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Nous direz - vous que les erreurs les plus grossieres ont leurs monumens, ainsi que les faits les plus avéres, & que le monde entier étoit autrefois rempli de temples, de statues érigées en mémoire de quelque action éclatante des dieux que la superstition adoroit? Nous opposerez - vous encore certains faits de l'histoire Romaine, comme ceux d'Attius Navius, & de Curtius? Voici comme Tite - Live raconte ces deux faits. Attius Navius étant augure, Tarquinius Priscus voulut faire une augmentation à la cavalerie Romaine; il n'avoit point consulté le vol des oiseaux, persuadé que la foiblesse de sa cavalerie qui venoit de paroître au dernier combat contre les Sabins, l'instruisoit beaucoup mieux sur la nécessité de son augmentation que tous les augures du monde. Attius Navius, augure zélé, l'arrêta & lui dit, qu'il n'étoit point permis de faire aucune innovation dans l'état, qu'elle n'eût été désignée par les oiseaux. Tarquin, outré de dépit, parce que, comme on dit, il n'ajoûtoit pas beaucoup de foi à ces sortes de choses: eh bien, dit - il à l'augure, vous qui connoissez l'avenir, ce que je pense est - il possible? Celui - ci après avoir interrogé son art, lui répondit que ce qu'il pensoit étoit possible. Or, dit Tarquin, coupez cette pierre avec votre rasoir; car c'étoit - là ce que je pensois. L'augure exécuta sur le champ ce que Tarquin desiroit de lui: en mémoire de cette action, on érigea sur le lieu même où elle s'étoit passée, à Attius Navius une statue, dont la tête étoit couverte d'un voile, & qui avoit à ses piés le rasoir & la pierre, afin que ce monument fît passer le fait à la postérité. Le fait de Curtius étoit aussi très - célebre: un tremblement de terre, ou je ne sais quelle autre cause, fit entr'ouvrir le milieu de la place publique, & y forma un gouffre d'une profondeur immense. On consulta les dieux sur cet évenement extraordinaire, & ils répondirent, qu'inutilement on entreprendroit de le combler; qu'il falloit y jetter ce que l'on avoit de plus précieux dans Rome, & qu'à ce prix ce gouffre se refermeroit de lui - même. Curtius, jeune guerrier,
Un monument, je l'avoue, n'est pas un bon garant pour la vérité d'un fait, à moins qu'il n'ait été érigé dans le tems même où le fait est arrivé, pour en perpétuer le souvenir: si ce n'est que long tems après, il perd toute son autorité par rapport à la vérité du fait: tout ce qu'il prouve, c'est que du tems où il fut érigé la créance de ce fait étoit publique: mais comme un fait, quelque notoriété qu'il ait, peut avoir pour origine une tradition erronée, il s'ensuit que le monument qu'on élevera long tems après ne peut le rendre plus croyable qu'il l'est alors. Or tels sont les monumens qui remplissoient le monde entier, lorsque les ténebres du paganisme couvroient toute la face de la terre. Ni l'histoire, ni la tradition, ni ces monumens ne remontoient jusqu'à l'origine des faits qu'ils représentoient; ils n'étoient donc pas propres à prouver la vérité du fait en lui - même; car le monument ne commence à servir de preuve que du jour qu'il est érigé: l'est - il dans le tems même du fait, il prouve alors sa réalité, parce qu'en quelque tems qu'il soit élevé, on ne sauroit douter qu'alors le fait ne passât pour constant: or un fait qui passe pour vrai dans le tems même qu'on dit qu'il est arrivé, porte par - là un caractere de vérité auquel on ne sauroit se méprendre, puisqu'il ne sauroit être faux, que les contemporains de ce fait n'ayent été trompés, ce qui est impossible sur un fait public & intéressant. Tous les monumens qu'on cite de l'ancienne Grece & des autres pays ne peuvent donc servir qu'à prouver que dans le tems qu'on les érigea on croyoit ces faits, ce qui est très - vrai; & c'est ce qui démontre ce que nous disons, que la tradition des monumens est infaillible lorsque vous ne lui demandez que ce qu'elle doit rapporter, savoir la vérité du fait, lorsqu'ils remontent jusqu'au fait même, & la croyance publique sur un fait, lorsqu'ils n'ont été érigés que long - tems après ce fait. On trouve, il est vrai, les faits d'Attius Navius & de Curtius dans Tite - Live; mais il ne faut que lire cet historien, pour être convaincu qu'ils ne nous sont point contraires. Tite - Live n'a jamais vû la statue d'Attius Navius, il n'en parle que sur un bruit populaire; ce n'est donc pas un monument qu'on puisse nous opposer, il faudroit qu'il eût subsisté du tems de Tite - Live: & d'ailleurs qu'on compare ce fait avec celui de la mort de Lucrece, & les autres faits incontestables de l'histoire Romaine; on verra que dans ceux - ci la plume de l'historien est ferme & assûrée, au lieu que dans celui - là elle chancelle, & le doute est comme peint dans sa narration [Id quia inaugurato Romulus fecerat, negavit