convenables ouverts, debaviasse tous les conduits, & facilite merveilleusement la plns importante des excrétions, c'est - à - dire la transpiration insensible; mais sans son secours la nutrition ne sauroit être parfaitement opérée: il est le véhicule qui porte le suc nourricier jusque dans les pores les plus tenus & les plus déliés des parties. Il suit de cette vérité & de ces effets, que les seules eaux bienfaisantes seront celles qui, legeres, pures, simples, douces & claires, passeront avec factlité dans tous les vaisseaux excrétoires; & nous devons penser que celles qui sont crues, pesantes, croupissantes, inactives, terrestres, & imprégnées en un mot de parties hétérogenes grossieres, forment une boisson très - nuisible, attendu la peine qu'elles ont de se frayer une route à - travers des canaux, à l'extrémité desquels elles ne parviennent jamais sans y causer des obstructions. J'avoue que celles - ci, eu égard à la construction de l'animal, à la force de ses organes digestifs, au genre d'alimens dont il se nourrit, &c. ne sont point aussi pernicieuses pour lui que pour l'homme: nous ne devons pas néanmoins nous dispenser de faire attention aux différentes qualités de celles dont nous l'abreuvons. Les eaux trop vives suscitent de fortes tranchées, des avives considérables. Les eaux de neige provoquent ordinairement une toux violente, un engorgement considérable dans les glandes sublinguales & maxillaires; elles excitent en même tems dans les jeunes chevaux un flux considérable par les nazeaux, d'une humeur plus ou moins épaisse, & d'une couleur plus ou moins foncée.

Le tems & la maniere d'abreuver ces sortes d'animaux, sont des points qui importent essentiellement à leur conservation.

On ne doit jamais, & dans aucune circonstance, les faire boire quand ils ont chaud, quand ils sont essoufflés, & avant de les avoir laissé reposer plus ou moins long - tems. L'heure la plus convenable pour les abreuver, est celle de huit ou neuf heures du matin, & de sept ou huit heures du soir. En été on les abreuve trois sois par jour, & la troisieme fois doit être fixée à environ cinq heures après la premiere. Il est vrai qu'eu égard aux chevaux qui travaillent & aux chevaux qui voyagent, un pareil régime ne sauroit être exactement constant; mais il ne faut point absolument s'écarter & se départir de la maxime qui concerne le cheval hors d'haleine, & qui est en sueur. Nos chevaux de manége ne boivent qu'une heure ou deux après que nos exercices sont finis; le soir on les abreuve à sept heures, & toujours avant de leur donner l'avoine: cette pratique est préférable à celle de leur donner le grain avant la boisson, à moins que le cheval ayant eu très - chaud, on ne lui donne une mesure d'avoine avant & après qu'il aura bû.

Plusieurs personnes sont en usage d'envoyer leurs chevaux boire à la riviere; cette habitude, blâmée d'un côté par Xénophon, & loüée de l'autre par Camerarius, ne sauroit être improuvée, pourvû que l'on soit assûré de la sagesse de ceux qui les y conduisent, qu'on ne les y mene pas dans le tems le plus âpre de l'hyver, & qu'on ait l'attention à leur retour, non - seulement d'avaler avec les mains l'eau dont leurs quatre jambes sont encore mouillées, mais de leur essuyer & de leur sécher parfaitement les piés.

Ceux qui abrcuvent l'animal dans l'écurie doivent, en hyver, avoir grand soin de lui faire boire l'eau sur le champ & aussi - tôt qu'elle èst tirée. Dans l'été au contraire il est indispensable de la tirer le soir pour le lendemain matin, & le même matin pour le soir du même jour. Je ne suis point sur ce fait d'accord avec Camerarius; il invective vainement les palefremers qui offrent à boire à leurs chevaux de l'eau qui a séjourné dans un vase, parce qu'elle a été exposée à la chûte de plusieurs ordures; il veut qu'elle soit tirée fraichement & présentée aussi - tôt à l'animal: mais les suites funestes d'une pareille méthode observée dans le tems des chaleurs, n'ont que trop énergiquement prouvé la séverité avec laquelle elle doit être proscrite. On peut parer cependant à la froideur de l'eau & à sa trop grande crudité, soit en y trempant les mains, soit en y jettant du son, soit en l'exposant au soleil, soit en la mêlant avec une certaine quantité d'eau chaude, soit enfin en l'agitant avec une poignée de foin, autrement on courroit risque de précipiter le cheval dans quelque maladie sérieuse. J'ajoûterai qu'il est essentiel de s'opposer à ce qu'il boive tout d'une haleine; on doit l'interrompre de tems en tems quand il s'abreuve, de maniere qu'il ne s'essoufsie pas lui - même, & que sa respiration soit libre; c'est ce que nous appellons couper, rompre l'eau à l'animal.

