ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"81"> la construction simple. C'est pourtant à cet ordre qu'il faut tout ramener, si l'on veut pénétrer la raison des différentes modifications que les mots reçoivent dans le discours. Car, comme nous l'avons déjà remarqué, les constructions figurées ne sont entendues que parce que l'esprit en rectifie l'irrégularité par le secours des idées accessoires, qui font concevoir ce qu'on lit & ce qu'on entend, comme si le sens étoit énoncé dans l'ordre de la construction simple.

C'est par ce motif, sans doute, que dans les écoles où l'on enseigne le latin, sur - tout selon la méthode de l'explication, les maîtres habiles commencent par arranger les mots selon l'ordre dont nous parlons, & c'est ce qu'on appelle faire la construction; après quoi on accoûtume les jeunes gens à l'élégance, par de fréquentes lectures du texte dont ils entendent alors le sens, bien mieux & avec plus de fruit que si l'on avoit commencé par le texte sans le réduire à la construction simple.

Hé, n'est - ce pas ainsi que quand on enseigne quelqu'un des Arts libéraux, tel que la Danse, la Musique, la Peinture, l'Écriture, &c. on mene longtems les jeunes éleves comme par la main, on les fait passer par ce qu'il y a de plus simple & de plus facile; on leur montre les fondemens & les principes de l'art, & on les mene ensuite sans peine à ce que l'art a de plus sublime.

Ainsi, quoi qu'en puissent dire quelques personnes peu accoûtumées à l'exactitude du raisonnement, & à remonter en tout aux vrais principes, la méthode dont je parle est extrèmement utile. Je vais en exposer ici les fondemens, & donner les connoissances nécessaires pour la pratiquer avec succés.

Du discours consideré grammaticalement, & des parties qui le composent. Le discours est un assemblage de propositions, d'énonciations, & de périodes, qui toutes doivent se rapporter à un but principal.

La proposition est un assemblage de mots, qui, par le concours des différens rapports qu'ils ont entr'eux, énoncent un jugement ou quelque considération particuliere de l'esprit, qui regarde un objet comme tel.

Cette considération de l'esprit peut se faire en plusieurs manieres différentes, & ce sont ces differentes manieres qui ont donné lieu aux modes des verbes.

Les mots, dont l'assemblage forme un sens, sont donc ou le signe d'un jugement, ou l'expression d'un simple regard de l'esprit qui considere un objet avec telle ou telle modification: ce qu'il faut bien distinguer.

Juger, c'est penser qu'un objet est de telle ou telle façon; c'est affirmer ou nier; c'est décider relativement à l'état où l'on suppose que les objets sont en eux - mêmes. Nos jugemens sont donc ou affirmatifs ou négatifs. La terre tourne autour du soleil; voilà un jugement affirmatif. Le soleil ne tourne point autour de la terre; voilà un jugement négatif. Toutes les propositions exprimées par le mode indicatif énoncent autant de jugemens: je chante, je chantois, j'ai chanté, j'avois chanté, je chanterai; ce sont là autant de propositions affirmatives, qui deviennent négatives par la seule addition des particules ne, non, ne pas, &c.

Ces propositions marquent un état réel de l'objet dont on juge: je veux dire que nous supposons alors que l'objet est ou qu'il a été, ou enfin qu'il sera tel que nous le disons indépendamment de notre maniere de penser.

Mais quand je dis soyez sage, ce n'est que dans mon esprit que je rapporte à vous la perception ou idée d'être sage, sans rien énoncer, au moins directement, de votre état actuel; je ne fais que dire ce que je souhaite que vous soyez: l'action de mon es<cb-> prit n'a que cela pour objet, & non d'énoncer que vous êtes sage ni que vous ne l'êtes point. Il en est de même de ces autres phrases, si vous étiez sage, afin que vous soyez sage; & même des phrases énoncées dans un sens abstrait par l'infinitif, Pierre être sage. Dans toutes ces phrases il y a toujours le signe de l'action de l'esprit qui applique, qui rapporte, qui adapte une perception ou une qualification à un objet, mais qui l'adapte, ou avec la forme de commandement, ou avec celle de condition, de souhait, de dépendance, &c. mais il n'y a point là de décision qui affirme ou qui nie relativement à l'état positif de l'objet.

Voilà une différence essentielle entre les propositions: les unes sont directement affirmatives ou négatives, & énoncent des jugemens; les autres n'entrent dans le discours que pour y énoncer certaines vûes de l'esprit; ainsi elles peuvent être appellées simplement énonciations.

Tous les modes du verbe, autre que l'indicatif, nous donnent de ces sortes d'énonciations, même l'infinitif, sur - tout en latin; ce que nous expliquerons bien - tôt plus en détail. Il suffit maintenant d'observer cette premiere division générale de la proposition.

Proposition directe énoncée par le mode indicatif.

