ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"496"> échappent naturellement à l'auteur sans qu'il s'en appercoive & qu'on s'y attende, & qui sont moins des émanations du sujet, que des saillies de caractere & des élancemens de génie.

Les critiques qui n'en ont pas eu le germe en eux - mêmes, trop foibles pour se former des modeles intellectuels, ont tout rapporté aux modeles existans; c'est ainsi qu'on a jugé Virgile, Lucain, le Tasse, & Milton, sur les regles tracées d'après Homere: Racine & Corneille sur les regles tracées d'après Euripide & Sophocle. Les premiers ont réuni les suffrages de tous les siecles. On en conclut qu'on ne peut plaire qu'en suivant la route qu'ils ont tenue: mais chacun d'eux a suivi une route différente; qu'ont fait les critiques? Ils ont fait, dit l'auteur de la Henriade, comme les Astronomes, qui inventoient tous les jours des cercles imaginaires, & créoient ou anéantissoient un ciel ou deux de crystal à la moindre difficulté. Combien l'esprit didactique, si on vouloit l'en croire, ne retréciroit - il pas la carriere du génie? « Allez au grand, vous dira un critique supérieur, il n'importe par quelle voie », non qu'il permette de négliger l'étude des modeles anciens dans la composition, ni qu'il la néglige lui - même dans sa critique; il vous dira avec Horace,

Vos exemplaria graca Nocturnâ versate manu, versate diurnâ. Mais avec Horace il vous dira aussi, O imitatores, servum pecus. Il ajoûtera, « que votre narration soit claire & noble; que le tissu de votre poëme n'ait rien de forcé; que les extrémités & le milieu se répondent; que les caracteres annoncés se soûtiennent jusqu'au bout. Ecartez de votre action tout détail froid, tout ornement superflu. Intéressez par la suspension des évenemens ou par la surprise qu'ils causent: parlez à l'ame, peignez à l'imagination; pénétrez - vous pour nous toucher ». Il ne vous dira pas « qu'elle soit importante ou non, pourvû que vos personnages soient illustres; car Horace n'exclud que la bassesse des personnages, & dans les deux poëmes d'Homere l'action en elle - même n'a rien de grand (le P. le Bossu, l. II. c. xjx.). Que l'action de votre poëme ne dure pas moins de 40 jours, ni plus d'un an; car celle de l'Iliade dure 40 jours, & l'on peut borner à un an celle de l'Odissée & de l'Enéide; que celle de vos tragédies soit supposée se passer dans une même enceinte; car c'est ainsi que Sophocle & Euripide l'ont pratiqué quelquefois. Gardez - vous de faire un poëme sans merveilleux; car au défaut du merveilleux, le poëme de Lucain n'est pas un poëme épique: mais il vous dira, puisez dans ces modeles & dans la nature l'idée & le sentiment du vrai, du grand, du pathétique, & employez - les suivant l'impulsion de votre génie, & la disposition de vos sujets. Dans la tragédie, l'illusion & l'intérêt, voilà vos regles; sacrifiez tout le reste à la noblesse du dessein & à la hardiesse du pinceau; ne méprisez pas les regles tracées d'après les anciens; car elles renferment des moyens de toucher & de plaire: mais n'en soyez pas esclave; car elles ne renferment que quelques - uns de ces moyens; elles sont bonnes, mais elles ne sont pas exclusives. Le Cid n'est point suivant les regles d'Aristote, & n'en est pas moins une très - belle tragédie. Les unités ne sont observées ni dans Machbet ni dans Otello. Les Anglois n'y pleurent & n'y frémissent pas moins; leur théatre a des grossieretés barbares, mais il a des traits de force & de chaleur qu'une vaine déicatesse & une séverité mal entendue ne nous permettent que d'envier.

