ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"701">

Parmi les décorations théatrales (Page 4:701)

Parmi les décorations théatrales, les unes sont de décence, & les autres de pur ornement. Les décorations de pur ornement sont arbitraires, & n'ont pour regle que le goût. On peut en puiser les principes généraux dans les art. Architecture, Perspective, Dessein, &c. Nous nous contenterons d'observer ici que la décoration la plus capable de charmer les yeux, devient triste & effrayante pour l'imagination, dès qu'elle met les acteurs en danger; ce qui devroit bannir de notre théatre lyrique ces vols si mal exécutés, dans lesquels, à la place de Mercure ou de l'Amour, on ne voit qu'un malheureux suspendu à une corde, & dont la situation fait trembler tous ceux qu'elle ne fait pas rire. Voyez l'art. suiv. Décoration, (Opera).

Les décorations de décence sont une imitation de la belle nature, comme doit l'être l'action dont elles retracent le lieu. Un homme célebre en ce genre en a donné au théatre lyrique, qui seront long - tems gravées dans le souvenir des connoisseurs. De ce nombre étoit le péristyle du palais de Ninus, dans lequel aux plus belles proportions & à la perspective la plus savante, le peintre avoit ajoûté un coup de génie bien digne d'être rappellé.

Après avoir employé presque toute la hauteur du théatre à élever son premier ordre d'architecture, il avoit laissé voir aux yeux la naissance d'un second ordre qui sembloit se perdre dans le ceintre, & que l'imagination achevoit; ce qui prêtoit à ce péristy le une élévation fictive, double de l'espace donné. C'est dans tous les arts un grand principe, que de laisser l'imagination en liberté: on perd toûjours à lui circonscrire un espace; de - là vient que les idées générales n'ayant point de limites déterminées, sont les sources les plus fécondes du sublime.

Le théatre de la Tragédie, où les décences doivent être bien plus rigoureusement observées qu'à celui de l'opera, les a trop négligées dans la partie des décorations. Le poëte a beau vouloir transporter les spectateurs dans le lieu de l'action; ce que les yeux voyent, devient à chaque instant ce que l'imagination se peint. Cinna rend compte à Emilie de sa conjuration, dans le même sallon où va délibérer Auguste; & dans le premier acte de Brutus, deux valets de théatre viennent enlever l'autel de Mars pour débarrasser la scene. Le manque de décorations entraîne l'impossibilité des changemens, & celle - ci borne les auteurs à la plus rigoureuse unité de lieu; regle gênante qui leur interdit un grand nombre de beaux sujets, ou les oblige à les mutiler. Voy. Tragédie, Unité, &c.

Il est bien étrange qu'on soit obligé d'aller chercher au théatre de la farce italienne, un modele de décoration tragique. Il n'est pas moins vrai que la prison de Sigismond en est une qu'on auroit dû suivre. N'est - il pas ridicule que dans les tableaux les plus vrais & les plus touchans des passions & des malheurs des hommes, on voye un captif ou un coupable avec des liens d'un fer blanc, leger & poli? Qu'on se représente Electre dans son premier monologue, traînant de véritables chaînes dont elle se voit accablée: quelle différence dans l'illusion & l'intérêt! Au lieu du foible artifice dont le poëte s'est servi dans le comte d'Essex pour retenir ce prisonnier dans le palais de la reine, supposons que la facilité des changemens de décoration lui eût permis de l'enfermer dans un cachot; quelle force le seul aspect du lieu ne donneroit - il pas au contraste de sa situation présente avec sa fortune passée? On se plaint que nos tragédies sont plus en discours qu'en action; le peu de ressource qu'a le poëte du côté du spectacle, en est en partie la cause. La parole est souvent une expression foible & lente; mais il faut bien se résoudre à faire passer par les oreilles ce qu'on ne peut offrir aux yeux.

Ce défaut de nos spectacles ne doit pas être imputé aux comédiens, non plus que le mêlange indécent des spectateurs avec les acteurs, dont on s'est plaint tant de fois. Corneille, Racine & leurs rivaux n'attirent pas assez le vulgaire, cette partie si nombreuse du public, pour fournir à leurs acteurs de quoi les représenter dignement; la Ville elle seule pourroit donner à ce théatre toute la pompe qu'il doit avoir, si les magistrats vouloient bien envisager les spectacles pùblics comme une branche de la police & du commerce.

Mais la partie des décorations qui dépend des acteurs eux - mêmes, c'est la décence des vêtemens. Il s'est introduit à cet égard un usage aussi difficile à concevoir qu'à détruire. Tantôt c'est Gustave qui sort des cavernes de Dalécarlie avec un habit bleucéleste à paremens d'hermine; tantôt c'est Pharasmane qui, vêtu d'un habit de brocard d'or, dit à l'ambassadeur de Rome:

La Nature marâtre en ces affreux climats, Ne produit, au lieu d'or, que du fer, des soldats.

