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Frigidus, ô pueri, fagite hinc, latet anguis in herbâ. Eccl. III. v. 93. L'adjectif frigidus commence le vers, & le substantif anguis en est sépare par plusieurs mots, sans que cette séparation apporte la moindre confusion. Les terminaisons font aisément rapprocher l'un de l'autre à ceux qui savent la langue: mais nous ne serions pas entendus en françois, si nous mettions un si grand intervalle entre le substantif & l'adjectif; il faut que nous disions fuyez, un froid serpent est caché sous l'herbe.
Nous ne pouvons donc faire usage des inversions, que lorsqu'elles sont aisées à ramener à l'ordre significatif de la construction simple; ce n'est que relativement à cet ordre, que lorsqu'il n'est pas suivi, on dit entoute langue qu'ily a inversion, & non par rapport à un prétendu ordre d'intérêt ou de passions qui ne sauroit jamais être un ordre certain, auquel on peut opposer le terme d'inversion: incerta hoec si tu postules ratione certa facere, nihilo plus agas, quam si des operam ut cum ratione insanias. Ter. Eun. act. I. sc. j. v. 16.
En effet on trouve dans Cicéron & dans chacun des auteurs qui ont beaucoup écrit; on trouve, dis - je, en différens endroits, le même fond de pensée énoncé avec les mêmes mots, mais toûjours disposés dans un ordre différent. Quel est celui de ce, divers arrangemens par rapport auquel on doit dire qu'il y a inversion? Ce ne peut jamais être que relativement à l'ordre de la construction simple. Il n'y a inversion que lorsque cet ordre n'est pas suivi. Toute autre idée est sans fondement, & n'oppose inversion qu'au caprice ou à un goût particulier & momentanée.
Mais revenons à nos inversions francoises. Madame Deshoulieres dit:
Que les fougueux aquilons, Sous sa nef, ouvrent de l'onde Les gouffres les plus profonds. Deshoul. Ode. La construction simple est, que les aquilons fougueux ouvrent sous sa nef les gouffres les plus profonds de l'onde. M. Fléchier, dans une de ses oraisons funebres, a dit, sacrifice où coula le sang de mille victimes; la construction est, sacrifice où le sang de mille victimes coula.
Il faut prendre garde que les transpositions & le renversement d'ordre ne donnent pas lieu à des phrases louches, équivoques, & où l'esprit ne puisse pas aisément rétablir l'ordre significatif; car on ne doit jamais perdre de vûe, qu'on ne parle que pour être entendu: ainsi lorsque les transpositions même servent à la clarté, on doit, dans le discours ordinaire, les préférer à la construction simple. Madame Deshoulieres a dit:
Dans les transports qu'inspire Cette agréable saison, Où le coeur, à son empire Assujettit la raison. L'esprit saisit plus aisément la pensée, que si cette il<cb->
V. La cinquieme sorte de figure, c'est l'imitation
de quelque façon de parler d'une langue étrangere, ou même de la langue qu'on parle. Le commerce
& les relations qu'une nation a avec les autres
peuples, font souvent passer dans une langue non seulement
des mots, mais encore des façons de
parler, qui ne sont pas conformes à la construction
ordinaire de cette langue. C'est ainsi que dans les
meilleurs auteurs Latins on observe des phrases greques,
qu'on appelle des hellenismes: c'est par une
telle imitation qu'Horace a dit (l. III. ode 30. v. 12.)
Daunus agrestium regnavit populorum. Les Grecs disent
L imitation a donné lieu à plusieurs façons de parler, qui ne sont que des formules que l'usage a consacrées. On se sert si souvent du pronom il pour rappeller dans l'esprit la personne déjà nommée, que ce pronom a passé ensuite par imitation dans plusieurs façons de parler, où il ne rappelle l'idée d'aucun individu particulier. Il est plûtôt une sorte de nom métaphysique idéal ou d'imitation; c'est ainsi que l'on dit, il pleut, il tonne, il faut, il y a des gens qui s'imaginent, &c. Ce il, illud, est un mot qu'on employe par analogie, à l'imitation de la construction usuelle qui donne un nominatif à tout verbe au mode fini. Ainsi il pleut, c'est le ciel ou le tems qui est tel, qu'il fait tomber la pluie; il faut, c'est - à - dire cela, illud, telle chose est nécessaire, savoir, &c.
VI. On rapporte à l'hellenisme une figure remarquable, qu'on appelle attraction: en effet cette figure est fort ordinaire aux Grecs, mais parce qu'on en trouve aussi des exemples dans les autres langues, j'en fais ici une figure particuliere.
Pour bien comprendre cette figure, il faut obser ver que souvent le méchanisme des organes de la parole apporte des changemens dans les lettres des mots qui précedent, ou qui suivent d'autres mots; ainsi au lieu de dire régulierement ad - loqui aliquem, parler à quelqu'un, on change le d de la préposition ad en l, à cause de l'l qu'on va prononcer, & l'on dit al - loqui aliquem plûtôt que ad - loqui; & de même ir - ruere au lieu de in - ruere, col - loqui au lieu de cum ou con - loqui, &c. ainsi l'l attire une autre l, &c.
