ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"695"> nua par la perte d'un grand nombre de sujets, & par le partage qui s'en fit dans tous les pays où l'on vouloit s'enrichir: jamais plus grand sacrifice ne sut offert à la Religion.

Depuis, chaque état de l'Europe a eu des intérêts de Commerce, & a cherché à les aggrandir respectivement à ses forces ou à celles de ses voisins, tandis que la France, l'Angleterre & la Hollande, se disputent le Commerce général.

La France à qui la Nature a donné un superflu considérable, semble s'occuper plus particulierement du commerce de luxe.

L'Angleterre, quoique très - riche, craint toûjours la pauvreté, ou feint de la craindre; elle ne néglige aucune espece de profit, aucuns moyens de fournir aux besoins des autres nations; elle voudroit seule y pourvoir, tandis qu'elle diminue sans cesse les siens.

La Hollande supplée par la vente exclusive des épiceries à la médiocrite de ses autres productions naturelles; son objet est d'enlever avec oeconomie celles de tous les, peuples pour les répandre avec profit. Elle est plus jalouse qu'aucun autre état de la concurrence des étrangers, parce que son commerce ne subsiste que par la destruction de celui des autres nations.

L'histoire du Commerce nous présente trois reflexions importantes.

1°. On y a vû des peuples suppléer par l'industrie au défaut des productions de la terre, & posséder plus de richesses de convention, que ceux qui étoient propriétaires des richesses naturelles. Mais cette industrie consistoit toûjours à distribuer dans chaque pays les richesses naturelles dont il étoit dépourvû; & réciproquement sans industrie aucun peuple n'a possédé abondamment l'or & l'argent qui sont les richesses de convention.

2°. Un peuple perd insensiblement son commerce, s'il ne fait pas tout celui qu'il pourroit entreprendre. En effet toute branche de Commerce suppose un besoin, soit réel, soit d'opinion; son profit dor ne les moyens d'une autre entreprise; & rien n'est si dangereux que de forcer d'autres peuples à se procurer eux - mêmes leurs besoins, ou à y suppléer. L'on a toûjours vû les prodiges de l'industrie éclorre du sein de la nécessité; les grands efforts qu'elle occasionne sont semblables au cours d'un torrent impétueux, dont les eaux luttent avec violence contre les digues qui les resserrent, les renversent à la fin, & se répandent dans les plaines.

3°. Une grande population est inseparable d'un grand commerce, dont le passage est toûjours marqué par l'opulence. Il est constant que les commodités de la vie sont pour les hommes l'attrait le plus puissant. Si l'on suppose un peuple commerçant environné de peuples qui ne le sont pas, le premier aura bien - tôt tous les étrangers auxquels son commerce pourra donner un travail & un salaire.

Ces trois réflexions nous indiquent les principes du Commerce dans un corps politique en particulier. L'Agriculture & l'industrie en sont l'essence; leur union est telle, que si l'une l'emporte sur l'autre, elle vient à se détruire elle - même. Sans l'industrie, les fruits de la terre n'auront point de valeur; si l'Agriculture est négligée, les sources du Commerce sont taries.

L'objet du Commerce dans un état est d'entretenir dans l'aisance par le travail le plus grand nombre d'hommes qu'il est possible. L'Agriculture & l'industrie sont les seuls moyens de subsister: si l'une & l'autre sont avantageuses à celui qu'elles occupent, on ne manquera jamais d'hommes.

L'effet du Commerce est de revêtir un corps politique de toute la force qu'il est capable de recevoir. Cette force consiste dans la population que lui attirent ses richesses politiques, c'est - à - dire réelles & relatives tout à la sois.

La richesse réelle d'un état est le plus grand degré d'indépendance où il est des autres états pour ses besoins, & le plus grand superflu qu'il a à exporter. Sa richesse relative dépend de la quantité des richesses de convention que lui attire son commerce, comparée avec la quantité des mêmes richesses que le Commerce attire dans les états voisins. C'est la combinaison de ces richesses réelles & relatives qui constitue l'art & la science de l'administration du Commerce politique.

Toute opération dans le Commerce d'un état contraire à ces principes, est une opération destructive du Commerce même.

Ainsi il y a un commerce utile & un qui ne l'est pas: pour s'en convaincre, il faut distinguer le gain du marchand du gain de l'état. Si le marchand introduit dans son pays des marchandises étrangeres qui nuisent à la consommation des manufactures nationales, il est constant que ce marchand gagnera sur la vente de ces marchandises: mais l'état perdra, 1° la valeur de ce qu'elles ont coûté chez l'étranger; 2° les salaires que l'emploi des marchandises nationales auroit procurés à divers ouvriers; 3° la valeur que la matiere premiere auroit produit aux terres du pays ou des colonies; 4° le bénéfice de la circulation de toutes ces valeurs, c'est - à - dire l'aisance qu'elle eût répandue par les consommations sur diversautres sujets; 5° les ressources que le prince est en droit d'attendre de l'aisance de ses sujets.

