ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"232"> truisirent les bibliotheques & les livres en général; leur fureur fut presque incroyable, & a causé la perte irréparable d'un nombre infini d'excellens ouvrages.

Le premier de ces tems - là qui eut du goût pour les lettres, fut Cassiodore, favori & ministre de Théodoric, roi des Goths qui s'établirent en Italie, & qu'on nomma communément Ostrogots. Cassiodore fatigué du poids du ministere, se retira dans un couvent qu'il fit bâtir, où il consacra le reste de ses jours à la priere & à l'étude. Il y fonda une bibliotheque pour l'usage des moines, compagnons de sa solitude. Ce fut àpeu - près dans le même tems que le pape Hilaire, premier du nom, fonda deux bibliotheques dans l'église de Saint - Etienne; & que le pape Zacharie I. rétablit celle de Saint - Pierre, selon Platine.

Quelque tems après, Charlemagne fonda la sienne à l'Isle - barbe près de Lyon. Paradin dit, qu'il l'enrichit d'un grand nombre de livres magnifiquement reliés; & Sabellicus, aussi - bien que Palmerius, assûrent qu'il y mit entr'autres un manuserit des oeuvres de S. Denys, dont l'empereur de Constantinople lui avoit fait présent. Il fonda encore en Allemagne plusieurs colléges avec des bibliotheques, pour l'instruction de la jeunesse: entr'autres une à Saint - Gal en Suisse, qui étoit fort estimée. Le roi Pepin en fonda une à Fulde par le conseil de S. Boniface, l'apôtre de l'Allemagne: ce fut dans ce célebre monastere que Raban - Maur & Hildebert vécurent & étudierent dans le même tems. Il y avoit une autre bibliotheque à la Wrissen près de Worms: mais celle que Charlemagne fonda dans son palais à Aix - la - Chapelle, surpassa toutes les autres; cependant il ordonna avant de mourir qu'on la vendît, pour en distribuer le prix aux pauvres. Louis le Débonnaire son fils, lui succéda à l'empire & à son amour pour les Arts & les Sciences, qu'il protégea de tout son pouvoir.

L'Angleterre, & encore plus l'Irlande, possédoient alors de savantes & riches bibliotheques, que les incursions fréquentes des habitans du Nord détruisirent dans la suite: il n'y en a point qu'on doive plus regretter que la grande bibliotheque fondée à York par Egbert, archevêque de cette ville; elle fut brûlée avec la cathédrale, le couvent de Sainte - Marie, & plusieurs autres maisons religieuses, sous le roi Etienne. Aleuin parle de cette bibliotheque dans son épître à l'église d'Angleterre.

Vers ces tems, un nommé Gauthier ne contribua pas peu par ses soins & par son travail à fonder la bibliotheque du monastere de Saint - Alban, qui étoit très considérable: elle fut pillée aussi - bien qu'une autre, par les pirates Danois.

La bibliotheque formée dans le xii. siecle par Richard de Burg, évêque de Durham, chancelier & thrésorier de l'Angleterre, fut aussi fort célebre. Ce savant prélat n'omit rien pour la rendre aussi complete que le permettoit le malheur des tems; & il écrivit lui - même un traité intitulé Philobiblion, sur le choix des livres & sur la maniere de former une bibliotheque. Il y représente les livres comme les meilleurs précepteurs, en s'exprimant ainsi: Hisunt magistri, qui nos instruunt sine virgis & ferulis, sine cholerâ, sine pecuniâ: si accedis, non dormiunt; si inquiris, non se abscondunt; non obmurmurant, si oberres; cachinnos nesciunt, si ignores.

L'Angleterre possede encore aujourd'hui des bibliotheques très - riches en tout genre de littérature & en manuscrits fort anciens. Celle dont on parle le plus, est la célebre bibliotheque Bodleiene d'Oxford, élevée, si l'on peut se servir de ce terme, sur les fondemens de celle du duc Humphry. Elle commença à être publique en 1602, & a été depuis prodigieusement augmentée par un grand nombre de bienfaiteurs. On assûre qu'elle l'emporte sur celles de tous les souverains & de toutes les universités de l'Euro<cb-> pe, si l'on en excepte celle du Roi à Paris, celle de l'Empereur à Vienne, & celle du Vatican.