Proposition oblique ou simple énonciation exprimée par quelqu'un des autres modes du verbe.

Il ne sera pas inutile d'observer que les propositions & les énonciations sont quelquefois appellées phrases: mais phrase est un mot générique qui se dit de tout assemblage de mots liés entr'eux, soit qu'ils fassent un sens fini, ou que ce sens ne soit qu'incomplet.

Ce mot phrase se dit plus particulierement d'une façon de parler, d'un tour d'expression, entant que les mots y sont construits & assemblés d'une maniere particuliere. Par exemple, on dit est une phrase françoise; hoc dicitur est une phrase latine: si dice est une phrase italienne: il y a long - tems est une phrase françoise; e molto tempo est une phrase italienne: voilà autant de manieres différentes d'analyser & de rendre la pensée. Quand on veut rendre raison d'une phrase, il faut toujours la réduire à la proposition, & en achever le sens, pour démêler exactement les rapports que les mots ont entr'eux selon l'usage de la langue dont il s'agit.

Des parties de la proposition & de l'énonciation. La proposition a deux parties essentielles: 1°. le sujet: 2°. l'attribut. Il en est de même de l'énonciation.

1°. Le sujet; c'est le mot qui marque la personne ou la chose dont on juge, ou que l'on regarde avec telle ou telle qualité ou modification.

2°. L'attribut; ce sont les mots qui marquent ce que l'on juge du sujet, ou ce que l'on regarde comme mode du sujet.

L'attribut contient essentiellement le verbe, parce que le verbe est dit du sujet, & marque l'action de l'esprit qui considere le sujet comme étant de telle ou telle façon, comme ayant ou faisant telle ou telle chose. Observez donc que l'attribut commence toujours par le verbe.

Différentes sortes de sujets. Il y a quatre sortes de sujets: 1°. sujet simple, tant au singulier qu'au pluriel: 2°. sujet multiple: 3°. sujet complexe: 4°. sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.

1°. Sujet simple, énoncé en un seul mot: le soleil est levé, le soleil est le sujet simple au singulier. Les astres brillent, les astres sont le sujet simple au pluriel.

2°. Sujet multiple; c'est lorsque pour abreger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différens: la foi, l'espérance, & la charité sont trois vertus [p. 82] théologales; ce qui est plus court que si l'on disoit la foi est une vertu théologale, l'espérance est une vertu théologale, la charité est une vertu théologale; ces trois mots, la foi, l'espérance, la charité sont le sujet multiple. Et de même, S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, &c. étoient apôtres: S. Pierre, S. Jean, S. Matthieu, voilà le sujet multiple; étoient apôtres, en est l'attribut commun.

3°. Sujet complexe; ce mot complexe vient du latin complexus, qui signifie embrassé, composé. Un sujet est complexe, lorsqu'il est accompagné de quelque adjectif ou de quelqu'autre modificatif: Alexandre vainquit Darius, Aiexandre est un sujet simple; mais si je dis Alexandre fils de Philippe, ou Alexandre roi de Macédoine, voilà un sujet complexe. Il faut bien distinguer, dans le sujet complexe, le sujet personnel ou individuel, & les mots qui le rendent sujet complexe. Dans l'exemple ci - dessus, Alexandre est le sujet personnel; fils de Philippe ou roi de Macedoine, ce sont les mots qui n'étant point séparés d'Alexandre, rendent ce mot sujet complexe.

On peut comparer le sujet complexe à une personne habillée. Le mot qui énonce le sujet est pour ainsi dire la personne, & les mots qui rendent le sujet complexe, ce sont comme les habits de la personne. Observez que lorsque le sujet est complexe, on dit que la proposition est complexe ou composée.

L'attribut peut aussi être complexe; si je dis qu'Alexandre vainquit Darius roi de Perse, l'attribut est complexe; ainsi la proposition est composée par rapport à l'attribut. Une proposition peut aussi être complexe par rapport au sujet & par rapport à l'attribut.

4°. La quatrieme sorte de sujet, est un sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.

Il n'y a point de langue qui ait un assez grand nombre de mots, pour suffire à exprimer par un nom particulier chaque idée ou pensée qui peut nous venir dans l'esprit: alors on a recours à la périphrase; par exemple, les Latins n'avoient point de mot pour exprimer la durée du tems pendant lequel un prince exerce son autorité: ils ne pouvoient pas dire comme nous sous le regne d'Auguste; ils disoient alors, dans le tems qu'Auguste étoit empereur, imperante Coesare Augusto; car regnum ne signifie que royaume.

