ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"890"> auxquels il ne faut point avoir d'égard, pour découvrir & retrouver pleinement dans la connoissance conjonctive, l'identité ou ressemblance d'idées qui fait la connoissance intuitive. Ainsi pour retrouver la connoissance intuitive dans cette proposition, l'homme est animal, j'écarte de l'idée totale de l'homme les idées partiales, qui sont de surérogation à l'idée total d'animal; telles que l'idée de capable d'admiration, l'idée de raisonnable, &c. & alors il ne reste plus dans l'idée d'homme, que les idées de végétal, de vivant, &c. qui forment l'idée d'animal, & qui sont communes à l'idée d'homme & à l'idée d'animal.

Ces réflexions aussi vraies que subtiles, sont tirées de la logique du P. Buffier.

La seconde sorte de convenance ou de disconvenance que l'esprit apperçoit dans quelqu'une de ses idées, peut être appellée relative; & ce n'est que la perception du rapport qui est entre deux idées, de quelque espece qu'elles soient, substances, modes, ou autres. Ainsi deux est deux, trois est trois, ont un rapport de convenance, parce que dans ces deux propositions c'est le même objet formé par deux actes de l'esprit: toute la différence qui se trouve entre la convenance d'identité & la convenance de relation, c'est que l'une est une identité numérique, & l'autre une identité spécifique ou de ressemblance. La premiere se trouve marquée dans cette proposition, le cercle A est le cercle A; & la seconde dans celle - ci - , le cercle A est le même que le cercle B.

La troisieme espece de convenance ou de disconvenance, qu'on peut trouver dans nos idées, & sur laquelle s'exerce la perception de notre esprit, c'est la coéxistance, ou la non coéxistance dans le même sujet; ce qui regarde particulierement les substances. Ainsi quand nous assirmons touchant l'or, qu'il est fixe, la connoissance que nous avons de cette vérité se réduit uniquement à ceci, que la fixité ou la puissance de demeurer dans le feu sans se consumer, est une idée qui se trouve toujours jointe avec cette espece particuliere de jaune, de pesanteur, de fusibilité, de malléabilité, & de capacité d'être dissous dans l'eau régale, qui compose notre idée complexe, que nous désignons par le mot or.

La derniere & quatrieme espece de convenance, c'est celle d'une existence actuelle & réelle, qui convient à quelque chose dont nous avons l'idée dans l'esprit. Toutes nos connoissances sont renfermées dans ces qúatre sortes de convenance ou de disconvenance.

Avant d'examiner les différens degrés de notre connoissance, il ne sera pas hors de propos de parler des divers sens du mot de connoissance. Il y a différens états dans lesquels l'esprit se trouve imbu de la verité, & auxquels on donne le nom de connoissance.

1°. Il y a une connoissance actuelle qui est la perception présente, que l'esprit a de la convenance, ou de la disconvenance de quelqu'une de ses idées, ou du rapport qu'elles ont l'une à l'autre.

2°. On dit qu'un homme connoît une proposition, lorsque cette proposition ayant été une fois présente à son esprit, il a apperçu évidemment la convenance ou la disconvenance des idées dont elle est composée, & qu'il l'a placée de telle maniere dans sa mémoire, que toutes les fois qu'il vient à réfléchir sur cette proposition, il la voit par le bon côté, sans douter ni hésiter le moins du monde; c'est ce qu'on appelle connoissance habituelle. Suivant cela, on peut dire d'un homme, qu'il connoît toutes les vérités, dont sa mémoire conserve le précieux dépôt, en vertu d'une pleine & évidente perception qu'il en a eue auparavant, & sur laquelle l'esprit se repose hardiment sans avoir le moindre doute; que s'il n'en a pas une perception actuelle, du moins il a un sentiment intime d'avoir eû cette perception. En effet, nos lumieres étant aussi bornées qu'elles le sont, & notre perception actuelle ne pouvant s'étendre qu'à peu de choses à la fois, si nous ne connoissions que ce qui est l'ojet actuel de nos pensées, nous serions tous extrèmement ignorans, & nous ne pourrions nullement étendre nos connoissances.

Il y a aussi deux degrés de connoissance habituelle.

L'un regarde ces vérités mises comme en reserve dans la mémoire qui ne se présentent pas plûtôt à l'esprit qu'il voit le rapport qui est entre ces idées: ce qui se rencontre dans toutes les vérités dont nous avons une connoissance intuitive.