De quoi donc faut - il que Gustave & Pharasmane soient vêtus? l'un de peau, l'autre de fer. Comment les habilleroit un grand peintre? Il faut donner, diton, quelque chose aux moeurs du tems. Il falloit donc aussi que Lebrun frisât Porus & mît des gants à Alexandre? C'est au spectateur à se déplacer, non au spectacle; & c'est la réflexion que tous les acteurs devroient faire à chaque rôle qu ils vont joüer: on ne verroit point paroître César en perruque quarrée, ni Ulysse sortir tout poudré du milieu des flots. Ce dernier exemple nous conduit à une remarque qui peut être utile. Le poëte ne doit jamais présenter des situations que l'acteur ne sauroit rendre: telle est celle d'un héros mouillé. Quinault a imaginé un tableau sublime dans Isis, en voulant que la furie tirât Io par les cheveux hors de la mer: mais ce tableau ne doit avoir qu'un instant; il devient ridicule si l'oeil s'y repose, & la scene qui le suit immédiatement, le rend impratiquable au théatre.

Aux reproches que nous faisons aux comédiens sur l'indécence de leurs vêtemens, ils peuvent opposer l'usage établi, & le danger d'innover aux yeux d'un public qui condamne sans entendre, & qui rit avant de raisonner. Nous savons que ces excuses ne sont que trop bien fondées: nous savons de plus que nos réflexions ne produiront aucun fruit. Mais notre ambition ne va point jusqu'a prétendre corriger notre siecle; il nous suffit d'apprendre à la postérité, si cet ouvrage peut y parvenir, ce qu'auront pensé dans ce même siecle ceux qui dans les choses d'art & de goût, ne sont d'aucun siecle ni d'aucun pays. Voyez l'article suiv. Décoration, (Opera.) Article de M. Marmontel.

Décoration (Page 4:701)

Décoration, (Opera.) Ce spectacle est celui du merveilleux; c'est - là qu'il faut sans cesse ébloüir & surprendre. La décoration commence l'illusion; elle doit par sa vérité, par sa magnificence, & l'ensemble de sa composition, représenter le lieu de la scene & arracher le spectateur d'un local réel, pour le transporter dans un local feint. L'invention, le dessein & la peinture, en forment les trois principales parties. La premiere regarde le poëte lyrique, & il doit avoir une connoissance fort étendue de la seconde & de la troisieme, pour pouvoir avec fruit & sans danger donner une libre carriere à son imagination.

Rien n'est plus commun que d'imaginer une décoration en formant le plan d'un opera; on place les lieux différens dans lesquels se passeront ses différens actes. Ce point une fois décidé, on croit que le reste [p. 702] regarde le décorateur, & qu'il n'est question que de peindre méchaniquement les locaux, pour établir aux yeux du spectateur le lieu où se passe la scene.

Ce qui nous reste des ouvrages dramatiques des Greos, montre assez qu'Esehyle, Euripide & Sophocle étoient mieux instruits, & mettoient une plus grande importance dans tout ce qui avoit quelque rapport à la représentation de leurs tragédies.

Par les discours qui sont à la tête des pieces en machines de P. Corneille, & en parcourant les détails clairs & raisonnés qu'il y fait de tout ce qui regarde leur fpectacle, il est aisé de se convaincre de la connoissance profonde que ce grand homme avoit acquise de toutes ces grandes parties qu'on croit peut - être fort étrangeres à la poésie.

Qu'on s'occupe à sonder avec quelque soin la marche, l'ordre & la méchanique des opera de Quinault, malgré la modestie de ce poëte, qui n'a cherché à nous donner ni par des explications, ni par des préfaces, ni par des détails raisonnés, aucune idée de ses études, de ses connoissances, de sa sécondité, de son invention & de ses travaux; il est impossible de ne pas s'assûrer qu'il possédoit à fond toute cette matiere, & que jamais homme peut - être avant lui n'avoit sû la mettre en pratique avec tant de méthode, d'intelligence, de variété & de goût.

Ces exemples seroient sans doute suffisans pour prouver qu'un poëte lyrique ne peut acquérir trop de lumieres sur les arts qui doivent concourir à rendre parfaite l'exécution de ses ouvrages. Ce que les Grecs, P. Corneille & Quinault ont crû nécessaire, eux qui avoient tant de talens divers, un si beau génie, un feu poétique si brillant, ne doit pas sans doute paroitre inutile aux poëtes qui viennent après eux, quelques talens qu'ils se flatent d'avoir d'ailleurs.

Mais pour le bien & le progrès de l'art, il faut qu'ils sachent encore les avantages que les connoissances de cette espece peuvent leur procurer, & les inconvéniens qu'ils ont à craindre, s'ils mettent le pié dans la carriere sans avoir pris la précaution de les acquérir.

