ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"75"> de la construction simple, & d'éviter les obstacles qui pourroient nous empêcher d'y réduire sans peine ce qu'il nous dit.

Comme par - tout les hommes pensent, & qu'ils cherchent à faire connoître la pensée par la parole, l'ordre dont nous parlons est au fond uniforme partout; & c'est encore un autre motif pour l'appeller naturel.

Il est vrai qu'il y a des différences dans les langues; différence dans le vocabulaire ou la nomenclature qui énonce les noms des objets & ceux de leurs qualificatifs; différence dans les terminaisons qui sont les signes de l'ordre successif des correlatifs; différence dans l'usage des métaphores, dans les idiotismes, & dans les tour's de la construction usuelle: mais il y a uniformité en ce que par - tout la pensée qui est à énoncer est divisée par les mots qui en représentent les parties, & que ces parties ont des signes de leur relation.

Enfin cette construction est encore appellée naturelle, parce qu'elle suit la nature, je veux dire parce qu'elle énonce les mots selon l'état où l'esprit conçoit les choses; le soleil est lumineux. On suit ou l'ordre de la relation des causes avec les effets, ou celui des effets avec leur cause; je veux dire que la construction simple procede, ou en allant de la cause à l'esset, ou de l'agent au patient; comme quand on dit, Dieu a créé le monde; Julien Leroi a fait cette montre; Auguste vainquit Antoine; c'est ce que les Grammairiens appellent la voix active: ou bien la construction énonce la pensée en remontant de l'esset à la cause, & du patient à l'agent, selon le langage des philosophes; ce que les Grammairiens appellent a voix passive: le monde a été créé par l'Etre toutpuissant; cette montre a été faite par Julien Leroi, horloger habile; Antoine fut vaincu par Auguste. La construction simple présente d abord l'objet ou sujet, ensuite elle le qualifie selon les propriétés ou les accidens que les sens y découvrent, ou que l'imagination y tuppose.

Or dans l'un & dans l'autre de ces deux cas, l'état des choses demande que l'on commence par non mer le sujet. En effet, la nature & la raison ne nous apprennent - elles pas, 1°. qu'il faut être avant que d'operer, prius est esse quam operari; 2°. qu'il faut exister avant que de pouvoir être l'objet de l'action d'un autre; 3°. enfin qu'il faut, avoir une existence réelle ou imaginée, avant que de pouvoir être qualifié, c'est - à - dire avant que de pouvoir être considéré comme ayant telle ou telle modification propre, ou bien tel ou tel de ces accidens qui donnent lieu à ce que les Logiciens appellent des dénominations externes: il est aimé, il est ha, il est loüé, il est blâmé.

On observe la même pratique par imitation, quand on parle de noms abstraits & d'êtres purement métaphy siques: ainsi on dit que la vertu a des charmes, comme l'on dit que le roi a des soldats.

La construction simple, comme nous l'avons déjà remarqué, énonce d'abord le sujet dont on juge, apres quoi elle dit, ou qu'il est, ou qu'il fait, ou qu'il souffre, ou qu'il a, soit dans le sens propre, soit au figuré.

Pour mieux faire entendre ma pensée, quand je dis que la construction simple suit l'état des choses, 'observerai que dans la réalité l'adjectif n'énonce qu'une qualification du substantif; l'adjectif n'est done que le substantif même considéré avec telle ou telle modification; tel est l'état des choses: aussi la construction simple ne sépare - t - elle jamais l'adjectif du substantif. Ainsi quand Virgile a dit,

Frigidus, agricolam, si quando continet imber. Géorg. liv. I. v. 259. l'adjectif frigidus étant séparé par plusieurs mots de son substantif imber, cette construction sera, tant qu'il vous plaira, une construction élégante, mais jamais une phrase de la construction simple, parce qu'on n'y suit pas l'ordre de l'état des choses, ni du rapport immédiat qui est entre les mots en conséquence de cet état.

Lorsque les mots essentiels à la proposition ont des modificatifs qui en étendent ou qui en restraignent la valeur, la construction simple place ces modificatifs à la suite des mots qu'ils modifient: ainsi tous les mots se trouvent rangés successivement selon le rapport immédiat du mot qui suit avec celui qui le précede: par exemple, Alexandre vainquit Darius, voilà une simple proposition; mais si j'ajoûte des modificatifs ou adjoints à chacun de ses termes, la construction simple les placera successivement selon l'ordre de leur relation. Alexandre fils de Philippe & roi de Macédoine vainquit avec peu de troupes Darius roi des Perses qui étoit à la tête d'une armée nombreuse.

Sil'on énonce des circonstances dont le sens tombe sur toute la proposition, on peut les placer ou au commencement ou à la fin de la proposition: par ex. en la troisieme année de la cxij. olympiade, 330 ans avant Jesus - Christ, onze jours après une éclipse de lune, Alexandre vainquit Darius; ou bien Alexandre vainquit Darius en la troisieme année, &c.

