ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"448"> que toute aliénation des revenus publics est plus onéreuse au peuple, qu'une augmentation d'impôt qui seroit passagere.

2°. Il s'établit à la faveur des emprunts publics, des moyens de subsister sans travail, & réellement aux dépens des autres citoyens. Dès - lors la culture des terres est négligée; les fonds sortent du commerce, il tombe à la fin, & avec lui s'évanoüissent les manufactures, la navigation, l'agriculture, la facilité du recouvrement des revenus publics, enfin imperceptiblement les revenus publics mêmes. Si cependant par des circonstances locales, ou par un certain nombre de facilités singulieres, on suspend le déclin du commerce, le desordre sera lent, mais il se fera sentir par degrés.

3°. De ce qu'il y a moins de commerce & de plus grands besoins dans l'état, il s'ensuit que le nombre des emprunteurs est plus grand que celui des prêteurs. Dès - lors l'intérêt de l'argent se soûtient plus haut que son abondance ne le comporte; & cet inconvénient devient un nouvel obstacle à l'accroissement du commerce & de l'agriculture.

4°. Le gros intérêt de l'argent invite les étrangers à faire passer le leur pour devenir créanciers de l'état. Je ne m'étendrai pas sur le préjugé puérile qui regarde l'arrivée de cet argent comme un avantage: jen ai parlé assez au long en traitant de la circulation de l'argent. Les rivaux d'un peuple n'ont pas de moyen plus certain de ruiner son commerce en s'enrichissant, que de prendre intérêt dans ses dettes publiques.

5°. Les dettes publiques emportent avec elles des moyens ou impôts extraordinaires, qui procurent des fortunes immenses, rapides, & à l'abri de tout risque. Les autres manieres de gagner sont lentes au contraire & incertaines: ainsi l'argent & les hommes abandonneront les autres professions. La circulation des denrées à l'usage du plus grand nombre est interrompue par cette disproportion, & n'est point remplacée par l'accroissement du luxe de quelques citoyens.

6°. Si ces dettes publiques deviennent monnoie, c'est un abus volontaire ajoûté à un abus de nécessité. L'effet de ces représentations multipliées de l'espece, sera le même que celui d'un accroissement dans sa masse: les denrées seront représentées par une plus grande quantité de métaux, ce qui en diminuera la vente au dehors. Dans des accès de confiance, & avant que le secret de ces représentations fût connu, on en a vû l'usage animer tellement le crédit général, que les réductions d'intérêt s'opéroient naturellement: ces réductions réparoient en partie l'inconvénient du surhaussement des prix relativement aux autres peuples qui payoient les intérêts plus cher. Il seroit peu sage de l'espérer aujourd'hui, & toute réduction forcée est contraire aux principes du crédit public.

On ne sauroit trop le répéter, la grande masse des métaux est en elle - même indifférente dans un état considéré séparément des autres états; c'est la circulation, soit intérieure, soit extérieure, des denrées qui fait le bonheur du peuple: & cette circulation a besoin pour sa commodité d'une répartition proportionnelle de la masse générale de l'argent dans toutes les provinces qui fournissent des denrées.

Si les papiers circulans, regardés comme monnoie, sont répandus dans un état, où quelque vice intérieur repartisse les richesses dans une grande inégalité, le peuple n'en sera pas plus à son aise malgré cette grande multiplicité des signes: au contraire les denrées seront plus cheres, & le travail pour les étrangers moins commun. Si l'on continue d'ajoûter à cette masse des signes, on aura par inter<cb-> valle une circulation forcée qui empêchera les intérêts d'augmenter: car il est au moins probable que si les métaux mêmes, ou les représentations des métaux n'augmentoient point dans un état où leur répartition est inégale, les intérêts de l'argent remonteroient dans les endroits où la circulation seroit plus rare.

Si l'on a vû des réductions d'intérêts dans des états où les papiers monnoie se multiplioient sans cesse, on n'en doit rien conclure contre ces principes, parce qu'alors ces réductions n'étoient pas tout - à - fait volontaires; elles ne peuvent être regardées que comme l'effet de la réflexion des propriétaires sur l'impuissance nationale. Ceux qui voudront voir l'application de ces raisonnemens à des faits, peuvent recourir au discours préliminaire qui se trouve à la tête du Négociant Anglois.

Les banques sont du ressort de la matiere du crédit: nous ne les avons point rangées dans la classe des compagnies de commerce, parce qu'elles ne méritent pas proprement ce nom, n'étant destinées qu'à escompter les obligations des commerçans, & à donner des facilités à leur crédit.

