ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"478"> que l'ame choisit les septenaires pour redoubler ses forces contre la matiere morbifique, & qu'elle se détermine de propos délibéré à annoncer ces septenaires par des révolutions qu'elle excite aux quartenaires? A dire vrai, ces prétentions auroient pû ne pas réussir; il valut mieux biaiser un peu sur ces matieres, & rester dans une sorte d'indécision. Nichols a pourtant franchi le pas; mais disons - le puisque l'occasion s'en présente: il seroit à souhaiter pour la mémoire de Stahl, qu'il se fût moins avancé au sujet de l'ame, ou qu'il eût trouvé des disciples moins dociles à cet égard; c'est - là, il faut l'avoüer, une tache dont le Stahlianisme se lavera difficilement. On pourroit peut - être le prendre sur le pié d'une sorte de retranchement, que Stahl s'étoit ménagé pour fuir les hypotheses, les explications physiques, & les calculs: mais cette ressource sera toûjours regardée comme le rêve de Stahl; rêve d'un des plus grands génies qu'ait eu la Medecine, il est vrai, mais d'autant plus à craindre, qu'il peut jetter les esprits médiocres dans un labyrinthe de recherches & d'idées purement métaphysiques.

L'école de Montpellier auroit été infailliblement entraînée dans cet écueil, sans la prudence des vrais medecins qui la composoient; & sans la sagesse de celui - là même qui y soûtint le premier le Stahlianisme publiquement, & qui apprend aujourd'hui à ses disciples à s'arrêter au point qu'il faut.

Hoffman avance dans la differtation dont j'ai parlé ci - dessus, & que M. James a traduite comme tant d'autres du même auteur, qu'il se fait des crises dans les maladies chroniques; telles que l'épile sie, les douleurs, & les fievres intermittentes, ainsi que dans les maladies aiguës. Il répete en un mot ce que bien des auteurs ont dit avant lui; il a recours, pour ce qui concerne les révolutions septenaires, à la volonté du Créateur, ce que quelques - uns de ses prédécesseurs n'avoient pas manqué de faire: il ajoûte qu'il est impossible que les parties nerveuses ne soient irritées par la matiere morbifique, & par les stases des humeurs, & qu'il arrive par - là de certains mouvemens en de certains tems, certi motus, certis temporibus, & il appelle cela, pour le dire en passant, reddere rationem crisium, expliquer la maniere dont se font les crises. Il donne à son ordinaire un coup de dent à Stahl sur le principe interne, directeur de la vié; il cite Baglivi; il parle des crises dans la petite vérole & la rougeole. Il avoue qu'il y a des fievres malignes, dans lesquelles on ne sauroit remarquer l'ordre des jours. Il dit enfin qu'il ne faut pas déranger les crises, dans lesquelles il a observé à - peu - près la marche que les anciens leur ont fixee: en un mot Hoffman se décide formellement en faveur des crises; cependant il semble laisser son lecteur dans une incertitude d'autant plus grande, que lorsqu'il parle du traitement des maladies, telles que l'angine, la fievre sinoche, &c. il n'observe pas les jours critiques, ou du moins il ne s'explique pas là - dessus. On ne sait donc pas bien clairement s'il faut mettre Hoffman au nombre des partisans des crises, c'est - à - dire de ceux qui les attendent dans les maladies, ou avec les praticiens qui les négligent, scientes & volentes, pour me servir d'une expression de Sidenham, & qui se dirigent dans le traitement des maladies, suivant l'exigeance des symptomes. La plûpart des anciens attendoient les crises, les Chimistes n'en vouloient point entendre parler non plus qu'Asclepiade qui assûroit que non certo aut legitimo tempore morbi solvuntur, ni d'autres qui ont traité les idées des anciens de pures niaiseries; nugoe, comme disoit Sinapius. Voilà deux partis bien opposés. Il en est un troisieme qui tâche de les concilier. Hoffman est de ce dernier. Les Medecins qui ne parlent des crises, ni en bien, ni en mal, font un quatrieme parti peut - être plus sage que tous les autres.

