ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

"432"> du moins par leur briéveté, & quelques unes même parce qu'elles ne sont pas chimiques, ou qu'elles sont en très - grande partie une suite d'erreurs chimiques, & que le fond même de ces ouvrages est un recueil de procédés sans suite & sans liaison. Ces traités de Chimie pharmaceutique peuvent cependant diriger utilement les commençans dans le manuel des opérations, dont ils contiennent les principaux exemples, toûjours plus utiles dans l'institution à la pratique des arts que les regles générales, ou du moins qui les doivent précéder: ils peuvent encore grossir la récolte de faits, à laquelle le Chimiste formé est si attaché, & dont il fait tant de cas; car on trouve des procédés particuliers, des observations importantes, des découvertes de détail dans quelques - uns de ces auteurs, parmi lesquels nos François, Beguin, Lefevre, Charas, & Lemery le pere, tiennent un rang distingué, & particulierement Lefevre, grand réformateur en Pharmacie. Voy. Pharmacie.

Pour revenir aux tems qui suivirent immédiatement Paracelse, trois Chimistes célebres qui ne doivent rien à Paracelse, savoir, George Agricola, Lazare Ercker, & Modestin Fachs, illustrent une branche de la Chimie des plus étendues & des plus utiles, je veux dire la Métallurgie: le premier peu d'années après la mort de Paracelse; Ercker & Fachs lui ont succédé d'assez près. Voyez Métallurgie & Docimasie.

Il exista dans le même tems que ces célebres Métallurgistes un homme véritablement singulier: Bernard Palissy, Xaintogeois, qui a pris à la tête de ses ouvrages imprimés à Paris, 1580, le titre d'inventeur des rustiques figulines du Roi & de la Reine sa mere. Cet homme qui n'étoit qu'un simple ouvrier, sans lettres, montre dans ses différens ouvrages un génie observateur, accompagné de tant de sagacité & d'une méditation si féconde sur ses observations, une dialectique si peu commune, une imagination si heureuse, un sens si droit, des vûes si lumineuses, que les gens les plus formés par l'étude peuvent lui envier le degré même de lumiere auquel il est parvenu sans ce secours; & cotte tournure d'esprit qui l'a fait réfléchir avec succès, non - seulement sur les arts utiles & agréables, tels que l'Agriculture, le Jardinage, la conduite des eaux, la poterie, les émaux, mais même sur la Chimie, l'Histoire naturelle, la Physique. La forme même des ouvrages de Palissy annonce un génie original. Ce sont des dialogues entre Théorique & Pratique; & c'est toûjours Pratique qui instruit Théorique, écoliere fort ignorante, fort indocile, & fort abondante en son sens. Je le crois le premier qui ait fait des leçons publiques d'histoire naturelle (en 1575 à Paris); leçons qui n'étoient pas bornées à montrer des morceaux curieux dont il avoit une riche collection, mais à proposer sur la formation de tous ces morceaux des conjectures très - raisonnables, & dont la plûpart ont été vérifiées par des observations postérieures. Les auditeurs de Palissy étoient des plus doctes & des plus curieux, qu'il avoit assemblés, dit - il, pour voir si par leur moyen il pourroit tirer quelque contradiction qui eût plus d'assûrance de vérité que non pas les preuves qu'il mettoit en avant; sachant bien que s'il mentoit, il y en avoit de Grecs & de Latins qui lui résisteroient en face, &c. tant à cause de l'écu qu'il avoit pris de chacun, que pour le tems qu'il les eût amusé, &c. Je n'hésite point à mettre cet homme au nombre des Chimistes, non - seulement à cause des faits intéressans qui sont répandus dans ses traités pratiques sur les terres, sur leurs usages dans la construction des vaisseaux, sur la préparation du sel commun dans les marais salans, sur les glaces, sur les émaux, & sur le feu; mais encore pour ses raisonnemens sur l'Alchimie, les métaux, leur génération, leur com<cb-> position, la nature de leurs principes, & sur les propriétés chimiques de plusieurs autres corps, de l'eau, des sels, &c. toutes matieres sur lesquelles il a eu des idées très - saines.