L'objet de ces établissemens indique assez leur utilité dans tout pays où la circulation des denrées est interrompue par l'absence du crédit, & si nous les séparons des inconvéniens qui s'y sont presque toûjours introduits.

Une banque dans sa premiere institution est un dépôt ouvert à toutes les valeurs mercantiles d'un pays. Les reconnoissances du dépôt de ces valeurs, les représentent dans le public, & se transportent d'un particulier à un autre. Son effet est de doubler dans le commerce les valeurs déposées. Nous venons d'expliquer son objet.

Comme les hommes ne donnent jamais tellement leur confiance qu'ils n'y mettent quelque restriction, on a exigé que les banques eussent toûjours en caisse un capital numéraire. Les portions de ce capital sont représentées par des reconnoissances appellées actions, qui circulent dans le public.

Le profit des intéressés est sensible: quand même la vaine formalité d'un dépôt oisif seroit exécutée à la rigueur, la banque a un autre genre de bénefice bien plus étendu. A mesure qu'il se présente des gages, ou du papier solide de la part des négocians; elle en avance la valeur dans ses billets, à une petite portion près qu'elle se réserve pour l'intérêt. Ces billets représentent réellement la valeur indiquée dans le public; & n'ayant point de terme limité, ils deviennent une monnoie véritable que l'on peut resserrer ou remettre dans le commerce à sa volonté. A mesure que la confiance s'anime, les particuliers déposent leur argent à la caisse de la banque, qui lui donne en échange ses reconnoissances d'un transport plus commode; tandis qu'elle rend elle - même ces valeurs au commerce, soit en les prêtant, soit en remboursant ses billets. Tout est dans l'ordre; la sûreté réelle ne peut être plus entiere, puisqu'il n'y a pas une seule obligation de la banque qui ne soit balancée par un gage certain. Lorsqu'elle vend les marchandises sur lesquelles elle a prêté, ou que les échéances des lettres de change escomptées arrivent, elle reçoit en payement, ou ses propres billets, qui dès - lors sont soldés jusqu'à ce qu'ils rentrent dans le commerce, ou de l'argent qui en répond lorsque le payement sera exigé, & ainsi de suite.

Lorsque la confiance générale est éteinte, & que par le resserrement de l'argent les denrées manquent de leurs signes ordinaires, une banque porte la vie dans tous les membres d'un corps politique: la raison en est facile à concevoir.

Le discrédit général est une situation violente [p. 449] dont chaque citoyen cherche à se tirer. Dans ces circonstances la banque offre un crédit nouveau, une sûreté réelle toûjours existante, des opérations simples, lucratives, & connues. La confiánce qu'elle inspire, celle qu'elle prête elle - même, dissipent en un instant les craintes & les soupçons entre les citoyens.

Les signes des denrées sortent de la prison où la défiance les renfermoit, & rentrent dans le commerce en concurrence avec les denrées: la circulation se rapproche de l'ordre naturel.

La banque apporte dans le commerce le double des valeurs qu'elle a mises en mouvement: ces nouveaux signes ont l'effet de toute augmentation actuelle dans la masse de l'argent, c'est - à - dire que l'industrie s'anime pour les attirer. Chacune de ces deux valeurs donne du mouvement à l'industrie, contribue à donner un plus haut prix aux productions, soit de l'art, soit de la nature; mais avec des différences essentielles.

Le renouvellement de la circulation de l'ancienne masse d'argent, rend aux denrées la valeur intrinseque qu'elles auroient dû avoir relativement à cette masse, & relativement à la consommation que les étrangers peuvent en faire.

Si d'un côté la multiplication de cette ancienne masse, par les représentations de la banque, étoit en partie nécessaire pour la faire sortir, on conçoit d'ailleurs qu'en la doublant on hausse le prix des denrées à un point excessif en peu de tems. Ce surhaussement sera en raison de l'accroissement des signes qui circuleront dans le commerce, au - delà de l'accroissement des denrées.

Si les signes circulans sont doublés, & que la quantité des denrées n'ait augmenté que de moitié, les prix hausseront d'un quart.

Pour évaluer quel devroit être dans un pays le degré de la multiplication des denrées, en raison de celle des signes, il faudroit connoître l'étendue des terres, leur fertilité, la maniere dont elies sont cultivées, les améliorations dont elles sont susceptibles, la population, la quantité d'hommes occupés, de ceux qui manquent de travail, l'industrie & les manieres générales des habitans, les facilités naturelles, artificielles & politiques pour la circulation intérieure & extérieure; le prix des denrées étrangeres qui sont en concurrence; le goût & les moyens des consommateurs. Ce calcul seroit si compliqué, qu'il peut passer pour impossible; mais plus l'augmentation subite des signes sera excessive, moins il est probable que les denrées se multiplieront dans une proportion raisonnable avec eux.