Les liaisons des différentes parties du discours, telles que cependant, sur ces entrefaites, dans ces circonstances, mais, quoique, aprés que, avant que, &c. doivent précéder le sujet de la proposition où elles se trouvent, parce que ces liaisons ne sont pas des parties nécessaires de la proposition; elles ne sont que des adjoints, ou des transitions, ou des conjonctions particulieres qui lient les propositions partielles dont les périodes sont composées.

Par la même raison, le relatif qui, quoe, quod, & nos qui, que, dont, précedent tous les mots de la proposition à laquelle ils appartiennent; parce qu'ils servent à lier cette proposition à quelque mot d'une autre, & que ce qui lie doit être entre deux termes ainsi dans cet exemple vulgaire, Deus quem. adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est toutpuissant, quem précede adoramus, & que est avant nous adorons, quoique l'un dépende d'adoramus, & l'autre de nous adorons, parce que quem détermine Deus. Cette place du relatif entre les deux propositions correlatives, en fait appercevoir la liaison plus aisément, que si le quem ou le que étoient placés aprés les verbes qu'ils déterminent.

Je dis donc que pour s'exprimer selon la construction simple, on doit 1°. énoncer tous les mots qui sont les signes des différentes parties que l'on est obligé de donner à la pensée, par la nécessité de l'élocution, & selon l'analogie de la langue en laquelle on a à s'énoncer.

2°. En second lieu la construction simple exige que les mots soient énoncés dans l'ordre successif des rapports qu'il y a entr'eux, ensorte que le mot qui est à modifier ou à déterminer précede celui qui le modifie ou le détermine.

3°. Enfin dans les langues où les mots ont des terminaisons qui sont les signes de leur position & de leurs relations, ce seroit une faute si l'on se contentoit de placer un mot dans l'ordre où il doit être selon la construction simple, sans lui donner la terminaison destinée à indiquer cette position: ainsi on ne dira pas en latin, diliges Dominus Deus tuus, ce qui seroit la terminaison de la valeur absolue, ou celle du sujet de la proposition; mais on dira, diliges Dominum Deum tuum, ce qui est la terminaison de la valeur relative de ces trois derniers mots. Tel est dans ces langues le service & la destination des terminaisons; elles indiquent la place & les rapports des mots; ce qui est d'un grand usage lorsqu'il y a inversion, c'est<pb-> [p. 76] à - dire lorsque les mots ne sont pas énoncés dans l'ordre de la construction simple; ordre toûjours indiqué, mais rarement observé dans la construction usuelle des langues dont les noms ont des cas, c'est - à - dire des terminaisons particulieres destinées en toute construction à marquer les différentes relations ou les différentes sortes de valeurs relatives des mots.

II. De la construction figurée. L'ordre successif des rapports des mots n'est pas toûjours exactement suivi dans l'exécution de la parole: la vivacité de l'imagination, l'empressement à faire connoître ce qu'on pense, le concours des idées accessoires, l'harmonie, le nombre, le rythme, &c. font souvent que l'on supprime des mots, dont on se contente d'énoncer les correlatifs. On interrompt l'ordre de l'analyse; on donne aux mots une place ou une forme, qui au premier aspect ne paroit pas être celle qu'on auroit dû leur donner. Cependant celui qui lit ou qui écoute, ne laisse pas d'entendre le sens de ce qu'on lui dit, parce que l'esprit rectifie l'irrégularité de l'énonciation, & place dans l'ordre de l'analyse les divers sens particuliers, & même le sens des mots qui ne sont pas exprimés.

C'est en ces occasions que l'analogie est d'un grand usage: ce n'est alors que par analogie, par imitation, & en allant du connu à l'inconnu, que nous pouvons concevoir ce qu'on nous dit. Si cette analogie nous manquoit, que pourrions - nous comprendre dans ce que nous entendrions dire? ce seroit pour nous un langage inconnu & inintelligible. La connoissance & la pratique de cette analogie ne s'acquiert que par imitation, & par un long usage commencé dès les premieres années de notre vie.

Les façons de parler dont l'analogie est pour ainsi dire l'interprete, sont des phrases de la construction figurée.

La construction figurée est donc celle où l'ordre & le procédé de l'analyse énonciative ne sont pas suivis, quoiqu'ils doivent toûjours être apperçûs, rectifiés, ou suppléés.

Cette seconde sorte de construction est appellée construction figurée, parce qu'en effet elle prend une figure, une forme, qui n'est pas celle de la construction simple. La construction figurée est à la vérité autorisée par un usage particulier; mais elle n'est pas conforme à la maniere de parler la plus réguliere, c'est - à - dire à cette construction pleine & suivie dont nous avons parlé d'abord. Par exemple, selon cette premiere sorte de construction, on dit, la foiblesse des hommes est grande; le verbe est s'accorde en nombre & en personne avec son sujet la foiblesse, & non avec des hommes. Tel est l'ordre significatif; tel est l'usage général. Cependant on dit fort bien la plûpart des hommes se persuadent, &c. où vous voyez que le verbe s'accorde avec des hommes, & non avec la plûpart: les savans disent, les ignorans s'imaginent, &c. telle est la maniere de parler générale; le nominatif pluriel est annoncé par l'article les. Cependant on dit fort bien, des savans m'ont dit, &c. des ignorans s'imaginent, &c. du pain & de l'eau suffisent, &c.

