ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"70"> qu'il n'y ait à la peau qu'on enchaussene pas un endroit où le cuiret n'ait passé & n'ait laissé de la chaux. Cette précauion est de conséquence. A mesure qu'on met les peaux en chaux, on les met en pile. Il n'y a plus de danger à les mettre en pile, car les peaux ne s'échauffent plus quand elles sont enchausnées ou enchaussenées; mais tout ce qui n'a pas été enchaussené se pourrit.

Pour mettre en pile, voici comment on s'y prend. Quand une peau est enchaussenés, on la plie en deux selon sa longueur, c'est - à - dire que les deux parties de la tête sont appliquées l'une sur l'autre, & les deux parties de derriere pareillement l'une sur l'autre, chair contre chair. On met à terre cette peau ainsi pliée; on en enchaussene une seconde qu'on plie comme la premiete, & qu'on pose sur elle, & ainsi de suite. Une centaine de peaux fournit trois à quatre tas ou piles, selon qu'elles sont plus ou moins fortes de laine. Le ployement des peaux se fait par deux ouvriers. On laisse les peaux en pile ou tas à terre, passer enchaussenées, une huitaine entiere, ou même une dixaine de jours, si elles ont été travaillées seches; il ne faut que deux jours, si elles étoient fraîches.

Au bout de ce tems on les déchaussene; pour cet effet, on les enleve du tas une à une, on les ouvre, on les plie en sens contraire à celui selon lequel elles étoient pliées, c'est - à - dire par le milieu, mais toûjours laine contre laine, de maniere que la laine de la tête soit contre la laine de la queue; on a de l'eau nouvelle toute prête; on passe chaque peau pliée comme nous venons de dire, dans cette eau, & on l'y agite jusqu'à ce que la chaux qui n'est pas encore séchée sur elle, en soit entierement détachée.

Quand la chaux a été emportée par l'eau, on plie la peau selon sa longueur, c'est - à - dire de maniere que le pli traverse la tête & la queue, & que la chair soit contre la chair, & on la met sur un treteau pour égoutter. On continue de déchaussener, de plier & de mettre en pile sur le treteau. On ne peut guere déchaussener plus d'un cent dans la même eau; au reste ceci dépend beaucoup de la grandeur des timbres. On prend ordinairement de l'eau nouvelle à chaque cent; d'ou l'on voit combien il est avantageux à un Chamoiseur detravailler - sur une riviere où l'eau change sans cesse.

Quand les peaux sont toutes déchaussenées, on les laisse égoutter sur les treteaux le tems à - peu près qu'il faut pour tirer de l'eau nouvelle; ce tems suffit pour que l'eau qui s'égoutte entraîne avec elle le gros de ce qui reste de chaux. Après cela, on les prend sur les treteaux, on les laisse pliées, & on les met ainsi une à une dans l'eau nouvelle, & on les lave précisément comme le linge, en frottant une partie de la peau contre une autre. Le but de ce lavage est d'ôter de dessus la laine la portion d'eau de chaux dont elle pourroit être chargée.

Quand une peau a été ainsi lavée, on la met étendue sur les treteaux, & ainsi de suite; on y en forme un tas qu'on laisse égoutter jusqu'au lendemain:le lendemain, s'il fait beau, on prend les peaux dessus les treteaux, & on les expose au soleil à terre, sur des murs, la laine tournée du côté du soleil; cette manoeuvre n'est pas indifférente, la laine en devient beaucoup plus douce & plus marchande. On ne laisse les peaux exposées au soleil qu'environ une heure, quand il fait chaud.

C'est alors le tems de dépeler: on entend par dépeler, enlever la laine. Pour cet effet on prend une peau, on la place sur le chevalet sur lequel on l'a retalée; & avec le même fer on en fait retomber toute la laine, qui se détache si facilement qu'un ouvrier peut dépeler vingt douzaines en un jour, & qu'on ne passe le ser qu'une fois pour dépeler.