Boerhaave, que nous plaçons ici à côté de Stahl & d'Hoffman, a dit dans ses instituts (§. 931.) qu'il arrive ordinairement dans les maladies aiguës humorales & en de certains tems, un changement subit de la maladie, suivi de la santé ou de la mort; changement qu'on nomme crise. Il dit (§. 939.) que la crise salutaire, parfaite, évacuante, séparant le sain du malade, separatio morbosi à sano, est celle qui est entr'autres conditions, précédée de la coction; il appelle coction (§. 927.) l'état de la maladie, dans lequel la matiere crue (c'est - à - dire celle qui est (§. 922.) disposée à causer ou à augmenter la maladie), est changée de façon qu'elle soit peu éloignée de l'état de santé, & par conséquent moins nuisible, & appellée alors cuite. Il appelle coction parfaite (§. 945.), celle par laquelle, coctio quâ, la matiere crue est parfaitement & très - vîte, perfectissimè & citissimè, rendue semblable à l'humeur naturelle; matiere résolue (§. 930.), resoluta, celle qui est devenue très - semblable a la matiere saine, salubri; & résolution, l'action par laquelle cela arrive, action qui sera la guérison parfaite, qui se fait sans aucune évacuation.

D'où il paroît 1°. que par les propres paroles de Boerhaave, la résolution & la coction parfaite sont la même chose, puisqu'elles ne sont l'une & l'autre que l'action par laquelle la matiere morbifique est rendue semblable à l'humeur naturelle ou saine, naturali, salubri; ce qui est bien, à peu de chose près, l'idée de Sidenham, mais ce qui est fort éloigné de celle que les anciens ont eu de la coction: car ils ont dit que les humeurs étoient cuites, lorsqu'elles sont propres à l'excrétion; ils prétendoient que toute coction se fait en épaississant; Hippocrate a dit en termes exprès (Aph. xvj. ect. 2. prognost.), qu'il faut que tout excrément s'épaississe lorsque La maladie approche du jugement: or ni l'épaississement ni la disposition à l'excrétion ne conviennent à la matiere de la résolution lorsqu'elle est résolue, resoluta, surtout si, comme le veut Boerhaave, elle est alors devenue très - semblable à la matiere saine.

2°. Il suit de ce qu'avance Boerhaave, que la résolution guérissant parfaitement une maladie sans aucune évacuation, la coction parfaite qui lui est analogue, pourroit aussi n'être point suivie d'évacuation; ce qui est encore fort éloigné des dogmes des anciens, & d'Hippocrate lui - même, qui prétend que pour qu'une coction soit parfaite, elle doit être continue & universelle; continue, en ce qu'elle doit toujours charger les urines de sédiment blanc, uni, & égal; & universelle, en ce qu'elle doit se montrer dans tous les excrémens: en un mot les anciens n'ont jamais jugé de la coction que par la nature des évacuations, & une coction de la matiere morbifique sans évacuation, ou sans metastase, auroit été pour eux un être imaginaire; car leur solution supposoit des évacuations.

3°. Boerhaave même paroît être de cet avis, lorsqu'il avance que la crise parfaite, separatio morbosi à sano, crisis evacuans, doit toûjours être précédée de la coction; preuve que ce qui est cuit n'est point simile salubri, crisis debet sequi coctionem ut bona esse possit (§. 941. Haller, comment.); mais cette coction qui doit précéder la crise, selon Boerhaave, ne doit pas être parfaite, car celle - ci ou la coction parfaite est, par la définition qu'il en donne lui - même, celle par laquelle la matiere crue est rendue parfaitement semblable à l'humeur naturelle; de sorte que la crise parfaite n'est pas précédée d'une coction parfaite: ce qui est aussi fort éloigné des prétentions des anciens, & ce qui, à dire vrai, n'est pas bien clair.