La fin du même siecle vit paroître les ouvrages d'André Libavius, collecteur laborieux & intelligent, & défenseur zélé de l'Alchimie contre les clameurs des zoiles anti - Chimistes de son tems (Libavius s'est battu contre quiconque à témoigné de l'incrédulité en fait de Chimie). C'est à ce savant que nous devons, outre beaucoup de connoissances particulieres sur les minéraux (Voyez Minéraux & Métallurgie), le premier corps d'ouvrage de Chimie que nous ayons; ouvrage d'autant plus précieux, que les matériaux dont il l'a formé étoient épars & noyés dans un fatras si rebutant en soi, & si révoltant, sur - tout pour le goût philosophique d'aujourd'hui, que notre siecle lui a particulierement une obligation infinie, lui qui accueille si favorablement des compilations de compilateurs. Le traité de Libavius intitulé Alchimia (titre qui lui a nui sans deute), & le commentaire sur ce traité qui le suit immédiatement, contiennent une Chimie vraiment fondamentale, divisée d'une façon très - naturelle, & distribuée en ses différentes branches dans un ordre très - systématique; un tableau très - bien ordonné, des vûes, des opératious, & des produits ou especes chimiques; un dénombrement complet des instrumens nécessaires & même curieux; & un vrai système de connoissances liées, discutées avec assez de dialectique, & proposées même d'un ton assez philosophique pour les tems où Libavius écrivoit. Enfin quoique Libavius ait adopté expressément cette vûe chimérique, ou pour le moins très - mal entendue, d'exalter, de purifier, de perfectionner tous les sujets des opérations chimiques, que les Chimistes se proposoient toûjours; quoiqu'il admette plusieurs êtres imaginaires; qu'on puisse lui reprocher quelqu'obscurité & quelque licence d'expliquer; on ne lui a pas moins d'obligation d'avoir présenté la Chimie sous son aspect le plus général; de l'avoir donnée pour une science physique fondamentale; d'avoir rectifié la doctrine des trois principes; d'avoir même reconnu & rejetté toutes ces erreurs, ces taches de la doctrine chimique que Boyle attaqua d'un ton si victorieux soixante ans après, comme on peut le voir principalement dans le traité deLibavius intitulé commentarium Alchimioe, & dans la défense de l'Alchimie contre la censure de la faculté de Medecine de Paris qui sert de prooemium à ce commentaire. On peut voir dans les ouvrages de Libavius que nous avons cités, que dès ce tems les Chimistes avoient sur la composition des corps des idées plus saines que la Physique n'en a jamais eu; que les vaines subtilités scholastiques, l'abus de la doctrine d'Aristote, ou n'a pas pénétré chez elle, ou en a été plûtôt chassé; que le goût des expériences dirigées à la découverte des vérités générales a existé en Chimie avant qu'il se soit établi en Physique; en un mot que sur les objets communs à la Physique & à la Chimie, & en général sur la bonne maniere de philosopher, la Chimie est d'un demisiecle au moins plus vieille que la Physique.

Trente - six ans après la mort de Paracelse, en 1577, naquit à Bruxelles, de parens nobles, le célebre Jean - Baptiste Vanhelmont, qui tient un rang si distingué parmi les Chimistes. Cet auteur a beaucoup de conformité avec Paracelse; comme ce dernier il évalua les vertus des médicamens par certaines facultés occultes, magnétiques, séminales, spirituelles, sympathiques, &c. Il célébra une medecine universelle, & les remedes chimiques qu'il regardoit comme souverainement efficaces: comme lui il se fit un jargon particulier; comme lui sur - tout il ambitionna le titre de réformateur. Vanhelmont fut [p. 433] ennemi déclaré du Galénisme, de l'Aristotélisme, des écoles & de la doctrine physique & medicinale de Paracelse lui - même, duquel il différa essentiellement par une science profonde & réelle, par une imagination brillante & féconde, par un goût décidé pour le grand, & en beaucoup de points même pour le vrai; en un mot par tous les caracteres du vrai génie, qui ne l'empêche pourtant point de débiter sérieusement, ce semble, mille absurdités, qui doivent nous faire admirer comment les extrèmes qui paroissent les plus éloignés peuvent s'allier dans les mêmes têtes, mais non pas nous faire mépriser collectivement les ouvrages marqués au coin d'un pareil contraste. En effet, rien n'empêche que les inepties les plus risibles ne se trouvent à côté des idées les plus lumineuses; & l'on peut même avancer assez généralement qu'il est plus raisonnable d'espérer du très - bon sur la foi de ces écarts qu'on a tant reprochés à Vanhelmont (quoique ces écarts ne constituent pas le bon en soi), que d'être épouvanté par cette marche, souvent peu philosophique: car un original, comme Vanhelmont en a le vrai caractere, n'a pas les beautés toisées d'un compilateur, cette uniformité, signe presque univoque de la médiocrité. Il est vrai que par - là même il doit n'avoir que peu de partisans; la vûe tendre de ces demi - philosophes qui ont besoin d'un milieu qui brise l'activité des rayons primitifs, ne sauroit s'accommoderdes éclairs de Vanhelmont: mais aussi n'est - ce pas à de pareils juges qu'il faut s'en rapporter. On a cru devoir cette espece d'apologie à un homme qui a été déprimé, & condamné avec tout l'air avantageux que s'arrogent les petits juges des talens supérieurs, & tout récemment encore dans un discours historique & critique sur la Pharmacie, imprimé à la tête de la nouvelle édition Angloise de la Pharmacopée de Londres.