Dans le poëme épique, passez - vous du merveil<cb-> leux comme Lucain, si comme lui vous avéz de grands hommes à faire parler & agir. Imitez l'élevation de ce poëte, évitez son enflure, & laissez donner à votre poëme le nom qu'il plaira à ceux qui disputent sur les mots. Faites durer votre action le tems qu'elle a dû naturellement durer; pourvû qu'elle soit une, pleine, & intéressante, elle finira trop tôt. Fondez la grandeur de vos personnages sur leur caractere, & non sur leurs titres; un grand nom n'annoblit point une action, comme une action héroïque annoblira le nom le plus obscur. En un mot, touchez comme Euripide, étonnez comme Sophocle, peignez comme Homere, & composez d'après vous. Ces maîtres n'ont point eu de regles, ils n'en ont été que plus grands, & ils n'ont acquis le droit de commander, que parce qu'ils n'ont jamais obéi. Il en est tout autrement en Littérature qu'en Politique, le talent qui a besoin de subir des lois n'en donnera jamais ».

C'est ainsi que le critique supérieur laisse au génie toute sa liberté; il ne lui demande que de grandes choses, & il l'encourage à les produire. Le critique subalterne l'accoûtume au joug des regles, il n'en exige que l'exactitude, & il n'en tire qu'une obéissance froide & qu'une servile imitation. C'est de cette espece de critique, qu'un auteur que nous ne saurions assez citer en fait de goût, a dit, ils ont laborieusement écrit des volumes sur quelques lignes que l'imagination des poëtes a créées en se jouant.

Qu'on ne soit donc plus surpris, si à mesure que le goût devient plus difficile, l'imagination devient plus timide & plus froide, & si presque tous les grands génies depuis Homere jusqu'à Lucrece, depuis Lucrece jusqu'à Milton & à Corneille, semblent avoir choisi, pour s'élever, les tems où l'ignorance leur laissoit une libre carriere. Nous ne citerons qu'un exemple des avantages de cette liberté. Corneille eût sacrifié la plûpart des beautés de ses pieces, & eût même abandonné quelques - uns de ses plus beaux sujets, tels que celui des Horaces, s'il eût été aussi severe dans sa composition qu'il l'a été dans ses examens; mais heureusement il composoit d'après lui, & se jugeoit d'après Aristote. Le bon goût, nous dira - t - on, est donc un obstacle au génie? Non, sans doute; car le bon goût est un sentiment courageux & mâle qui aime sur - tout les grandes choses, & qui échauffe le génie en même tems qu'il l'éclaire. Le goût qui le gêne & qui l'amollit, est un goût craintif & puérile qui veut tout polir & qui affoiblit tout. L'un veut des ouvrages hardiment conçus, l'autre en veut de scrupuleusement finis; l'un est le goût du critique supérieur, l'autre est le goût du critique subalterne.

