ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"72"> tête du bras jusqu'au bout de la queue. Pour tordre, l'ouvrier a une perche fixée horisontalement dans deux murs, ou autrement, comme on voit Plan. du Chamoiseur, fig. 2. on prend cinq à six peaux; on les jette sur cette perche; on les saisit de la main gauche par les bouts qui pendent; on place entre ces bouts la queue A B de la bille: on prend de la main droite le manche D; l'excédent des peaux depuis la perche jusqu'à la main gauche se range le long de la queue, & entre dans le coude B C F: on fait tourner la bille à l'aide de ce manche, le plus fortement qu'on peut; ou bien on se contente, après avoir saisi les bouts des peaux, de passer entre elles & au - dessous de la perche un bâton qu'on tourne, & qui sait la même fonction que la bille.

A mesure qu'on tord, la lessive sort, & emporte la graisse. Le mêlange d'huile & de lessive s'appelle dégras, & l'opération, dégraisser. Quand un premier dégraissage a réussi, il ne faut plus qu'un lavage pour conditionner la peau: ce lavage se fait dans l'eau claire, chaude, & sans cendres. Mais il en faut venir quelquefois jusqu'à trois dégraissages, quand les cendres sont foibles: les ouvriers prétendent qu'il faut alors écarter les femmes de l'attelier, & qu'il y a dans le mois un tems où leur présence fait tourner la lessive. On lave après ces dégraissages: après ce lavage, on tord un peu: cette derniere opération se fait aussi sur la perche, & avec la bille.

Quand les peaux ont été suffisamment torses, on les secoue bien, on les détire, on les manie, on les étend sur des cordes, ou on les suspend à des clous dans les greniers, & on les laisse sécher: il ne faut quelquefois qu'un jour ou deux pour cela.

Quand elles sont seches, on les ouvre sur un instrument appellé palisson: c'est ce que fait l'ouvrier de la Pl. du Chamoiseur, fig. 3. Le palisson simple est un instrument formé de deux planches, dont l'une est perpendiculaire à l'autre: la perpendiculaire porte à son extrémité un fer tranchant, un peu mousse, courbé, dont la corde de la courbure peut avoir six pouces, & la courbure est peu considérable. On passe la peau sur ce fer d'un côté seulement: cette opération n'emporte rien du tout; elle sert seulement à amollir la peau, & à la rendre souple. On passe au palisson jusqu'à quinze douzaines de peaux par jour: l'opération du palisson se fait du còté de la fleur.

Lorsque les peaux ont été passées au palisson, on les pare à la lunette: c'est ce que fait l'ouvrier, Pl. du Chamoiseur, fig. 4. L'instrument qu'on voit, même fig. même Pl. qui consiste en deux montans verticaux, sur lesquels sont assemblées deux pieces de bois horisontales, dont l'inférieure est fixe sur les montans, & la supérieure peut s'écarter de l'inférieure, & entre lesquelles on peut passer la peau & l'y arrêter par le moyen d'une clé ou morceau de bois en talud qui traverse un des montans immédiatement au - dessus de la piece de bois supérieure; cet instrument, dis - je,s'appelle un paroir. Il y a encore un autre paroir qu'on peut voir méme Pl. fig. 7. ce sont pareillement deux montans avec lesquels est emmortoisée une seule piece de bois: il y a perpendiculairement à cette piece de bois, mais parallélement à l'horison, deux especes de pitons fixés à la même hauteur,<-> & à - peu - près à la distance de la largeur de la plus grande peau: ces pitons reçoivent un rouleau de bois dans leurs anneaux: on jette la peau sur ce rouleau, & on l'y fixe par le moyen de trois especes de valets: ces valets sont composés d'une espece de crochets de bois qui peuvent embrasser la peau & le rouleau; on en met un à chaque extrémité de la peau; & un troisieme sur le milieu des poids attachés au bout de ces valets, les empêche de lâcher la peau qu'ils tiennent serrée contre le rouleau de toute la pesanteur du poids. Voyez fig. 7. e g, les montans; M la travese; o, o, les pitons; n, n, le rouleau; P q, P q, P q, les valets; p, p, p, les crochets; q, q, q, les poids; m la peau.

L'operation de parer se fait du côté de la chair. La lunette enleve ce qui peut être resté de chair. La lunette est une espece de couteau rond comme un disque, percé dans le milieu, & tranchant sur toute sa circonférence, tel qu'on le voit Pl. du Mégiss. fig. p. La circonférence de l'ouverture intérieure est bordée de peau: l'ouvrier passe sa main dans cette ouverture pour saisir la lunette & la manier. La lunette a cela de commode, que quand elle cesse de couper du côté où l'on s'en sert, le plus léger mouvement du poignet & des doigts la fait tourner, & la présente à la peau par un endroit qui coupe mieux. Il y a des ouvriers qui parent jusqu'à six douzaines de peaux par jour.

Quand les peaux sont parées, on les vend aux Gantiers & à d'autres ouvriers. Il est bon de savoir que s'il reste de l'eau dans les peaux quand on les met en échauffe, si elles sont mal passées, c'est autant de gâté; elles se brûlent, & deviennent noires & dures. C'est à l'échauffe qu'elles se colorent en chamois. Un ouvrier prudent n'épargnera pas les remuages.