Ce que je veux dire de cette quatrieme sorte de sujets, s'entendra mieux par des exemples. Differer de profiter de l'occasion, c'est souvent la laisser échapper sans retour. Differer de profiter de l'occasion, voilà le sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, dont on dit que c'est souvent laisser échapper l'occasion sans retour. C'est un grand are de cacher l'art: ce hoc, à savoir, cacher l'art, voilà le sujet, dont on dit que c'est un grand art. Bien vivre est un moyen sûr de desarmer la médisance: bien vivre est le sujet; est un moyen sûr de desarmer la médisance, c'est l'attribut. Il vaut mieux être juste que d'être riche, être raisonnable que d'être savant. Il y a là quatre propositions selon l'analyse grammaticale, deux affirmatives & deux négatives, du moins en françois.

1°. Il, illud, ceci, à savoir être juste, vaut mieux que l'avantage d'être riche ne vaut. Etre juste est le sujet de la premiere proposition, qui est affirmative; être riche est le sujet de la seconde proposition, qui est négative en franççois, parce qu'on sous - entend ne vaut; être riche ne vaut pas tant.

2°. Il en est de même de la suivante, être raisonnable vaut mieux que d'être savant: être raisonnable est le sujet dont on dit vaut mieux, & cette premiere proposition est affirmative: dans la correlative étre savant ne vaut pas tant, être savant est le sujet. Majus est certeque gratius prodesse hominibus, quam opes ma - gnas habere. (Cicér. de nat. deor. l. II. c. xxv.) Prodesse hominibus, être utile aux hommes, voilà le sujet, c'est de quoi on affirme que c'est une chose plus grande, plus loüable, & plus satisfaisante, que de posseder de grands biens. Remarquez, 1°. que dans ces sortes de sujets il n'y a point de sujet personnel que l'on puisse séparer des autres mots. C'est le sens total, qui résulte des divers rapports que les mots ont entr'eux, qui est le sujet de la proposition; le jugement ne tombe que sur l'ensemble, & non sur aucun mot particulier de la phrase. 2°. Observez que l'on n'a recours à plusieurs mots pour énoncer un sens total, que parce qu'on ne trouve pas dans la langue un nom substantif destiné à l'exprimer. Ainsi les mots qui énoncent ce sens total suppléent à un nom qui manque: par exemple, aimer à obliger & à faire du bien, est une qualité qui marque une grande ame; aimer à obliger & à faire du bien, voilà le sujet de la proposition. M. l'abbé de S. Pierre a mis en usage le mot de bienfaisance, qui exprime le sens d'aimer à obliger & à faire du bien: ainsi au lieu de ces mots, nous pouvons dire la bienfaisance est une qualité, &c. Si nous n'avions pas le mot de nourrice, nous dirions une femme qui donne à teter à un enfant, & qui prend soin de la premiere enfance.

Autres sortes de propositions à distinguer pour bien faire la construction.

II. Proposition absolue ou complette: proposition relative ou partielle.

1°. Lorsqu'une proposition est telle, que l'esprit n'a besoin que des mots qui y sont énoncés pour en entendre le sens, nous disons que c'est là une proposition absolue ou complette.

2°. Quand le sens d'une proposition met l'esprit dans la situation d'exiger ou de supposer le sens d'une autre proposition, nous disons que ces propositions sont relatives, & que l'une est la correlative de l'autre. Alors ces propositions sont liées entr'elles par des conjonctions ou par des termes relatifs. Les rapports mutuels que ces propositions ont alors entre elles, forment un sens total que les Logiciens appellent proposition composée; & ces propositions qui forment le tout, sont chacune des propositions partielles.

L'assemblage de différentes propositions liées entr'elles par des conjonctions ou par d'autres termes relatifs, est appellé période par les Rhéteurs. Il ne sera pas inutile d'en dire ici ce que le grammairien en doit savoir.

De la période. La période est un assemblage de propositions liées entr'elles par des conjonctions, & qui toutes ensemble font un sens fini: ce sens fini est aussi appellé sens complet. Le sens est fini lorsque l'esprit n'a pas besoin d'autres mots pour l'intelligence complette du sens, ensorte que toutes les parties de l'analyse de la pensée sont énoncées. Je suppose qu'un lecteur entende sa langue; qu'il soit en état de démêler ce qui est sujet & ce qui est attribut dans une proposition, & qu'il connoisse les signes qui rendent les propositions correlatives. Les autres connoissances sont étrangeres à la Grammaire.

Il y a dans une période autant de propositions qu'il y a de verbes, sur - tout à quelque mode fini; car tout verbe employé dans une période marque ou un jugement ou un regard de l'esprit qui applique un qualificatif à un sujet. Or tout jugement suppose un sujet, puisqu'on ne peut juger qu'on ne juge de quelqu'un ou de quelque chose. Ainsi le verbe m'indique nécessairement un sujet & un attribut: par conséquent il m'indique une proposition, puisque la proposition n'est qu'un assemblage de mots qui énoncent un jugement porté sur quelque sujet. Ou bien le verbe m'indique une énonciation, puisque le verbe marque l'action de l'esprit qui adapte

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