Mais autant que le critique supérieur est au - dessus du critique subalterne, autant celui - ci l'emporte sur le critique ignorant. Ce que celui - ci sait d'un genre, est à son avis tout ce qu'on en peut savoir; renfermé dans sa sphere, sa vûe est pour lui la mesure des possibles; dépourvû de modeles & d'objets de comparaison, il rapporte tout à lui même; par - là tout ce qui est hardi lui paroît hasardé, tout ce qui est grand lui paroît gigantesque. C'est un nain contrefait qui juge d'après ses proportions une statue d'Antinoüs ou d'Hercule. Les derniers de cette derniere classe sont ceux qui attaquent tous les jours ce que nous avons de meilleur, qui louent ce que nous avons de plus mauvais, & qui font, de la noble profession des Lettres, un métier aussi lâche & aussi méprisable qu'eux - mêmes (M. de Voltaire dans les Mensonges imprimés). Cependant comme ce qu'on méprise le plus, n'est pas toûjours ce qu'on aime le moins, on a vû le tems où ils ne manquoient ni de lecteurs ni de Mecenes. Les magistrats eux - mêmes cédant au goût d'un certain public, avoient la foiblesse de laisser à ces brigands de [p. 497] la Litterature une pleine & entiere licence. Il est vrai qu'on accordoit aux auteurs poursuivis, la liberté de se défendre, c'est - à - dire d'illustrer leurs critiques, & de s'avilir, mais peu d'entre les hommescélebres ont donné dans ce piége. Le sage Racine disoit de ces petits auteurs infortunés (car il y en avoit aussi de son tems), ils attendent toûjours l'occasion de quelqu'ouvrage qui réussisse, pour l'attaquer; non point par jalousie, car sur quel fondement seroient - ils jaloux? mais dans l'espérance qu'on se donnera la peine de leur répondre, & qu'on les tirera de l'obscurité où leurs propres ouvrages les auroient laissés toute leur vie. Sans doute ils seront obscurs dans tous les siecles éclairés; mais dans les tems où regnera l'ignorance orgueilleuse & jalouse, ils auront pour eux le grand nombre & le parti le plus bruyant; ils auront sur - tout pour eux cette espece de personnages stupides & vains, qui regardent les gens de lettres comme des bêtes féroces destinées à l'amphitéatre pour l'amusement des hommes; image qui, pour être juste, n'a besoin que d'une inversion. Cependant si les auteurs outragés sont trop au - dessus des insultes pour y être sensibles, s'ils conservent leur réputation dans l'opinion des vrais juges; au milieu des nuages dont la basse envie s'efforce de l'obscurcir, la multitude n'en recevra pas moins l'impression du mépris qu'on aura voulu repandre sur les talens, & l'on verra peu - à - peu s'affoiblir dans les esprits cette considération universelle, la plus digne récompense des travaux littéraires, le germe & l'aliment de l'émulation.

Nous parlons ici de ce qui est arrivé dans les différentes époques de la Littérature, & de ce qui arrivera sur - tout, lorsque le beau, le grand, le sérieux en tout genre, n'ayant plus d'asyle que dans les bibliotheques & auprès d'un petit nombre de vrais amateurs, laisseront le public en proie à la contagion des froids romans, des farces insipides, & des sottises polémiques.

Quant à ce qui se passe de nos jours, nous y tenons de trop près pour en parler en liberté; nos loüanges & nos censures paroîtroient également suspectes. Le silence nous convient d'autant mieux à ce sujet, qu'il est fondé sur l'exemple des Fontenelle, des Montesquieu, des Buffon, & de tous ceux qui leur ressemblent. Mais si quelque trait de cette barbarie que nous venons de peindre, peut s'appliquer à quelques - uns de nos contemporains, loin de nous retracter, nous nous applaudirons d'avoir présenté ce tableau à quiconque rougira ou ne rougira point de s'y reconnoître. Peut - être trouvera - t - on mauvais que dans un ouvrage de la forme de celui - ci, nous soyons entrés dans ce détail; mais la vérité vient toûjours à - propos dès qu'elle peut être utile. Nous avoüerons, si l'on veut, qu'élle eût pû mieux choisir sa place; mais par malheur elle n'a point à choisir.

Qu'il nous soit permis de terminer cet article par un souhait que l'amour des Lettres nous inspire, & que nous avons fait autrefois pour nous - mêmes. On voyoit à Sparte les vieillards assister aux exercices de la jeunesse, l'animer par l'exemple de leur vie passée, la corriger par leurs reproches, & l'instruire par leurs leçons. Quel avantage pour la république littéraire, si les auteurs blanchis dans de sçavantes veilles, après s'être mis par leurs travaux au - dessus de la rivalité & des foiblesses de la jalousie, daignoient présider aux essais des jeunes gens, & les guider dans la carriere; si ces maîtres de l'art en devenoient les critiques; si, par exemple, les auteurs de Rhadamiste & d'Alzire vouloient bien examiner les ouvrages de leurs éleves qui annonceroient quelque talent: au lieu de ces extraits mutilés, de ces analyses seches, de ces décisions ineptes, où l'on ne voit pas même les premieres notions de l'art, on auroit des jugemens éclairés par l'expérience & prononcés par la jùstice. Le nom seul du critique inspireroit du respect, l'encouragement seroit à côté de la correction; l'homme consommé verroit d'où le jeune homme est parti, où il a voulu arriver; s'il s'est égaré dès le premier pas ou sur la route, dans le choix ou dans la disposition du sujet, dans le dessein ou dans l'exécution: il lui marqueroit le point où a commencé son erreur, il le rameneroit sur ses pas; il lui feroit appercevoir les écueils où il s'est brisé, & les détours qu'il avoit à prendre; enfin il lui enseigneroit non - seulement en quoi il a mal fait, mais comment il eût pû mieux faire, & le public profiteroit des leçons données au poëte. Cette espece de critique, loin d'humilier les auteurs, seroit une distinction flateuse pour leurs talens & pour leurs ouvrages; on y verroit un pere qui corrigeroit son enfant avec une tendre sévérité, & qui pourroit écrire à la tête de ses conseils:

