ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"480"> des jours déterminés, il n'y a pas même lieu d'attendre la coction & la crise sans les déranger. Il est vrai que Boerhaave présente les mêmes maladies sous d'autres points de vûe; mais on ne trouvera jamais une conformité parfaite entre le traitement qu'il prescrit, & la doctrine des jours critiques reçue chez les anciens; & il demeure incontestable que, comme nous l'avons dit, le système de Boerhaave est indéterminé, & qu'au reste il a du rapport avec ce que Baglivi, Stahl, Hoffman, & bien d'autres pratiquoient avant lui. L'illustre Vanswieten est plus précis & plus décidé que son maître; il s'explique au sujet des crises, à l'occasion d'un ouvrage de M. Nihell, dont je parlerai plus bas, & il le fait d'une maniere qui annonce le praticien expérimenté, l'homme qui a vû & vérifié ce qu'il a lû. Il est à souhaiter que ce medecin puisse communiquer un jour les observations nombreuses dont il parle, & dans lesquelles il s'est convaincu de la vérité du fond de la doctrine des anciens.

Il n'est pas douteux enfin, que les modernes, qui ont joint la pratique aux principes de l'école de Boerhaave, parmi lesquels il faut placer quelques Anglois de réputation, tels que M. Heuxam, ne fussent très portés à admettre la doctrine des crises; le docteur Martine mérite d'être mis dans cette derniere classe.

Chirac, un des réformateurs ou des fondateurs de la medecine Françoise, qui se donne lui - même pour disciple de Barbeïrac & des autres medecins de Montpellier, quitta cette fameuse école où il avoit déjà formé bien des éleves, & où il avoit soutenu pendant dix - huit ou vingt ans (en s'en rapportant à un passage d'un de ses ouvrages que je citerai dans un moment), des opinions erronnées qui l'égaroient; il vint prendre à Paris des connoissances qui y sont aujourd'hui les fondemens de la medecine ordinaire, de sorte qu'on ne sauroit bien décider si le système de Chirac est né à Montpellier ou à Paris, & s'il n'appartient pas par préférence à la medecine de la capitale, où Chirac trouva plus d'une occasion de s'instruire & de revenir de ses opinions erronnées de Montpellier; d'ailleurs la célébrité de son système est dûe aux medecins de la faculté de Paris.

Quoi qu'il en soit, les idées simples & lumineuses que Chirac nous a transmises, sont devenues des lois sous lesquelles la plûpart des medecins François ont plié. On y a pris les maladies dans leurs causes évidentes; on a combattu les idées des anciens & celles des Chimistes; on a formé une medecine toute nouvelle, à laquelle la nature a pour ainsi dire obéi, & qu'on a bien fait de comparer au Cartésianisme dans la Physique.

La retenue & les préjugés des anciens, qui n'osoient rien remuer dans certains jours, ont été singulierement combattus par Chirac. Il a employé les purgatifs, les émétiques, & les saignées dans tous les tems de la maladie, où les symptomes ont paru l'exiger; enfin il a bouleversé & détruit la medecine ancienne: il n'en reste aucune trace dans l'esprit de ses disciples, trop généralement connus & trop illustres pour qu'il soit nécessaire de s'arrêter à les nommer. Ils ont peut - être été eux - mêmes plus loin que leur maître, & ils ont rendu la medecine en apparence si claire, si à portée de tout le monde, que si parhasard on venoit à découvrir qu'elle n'a point acquis entre leurs mains autant de sûreté que de brillant & de simplicité, on ne sauroit s'empêcher de regretter des opinions qui semblent bien établies, & de faire des efforts pour détruire tout ce qu'on pourroit leur opposer.