Ce que le méchanisme de la parole fait faire à l'égard des lettres, la vûe de l'esprit tournée ver> [p. 80]
Je sai bien qu'on peut expliquer ces exemples par l'ellipse; hoec urbs, quam urbem statuo, &c. illoe fabuloe, quas fabulas fecisset: mais l'attraction en est peut - être la véritable raison. Dii non concessere poetis esse mediocribus (Hor. de arte poetica.); mediocribus est attiré par poetis. Animal providum & sagax quem vocamus hominem (Cic. leg. I. 7.), où vous voyez que hominem a attiré quem; parce qu'en effet hominem étoit dans l'esprit de Ciceron dans le tems qu'il a dit animal providum. Benevolentia qui est amicitioe fons (Ciceron); fons a attiré qui au lieu de quoe. Benevolentia est fons, qui est fons amicitioe. Il y a un grand nombre d'exemples pareils dans Sanctius, & dans la méthode latine de P. R. on doit en rendre raison par la direction de la vûe de l'esprit qui se porte plus particulierement vers un certain mot, ainsi que nous venons de l'observer. C'est le ressort des idées accessoires.
De la construction us>elle. La troisieme sorte de construction est composée des deux précédentes. Je l'appelle construction usuelle, parce que j'entens par cette construction l'arrangement des mots qui est en usage dans les livres, dans les lettres, & dans la conversation des honnêtes gens. Cette construction n'est souvent ni toute simple, ni toute figurée. Les mots doivent être, simples, clairs, naturels, & exciter dans l'esprit plus de sens, que la lettre ne paroît en exprimer; les mots doivent être énoncés dans un ordre qui n'excite pas un sentiment desagréable à l'oreille; on doit y observer autan>que la convenance des différens styles le permet, ce qu'on appelle le nombre, le rythme, l'harmonie, &c. Je ne m'arrêterai point à recueillir les différentes remarques que plusieurs bons auteurs ont faites au sujet de cette construction. Telles sont celles de MM. de l'académie Françoise, de Vaugelas, de M. l'abbé d'Olivet, du P. Bouhours, de l'abbé de Bellegarde, de M. de Gamaches, &c. Je remarquerai seulement que les figures dont nous avons parlé, se trouvent souvent dans la construction usuelle, mais elles n'y sont pas nécessaires; & même communément l'élégance est jointe à la simplicité; & si elle admet des transpositions, des ellipses, ou quelque autre figure, elles sont aisées à ramener à l'ordre de l'analyse énonciative. Les endroits qui sont les plus beaux dans les anciens, sont aussi les plus simples & les plus faciles.
Il y a donc 1°. une construction simple, nécessaire, naturelle, où chaque pensée est analysée relativement à l'énonciation. Les mots forment un tout qui a des parties; or la perception du rapport que ces parties ont l'une à l'autre, & qui nous en fait concevoir l'ensemble, nous vient uniquement de la construction simple, qui, énonçant les mots suivant l'ordre successif de leurs rapports, nous les présente de la maniere la plus propre à nous faire appercevoir ces rapports & à faire naître la pensée totale.
Cette premiere sorte de construction est le fondement de toute énonciation. Si elle ne sert de base à l'orateur, la chûte du discours est certaine, dit Quint. nisi oratori
Ainsi, quoique dans l'état d'une langue formée, la construction dont nous parlons soit la premiere à cause de l'ordre qui fait appercevoir la liaison, la dépendance, la suite, & les rapports des mots; cependant les langues n'ont pas eu d'abord cette premiere sorte de construction. Il y a une espece de métaphysique d'instinct & de sentiment qui a présidé à la formation des langues; surquoi les Grammairiens ont fait ensuite leurs observations, & ont apperçû un ordre grammatical, fondé sur l'analyse de la pensée, sur les parties que la nécessité de l'élocution fait donner à la pensée, sur les signes de ces parties, & sur le rapport & le service de ces signes. Ils ont observé encore l'ordre pratique & d'usage.
2°. La seconde sorte d> construction est appellée construction figurée; celle - ci s'écarte de l'arrangement de la construction simple, & de l'ordre de l'analyse énonciative.
3°. Enfin il y a une construction usuelle, où l'on suit la maniere ordinaire de parler des honnêtes gens de la nation dont on parle la langue, soit que les expressions dont on se sert se trouvent conformes à la construction simple, ou qu'on s'énonce par la figurée. Au reste, par les honnêtes gens de la nation, j'entens les personnes que la condition, la fortune ou le mérite élevent au - dessus du vulgaire, & qui ont l'esprit cultivé par la lecture, par la réflexion, & par le commerce avec d'autres personnes qui ont ces mêmes avantages. Trois points qu'il ne faut pas séparer: 1° distinction au - dessus du vulgaire, ou par la naissance & la fortune, ou par le mérite personnel; 2° avoir l'esprit cultivé; 3° être en commerce avec des personnes qui ont ces mêmes avantages.
Toute construction simple n'est pas toûjours conforme à la construction usuelle: mais une phrase de la construction usuelle, même de la plus élégante, peut être énoncée selon l'ordre de la construction simple. Turenne est mort; la fortune chancelle; la victoire s'arrête; le courage des troupes est abattu par la douleur, & ranimé par la vengeance; tout le camp demeure immobile: (Fléch. or. fun. de M. de Tur.) Quoi de plus simple dans la construction? quoi de plus éloquent & de plus élégant dans l'expression?
Il en est de même de la construction figurée; une construction figurée peut être ou n'être pas élégante. Les ellipses, les transpositions, & les autres figures se trouvent dans les discours vulgaires, comme elles se trouvent dans les plus sublimes. Je fais ici cette remarque, parce que la plûpart des grammairiens confondent la construction élégante avec la construction figurée, & s'imaginent que toute construction figurée est élégante, & que toute construction simple ne l'est pas.
Au reste, la construction figurée est défectueuse
quand elle n'est pas autorisée par l'usage. Mais quoique
l'usage & l'habitude nous fassent concevoir aisément
le sens de ces constructions figurées, il n'est pas
toujours si facile d'en réduire les mots à l'ordre de
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