Quand la laine est abattue, on l'étend sur le gre nier pour la faire sécher. Cette laine est appellée laine de plie. Elle reste plus ou moins sur le grenier, selon la saison: il ne faut que huit jours en été; en hyver il faut quelquefois quinze jours, ou même un mois. L'hyver est cependant la saison où l'on tue le plus de moutons, & où le Chamoiseur dépele davantage. Quand la laine est seche, elle se vend au Drapier, sans recevoir aucune autre préparation.

Quand les peaux ont été dépelées, elles prennent le nom de cuirees, & on les jette en plains. Les plains sont des fosses rondes ou quarrées dont le côté a cinq piés (Voyez de ces fosses en A B D, Pl. du Mégissier.): leur profondeur est de quatre piés. On y met environ un muid de chaux, & on les remplit d'eau environ aux deux tiers. On y jette douze douzaines de cuirets les uns après les autres; on les y étend; on les enfonce dans la chaux avec un instrument qu'on voit Pl. du Mégiss. fig. 4. & qu'on appelle un enfonçoir; c'est un quarré de bois emmanché d'un long bâton. Toute cette manoeuvre s'appelle coucher en plain.

On les laisse dans le plain pendant quatre, cinq à six jours, puis on les en tire; ce qui s'appelle lever. Plus on leve souvent, mieux on fait. Pour lever, on prend les tenailles, on saisit les peaux (Voyez ces tenailles, même Pl. fig. 8.); on les tire; on les jette sur des planches mises sur les bords du plain: on les laisse sur ces planches quatre jours, au bout desquels on les recouche: on réitere cette opération pendant le cours de deux mois, ou deux mois & demi; mais on observe au bout de ce tems de les coucher dans un autre plain neuf. Il ne faut pas mettre les peaux dans le plain aussi - tôt qu'il est fait; c'est une regle générale, la chaleur de la chaux les brûleroit: quand on a préparé un plain, il faut donc attendre toûjours, avant que d'y jetter les peaux, au moins deux jours, tems qui lui suffit pour se refroidir.

Après ce travail de deux mois & demi, les peaux tirées des plains pour n'y plus rentrer, sont mises à l'eau, & rincées de chaux. On a de l'eau fraîche, & on les lave dans cette eau. Il y a des ouvriers qui ne rincent point, mais ils n'en font pas mieux. Après que les peaux ont été rincées de chaux, on les effleure. Cette opération de rincer & d'effleurer se fait sur chaque peau l'une après l'autre: on tire une peau du plain, on la rince, & on l'effleure, puis on passe à une autre.

Effleurer, c'est passer le fer sur le côté où étoit la laine: cette opération s'exécute sur le chevalet avec un fer tranchant, & qu'on appelle fer à effleurer: celui dont on s'est servi jusqu'à présent s'appelle fer à tenir. L'effleurage consiste à enlever la premiere pellicule de la peau. Cette pellicule s'enleve plus ou moins facilement: il y a des cuirets qui se prêtent avec tant de peine au couteau, qu'on est obligé de les raser. Effleurer, c'est passer le couteau sur la peau légerement, & menant le tranchant circulairement & parallelement au corps tout le long de la peau; raser au contraire, c'est appuyer le couteau fortement, couché de plat sur la peau, & le conduire dans une direction oblique au corps, comme si l'on se proposoit de couper & d'enlever des pieces de la peau. Les ouvriers, pour désigner la qualité des peaux difficiles à effleurer, & qu'ils sont obligés de raser, disent qu'elles sont creuses. Les moutons creux ont le grain gros, & la surface raboteuse. Il y en a de si creux, qu'on est obligé de les raser tous; tels sont les grands moutons. Un ouvrier ne peut guere effleurer que quatre douzaines par jour; mais s'il étoit obligé de raser toutes les peaux, il n'en finiroit guere que deux douzaines dans sa journée.