Voici quelques propositions tirées du Chiracisme, qui feront mieux juger que je ne pourrois le faire du genre de cette medecine: Hippocrate & Galien, dit Chirac (trait, des fiévres malig. & int.), ne doivent pas avoir plus de privilége qu'Arislote; ils n'étoient que des empyriques, qui dans une profonde obscurité ne cherchoient qu'à tatons; ils ne peuvent être regardés par des esprits éclairés, que comme des maréchaux ferrans qui ont reçu les uns des autes quelques traditions incertaines... Quand même ils n'auroient jamais existé, & que tous leurs successeurs n'auroient jamais écrit, nous pourrions déduire des principes que j'ose me flatter qu'on trouvera dans mon ouvrage, tout ce qui a été observé par les anciens & par les modernes... Les Chimistes pleins de présomption n'ont fait qu'imaginer... leur audace n'a produit qu'un exemple contagieux pour plusieurs medecins; ils m'ont égaré moi - même pendant plus de dix - huit ou vingt ans, par des opinions erronées que j'ai eu bien de la peine à effacer de mon esprit. C'est en suivant les mêmes principes, que M. Fizes s'explique ainsi dans son traité des fiévres (tractat. de febrib.): « la fiévre est une maladie directement opposée au principe vital »: principio vitali directe oppositus..... Sic, ajoute - t - il, naturam errantem dirigimus, & collabentem sustinemus, non otiosi crisium spectatores: « c'est ainsi que nous dirigeons la nature qui s'égare, & que nous la relevons dans ses chûtes, sans attendre négligemment les crises».

Je choisis ces propositions, comme les plus éloignées de l'expecta des Stahlliens, & du quo natura vergit des anciens: on pourroit peut - être les trouver trop fortes; mais ce n'est ni par des injures, ni par des épigrammes qu'il faut les combattre. Le fait est de savoir si elles sont vraies, si en effet le medecin peut retourner, modifier, & diriger les mouvemens du corps vivant; si on peut s'opposer à des dépôts d'humeurs, emporter des arrets, replier des courans d'oscillations; & purger, saigner, & faire suer, ainsi que Chirac le prétend, dans tous les tems, sans craindre les dérangemens qui faisoient tant de peur aux anciens; apres tout ce sont - là des choses de fait. Le Chiracisme n'est fondé que sur un nombre infini d'expériences, qui se renouvellent chaque jour dans tout le royaume: est - on en droit de présumer que cette méthode, si elle étoit pernicieuse, fùt suivie journellement par tant de grands praticiens, & suivie de propos déliberé, avec connoissance de cause, par des gens qu'on ne sauroit soupçonner de ne pas savoir tout ce que les anciens ont dit, tout ce que leur sagesse, leur timidité ou leur inexpérience leur avoient si vivement persuadé. Nous purgeons, saltem alternis, au moins de deux en deux jours, dit souvent M. Fizes; notre méthode n'effarouche que ceux qui ne voyent que des livres & non des malades, qui oegrotos non vident: nous saignons toutes les fois que la vivacité & la roideur du pous l'exigent à la fin des maladies comme au commencement; comment se persuaderoit - on que des gens qui parlent ainsi se trompent, ou qu'ils veulent tromper les autres? c'est ce qui s'appelle être décidé, & avoir un systeme positif, fixe, déterminé.