Mais quoi qu'il en soit de l'idée qu'on doit avoir de la personne de Vanhelmont & du criterium sur lequel il mesuroit le degré d'évidence de ses connoissances, il n'en est pas moins vrai qu'il s'est élevé avec une force surprenante contre une foule d'erreurs & de préjugés qui défiguroient la théorie & la pratique de la Medecine; qu'il a au moins ouvert une carriere nouvelle aux plus grands génies qui ont expliqué l'oeconomie animale après lui, aux Stahl, aux Baglivi; qu'il a jetté les fondemens de cette doctrine qui est sur le point de prévaloir aujourd'hui, & qui ne reconnoît pour agens matériels dans l'oeconomie animale, que des organes essentiellement mobiles & sensibles, au lieu de pures machines mûes par un principe étranger, des humeurs ou des esprits. Voyez Medecine. La Physique lui doit la proscription, ou du moins des cris contre le Péripatétisme, dont il a senti tout le vuide; & le renouvellement d'une hypothese plus ancienne & plus plausible, celle de Thalès de Milet sur l'eau donnée pour élément ou premier principe de tous les corps; sur - tout la méthode, nouvelle alors (du moins quant à l'exécution, car le chancelier Bacon l'avoit célébrée & conseillée) d'établir les opinions physiques sur des expériences; & enfin ces expériences elles - mêmes, qui quoiqu'inutiles au but pour lequel elles étoient faites, qui quoiqu'ayant fourni de fausses conséquences à Vanhelmont & à Boyle, qui a été son disciple en cette partie, ne nous en ont pas moins appris de vérités très - intéressantes sur la végétation. Voyez Végétation.

On n'a qu'à lire le traité de Vanhelmont sur les eaux de Spa, & sur - tout son ouvrage de lithiasi, traités qu'il a donnés lui - même, pour appercevoir combien il étoit riche en connoissances chimiques, & combien il méritoit le titre qu'il se donnoit de philosophe par le feu. On trouve dans ces ouvrages (avec quelques erreurs il est vrai) des con<cb-> noissances trés - positives & très - lumineuses sur la théorie de la coagulation & de la dissolution, qui sont, lorsqu'on les considere en général, les deux grands pivots sur lesquels roulent tous les changemens chimiques tant naturels qu'artificiels; beaucoup de connoissances de détail sur les phénomenes chimiques les plus intéressans, & sur les principaux effets de quelques opérations, de la rectification sur les huiles animales, par exemple, &c. plusieurs faits importans; une analyse de l'urine aussi complete & aussi exacte que celle qu'on pourroit faire aujourd'hui, & qui a mené l'auteur aussi loin que nous sommes; sans compter ses prétentions sur les vertus de son dissolvant universel, qui, s'il existoit réellement, fourniroit le moyen le plus efficace pour parvenir à la connoissance la plus intime de la nature des corps composés.

Cet homme véritablement singulier mourut à la fin de l'an 1644.

Jean Rodolphe Glauber, Allemand, fixé en Hollande, étoit né vers le commencement du dernier siecle: c'est un des plus infatigables & des plus expérimentés artistes qu'ait eu la Chimie; aussi l'a - t - il enrichie d'un grand nombre de découvertes utiles & d'un amas de faits & d'expériences, que Stahl, qui juge d'ailleurs Glauber très - séverement, appelle très - beau; & qui est non - seulement précieux par l'usage immédiat qu'on en peut faire pour la Pharmacie, la Métallurgie, & les autres arts chimiques, mais même par les matériaux qu'il fournit à l'établissement de la bonne théorie chimique. C'est à ce chimiste que nous devons la premiere idée de mettre à profit mille matieres viles & inutiles, & employées moins utilement, telles que le bois mort des grandes forêts, en en retirant du salpetre par des moyens faciles & peu dispendieux, ou de faire des mines de salpetre; la méthode de concentrer les vins ou plûtôt le moût & les décoctions des semences farineuses, pour les faire fermenter en tems & lieu; le soufre artificiel; l'invention de deux sels qui portent son nom, savoir le sel secret ammoniac & le sel admirable; la méthode de distilier le nitre & le sel marin par l'intermede de l'acide vitriolique; la rectification des huiles par les acides minéraux (c'est celui du sel marin qu'il employoit); beaucoup de choses importantes sur la correction des vins, & sur tous les travaux de la Zimothecnie, & mille observations, réflexions, & méthodes utiles pour la préparation de plusieurs remedes. Voyez Pharmacie. C'est Glauber qui a le premier démontré le nitre tout formé dans les plantes, qu'il a regardé comme la principale source de tout celui que nous connoissons, & notamment de celui que nous retirons des animaux; opinion que je regarde comme démontrable, quoique l'auteur de la dissertation sur le nitre, qui a remporté le prix à l'académie de Berlin en 1747, n'ait pas même daigné la discuter.

Glauber est surtout admirable dans l'industrie avec laquelle il a réussi à abréger plusieurs opérations, & en diminuer les frais; vûe très - naturelle à un travailleur. Son traité des fourneaux philosophiques, est plein de ces inventions utiles: la distillation immédiate sur les charbons, l'usage des vaisseaux distillatoires tubulés, celui des récipiens ouverts par leur partie inférieure, le fourneau de fusion sans soufflets, la façon de chauffer un liquide contenu dans des vaisseaux de bois par le moyen d'une boule ou poire de cuivre creuse adaptée à la partie inférieure & latérale de ces vaisseaux, sont des inventions de ce genre; en un mot cet auteur me paroît être de tous les Chimistes celui où l'on trouve plus de faits & de procédés neufs qui sont souvent utiles en soi & absolument, & qui au moins conduisent à des recherches importantes, & par conséquent un de ceux

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.