4°. En supposant avec Boerhaave que la coction simple ou non parfaite, différente de la coction parfaite (car il faut en faire de deux especes pour sauver [p. 479] la contradiction); en supposant, dis - je, que cette coction est, comme il l'avance (§. 927.), l'état dans lequel la matiere crue est changée de façon qu'elle soit peu éloignée de l'état de santé, on ne voit guere comment cette coction peut être suivie de la crise; en effet Boerhaave prétend (§. 932.) que la cause du mouvement critique est la vie restante, vita superstes, irriiée par la matiere morbifique doüée de différentes qualités: mais comment la matiere cuite, si elle est peu éloignée de l'état de santé, peut - elle irriter la vie & causer une révolution subite? comment est - elle doüée de différentes qualités, proedita varüs conditionibus, si elle est peu éloignée de l'état de santé?

D'ailleurs Boerhaave assûre (§. 941.) que l'évacuation critique qui arrive à un jour critique, est bonne; que la doctrine d'Hippocrate (§. 942. Haller, comm.) sur les jours indices, le quatre indice du sept, le cinq du neuf, ne trompe pas lorsqu'on livre la nature à elle - même: hoec non fallunt quamdiu naturoe morbum committis, neque te immisces curationi; il ajoûte (§. 941. Hall.) que la crise qui se fait en Norvege est différente de celle qui se fait en Grece, & que celle qui se fait dans une femme differe de celle qui se fait dans un homme. Il dit (§. 1178.), après avoir fait un détail des remedes, correctifs, des acrimonies, acide, alkaline, muriatique, huileuse, aromatique, bilieuse, exuste, putride, rance, acrimonia, aromatica, exusta, &c. que celui qui entend bien, recte intellexit, tout ce qu'il vient de dire, & qui a lû avec soin les ouvrages d'Hippocrate & les beaux commentaires de Galien, Galeni in illa eruditas curas, connoitra certainement, profecto, les remedes propres à faire digérer, gouverner la coction & la crise des maladies, ad excitandam, promovendam, gubernandam, absolvendam coctionem & crisim.

Il suit de ces passages & de ceux que neus avons rapporté ci - dessus, ainsi que de plusieurs autres que je passe sous silence, que Boerhaave ne rejettoit pas la doctrine des crises, mais qu'il n'étoit pas bien décidé sur ces matieres, ou du moins qu'il est difficile de pénétrer le plan qu'il s'étoit formé a cet egard. En effet s'il est vrai que l'évacuation critique, qui arrive à un jour critique, est bonne, il y a done des jours critiques: mais quels sont - ils? C'est ce que Boerhaave ne décide point assez précisément. S'il est vrai que la doctrine des jours indices ne trompe point, tandis qu'on livre la maladie à la nature, en quoi cette verité est - elle utile à savoir? & jusqu'à quel point faut - il livrer la nature à elle - même, & ne pas se mêler de la cure, se immiscere curationi? Voilà un point d'autant plus embarrassant, que Boerhaave lui - même suppose que quelquefois (§. 940.) le medecin, non auscultat naturoe ncque crisim expectat, ne se prete pas aux mouvemens de la nature, & n'attend pas la crise. Il est donc des cas où il est permis de s'opposer à la nature, & de ne pas attendre les crises, expectare crisim: mais quels sont - ils? C'est ce que Boerhaave ne dit point, & ce qu'il falloit dire. Outre cela, si un medecin qui entend bien, recte intellexit, les préceptes que Boerhaave donne sur les acrimonies; si un medecin, dis - je, qui sait manier comme il faut les médicamens opposés aux acrimonies dont Boerhaave fait autant de spécifiques, connoît certainement, profecto, la façon de faire, de diriger, & de gouverner la crise & la coction, à quoi bon les attendre de la nature? comment cette action permutante des spécifiques s'accorde - t - elle avec les jours critiques? pourquoi s'en tenir, comme Boerhaave le fait (§. 1210. Haller.), à la loi d'Hippocrate, qui vetat purgare in statu cruditatis, qui défend de purger pendant que les humeurs sont crues, & qui ordonne d'attendre la coction? pourquoi ne pas la faire cette coction avec les spécifiques? & s'ils réussissent, ou si on croit qu'ils peuvent réussir, quelle nécessité y a - t - il de s'en tenir à des lois anciennes? pourquoi ne pas se décider contre - elles comme les Chimistes? Enfin Boerhaave a bien dit, que la crise est différente en Grece & en Norvege; mais on ne sait point si cette différence regarde la nature de la crise, ou l'organe par lequel elle se fait, ou bien les jours auxquels elle arrive: & cela n'est pas mieux décidé au §. 941, dans lequel Boerhaave prétend que la crise est différente dans les différens climats, crisis varia est ratione regionis; de maniere qu'il paroît avoir à peine touché à l'opinion de ceux dont nous parlons ci - dessus, & qui prétendent que les crises ne se font point aux mêmes jours en Grece & dans ce pays - ci.