Ce n'est pas à dire qu'il ne reste bien des ressources aux défenseurs du système des anciens; Chirac lui - même, qui le croiroit? a fait des observations qui paroissent favorables à ce système: Quelques malades (c'est Chirac qui parle), n'échappoient que par des sueurs critiques qui arrivoient le septieme jour, le onzieme, & le quatorzieme.... Ceux en qui les bubons ou les parotides parurent le quatrieme, le cinquieme ou le sixieme, perirent tous; il n'échappa que ceux en qui les bubons parurent le septième ou le neuvleme.... Il y - en avoit qui mouroient avant le quatrieme & au septieme, au neuvieme, au onzieme..... Les purgatifs n'agissent jamais pour vuider absolument qu'après sept, quatorze, ou vingt - un jours, quoiqu'il soit dangereux de ne pas purger les malades avant ce tems - là.... La résolution & la séparation des humeurs n'arrivent qu'après le septieme, le quatorzieme, & le vingt - unieme, mais on peut [p. 481] toûjours purger en attendant.... Les fievres inflammatoires ne se terminent heureusement qu'à certains jours fixes, comme le septieme, le quatorzieme, & vingt - unieme.... On reviendra, au sept, aux délayans; c'est un jour respectable & qui demande une suspension des grands remedes: le tems de la digestion des humeurs, ou celui de la résolution est de cinq jours, de sept, de onze, & de quatorze, ou bien de dix - huit & de vingt - un, & cela plus communément qu'au six, au neuf, au douze, au quinze... Le premier terme critique des inflammations est le septieme; & lorsqu'elles ne peuvent y arriver, elles s'arrêtent au deuxieme & au troisieme. Habemus confitentem reum, diront les sectateurs de l'antiquité; en faut - il davantage pour faire sentir la certitude, l'invariabilité, & la nécessité de la doctrine des anciens? Le septieme, le quatorzieme, le vingt - unieme, sont ordinairement heureux, de l'aveu de Chirac; le sixieme l'est moins que le septieme; le onzieme & le quatorzieme le suivent de près: n'est - ce pas - là précisément ce que Galien & Hippocrate ont enseigné?

A quoi se réduisent donc les efforts & les projets des medecins actifs qui prétendent diriger la Nature, puisqu'ils sont obligés de recourir au compte des jours? la ressource qu'ils veulent se ménager par la liberté où ils disent qu'ils sont de manier & d'appliquer la saignée & les purgatifs, ne vaut pas à beaucoup près ce qu'ils imaginent. En effet, la multitude des saignées auxquelles bien des medecins semblent borner tous les secours de l'art, n'est pas bien parlante en faveur de la medecine active: on réitere souvent ce secours ou cet adminicule, il est vrai, mais les anciens tiroient plus de sang dans une seule saignée qu'on n'en tire aujourd'hui en six: on les traite de timides, ils étoient plus entreprenans que les modernes; car quel peut être l'effet de quelques onces de sang qu'on fait tirer par jour? la plupart de ces évacuations sont souvent comme non avenues, & heureusement elles ne sont qu'inutiles; elles n'empêchent pas le cours des maladies. Les medecins qui saignent fréquemment & peu à la fois, attendent des crises sans le savoir; & voilà à quoi tous leurs efforts se bornent: heureux encore de ne rien déranger, ce qui arrive dans quelques maladies, comme on veut bien l'accorder: mais il est aussi des maladies dans lesquelles le nombre des saignées n'est point indifférent; & on nie hautement à leurs partisans, qu'ils viennent à bout de ces maladies aussi aisément qu'on pourroit le penser, en s'en rapportant à ce qu'ils avancent; il suffit pour s'en convaincre d'opposer les modernes à eux - mêmes, ils sont partagés. Ceux qui se laissant emporter à la théorie des prétendues inflammations, ne veulent jamais qu'évacuer le sang, & qui sont sectateurs de Chirac, dont ils mêlent la pratique à la théorie legere & spécieuse de Hecquet; ces medecins, dis - je, sont directement opposés à d'autres sectateurs du même Chirac, qui sont plus attachés à la purgation qu'à la saignée. C'est - là aujourd'hui un des grands sujets de dispute entre les praticiens; les uns ont recours à la saignée plus souvent que Chirac même, & les autres prétendent que les purgations fréquentes sont très - préférables aux saignées: il y a même des gens qui croyent que c'est ici une dispute entre les medecins de Paris & ceux de Montpellier; les premiers, dit - on, saignent souvent & purgent peu, & ceux de Montpellier purgent beaucoup & ne saignent presque pas. Quoi qu'il en soit, dira le partisan des anciens ou le pyrrhonien, voilà les medecins actifs divisés entr'eux sur la maniere d'agir, avant d'avoir bien démontré qu'on doit agir en effet.