La décoration à l'opera fait une partie de l'invention. Ce n'est pas assez d'imaginer des lieux convenables à la scene, il faut encore varier le coupd'oeil que présentent les lieux, par les décorations qu'on y amene. Un poëte qui a une heureuse invention jointe à une connoissance profonde de cette partie, trouvera mille moyens fréquens d'embellir son spectacle, d'occuper les yeux du spectateur, de préparer l'illusion. Ainsi à la belle architecture d'un palais magnifique ou d'une place superbe, il fera succéder des deserts arides, des rochers escarpés, des antres redoutables. Le spectateur effrayé sera alors agréablement surpris de voir une perspective riante coupée par des paysages agréables, prendre la place de ces objets terribles. De - là, en observant les gradations, il lui présentera une mer agitée, un horison enflammé d'éclairs, un ciel chargé de nuages, des arbres arrachés par la fureur des vents. Il le distraira ensuite de ce spectacle par celui d'un temple auguste: toutes les parties de la belle architecture des anciens rassemblées dans cet édifice, formeront un ensemble majestueux; & des jardins embellis par la nature, l'art & le goût, termineront d'une maniere satisfaisante une représentation dans laquelle on n'aura rien négligé pour faire naitre & pour entretenir l'illusion. Les machines qui tiennent si fort à la décoration, lui prêteront encore de nouvelles beautés; mais comment imaginer des machines, si on ignore en quoi elles consistent, la maniere dont on peut les composer, les ressorts qui peuvent les faire mouvoir, & sur - tout leur possibilité? Voyez Machine, Merveilleux.

Le décorateur, quelque génie qu'on lui suppose, n'imagine que d'après le plan donné. Que de beautés ne doivent pas résulter du concours du poëte & de l'artiste? Que de belles idées doivent naître d'une imagination échauffée par la poësie & guidée par l'instruction, & de la verve d'un peintre à qui le premier dessein est donné par une main sûre qui a sû en écarter tous les inconvéniens, & qui en indique tous les effets? D'ailleurs, l'oeil vigilant d'un poëte plein de son plan général, doit être d'un grand secours au peintre qui en exécute les parties. Que de défauts prévenus! que de détails embellis! que d'études & de réflexions épargnées!

Outre ces avantages, celui de se mettre à l'abri d'une foule d'inconvéniens qu'on peut par ce seul moyen prévenir, doit paroître bien puissant à tous les poëtes qui se livrent au genre lyrique.

Comment imaginer, comment se faire entendre, si on ignore & la matiere sur laquelle il faut que l'imagination s'exerce, & l'art qui doit mettre en exécution ce qu'on aura imaginé? Le goût seul peutil suffire pour empêcher qu'on ne s'égare? & le goût lui même est - il autre chose qu'un sentiment exquis, que la connoissance des matieres auxquelles il s'applique, la comparaison, l'expérience peuvent seules rendre sûr?

La pompe, la variété, le contraste toûjours juste & plein d'adresse de tous les opera de Quinault, sont encore de nos jours un des points les moins susceptibles de critique de ces heureuses compositions. On dit plus: il n'y a point d'opera de Quinault, dans lequel un homme de goût versé dans l'étude des différens arts nécessaires à l'ensemble de pareils spectacles, ne trouve à produire en machines & en décorations des beautés nouvelles, capables d'étonner les spectateurs & de rajeunir les anciens ouvrages. Qu'on juge par - là du fonds inépuisable sur lequel Quinault a travaillé.

Chez lui d'ailleurs l'effet, le service d'une décoration, ne nuisent jamais au service ni à l'effet de celle qui suit. Les tems de la manoeuvre, les contrastes nécessaires pour attacher les spectateurs, l'ordre, l'enchaînement, les gradations, toutes ces choses y sont ménagées avec un art, une exactitude, une précision qui ne sauroient être assez admirées, & qui supposent la connoissance la plus étendue de toutes ces parties différentes.

Voilà le modele: malheur aux poëtes lyriques, eussent - ils même le génie de Quinault, s'ils négligent d'acquérir les connoissances qu'il a crû lui être nécessaires. Voy. Machine, Merveilleux, Opera . Voyez aussi l'article suiv. Décoration, Architecture. (B)

Décoration (Page 4:702)

Décoration, terme d'Architecture. On entend sous ce nom la partie de l'Architecture la plus intéressante, quoique considérée comme la moins utile relativement à la commodité & à la solidité. En effet, combien d'édifices publics & particuliers où la décoration devient peu nécessaire, tels que les casernes, les hôpitaux, les manufactures, les marchés & autres bâtimens oeconomiques, clevés dans les villes pour la retraite des gens de guerre, le soulagement des pauvres, la facilité du commerce, ou pour l'habitation des citoyens destinés au trafic, aux arts méchaniques, &c ?

Plus il nous seroit aisé de démontrer l'inutilité de la décoration dans les bâtimens que nous venons de nommer, & plus néanmoins il doit paroître important que la décoration que nous entendons ici, soit de toute beauté, puisqu'elle est destinée à caractériser les édifices sacrés, les palais des souverains, la demeure des grands seigneurs, les places publiques,

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.