Attius Navius, inclitus eâ tempestate augur, neque mutari neque novum constitui, nisi aves addixissent, posse. Ex eo irâ regi motâ eludereque artem (ut ferunt) agendum, inquit, divine tu, inaugura, fieri ne possit quod nunc ego mente concipio? cum ille in augurio rem expertus profecto futuram dixisset; atqui hoec animo agitavi, te novaculâ cotem discissurum: cape hoec & perage quod aves tuoe fieri posse portendunt. Tum illum haud cunctanter discidisse cotem ferunt. Statua Attii posita capite velato, quo in loco res acta est, in comitio, in gradibus ipsis ad loevam curioe fuit; cotem quoque eodem loco sitam fuisse memorant, ut esset ad posteros miraculi ejus monumentum. Titus Liv. lib. I. Tarq. Pris. reg.]. Il y a plus, je crois que cette statue n'a jamais existé; car enfin y a - t - il apparence que les prêtres & les augures, qui étoient si puissans à Rome, eussent souffert la ruine d'un monument qui leur étoit si favorable? & si dans les orages qui faillirent à en<pb-> [p. 861]
Que le Pyrrhonien ouvre donc enfin les yeux à la lumiere, & qu'il reconnoisse avec nous une regle de vérité pour les faits. Peut - il en nier l'existence, lui qui est forcé de reconnoître pour vrais certains faits, quoique sa vanité, son intérêt, toutes ses passions en un mot paroissent conspirer ensemble pour lui en dé<cb->
Est - il assûré de la réalité de la regle, il ne sera pas long - tems à s'appercevoir en quoi elle consiste. Ses yeux toûjours ouverts sur quelqu'objet, & son jugement toûjours conforme à ce que ses yeux lui rapportent, lui feront connoître que les sens sont pour les témoins oculaires la regle infaillible qu'ils doivent suivre sur les faits. Ce jour mémorable se présentera d'abord à son esprit, où le monarque François, dans les champs de Fontenoi, étonna par son intrépidité & ses sujets & ses ennemis. Témoin oculaire de cette bonté paternelle qui fit chérir Louis aux soldats Anglois même, encore tout fumans du sang qu'ils avoient versé pour sa gloire, ses entrailles s'émûrent & son amour redoubla pour un roi, qui, non content de veiller au salut de l'état, veut bien descendre jusqu'à veiller sur celui de chaque particulier. Ce qu'il sent depuis pour son roi, lui rappelle à chaque instant que ces sentimens sont entrés dans son coeur sur le rapport de ses sens.
Toutes les bouches s'ouvrent pour annoncer aux
contemporains des faits si éclatans. Tous ces différens
peuples, qui malgré leurs intérêts divers, leurs
passions opposées, mélerent leur voix au concert de
loüanges que les vainqueurs donnoient à la valeur,
à la sagesse, & à la modération de notre monarque,
ne permirent pas aux contemporains de douter des
faits qu'on leur apprenoit. C'est moins le nombre des
témoins qui nous assûre ces faits, que la combinaison
de leurs caracteres & de leurs intérêts, tant entr'eux
qu'avec les faits mêmes. Le témoignage de six Anglois, sur les victoires de Melle & de Lauffeld, me
fera plus d'impression que celui de douze François.
Des faits ainsi constatés dans leur origine, ne peuvent
manquer d'aller à la postérité: ce point d'appui
est trop ferme, pour qu'on doive craindre que la
chaîne de la tradition en soit jamais détachée. Les
âges ont beau se succéder, la société reste toûjours
la même, parce qu'on ne sauroit fixer un tems où
tous les hommes puissent changer. Dans la suite des
siecles, quelque distance qu'on suppose, il sera toûjours
aisé de remonter à cette époque, où le nom
flateur de Bien - aimé fut donné à ce roi, qui porte la
couronne, non pour enorgueillir sa tête, mais pour
mettre à l'abri celle de ses sujets. La tradition orale
conserve ces grands traits de la vie d'un homme,
trop frappans pour être jamais oubliés: mais elle
laisse échapper à travers l'espace immense des siecles
mille petits détails & mille circonstances, toûjours
intéressantes lorsqu'elles tiennent à des faits
éclatans. Les victoires de Melle, de Raucoux & de
Lauffeld passeront de bouche en bouche à la postérité: mais si l'histoire ne se joignoit à cette tradition,
combien de circonstances, glorieuses au grand général
que le Roi chargea du destin de la France, se
précipiteroient dans l'oubli! On se souviendra toûjours
que Bruvelles fut emporté au plus fort de l'hyver;
que Berg - op - zoom, ce fatal écueil de la gloire
des Requesens, des Parmes & des Spinolas, ces héros
de leur siecle, fut pris d'assaut; que le siége de
Mastreich termina la guerre: mais on ignoreroit sans
le secours de l'histoire, quels nouveaux secrets de
l'art de la guerre furent déployés devant Bruxelles &
Berg - op - zoom, & quelle intelligence sublime dispersa
les ennemis rangés autour des murailles de Mastreich, pour ouvrir à travers leur armée un passage
à la nôtre, afin d'en faire le siége en sa présence.
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