Le deuxieme degré de connoissance habituelle appartient à ces vérités, dont l'esprit ayant été une fois convaincu, conserve le souvenir de la conviction sans en retenir les preuves. Ainsi un homme qui se souvient certainement qu'il a démontré que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, est assuré qu'il connoît la vérité de cette proposition, parce qu'il ne sçauroit en douter. Il ne faut pas s'imaginer que cette croyance, qu'on donne plus à la mémoire qu'à la perception de la vérité même, soit une connoissance mêlée de quelques nuages, & qui tienne le milieu entre l'opinion & la certitude. Cette connoissance renferme une parfaite certitude. Ce qui d'abord pourroit nous faire illusion; c'est que l'on n'a pas une perception actuelle de toutes les idées intermédiaires, par le moyen desquelles on avoit rapproché les idées contenues dans la proposition lorsqu'on se la démontra pour la premiere fois. Par exemple, dans cette proposition, les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits; quiconque a vû & apperçù clairement la démonstration de cette vérité, connoît que cette proposition est véritable, lors même que la démonstration lui est échappée de l'esprit, qu'il ne la voit plus, & qu'il ne peut se la rappeller; mais il le connoit d'une autre maniere qu'il ne faisoit auparavant. C'est par l'intervention d'autres idées, que celles qui avoient accompagné sa démonstration, qu'il apperçoit la convenance des deux idées qui sont jointes dans la proposition. L'immutabilité des mêmes rapports entre les mêmes choses immuables, est présentement l'idée qui fait voir, que si les trois angles d'un triangle ont été une fois égaux à deux droits, ils ne cesseront jamais de l'être, parce que les essences des choses sont éternelles & immuables.

C'est sur ce fondement que dans les Mathématiques les démonstrations particulieres fournissent des connoissances générales. En effet, si la connoissance n'étoit pas si fort établie sur cette perception, que les mêmes idées doivent toujours avoir les mêmes rapports, il ne pourroit y avoir aucune connoissance de propositions générales dans les Mathématiques: car nulle démonstration Mathématique ne seroit que particuliere; & lorsqu'un homme auroit démontré une proposition touchant un triangle ou un cercle, sa connoissance ne s'étendroit point au - delà de cette figure particuliere. Personne ne niera que M. Newton ne connût certainement que cette suite de propositions, qu'il avoit liées & enchaînées, ne fût véritable; quoiqu'il n'eût pas actuellement devant les yeux cette chaîne admirable d'idées moyennes, par lesquelles il en avoit découvert la vérité. Mais parce que le simple souvenir n'est pas toujours si clair que la perception actuelle; & que par succession de tems elle déchoit plus ou moins, dans la plûpart des hommes; il me semble qu'il en résulte nécessairement que la connoissance démonstrative n'a pas la même vivacité d'évidence que la connoissance intuitive, comme nous l'allons voir.

On ne peut nier que l'évidence n'ait différens degrés; & cette différence de clarté que je contonds ici avec l'évidence, consiste dans la différente maniere dont notre esprit apperçoit la convenance ou [p. 891] la disconvenance de ses propres idées. Car si nous réfléchissons sur notre maniere de penser, nous trouverons que quelquefois l'esprit apperçoit la convenance ou la disconvenance des deux idées, immédiament par elles - mêmes, sans l'intervention d'aucune autre; c'est - là ce qu'on appelle connoissance intuitive. L'esprit ne fait aucun effort pour saisir une telle vérité; il l'apperçoit comme l'oeil voit la lumiere. Cette connoissance est la plus claire & la plus certaine dont la foiblesse humaine soit capable. Elleagit d'une maniere irrésistible, semblable à l'éclat d'un beau jour; elle se fait voir immédiatement, & comme par force, dès que l'esprit se tourne vers elle, sans qu'il lui soit possible de se soustraire à ses rayons qui le percent de toutes parts. C'est - là le plus haut degré de certitude, où nous puissions prétendre. La certitude dépend si fort de cette intuition, que dans le degré suivant de connoissance, que jenomme démonstration, cette intuition est absolument nécessaire dans toutes les connexions des idées moyennes; desorte que sans elle nous ne saurions parvenir à aucune connoissance ou certitude.

Il se présente ici une question, savoir si parmi les connoissances intuitives l'une est plus aisée à former que l'autre. Il ne paroît pas d'abord que cela puisse se faire; car la connoissance intuitive ne consistant qu'à découvrir d'une simple vûe, telle chose est telle chose, toutes les connoissances intuitives devroient, ce me semble, être également aisées à discerner.

Il est vrai, qu'il est également aisé de voir le rapport qu'a une chose avec celle qui est la même en ressemblance; c'est - à - dire, à trouver la parfaite ressemblance entre deux actes de notre esprit, qui ont précisément le même objet: mais certain objet est plus aisé à découvrir que l'autre; & un objet simple s'apperçoit plus aisément qu'un objet composé.

Lorsque deux tableaux représentent parfaitement le même objet; si l'objet de ces deux tableaux n'est qu'un seul personnage, je verrai plus aisément que les deux tableaux représentent le même sajet, que si l'objet dans les deux tableaux étoit composé de différens personnages: la facilité ou la difficulté ne tombe donc pas sur l'identité de rapport entre l'un & l'autre, mais sur la multiplicité des objets partiaux, dont est composé chaque objet total. L'objet total ne pouvant s'appercevoir d'une simple vûe, demande en quelque sorte autant d'attentions différentes de l'esprit, qu'il se trouve d'objets partiaux d'un côté: entre chacun desquels il faut voir le rapport avec chacun des objets partiaux qui sont de l'autre côté.