Voilà aussi des nominatifs, selon nos Grammairiens; pourquoi ces prétendus nominatifs ne sont - ils point analogues aux nominatifs ordinaires? Il en est de même en latin, & en toutes les langues. Je me contenterai de ces deux exemples.

1°. La préposition ante se construit avec l'accusatif; tel est l'usage ordinaire: cependant on trouve cette préposition avec l'ablatif dans les meilleurs auteurs, multis ante annis.

2°. Selon la pratique ordinaire, quand le nom de la personne ou celui de la chose est le sujet de la proposition, ce nom est au nominatif. Il faut bien en effect nommer la personne ou la chose dont on juge, afin qu'on puisse entendre ce qu'on en dit. Cependant on trouve des phrases sans nominatif; & ce qui est plus irrégulier encore, c'est que le mot qui, selon la regle, devroit être au nominatif, se trouve au contraire en un cas oblique: poenitee me peccati, je me repens de mon péché; le verbe est ici à la troisieme personne en latin, & à la premiere en françois.

Qu'il me soit permis de comparer la construction simple au droit commun, & la figurée au droit privilégié. Les jurisconsultes habiles ramenent les priviléges aux lois supérieures du droit commun, & regardent comme des abus que les législateurs devroient réformer, les priviléges quine sauroient être réduits à ces lois.

Il en est de même des phrases de la construction figurée; elles doivent toutes être rapportées aux lois générales du discours, entant qu'il est signe de l'analyse des pensées & des différentes vûes de l'esprit. C'est une opération que le peuple fait par sentiment, puisqu'il entend le sens de ces phrases. Mais le Grammairien philosophe doit pénétrer le mystere de leur irrégularité, & faire voir que malgré le masque qu'elles portent de l'anomalie, elles sont pourtant analogues à la construction simple.

C'est ce que nous tâcherons de faire voir dans les exemples que nous venons de rapporter. Mais pour y procéder avec plus de clarté, il faut observer qu'il y a six sortes de figures qui sont d'un grand usage dans l'espece de construction dont nous parlons, & auxquelles on peut réduire toutes les autres.

1°. L'ellipse, c'est - à - dire manquement, défaut, suppression; ce qui arrive lorsque quelque mot nécessaire pour réduire la phrase à la construction simple n'est pas exprimé; cependant ce mot est la seule cause de la modification d'un autre mot de la phrase. P. ex. ne sus Mivervam; Minervam n'est à l'accusatif, que parce que ceux qui entendent le sens de ce proverbe se rappellent aisément dans l'esprit le verbe doceat. Ciceron l'a exprimé (Cic. acad. i. c. jv.); ainsi le sens est sus non doceat Minervam, qu'un cochon, qu'une bête, qu'un ignorant ne s'avise pas de vouloir donner des leçons à Minerve déesse de la science & des beaux artsTriste lupus stabulis, c'est - à - dire lupus est negotium triste stabulis. Ad Castoris, supplée ad oedem ou ad templum Castoris. Sanctius & les autres analogistes ont recueilli un grand nombre d'exemples où cette figure est en usage: mais comme les auteurs latins employent souvent cette figure, & que la langue latine est pour ainsi dire toute elliptique, il n'est pas possible de rapporter toutes les occasions où cette figure peut avoir lieu; peut - être même n'y a - til aucun mot latin qui ne soit sousentendu en quelque phrase. Vulcani item complures, suppléez fuerunt; primus coelo natus, ex quo Minerva Apollinem, où l'on sousentend peperit (Cic. de nat. deor. liv. III. c. xxij.) & dans Térence (eunuc. act. I. sc. I.), ego ne illam? quoe illum? quoe me? quoe non? Sur quoi Donat observe que l'usage de l'ellipse est fréquent dans la colere, & qu'ici le sens est, ego ne illam non ulciscar? quoe illum recepit? quoe exclusit me? quoe non admisit? Priscien remplit ces ellipses de la maniere suivante: ego ne illam dignor adventu meo? quoe illum proeposuit mihi? quoe me sprevit? quoe non suscepit heri? Quoi j'irois la voir, elle qui a préféré Thrason, elle qui m'a hier fermé la porte?

Il est indifférent que l'ellipse soit remplie par tel ou tel mot, pourvû que le sens indiqué par les adjoints & par les circonstances soit rendu.

Ces sousententes, dit M. Patru (notes sur les remarques de Vaugelas, tome I. page 291. édit. de 1738.) sont fréquentes en notre langue comme en toutes les autres. Cependant elles y sont bien moins ordinaires qu'elles ne le sont dans les langues qui ont des cas;

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