Si le prix des denrées hausse, il est également vrai de dire que par l'excès de la multiplication des signes sur la multiplication des denrées, & l'activité de la nouvelle circulation, il se rencontre alors moins d'emprunteurs que de prêteurs; l'argent perd de son prix.

Cette baisse par conséquent sera en raison composée du nombre des prêteurs & des emprunteurs.

Elle soulage les denrées d'une partie des frais que font les négocians pour les revendre. Ces frais diminués sont l'intérêt des avances des négocians, l'évaluation des risques qu'ils courent, le prix de leur travail: les deux derniers sont toûjours réglés sur le taux du premier, & on les estime communément au double. De ces trois premieres diminutions résultent encore le meilleur marché de la navigation, & une moindre évaluation des risques de la mer.

Quoique ces épargnes soient considérables, elles ne diminuent point intrinsequement la valeur premiere des denrées nationales; il est évident qu'elles ne la diminuent que relativement aux autres peuples qui vendent les mêmes denrées en concurrence, sou<cb-> tiennent l'intérêt de leur argent plus cher en raison de la masse qu'ils possedent. Si ces peuples venoient à baisser les intérêts chez eux dans la même proportion, ce seroit la valeur premiere des denrées qui décideroit de la supériorité, toutes choses égales d'ailleurs.

Quoique j'aye rapproché autant qu'il a dépendu de moi les conséquences de leurs principes, il n'est point inutile d'en retracer l'ordre en peu de mots.

Nous avons vû la banque ranimer la circulation des denrées, & rétablir le crédit général par la multiplication actuelle des signes: d'où résultoit une double cause d'augmentation dans le prix de toutes choses, l'une naturelle & salutaire, l'autre forcée & dangereuse. L'inconvénient de cette derniere se corrige en partie relativement à la concurrence des autres peuples par la diminution des intérêts.

De ces divers raisonnemens on peut donc conclure, que par tout où la circulation & le crédit joüissent d'une certaine activité, les banques sont inutiles, & même dangereuses. Nous avons remarqué en parlant de la circulation de l'argent, que ses principes sont nécessairement ceux du crédit même, qui n'en est que l'image: la même méthode les conserve & les anime. Elle consiste, 1°. dans les bonnes lois bien exécutées contre l'abus de la confiance d'autrui. 2°. Dans la sûreté des divers intérêts qui lient l'état avec les particuliers comme sujets ou comme créanciers. 3°. A employer tous les moyens naturels, artificiels, & politiques qui peuvent favoriser l'industrie & le commerce étranger; ce qui emporte avec soi une finance subordonnée au commerce. J'ai souvent insisté sur cette derniere maxime, parce que sans elle tous les efforts en faveur du commerce seront vains. J'en ai précédemment traité dans un ouvrage particulier, auquel j'ose renvoyer ceux qui se sentent le courage de développer des germes abandonnés à la sagacité du lecteur.

Si quelqu'une de ces regles est négligée, nulle banque, nulle puissance humaine n'établira parmi les hommes une confiance parfaite & réciproque dans leurs engagemens: elle dépend de l'opinion, c'est - à - dire de la persuasion ou de la conviction.

Si ces regles sont suivies dans toute leur étendue, le crédit général s'établira sûrement.

L'augmentation des prix au renouvellement du crédit, ne sera qu'en proportion de la masse actuelle de l'argent, & de la consommation des étrangers. L'augmentation des prix par l'introduction continuelle d'une nouvelle quantité de métaux, & la concurrence des négocians, par l'extension du commerce, conduiront à la diminution des bénéfices: cette diminution des bénéfices & l'accroissement de l'aisance générale feront baisser les intérêts comme dans l'hypothèse d'une banque: mais la réduction des intérêts sera bien plus avantageuse dans le cas présent que dans l'autre, en ce que la valeur premiere des denrées ne sera pas également augmentée.

Pour concevoir cette différence, il faut se rappeller trois principes déjà répétés plusieurs fois, sur - tout en parlant de la circulation de l'argent.

L'aisance du peuple dépend de l'activité de la circulation des denrées: cette circulation est active en raison de la répartition proportionnelle de la masse quelconque des métaux ou des signes, & non en raison de la répartition proportionnelle d'une grande masse de métaux ou de signes: la diminution des intérêts est toûjours en raison composee du nombre des prêteurs & des emprunteurs.

Ainsi à égalité de répartition proportionnelle d'une masse inégale de signes, l'aisance du peuple sera relativement la même; il y aura relativement même proportion entre le nombre des emprunteurs & des prêteurs, l'intérêt de l'argent sera le même.

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.