Il semble qu'au XIe siecle les Sciences s'étoient réfugiées auprès de Constantin Porphyrogenete, empereur de Constantinople. Ce grand prince étoit le protecteur des muses, & ses sujets à son exemple cultiverent les Lettres. Il parut alors en Grece plusieurs savans, & l'empereur toûjours porté à chérir les Sçiences, employa des gens capables à lui rassembler de bons livres, dont il forma une bibliotheque publique, à l'arrangement de laquelle il travailla lui - même. Les choses furent en cet état jusqu'à ce que les Turcs se rendirent maîtres de Constantinople; aussi - tôt les Sciences forcées d'abandonner la Grece, se réfugierent en Italie, en France, & en Allemagne, où on les reçût à bras ouverts; & bientôt la lumiere commença à se répandre sur le reste de l'Europe, qui avoit été ensevelie pendant longtems dans l'ignorance la plus grossiere.

La bibliotheque des empereurs Grecs de Constantinople n'avoit pourtant pas péri à la prise de cette ville par Mahomet II. Au contraire ce sultan avoit ordonné très - expressément qu'elle fût conservée, & elle le fut en effet dans quelques appartemens du sérail jusqu'au regne d'Amurath IV. que ce prince, quoique Mahométan peu scrupuleux, dans un violent accès de dévotion, sacrifia tous les livres de la bibliotheque à la haine implacable dont il étoit animé contre les Chrétiens. C'est - là tout ce qu'en put apprendre M. l'abbé Sevin, lorsque par ordre du roi il fit en 1729 le voyage de Constantinople, dans l'espérance de pénétrer jusque dans la bibliotheque du grand - seigneur, & d'en obtenir des manuscrits pour enrichir celle du Roi.

Quant à la bibliotheque du sérail, elle fut commencée par le sultan Selim, celui qui conquit l'Égypte, & qui aimoit les Lettres: mais elle n'est composée que de trois ou quatre mille volumes, Turcs, Arabes, ou Persans, sans nul manuscrit Grec. Le prince de Valachie Maurocordato avoit beaucoup recueilli de ces derniers, & il s'en trouve de répandus dans le, monasteres de la Grece: mais il paroît par la relation du voyage de nos Académiciens au levant, qu'on ne fait plus guere de cas aujourd'hui de ces morceaux précieux, dans un pays où les Sciences & les beaux Arts ont fleuri pendant si long - tems.

Il est certain que toutes les Nations cultivent les Sciences les unes plus, les autres moins; mais il n'y en a aucune où le savoir soit plus estimé que chez les Chinois. Chez ce peuple on ne peut parvenir au moindre emploi qu'on ne soit savant, du moins par rapport au commun de la nation. Ainsi ceux qui veulent figurer dans le monde sont indispensablement obligés de s'appliquer à l'étude. Il ne suffit pas chez eux d'avoir la réputation de savant, il faut l'être réellement pour pouvoir parvenir aux dignités & aux honneurs; chaque candidat étant obligé de subir trois examens très - séveres, qui répondent à nos trois degrés de bachelier, licentié, & docteur.

De cette nécessité d'étudier il s'ensuit, qu'il doit y avoir dans la Chine un nombre infini de livres & d'écrits; & par conséquent que les gens riches chez eux doivent avoir formé de grandes bibliotheques.