Une question à decider, est celle de savoir s'il convient mieux d'abreuver un cheval dans la route, ou d'attendre à cet effet que l'on soit arrivé au lieu où l'on doit s'arrêter. Si l'on consultoit M. de Soleysel sur cette difficulté, on trouveroit qu'il a prononcé pour & contre. Dans le chapitre xxjx. de la seconde partie de son ouvrage, édition de l'année 1712, chez Emery, il charge le bon sens de conclure pour lui, que les chevaux doivent boire en chemin, par la raison que s'ils ont chaud en arrivant, on est un tems infini [p. 208] fans pouvoir les faire boire, & que la soif les empêchant de manger, une heure ou deux s'écoulent, ensorte qu'ils sont obligés de repartir n'ayant ni bû ni mangé, ce qui les met hors d'état de fournir le chemin. Dans le chapitre suivant il recommande expressément de prendre garde aux eaux que les chevaux boivent, particulierement en voyage, car de - là dé<-> pend, dit - il, la conservation de leur vie ou leur destruc<-> tion; or le bon sens indique ici une contradiction manifeste: en effet, si je dois d'une part abreuver mon cheval dans la route, plûtôt que de patienter jusqu'au moment où j'arriverai; & si de l'autre il est très - important que je considere la nature des eaux dont je l'abreuve, je demande quels seront les moyens par lesquels je jugerai sainement de la différente qualité de celles que je rencontrerai en cheminant. Je crois donc que la seule inspection n'étant pas capable de donner des lumieres suffisantes pour observer avec fruit, la prudence exige qu'on ne fasse jamais boire les chevaux à la premiere eau que l'on découvre. Il vaut mieux différer jusqu'à ce que l'on soit parvenu dans l'endroit où - l'on s'est proposé de prendre du repos & de satisfaire ses autres besoins. Les habitans de ce lieu instruits par l'expérience des eaux plus ou moins favorables à l'animal, dissiperont toutes nos inquiétudes & toutes nos craintes à cet égard; nous ne nous exposerons point, en un mot, au danger d'abreuver nos chevaux d'une eau souvent mortelle pour eux, telles que celles de la riviere d'Essone sur le chemin de Fontainebleau à Paris, d'une autre petite riviere qui passe dans le Beaujolois, & d'une multitude de petits torrens dans lesquels nul cheval ne boit qu'il ne soit atteint de quelques maladies très - vives & très - aiguës. Le moyen de parer l'inconvénient de la trop grande chaleur & de la sueur de l'animal lorsqu'il arrive, est très - simple: il ne s'agit que de rallentir son allure environ une demi - lieue avant de terminer sa marche; alors il entre dans son écurie sans qu'on apperçoive aucuns signes de transpiration & de fatigue, & un quart - d'heure de repos suffit, pour qu'il puisse sans péril manger les alimens qu'on lui présente, & ensuite être abreuvé. On doit en user de même relativement aux chevaux de carosse, & aux autres chevaux de tirage. Il est rare qu'ils puissent boire commodément en route, les uns & les autres étant attelés; mais la précaution de les beaucoup moins presser à mesure que l'on approche de l'alte, est très utile & très - sage. Celle d'abreuver les chevaux avant de partir, n'est bonne qu'autant que la boisson précede d'environ une heure l'instant du départ; des chevaux abreuvés que l'on travaille sur le champ, cheminent moins aisément, avec moins de vivacité & de legereté, & ont beaucoup moins d'haleine.

Selon Aristote, les chevaux peuvent se passer de boisson environ quatre jours; je ne contredis point ce fait dont je n'ai pas approfondi la vérité: il en est qui boivent naturellement moins les uns que les autres: il en est qui boivent trop peu, ceux - ci sont communément étroits de boyaux: il en est aussi que la fatigue, le dégoût, empêche de s'abreuver; en cherchant à aiguiser leur appétit par différentes sortes de masticatoires, on réveille en eux le desir de la boisson: il en est enfin que des maladies graves mettent hors d'état de prendre aucune sorte d'alimens solides ou liquides; nous indiquerons en parlant de ces maladies, & quand l'occasion s'en présentera, les moyens d'y remédier.

