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Ce n'est pas tout, me direz - vous: il ne suffit pas qu'on puisse s'assûrer de l'authenticité d'un livre, il faut encore qu'on soit certain qu'il est parvenu à nous sans altération. Or qui me garantira que l'histoire dont vous vous servez pour prouver tel fait, soit venue jusqu'à moi dans toute sa pureté? la diversité des manuscrits ne semble - t - elle pas nous indiquer
Il n'y a que la longueur des tems & la multiplicité des copies qui puissent occasionner de l'altération dans les manuscrits. Jene croi pas qu'on me conteste cela. Or ce qui procure le mal, nous donne en même tems le remede: car s'il y a une infinité de manuscrits, il est évident qu'en tout ce qu'ils s'accordent, c'est le texte original. Vous ne pourrez donc refuser d'ajoûter foi à ce que tous ces manuscrits rapporteront d'un concert unanlme. Sur les variantes vous êtes libre, & personne ne vous dira jamais que vous êtes obligé de vous conformer à tel manuscrit plûtôt qu'à tel autre, dès qu'ils ont tous les deux la même autorité. Prétendrez - vous qu'un fourbe peut altérer tous les manuscrits? Il faudroit pour cela pouvoir marquer l'époque de cette altération: mais peut - être que personne ne se sera apperçû de la fraude? Quelle apparence, sur - tout si ce livre est extrèmement répandu, s'il intéresse des nations entieres, si ce livre se trouve la regle de leur conduite, ou si par le goût exquis qui y regne, il fait les délices des honnêtes gens? Seroit - il possible à un homme, quelque puissance qu'on lui suppose, de défigurer les vers de Virgile, ou de changer les faits intéressans de l'histoire Romaine que nous lisons dans Tite - Live & dans les autres historiens? Fût - on assez adroit pour altérer en secret toutes les éditions & tous les manuscrits, ce qui est impossible; on découvriroit toûjours l'imposture, parce qu'il faudroit de plus altérer toutes les mémoires: ici la tradition orale défendroit la véritable histoire. On ne sauroit tout d'un coup faire changer les hommes de croyance sur certains faits. Il faudroit encore de plus renverser tous les monumens, comme on verra bientôt: les monumens assûrent la vérité de l'histoire, ainsi que la tradition orale. Arrêtez vos yeux sur l'Alcoran, & cherchez un tems où ce livre auroit pû être altéré depuis Mahomet jusqu'à nous. Ne croyez - vous pas que nous l'avons tel, au moins quant à la substance, qu'il a été donné par cet imposteur? Si ce livre avoit été totalement bouleversé, & que l'altération en eût fait un tout différent de celui que Mahomet a écrit, nous devrions voir aussi une autre religion chez les Tures, d'autres usages, & même d'autres moeurs; car tout le monde sait combien la religion influe sur les moeurs. On est surpris quand on développe ces choses - là, comment quelqu'un peut les avancer. Mais comment ose - t - on nous faire tant valoir ces prétendues altérations? Je défie qu'on nous fasse voir un livre connu & intéressant qui soit altéré de façon que les différentes copies se contredisent dans les faits qu'elles rapportent, sur - tout s'ils sont essentiels. Tous les manuscrits & toutes les éditions de Virgile, d'Horace, ou de Ciceron, se ressemblent à quelque légere différence près. On peut dire de même de tous les livres. On verra dans le premier livre de cet ouvrage, en quoi consiste l'altération qu'on reproche au Pentateuque, & dont on a prétendu pouvoir par là renverser l'autorité. Tout se réduit à des changemens de certains mots qui ne détruisent point le fait, & à des explications différentes des mêmes mots: tant il est vrai que l'altération essentielle est difficile dans un livre intéressant; car de l'aveu de tout le monde, le Pentateuque est un des livres les plus anciens que nous connoissions.
Les regles que la critique nous fournit pour connoître la supposition & l'altération des livres, ne suffisent point, dira quelqu'un; elle doit encore nous en fournir pour nous prémunir contre le mensonge si ordinaire aux historiens. L'histoire, en effet, que nous regardons comme le registre des évenemens des siecles passés, n'est le plus souvent rien moins que cela. [p. 859]
On auroit dû encore grossir la difficulté de toutes les fausses anecdotes & de toutes ces historiettes du tems qui courent, & conclure de - là que tous les faits qu'on lit dans l'Histoire Romaine sont pour le moins douteux.