Si les matieres premieres sont du crû des colonies, l'état perdra en outre le bénéfice de la navigation. Si ce sont des matieres étrangeres, cette derniere perte subsiste également; & au lieu de la perte du produit des terres, ce sera celle de l'échange des marchandises nationales que l'on auroit fournies en retour de ces matieres premieres. Le gain de l'état est donc précisément tout ce que nous venons de dire qu'il perdroit dans l'hypothese proposée; le gain du marchand est seulement l'excédent du prix de la vente sur le prix d'achat.

Réciproquement le marchand peut perdre, lorsque l'état gagne. Si un négociant envoie imprudemment des manufactures de son pays dans un autre où elles ne sont pas de défaite, il pourra perdre sur la vente; mais l'état gagnera toûjours le montant qui en sera payé par l'etranger, ce qui aura été payé aux terres pour le prix de la matiere premiere, les salaires de; ouvriers employés à la manufacturer; le prix de la navigation, si c'est par mer que l'exporiation s'est faite, le bénéfice de la circulation, & le tribut que l'aisance publique doit à la patrie.

Le gain que le marchand fait sur l'état des autres sujets, est donc absolument indifférent à l'état qui n'y gagne rien; mais ce gain ne lui est pas indifférent, lorsqu'il grossit la dette des étrangers, & qu'il sert d'encouragement à d'autres entreprises lucratives à la société.

Avant d'examiner comment les législateurs parviennent à remplir l'objet & l'effet du Commerce, j'exposerai neuf principes que les Anglois, c'est - à - dire le peuple le plus savant dans le Commerce, proposent dans leurs livres pour juger de l'utilité ou du desavantage des opérations de Commerce.

1. L'exportation du superflu est le gain le plus clair que puisse faire une nation.

2. La maniere la plus avantageuse d'exporter les productions superflues de la terre, c'est de les mettre en oeuvre auparavant ou de les manufacturer.

3. L'importation des matieres étrangeres pour être employées dans des manufactures, au lieu de les tirer toutes mises en oeuvre, épargne beaucoup d'argent. [p. 696]

4. L'échange de marchandises contre marchandises est avantageux en général, hors les cas où il est contraire à ces principes mêmes.

5. L'importation des marchandises qui empêchent la consommation de celles du pays, ou qui nuisent au progrès de ses manufactures & de sa culture, entraîne nécessairement la ruine d'une nation.

6. L'importation des marchandises étrangeres de pur luxe est une véritable perte pour l'état.

7. L'importation des choses de nécessité absolue ne peut être estimée un mal; mais une nation n'en est pas moins appauvrie.

8. L'importation des marchandises étrangeres pour les réexporter ensuite, procure un bénéfice réel.

9. C'est un commerce avantageux que de donner ses vaisseaux à fret aux autres nations.

C'est sur ce plan que doit être guidée l'opération générale du Commerce.

Nous avons défini cette operation, la circulation intérieure des denrées d'un pays ou de ses colonies, l'exportation de leur superflu, & l'importation des denrées étrangeres, soit pour les consommer, soit pour les réexporter.

Cette définition partage naturellement le Commerce en deux parties, le commerce intérieur & l'extérieur. Leurs principes sont différens, & ne peuvent être confondus sans un grand desordre.

Le commerce intérieur est celui que les membres d'une société font entr'eux. Il tient le premier rang dans le commerce général, comme l'on prise le nécessaire avant le superflu, qui n'en est pas moins recherché.

Cette circulation intérieure est la consommation que les citoyens font des productions de leurs terres & de leur industrie, dont elle est le premier soûtien. Nous avons déjà observé que la richesse réelle d'une nation est à son plus haut degré, lorsqu'elle n'a recours à aucune autre pour ses besoins. Les regles établies en conséquence dans les divers états varient suivant l'abondance des richesses naturelles; & l'habileté de plusieurs a suppléé par l'industrie aux refus de la nature.

La valeur du commerce intérieur est précisément la somme des dépenses particulieres de chaque citoyen pour se nourrir, se loger, se vêtir, se procurer des commodités, & entretenir son luxe. Mais il faut déduire de cette valeur tout ce qui est consommé de denrées étrangeres, qui sont une perte réelle pour la nation, si le commerce extérieur ne la répare.