Je ne place point au rang de ces maux les excroissances qui surviennent dans la partie de la bouche que nous nommons le canal, & que l'on observe à chaque côté de la langue, précisément à l'endroit où se termine le ropli formé par la membrane qui revêt intérieurement la mâchoire inférieure. Ces ex<cb-> croissances, assez semblables par leur figure à des nageoires de poissons, sont ce que nous nommons barbes ou barbillons. On doit les envisager uniquement comme un allongement de cette membrane, qui toûjours abreuvée par la salive, & plus humectée qu'ailleurs par la grande quantité d'humeurs que les glandes sublinguales filtrent & fournissent à cet endroit, peut se relâcher dans cette portion plus aisément que dans le reste de son étendue, le tissu en étant d'ailleurs naturellement très - foible. Ce prolongement empêche les chevaux de boire aussi librebrement qu'à l'ordinaire; ainsi lorsqu'ils témoignent non - seulement quelque répugnance pour la boisson, mais un desir de s'abreuver qu'ils ne peuvent satisfaire que difficilement & avec peine, il faut rechercher si les barbillons n'en sont pas l'unique cause; en ce cas on tient la bouche du cheval ouverte par le moyen du pas - d'âne (voyez Pas - d'ane), & l'on retranche entierement avec des ciseaux la portion prolongée de la membrane; on peut laver ensuite la bouche de l'animal avec du vinaigre, du poivre, & du sel: pour cet effet on trempe dans cet acide un linge entortillé au bout d'un morceau de bois quelconque; on en frotte la partie malade, après quoi on retire le pas - d'âne, & on fait mâcher le linge pendant un instant au cheval. Nombre de personnes ajoûtent à cette opération, celle de lui donner un coup de corne (voyez Phlébotomie): dès - lors on n'employe point le vinaigre; & on se contente, quand une suffisante quantité de sang s'est écoulée, de présenter du son sec à l'animal.

Pour opérer avec plus de succès, & sans offenser les parties voisines de celles qu'on doit couper, il est bon de se servir de ciseaux dont les branches soient tellement longues, que la main de l'opérateur ne soit point empêchée par les dents du cheval sur lequel il travaille; il faut encore que l'extrémité des lames au lieu d'être droite soit recourbée, non de côté, mais en - haut, & que chaque pointe de ces mêmes lames ait un bouton. Voyez Onglée.

Il est des circonstances dans lesquelles nous sommes obligés de communiquer à l'eau simple & commune, dont nous abreuvons les chevaux, des vertus qu'elle n'auroit point, si nous n'y faisions quelques additions & des mêlanges appropriés aux differens cas qui se présentent.

L'eau blanche est, par exemple, la boisson ordinaire des chevaux malades. Elle ne doit cette couleur qu'au son que nous y ajoûtons; mais il ne suffit pas pour la blanchir d'en jetter, ainsi que plusieurs palefreniers le pratiquent; une ou deux mesures dans l'eau dont est rempli le seau ou l'auge à abreuver. Elle n'en reçoit alors qu'une teinture très - foible & très - legere; & elle participe moins de la qualité anodine, tempérante & rafraîchissante de cet aliment, dont elle est plûtôt empreinte par la maniere dont on l'exprime, que par la quantité que l'on en employe très - inutilement. Prenez une jointée de son; trempez vos deux mains qui en sont saisies dans l'auge ou dans le seau; exprimez fortement & à plusieurs reprises l'eau dont le son que vous tenez est imbû, le liquide acquerra une couleur véritablement blanche; laissez ensuite tomber le son dans le fond du vase; reprenez, s'il en est besoin, une seconde jointée, & agissez - en de même, la blancheur du liquide augmentera; & le mêlange sera d'autant plus parfait, que cette blancheur ne naît que de l'exacte séparation des portions les plus déliées du solide, lesquelles se sont intimement confondues avec celles de l'eau.

Nous n'en usons pas ainsi, lorsque pour soûtenir l'animal dans des occurrences d'anéantissement, nous blanchissons sa boisson par le moyen de quelques poignées de farine de froment. Si nous précipitions sur

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.