Disce puer virtutem ex me, verumque laborem.

Cet article est de M. Marmontel.

CRIVITZ (Page 4:497)

CRIVITZ, (Géographie.) ville d'Allemagne dans la basse - Saxe, au duché de Meklenbourg, dans le comté de Schwerin.

CRO

CROATIE (Page 4:497)

CROATIE, (Géog.) pays de Hongrie borné par l'Esclavonie, la Bosnie, la Dalmatie, le golfe de Venise & la Carniole. Il est presqu'entierement sous la domination de la maison d'Autriche; le gouverneur qu'elle y établit, se nomme le ban de Croatie. Ce pays est fort exposé aux invasions des Turcs.

CROC (Page 4:497)

CROC, s. m. (Ustensile de ménage.) fer recourbé qui a une ou plusieurs pointes crochues, auxquelles on suspend de la viande de boucherie, de la volaille, &c. Ce terme a d'autres acceptions. V. les art. suiv.

Croc de Candelette (Page 4:497)

Croc de Candelette, (Mar.) c'est un grand croc de fer avec lequel on prend l'ancre qui est tirée de l'eau, pour la remettre en sa place.

Crocs de palans; ce sont deux crocs de fer qui sont mis à chaque bout d'une corde fort courte que l'on met au bout du palan, lorsqu'on a quelque chose à embarquer.

Crocs de palans de canon; ce sont aussi des crocs de fer mis à chaque bout de ces palans: leur usage est de croquer à l'erse de l'affût, ou à un autre croc qui est à chaque côté du sabord.

Crocs de palanquin; ce sont de petits crocs de fer qui servent à la manoeuvre dont ils portent le nom. (Z)

Croc (Page 4:497)

Croc, terme de Riviere, perche de batelier; elle a de longueur neuf ou dix pieds, & a au bout qui touche jusqu'au fond de l'eau, une pointe de fer avec un crochet. La pointe, en s'enfonçant dans l'eau, fixe le croc, & donne lieu au batelier d'employer toute sa force pour faire avancer le bateau. Le crochet sert à saisir les objets solides qui se trouvent sur la route du bateau le long de la rive, & à aider le batelier à avancer. Voyez Rame.

Crocs (Page 4:497)

Crocs ou Crochets, (Maréchallerie.) On appelle ainsi quatre dents rondes & pointues qui croissent entre les dents de devant & les dents mâchelieres, plus près des dents de devant; & cela au bout de trois ou quatre ans, sans qu'aucune dent de lait soit venue auparavant au même endroit. Presque tous les chevaux ont des crochets, mais il est assez rare d'en trouver aux jumens. Quelques - uns disent écaillons, mais ce terme est hors d'usage. Pousser des crochets se dit d'un cheval à qui les crochets commencent à paroître. (V)

Croc (Page 4:497)

* Croc, (Salines.) pieces de fer de deux piés & demi de longueur ou environ, recourbées par leurs extrémités, de maniere à entrer dans la sappe qui

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