La connoissance démonstrative & de raisonnement consiste dans la ressemblance, ou identité d'idées que l'esprit apperçoit en deux objets, dans l'un desquels se trouve quelque modification d'idées qui ne sont pas dans l'autre: au lieu que s'il ne se trouvoit ni dans l'un ni dans l'autre, nulle modification d'idées, ou nulle idée particuliere différente; alors la connoissance seroit intuitive, & non pas seulement demonstrative ou conjonctive, quoique la démonstrative supposant l'intuitive, doive la renfermer par certain endroit. Lorsque donc dans un des deux objets il se trouve quelque modification d'idées qui ne sont pas dans l'autre, l'esprit a quelquefois besoin, pour appercevoir leur convenance ou leur disconvenance, de l'intervention d'une ou de plusieurs autres idées; & c'est ce que nous appellons raisonner ou démontrer. Ces idées qu'on fait intervenir pour montrer la convenance des deux autres, on les nomme des preuves; & c'est de la facilité, qu'on a à trouver ces idées moyennes qui montrent la convenance ou la disconvenance de deux autres idées, que dépend la sagacité de l'esprit.

Cette espece de connoissance ne frappe pas si vivement ni si fortement les esprits, que la connoissance intuitive. Elle ne s'acquiert que par ceux qui s'appliquent fortement & sans relâche, qui envisagent leur objet par toutes ses faces, & qui s'engagent dans une certaine progression d'idées, dont tout le monde n'est pas capable de suivre le fil aussi long - tems qu'il est nécessaire pour découvrir la vérité.

Une autre différence qu'il y a entre la connoissance intuitive & la connoissance démonstrative, c'est qu'encore qu'il ne reste aucun doute dans cette derniere, lorsque par l'intervention des idées moyennes on apperçoit une fois la convenance ou la disconvenance des idées qu'on considere, il y en avoit avant la démonstration; ce qui dans la connoissance intuitive ne peut arriver à un esprit attentif. Il est vrai que la perception qui est produite par voie de démonstration, est aussi fort claire: mais cette évidence est bien différente de cette lumiere éclatante qui sort de la connoissance intuitive. Cette premiere perception, qui est produite par voie de démonstration, peut être comparée à l'image d'un visage réflechi par plusieurs miroirs de l'un à l'autre. Aussi long - tems qu'elle conserve de la ressemblance avec l'objet, elle produit de la connoissance, mais toûjours en perdant, à chaque réflexion successiye, quelque partie de cette parfaite clarté qui est dans la premiere image, jusqu'à ce qu'enfin après avoir été éloignée plusieurs fois elle devient fort confuse, & n'est plus d'abord si reconnoissable, & sur - tout à des yeux foibles. Il en est de même à l'égard de la connoissance qui est produite par une longue suite de preuves. Quand les conséquences sont si fort éloignées du principe dont on les tire, il faut avoir une certaine étendue de génie pour trouver le noeud des objets qui paroissent desunis; pour saisir d'un coup d'oeil tous les rameaux des choses; pour les réunir à leur source & dans un centre commun, & pour les mettre sous un même point de vûe. Or cette disposition est extrèmement rare, & par conséquent aussi le nombre de ceux qui peuvent saisir des démonstrations compliquées, & remonter des conséquences jusqu'aux principes.

Mais pourquoi certaines conséquences sont - elles plus éloignées que d'autres du principe dont on les tire toutes?

Voici sur cela les raisonnemens du pere Bussier. Il suppose d'abord que le principe est une connoissance dont on tire une autre connoissance, qu'on appelle conséquence. Une premiere connoissance, dit - il, sert de principe à une seconde connoissance qui en est la conséquence, quand l'idée de la premiere contient l'idée de la seconde; ensorte qu'il se trouve entre l'une & l'autre une idée commune, ou semblable, ou la même idée. Cependant la premiere connoissance renferme outre cette idée commune, d'autres idées particulieres ou circonstances & modifications d'idées, lesquelles ne se trouvent pas dans la seconde connoissance: or plus la premiere, qui sert de principe, renferme de ces idées particulieres différentes de l'idée qui est commune au principe & à la conséquence, plus aussi la conséquence est éloignée: moins elle est chargée de ces idées particulieres, & moins la conséquence est éloignée.

Ce qui unit donc la conséquence au principe, c'est une idée commune à l'un & à l'autre: mais cette idée commune est enveloppée, dans le principe, de modifications, parmi lesquelles il est plus difficile dans les conséquences éloignées, de reconnoître & de démêler cette idée commune; au lieu que dans les conséquences prochaines, l'idée commune n'est accompagnée dans le principe, que d'un petit nombre de modifications particulieres qui la laissent plus aisément discerner. Une épingle ne se trouve pas aussi facilement dans un tas de foin, que dans une boîte où il n'y aura que cette épingle avec une aiguille:

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