Quand les peaux sont effleurées, on les met à l'eau: pour cet effet on a un timbre plein d'eau nouvelle; [p. 71] on les jette dans cette eau; on les en tire pour les travailler sur le chevalet avec le fer à écharner. Cette opération s'appelle écharner: elle se donne du côté de la chair, ou côté opposé à celui de la laine: elle consiste à en détacher des parcelles de chair en assez petite quantité. On écharne jusqu'à dix douzaines par jour.

Après cette façon on leur en donne encore trois autres; deux consécutives du côté de la fleur, & une du côté de la chair; observant avant chacune de les passer dans l'eau nouvelle: toutes se donnent sur le chevalet, & toûjours avec le même dernier fer: elles s'appellent façons de fleur, façons de chair, selon les côtés où elles se donnent.

Voici le moment d'aller au foulon. Si on a la quantité nécessaire de peaux pour cet effet, on y va: cette quantité s'appelle une coupe; la coupe est de vingt douzaines. Ce terme vient de l'espece d'auge du moulin à fouler où l'on met les peaux. Il y a des moulins où il y a jusqu'à quatre coupes: il y a deux maillets dans chaque coupe. Ces maillets sont taillés en dents à la surface qui s'applique sur les peaux: ce sont des pieces de bois très - fortes ou blocs queue; une roue à eau fait tourner un arbre garni de camnes; ces camnes correspondent aux queues des maillets, les accrochent, les élevent, s'en échappent, & les laissent retomber dans la coupe. Voilà toute la construction de ces moulins, qui different très - peu, comme on voit, des moulins à foulon des Drapiers. Voyez l'article Drap.

Pour faire fouler les peaux, on les met dans la coupe en pelote de trois ou quatre: pour faire la pelote, on met les peaux les unes sur les autres, on les roule: on les tient roulées en noüant les pattes & les têtes, & en passant les deux autres extrémités de la peau sous ce noeud: on jette ensuite ce noeud dans les coupes qui contiennent jusqu'à 20 douzaines de peaux. On laisse les pelotes sous l'action des pilons pendant deux heures ou environ; au bout de ce tems on les retire de la coupe: on a des cordes tendues dans un pré à la hauteur de quatre piés; on disperse les peaux sur ces cordes, & on leur donne un petit évent ou vent blanc; c'est - à - dire qu'on les y laisse exposées à l'air un peu de tems, un quart d'heure, un demi - quart - d'heure. Il faut, comme on voit, avoir du beau tems ou des étuves: ces étuves ou chambres chaudes ont au plancher & de tous côtés des clous à crochet, auxquels on suspend les peaux jusqu'au nombre de trente douzaines. Ces chambres sont échaussées par de grands poêles.

Après ce premier petit vent blanc, on leve les peaux de dessus les cordes; tant qu'elles ont de l'eau, on dit qu'elles sont en tripes; & quand elles commencent à s'en dépouiller, on dit qu'elles se mettent en cuir. Quand on les a levées de dessus les cordes, on les porte dessus une table pour leur donner l'huile. On se sert de l'huile de poissou. On ne la fait point chauffer. On a cette huile fluide dans une chaudiere; on trempe sa main dedans; puis la tenant élevée au - dessus de la peau, on en laisse dégoutter l'huile dessus: on la promene ainsi par - tout, afin que la peau soit par - tout arrosée de l'huile degouttante des doigts. Pour mettre bien en huile, il faut environ quatre livres d'huile par chaque douzaine de peau. Il n'y a point d'acception sur le côté de la peau; on l'arrose d'huile par le côté qui se présente.

A mesure qu'on donne l'huile aux peaux, on les remet en pelotes de quatre peaux chacune; & on jette les pelotes dans la coupe du foulon, où elles restent exposées à l'action des maillets pendant environ trois heures; au bout de ce tems on les retire, & on leur donne sur les cordes un second vent un peu plus fort que le premier: il est d'un bon quartd'heute.