Je ne comprends pas comment on peut s'imaginer renverser la foi historique avec de pareils raisonnemens. Les passions qu'on nous oppose sont précisément le plus puissant motif que nous ayons pour ajoûter foi à certains faits. Les Protestan, sont extrèmement envenimés contre Louis XIV: y en a - t - il un qui, malgré cela, ait osé desavouer le célebre passage du Rhin? Ne sont - ils point d'accord avec les Catholiques sur les victoires de ce grand roi? Ni les préjugés, ni l'esprit de parti, ni la vanité nationale, n'operent rien sur des faits éclatans & intéressans. Les Anglois pourront bien dire qu'ils n'ont pas été secourus à la journée de Fontenoi; la vanité nationale pourra leur faire diminuer le prix de la victoire, & la compenser, pour ainsi dire, par le nombre: mais ils ne desavoüeront jamais que les François soient restés victorieux. Il faut donc bien distinguer les faits que l'Histoire rapporte d'avec les réflexions de l'historien: celles - ci varient selon ses passions & ses intérêts; ceux - là demeurent invariablement les mêmes. Jamais personne n'a été peint si différemment que l'amiral de Coügni & le duc de Guise: les Protestans ont chargé le portrait de celui - ci de mille traits qui ne lui convenoient pas; & les Catholiques, de leur côté, ont refusé à celui - là des coups de pinceau qu'il méritoit. Les deux partis se sont pourtant servis des mêmes faits pour les peindre; car quoique les Calvinistes disent que l'amiral de Coligni étoit plus grand homme de guerre que le duc de Guise, ils avoüent pourtant que Saint Quentin, que l'amiral défendoit, fut pris d'assaut, & qu'il y fut lui - même fait prisonnier; & qu'an contraire le duc de Guise sauva Metz contre les efforts d'une armée nombreuse qui l'assiégeoit, animée de plus par la présence de Charles - Quint: mais, selon eux, l'amiral fit plus de coups de maître, plus d'actions de coeur,
Les histeriens, me direz - vous, mêlent quelquefois si adroitement les faits avec leurs propres réflexions auxquelles ils donnent l'air de faits, qu'il est très - difficile de les distinguer. Il ne sauroit jamais être difficile de distinguer un fait éclatant & interessant des propres réflexions de l'historien; & d'abord ce qui est précisément rapporté de même par plusieurs historiens, est évidemment un fait; parce que plusieurs historiens ne sauroient faire précisément la même réflexion. Il faut donc que ce en quoi ils se rencontrent ne dépende pas d'eux, & leur soit totalement étranger: il est donc facile de distinguer les fairs d'avec les réflexions de l'historien, dès que plusieurs historiens rapportent le même fait. Si vous lisez ce fait dans une seule histoire, consultez la tradition orale; ce qui vous viendra par elle ne sauroit être à l'historien; car il n'auroit pas pû confier à la tradition qui le précede, ce qu'il n'a pensé que longtems après. Voulez - vous vous assûrer encore davantage? Consultez les monumens, troisieme espece de tradition propre à faire passer les faits à la postérité.
Un fait éclatant & qui intéresse, entraîne toûjours
des suites après lui; souvent il fait changer la face de
toutes les affaires d'un très - grand pays: les peuples
jaloux de transmettre ces faits à la postérité, employent
le marbre & l'airain pour en perpétuer la
mémoire. On peut dire d'Athenes & de Rome,
qu'on y marche encore aujourd'hui sur des monumens
qui confirment leur histoire: cette espece de
tradition, après la tradition orale, est la plus ancienne;
les peuples de tous les tems ont été très - attentifs
à conserver la mémoire de certains faits. Dans ces
premiers tems voisins du cahos, un monceau de pierres
brutes avertissoit qu'en cet endroit il s'étoit passé
quelque chose d'intéressant. Après la découverte des
Arts, on vit élever des colonnes & des pyramides
pour immortaliser certaines actions; dans la suite les
hiérogliphes les désignerent plus particulierement:
l'invention des lettres soulagea la mémoire, & l'aida
à porter le poids de tant de faits qui l'auroient enfin
accablée. On ne cessa pourtant point d'ériger des
monumens; car les tems où l'on a le plus écrit, sont
ceux où l'on a fait les plus beaux monumens de toute
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