En un mot il me semble qu'il est assez difficile, quelque parti qu'on prenne, de s'appuyer du sentiment de Boerhaave. Il a écrit des généralités; ses propositions ne paroissent pas assez circonscrites. Il n'a pas bien exactement fixé sa façon de penser; tantôt il semble vouloir concilier les modernes & les anciens, le plus souvent il donne la préférence à ces derniers: mais, encore une fois, tout ce qu'il avance n'est ni assez clair, ni assez déterminé, surtout pour les commençans. Il est fâcheux que le savant M. Haller n'ait pas jugé qu'il fût convenable de toucher à toutes ces questions essentielles, & les seules peut - être qui soient vraiment intéressantes. Lorsque Boerhaave parle des crises, qu'il donne des lois à ce sujet, qu'il propose des choses, qu'il appelle (941. &c.) recepta, reçûes, axiomata, des axiomes; M. Haller garde le silence sur ces lois, sur les sources où son maître les a puisées, sur leur vérité & leur authenticité; il ne cite pas même les ouvrages d'Hippocrate & de Galien, dans lesquels Boerhaave a pris presque tout ce qu'il avance de positif. Chacun peut, il est vrai, s'orienter sur ces matieres par lui - même; mais lorsqu'il s'agit de la maniere dont Boerhaave assûre que ce qu'il dit est reçu, & qu'il en fait des axiomes, chose fort importante pour l'histoire de la Médecine que M. Haller a tant à coeur, n'est - il pas surprenant qu'il ne nous apprenne point dans quel endroit ces axiomes étoient reçûs lorsque Boerbaave composoit son ouvrage (en 1709 & 1710), & de quel oeil les partisans de Silvius Deleboé, qui étoient les dominans à Leyde, regardoient ces axiomes? S'il s'agit d'un petit muscle, d'une figure anatomique, d'une discussion curieuse, M. Haller ne s'épargne point, il cite des auteurs avec une abondance qui fait honneur à son érudition, il fait mille pénibles recherches, il instruit son lecteur en le conduisant dans tous les coins de sa bibliotheque; & lorsqu'il s'agit des matieres de Pathologie, il n'a rien à dire, rien à citer. Un medecin, par exemple Vanswieten, que les praticiens peuvent à bon droit appeller l'enfant légitime ou le fils aîné de Boerhaave, auroit fait précisément le contraire.

Si on consulte Boerhaave dans ses aphorismes, il veut que dans l'angine inflammatoire (ap. 809.) on ait recours « à de promptes saignées, & si abondantes, que la débilité, la pâleur, & l'affaissement des vaisseaux s'ensuivent », cita, magna, repetita missio sanguinis, quousque ut debilitas, palor, vasorum collapsus; & tout de suite « à de forts purgatifs », valida alvi subductio, per purgantia ore hausta; « sans oublier les suffumigations humides », vapore humido, molli, tepido, assiduè hausto. Boerhaave prétend que dans la péripneumonie inflammatoire & récente (ap. 854.), « il faut recourir à de promptes saignées », citam largam missionem sanguinis, ut diluentibus spatium concedatur, « pour faire place aux délayans ». Il donne les mêmes préceptes pour l'inflammation des intestins, pour la pleurésie, &c. mais s'il faut suivre ces regles, il n'est plus question de choisir

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