La population est l'ame de cette circulation intérieure; sa perfection consiste dans l'abondance des denrées du crû du pays en proportion de leur nécessité; sa conservation dépend du profit que ces denrées donnent à leur propriétaire, & de l'encouragement que l'état leur donne.

Tant que les terres reçoivent la plus grande & la meilleure culture possible, l'usage des denrées de commodité & de luxe ne sauroit être trop grand, pourvû qu'elles soient du crû du pays ou de ses colonies.

Leur valeur augmente la somme des dépenses particulieres, & se répartit entre les divers citoyens qu'elles occupent.

Il est bon qu'un peuple ne manque d'aucun des agrémens de la vie, parce qu'il en est plus heureux. Il cesseroit de l'être, si ces agrémens & ces commodités épuisoient sa richesse; il en seroit même bientôt privé, parce que les besoins réels sont des créanciers barbares & impatiens: mais lorsque les commodités & le luxe sont une production du pays, leur agrément est accompagné de plusieurs avantages; leur appas attire les étrangers, les séduit, & procure à l'état qui les possede la matiere d'une nouvelle exportation.

Qu'il me soit permis d'étendre ce principe aux Sciences, aux productions de l'esprit, aux Arts libéraux: ce n'est point les avilir que de les envisager sous une nouvelle face d'utilité. Les hommes ont besoin d'instruction & d'amusement: toute nation obligée d'avoir recours à une autre pour se les procurer, est appauvrie de cette dépense qui tourne toute entiere au profit de la nation qui les procure.

L'art le plus frivole aux yeux de la raison, & la denrée la plus commune, sont des objets très - essen tiels dans le Commerce politique. Philippe II. possesseur des mines de Potozi, rendit deux ordonnances pendant son regne, uniquement pour défendre l'entrée des poupées, des verroteries, des peignes, & des épingles, nommément de France.

Que les modes & leur caprice soient, si l'on veut, le fruit de l'inconstance & de la legereté d'un peuple; il n'en est pas moins sûr qu'il ne pourroit se conduire plus sagement pour l'intérêt de son commerce & de la circulation. La folie est toute entiere du côté des citoyens qui s'y assujettissent, lorsque la fortune le leur défend; le vrai ridicule est de se plaindre des modes ou du faste, & non pas de s'en priver.

L'abus du luxe n'est pas impossible cependant, à beaucoup près, & son excès seroit l'abandon des terres & des Arts de premiere nécessité, pour s'occuper des cultures & des arts moins utiles.

Le législateur est toûjours en état de réprimer cet excès en corrigeant son principe; il saura toûjours maintenir l'équilibre entre les diverses occupations de son peuple, soulager par des franchises & par des priviléges la partie qui souffre, & rejetter les impôts sur la consommation intérieure des denrées de luxe.

Cette partie du commerce est soûmise aux lois particulieres du corps politique; il peut à son gré permettre, restraindre, ou abolir l'usage des denrées, soit nationales, soit étrangeres, lorsqu'il le juge convenable à ses intérêts. C'est pour cette raison que ses colonies sont toûjours dans un état de prohibition.

Enfin il faut se souvenir continuellement, que le commerce intérieur s'applique particulierement à entretenir la richesse réelle d'un état.

Le commerce extérieur est celui qu'une société politique fait avec les autres: il concourt au même but que le commerce intérieur, mais il s'applique plus particulierement à procurer les richesses relatives. En effet, si nous supposons un peuple commerçant très riche réellement en denrées dont les autres peuples ne veuillent faire que très - peu d'usage, le commerce intérieur entretiendra soigneusement cette culture ou cette industrie par la consommation du peuple; mais le commerce extérieur ne s'attachera qu'à la favoriser, sans lui sacrifier les occasions d'augmenter les richesses relatives de l'état. Cette partie extérieure du commerce est si étroitement liée avec les intérêts politiques, qu'elle contracte de leur nature.

Les princes sont toûjours dans un état forcé respectivement aux autres princes: & ceux qui veulent procurer à leurs sujéts une grande exportation de leurs denrées, sont obligés de se regler sur les circonstances, sur les principes, & les intérêts des autres peuples commerçans, enfin sur le goût & le caprice du consommateur.

L'opération du commerce extérieur consiste à fournir aux besoins des autres peuples, & à en tirer dequoi satisfaire aux siens. Sa perfection consiste à fournir le plus qu'il est possible, & de la maniere la plus avantageuse. Sa conservation dépend de la maniere dont il est conduit.

Les productions de la terre & de l'industrie sont la base de tout commerce, comme nous l'avons observé plusieurs fois. Les pays fertiles ont nécessaire<pb->

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