Au bout de ce quart - d'heure on leve de dessus les cordes, on remet en pelotes, & on jette les pelotes dans la coupe pour la troisieme fois, où elles restent encore deux heures; puis on les retire, & on leur donne une rosée d'huile sur la même table, & semblable à la premiere qu'elles ont reçûe aprés cette rosée on remet en pelot & on les fait fouler pendant trois heures.

Au bout de ces trois heures on les retire encore de la coupe; on les étend sur des cordes, où on leur donne encore un vent un peu plus fort que le précédent: au sortir de dessus les cordes, & après avoir été remises en pelotes, on les foule encore pendant trois heures ou environ. On continue la foule & les vents alternativement jusqu'à huit vents, observant de donner immédiatement avant le dernier vent la troisieme rosée d'huile. Après le huitieme vent, qui est d'une ou de deux heures, il n'y a plus de foule

Il faut ménager les vents qui précedent le dernier avec beaucoup d'attention: s'ils étoient trop forts ou trop longs, les peaux se vitreroient, ou deviendroient trop dures; qualité qui les rendroit mauvaises. Les endroits foibles sont plus exposés que le reste à se vitrer: mais si l'ouvrier étoit négligent, la peau se vitreroit par - tout.

Au sortir de la foule, & après le dernier vent, on met les peaux en échauffe. Mettre les peaux en échauffe, c'est en former des tas de vingt douzaines, & les laisser s'échauffer dans cet état. Pour hâter & conserver cette chaleur, on enveloppe ces tas de couvertures, de façon qu'on n'apperçoit plus de peaux. C'est alors qu'il faut veiller à son ouvrage; si on le néglige un peu, les peaux se brûleront, & sortiront des tas noires comme charbon. On les laisse plus ou moins en échauffe, selon la qualité de l'huile & la saison. Elles fermentent tantôt très - promptement, tantôt très - lentement. La différence est au point qu'il y en a qui passent le jour en tas sans prendre aucune chaleur; d'autres qui la prennent si vîte, qu'il faut presque les remuer sur le champ. On s'apperçoit à la main que la chaleur est assez grande pour remuer. Remuer les peaux, c'est en refaire de nouveaux tas en d'autres endroits, retournant les peaux par poignées de huit à dix, plus ou moins. Leur chaleur est telle, que c'est tout ce que l'ouvrier peut faire que de la supporter.

On couvre les nouveaux ou le nouveau tas, & on fait jusqu'à sept ou huit remuages. On remue tant qu'il y a lieu de craindre à la force de la chaleur, qu'elle ne soit assez grande pour brûler les peaux. On laisse entre chaque remuage plus ou moins de tems, selon la qualité de l'huile: il y en a qui ne permet de repos qu'un quart - d'heure, d'autre davantage. Après cette manoeuvre, les peaux sont ce qu'on appelle passées: pour les passer, on les a débarrassées de leur eau; il s'agit maintenant pour les finir de les débarrasser de leur huile.

Pour cet effet, on prépare une lessive avec de l'eau & des cendres gravelées: il faut une livre de cendres gravelées par chaque douzaine de peaux. On fait chauffer l'eau au point de pouvoir y tenir la main; trop chaude elle brûleroit les peaux: quand la lessive a la chaleur convenable, on la met dans un cuvier, & on y trempe les peaux; on y jette à la fois tout ce qu'on en a; on les y remue; on les y agite fortement avec les mains; on continue cette manoeuvre le plus long - tems qu'on peut, puis on les tord avec la bille.

La bille est une espece de manivelle, telle qu'on la voit Pl. du Chamoiseur, fig. 5. cette manivelle est de fer: le coude & le bras B C D sont perpendiculaires à la queue A B: A B a environ a piés de longueur; C D un pié & demi; l'ouverture du coude B F, 4 pouces; le tout va un peu en diminuant depuis la

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