D'ailleurs, ajoûteront - ils, prenez - garde que la plûpart des medecins purgeurs, qui prétendent guérir & emporter leurs maladies avec les catartiques, profitent comme les medecins saigneurs, de quelques mouvemens legers auxquels la Nature veut bien se prêter, quoiqu'occupée au fond à conduire la maladie principale à sa fin; ils attendent les crises sans s'en douter, comme les medecins qui font des saignées peu copieuses & réitérées: ils purgent ordinairement avec de la casse & des tamarins; ils ont recours à des lavemens pour avoir deux ou trois selles, qui ne sont souvent que le produit de la quantité de la medecine elle - même. Quels purgatifs! Quelle activité que celle de ces drogues! En un mot, il est très - rare qu'elles fassent un effet de purgation bien marqué: on peut les prendre sur le pié de très - legers laxatifs ou de lavages; & c'est à ce titre qu'heureusement ils ne dérangent pas toûjours le cours de la maladie: ainsi, que ceux qui y ont recours avec beaucoup de confiance, cessent de nous vanter leur efficacité.

Il est vrai qu'il y a quelques medecins qui semblent regarder comme des remedes de peu de conséquence, les lavages, les apozemes, les sirops, & toutes les sortes de tisannes légerement aiguisées, qu'on employe communément, sous prétexte qu'il faut toûjours tâcher d'avoir quelqu'evacution sans trop irriter. Les medecins vraiment purgeurs, & en cela fideles sectateurs des anciens, employent comme eux les remedes à forte dose; mais ils ménagent leurs coups, ils attendent le moment favorable pour placer leurs purgatifs, c'est - à - dire qu'ils purgent au commencement d'une maladie, ou lorsque la coction est faite, à - peu - pres comme les anciens eux - mêmes; & ceux qui les verront pratiquer auront lieu d'observer que s'ils manquent l'occasion favorable, & surtout s'ils purgent violemment lorsque la Nature a affecté quelqu'organe particulier pour évacuer la matiere morbisique cuite, ils font de très - grands ravages; c'est ce qui fait qu'ils deviennent d'eux - mêmes tres - reservés, & que peu s'en faut qu'ils ne comptent les jours ainsi que les anciens.

Les mêmes sectateurs des anciens diront encore, que quelques prétentions que puissent avoir les medecins modernes non expectateurs, quoiqu'ils avancent que leurs principes sont non - seulement appuyés de l'expérience, mais encore évidens par eux - mêmes, il seroit aisé de leur faire voir qu'il en est peu qui puissent être regardés autrement que comme des hypotheses ingénieuses, ou plutôt hardies, qui, en reduisant toute la medecine à quelques possibilités & à des raisonnemens vagues, n'en ont fait que des systèmes purement rationnels très - variables, ouvrant ainsi dans un art sacré, dont l'expérience seule apprend les détours, une carriere qu'on parcourt très facilement lorsqu'on se livre au desordre de l'imagination.

Prenons pour exemple quelques - uns des principes des disciples de Chirac; principes déjà adoptés par Freind dans ses commentaires sur les épidémies, & qui ont, à dire vrai, quelque chose de spécieux & de séduisant. Veulent - ils prouver qu'il faut saigner dans les maladies aiguës? voici comment ils raisonnent: La nature, disent - ils, livrée à elle - même, procure des hémorrhagies du nez & des autres parties: il suit de - là qu'il est essentiel de faire des saignées artificielles pour suppléer aux saignées naturelles; mais on ne prend pas garde que la nature suit des lois particulieres dans ses évacuations; qu'elle choisit des tems marqués pour agir; qu'elle affecte de faire ces évacuations par des organes, ou des parties déterminées. Comment s'est - on convaincu que l'art peut à son gré changer le lieu, le tems & l'ordre d'une évacuation? En raisonnant sur ce principe, il n'y auroit qu'à saigner une femme qui est au point d'avoir ses regles, pour suppléer à cette évacuation; il n'y auroit qu'à saigner une femme qui doit avoir ses vuidanges, dans la même vûe: enfin il n'y auroit qu'à saigner un homme qui a des hé<pb->

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