On ne perd pas le dégras; on le met dans une chaudiere; on le fait bouillir; l'eau s'évapore; & il reste une huile épaisse, qu'on vend aux Corroyeurs.

On mettoit jadis de l'ocre au dernier lavage; pour rendre la peau plus jaune: mais il n'y a plus que les paysans qui les veulent de cette couleur; on prétend d'ailleurs qu'elle altere la peau, & la rend moins moëlleuse. Pour employer l'ocre, on le détrempoit dans de l'eau; & au dernier lavage, après le dégraissage, on passoit les peaux dans cette eau.

S'il se trouve quelques chevres & quelques boucs dans un habillage (c'est le nom qu'on donne à la quantité de toutes les peaux qu'on a travaillées, depuis le moment où l'on a commencé jusqu'au sortir du foulon; s'il s'y trouve même des chamois, des biches, & des cerfs, le travail sera tel qu'on l'a décrit: mais quand les peaux de boucs, de chevres, de chamois, de biches, de cerfs, &c. sont revenues du foulon, & qu'elles ont souffert l'échauffe, le travail a quelque différence: on les met tremper dans le dégras jusqu'au lendemain, & ensuite on les ramaille.

Le ramaillage est l'opération la plus difficile du Chamoiseur; elle consiste à remettre les peaux auxquelles cette manoeuvre est destinée, sur le chevalet; à y passer le fer à écharner; à enlever l'arrierefleur; & à faire par ce moyen cotonner la peau du côté de la fleur. Si le fer n'a pas passé & pris partout, il y aura des endroits où l'arriere - fleur sera restée: ces endroits ne seront point cotonnés, & ne prendront point couleur. Ramailler est un travail dur; il faut être bon ouvrier pour ramailler par jour, soit une douzaine & demie de boucs, soit deux douzaines de chevres, ou dix peaux de cerfs.

S'il fait soleil, on expose à l'air les peaux immédiatement après les avoir ramaillées, sinon on les dégraisse tout de suite.

Quand il s'agit de donner les vents, lors de la foule, il faut les donner d'autant plus forts que les peaux sont plus fortes. Selon la force des peaux, il faut même & plus de vents & plus de foule; les cerfs reçoivent alternativement jusqu'à douze vents & douze foules.

Quand on employe en ouvrages les peaux de chevres, de boucs, de cerfs, &c. la fleur est en - dehors [p. 73] & fait l'endroit de l'ouvrage; la chair est à l'envers. C'est le contraire pour les peaux de mouton.

On effleure les peaux, pour que celui qui les employe puisse facilement les mettre en couleur. La peau effleurée prend plus facilement la couleur, que la peau qui ne l'est pas.

Les Chamoiseurs & les Mégissiers doivent prendre garde dans l'emplette des peaux, que celles de mouton ne soient point coutelées, c'est - à - dire, qu'au lieu d'avoir été enlevées de dessus l'animal avec la main, elles n'ayent pas été dépouillées avec le couteau. On ne coutele les peaux qu'à leur détriment, & la durée en est moindre.

Quand l'opération de la foule n'a pas été bien faite, le Chamoiseur est quelquefois obligé de broyer ces peaux à la claie. Voyez l'article Corroyeur.

On paye au foulon quatre francs par coupe de vingt douzaines.

Toutes les opérations du Chamoiseur & du Mégissier se font ordinairement dans des tanneries, où ils ont des eaux de citerne ou de puits, au défaut d'eau de riviere.

Il y a des Chamoiseurs qui ne se donnent pas la peine de préparer les peaux; ils les achetent des Tanneurs en cuirets, & se contentent d'achever le travail: ils sont même presque dans la nécessité de céder ce profit aux Tanneurs, qui exercent ici une espece de petite tyrannie sur le Boucher. Celui - ci craignant de ne pas vendre bien ses peaux de boeufs & de veaux, s'il les séparoit de celles de mouton, est obligé de les vendre toutes ensemble au Tanneur; ce qui gêne & vexe le Chamoiseur, sur - tout en province. Il seroit à souhaiter qu'on remédiât à cet inconvénient. Il ne doit pas être plus permis au Tanneur d'empiéter sur le travail du Chamoiseur & du Mégissier, qu'à ceux - ci d'empiéter sur le sien.

On apprête aussi en huile des peaux de castor; mais cela n'est pas ordinaire. Ce travail est le même que celui des peaux de boucs & de chevres. Lorsque ces dernieres sont teintes en différentes couleurs, on les appelle castors, surtout employées en gants d'hommes & de femmes. Voyez l'article Castor.

On est à présent dans l'usage de passer en huile des peaux de veaux; on en peut aussi réduire le travail à celui des peaux de boucs & de chevres.

On employe les nappes ou peaux de chamois, cerfs, biches, & bufles pour la cavalerie. On y destine même quelquefois des cuirs de boeufs qu'on passe alors en huile. On fait des culotes avec les peaux de biches, quand elles sont minces: on en fait aussi avec les peaux de mouton, quand elles sont fortes. C'est par cette raison, qu'on aura soin dans l'un & l'autre cas de séparer les peaux selon leurs différentes qualités. Les peaux de mouton foibles se mettront en doublures de culotes, bas, chaussettes à étrier, &c.

Plusieurs Fabriquans font tort au public, lorsqu'ils s'avisent en appareillant leurs peaux pour les vendre, d'en mettre une forte avec une foible: il seroit mieux, même peut - être pour leur intérêt, de mettre les excellentes avec les excellentes, les bonnes avec les bonnes, les médiocres avec les médiocres, & de vendre les unes & les autres ce qu'elles valent. Par ce moyen, l'acheteur useroit sa marchandise en entier, & le marchand n'auroit pas moins gagné.

Les rebuts qui ne manquent jamais de se trouver dans un foulage de peaux de différentes qualités, se vendent ordinairement aux Gantiers.

Les peaux de chamois, cerfs, biches, & daims qu'on passe en huile, ne demandent pas une autre main - d'oeuvre que celle que nous avons expliquée; il n'y a de différence que dans les doses, les délais, les nourritures, &c. Il est à propos, autant qu'on peut, de ne mettre qu'une sorte de peaux dans un même foulage; sans quoi les unes seront trop foulées, les autres ne le seront pas assez. Les Chamoiseurs ne s'assujettissent peut - être pas assez à cette regle.

Les peaux de daim sont aujourd'hui les plus recherchées pour les culotes.

La différence seule qu'il y ait entre le Chamoiseur & le Mégissier; c'est que le Chamoiseur passe en huile, & le Mégissier ne passe qu'en blanc. Cette différence se sentira mieux par ce que nous allons dire de ce dernier.

La manoeuvre du Mégissier est la même que celle du Chamoiseur jusqu'aux plains. Quand les peaux sont dépelées, on les jette en plain: on les v laisse trois mois; & pendant tout ce tems, on les leve de huit en huit jours. Au bout de ces trois mois, on les tire tout - à - fait; on les met à l'eau, c'est - à - dire qu'on les porte dans l'eau fraîche pour les travailler; on les écharne sur le chevalet, & on les rogne, c'est - à - dire qu'on en coupe les bouts des pattes & de la tête, & toutes les extrémités dures. Quand elles sont rognées, on les met boire, & on les jette dans l'eau; puis on les épierre: épierrer, c'est avec une pierre de grais ou à éguiser, montée sur un morceau de bouis ou manche, un peu tranchante, & servant de fer ou de couteau au Mégissier, travailler la peau du côté de la fleur, ce qui s'appelle tenir. Quand les peaux ont été tenues, on les jette dans de l'eau claire; on les foule & bat bien dans cette eau; on les en tire pour les travailler du côté de la chair, ce qui s'appelle donner un travers de chair: cette manoeuvre se fait avec le couteau à écharner. On dit donner un travers; parce que dans cette façon la peau ne se travaille pas en long, ou de la tête à la queue, mais en large.

Quand on a donné le travers aux peaux, on les met dans de la nouvelle eau, & on les foule; ce qui se fait à bras, avec des pilons ou marteaux de bois, emmanchés & sans dents. La foule dure à chaque fois un quart - d'heure; puis on rince. Après avoir rincé, on fait reboire dans de nouvelle eau; on donne ensuite un bon travers de fleur: ces travers n enlevent rien; ils font seulement sortir la chaux. On remet encore à l'eau nouvelle; on foule, on rince, on remet boire; puis on donne une glissade de fleur avec le couteau rond: donner une glissade, c'est travailler légerement en long, ou de la tête à la queue. On remet dans l'eau, on foule, on rince, on donne une seconde glissade de fleur, après laquelle on recoule de chair: recouler, c'est passer légerement le couteau à écharner. En général, le couteau rond sert toûjours pour la fleur, & le couteau à écharner pour la chair.

Lorsque les peaux sont recoulées, on prépare un confit avec de l'eau claire & du son de froment. Pour dix douzaines de peaux, il faut une carte de son, ou un demi - boisseau comble; on met le mêlange d'eau & de son dans un muid; on y jette aussitôt les peaux; on les y remue bien, ensorte qu'elles soient couvertes par - tout de son & de confit; on les y laisse jusqu'à ce qu'elles levent comme la pâte: quand elles sont levées, on les renfonce, ce qui se fait d'un jour à l'autre; il ne faut pas plus de tems aux peaux pour lever, sur - tout dans les jours chauds. On ne les tire du confit, que quand elles ne levent plus: mais il leur arrive ordinairement de lever & d'être renfoncées jusqu'à sept à huit fois. Quand elles ne levent plus, on les recoule pour en ôter le son: mais cette opération se fait seulement du côté de la chair. On les met ensuite en presse. Pour cet effet, on les enveloppe dans un drap; on les couvre d'une claie: on charge cette claie de pierres; elles ne restent en presse que du jour au lendemain.

Le lendemain, on les secoue & on les passe. Voici la manoeuvre importante du Mégissier à cet effet. Pour dix douzaines de moutons passables & assez beaux,

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