En effet, les historiens rapportent qu'environ deux cents ans avant J. C. Chingius, ou Xius, empereur de la Chine, ordonna que tous les livres du royaume (dont le nombre étoit presqu'infini) fussent brûlés, à l'exception de ceux qui traitoient de la médecine, de l'agriculture, & de la divination, s'imaginant par - là faire oublier les noms de ceux qui l'avoient précédé, & que la postérité ne pourroit plus parler que de lui. Ses ordres ne furent pas exécutés avec tant de soin, qu'une femme ne pût sauver les [p. 233] ouvrages de Mentius, de Confucius surnommé le Socrate de la Chine, & de plusieurs autres, dont elle colla les feuilles contre le mur de sa maison, où elles resterent jusqu'à la mort du tyran.

C'est par cette raison que ces ouvrages passent pour être les plus anciens de la Chine, & sur - tout ceux de Confucius pour qui ce peuple a une extrème vénération. Ce philosophe laissa neur livres qui sont, pour ainsi dire, la source de la plûpart des ouvrages qui ont paru depuis son tems à la Chine, & qui sont si nombreux, qu'un seigneur de ce pays (au rapport du P. Trigault) s'étant fait Chrétien, employa quatre jours à brûler ses livres, afin de ne rien garder qui sentît les superstitions des Chinois. Spizellius dans son livre de re litteraria Sinensium, dit qu'il y a une bibliotheque sur le mont Lingumen de plus de 30 mille volumes, tous composés par des auteurs Chinois, & qu'il n'y en a guere moins dans le temple de Venchung, proche l'Ecole royale.

Il y a plusieurs belles bibliotheques au Japon; car les voyageurs assûrent qu'il y a dans la ville de Narad un temple magnifique qui est dédié à Xaca, le sage, le prophete, & le législateur du pays; & qu'aupres de ce temple les bonzes ou prêtres ont leurs appartemens, dont un est soûtenu par 24 colonnes, & contient une bibliotheque remplie de livres du haut en bas.

Tout ce que nous avons dit est peu de chose en comparaison de la bibliotheque qu'on dit être dans le monastere de la Sainte - Croix, sur le mont Amara en Ethiopie. L'histoire nous dit qu'Antoine Brieus & Laurent de Crémone furent envoyés dans ce pays par Grégoire XIII. pour voir cette fameuse bibliotheque, qui est divisée en trois parties, & contient en tou dix millions cent mille volumes, tous écrits sur de beau parchemin, & gardés dans des étuis de soie. On ajoûte que cette bibliotheque doit son origine à la reine de Saba, qui visita Salomon, & reçut de lui un grand nombre de livres, particulierement ceux d'Enoch sur les élémens, & sur d'autres sujets philosophiques, avec ceux de Noé sur les sujets de Mathématique & sur le Rit sacré; & ceux qu'Aoraham composa dans la vallée de Mambré, où il enseigna la Philosophie à ceux qui l'aiderent à vainere les rois qui avoient fait prisonnier son neveu Lo, avec les livres de Job, & d'autres que quelques - uns nous assûrent être dans cette bibliotheque, aussi bien que les livres d'Esdras, des Sibylles, des Prophetes & des grands prêtres des Juifs, outre ceux qu'on suppose avoir été écrits par cette reine & par son fils Mémilech, qu'on prétend qu'elle eut de Salomon. Nous rapportons ces opinions moins pour les adopter, que pour montrer que de très - habiles gens y ont donné leur créance, tels que le P. Kircher. Tout ce qu'on peut dire des Ethiopiens, c'est qu'ils ne se soucient guere de la littérature profane, & par conséquent qu'ils n'ont guere de livres Grecs ni Latins sur des sujets historiques ou philosophiques; car ils ne s'appliquent qu'à la littérature sacrée, qui fut d'abord extraite de livres Grecs, & ensuite traduite dans leur langue. Ils sont schismatiques & sectateurs d'Eutychès & de Nestorius. Voyez Eutychiens, Nestoriens.

Les Arabes d'aujourd'hui ne connoissent nullement les lettres: mais vers le dixieme siecle, & sur - tout sous le regne d'Almanzor, aucun peuple ne les cultivoit avec plus de succès qu'eux.

Après l'ignorance qui régnoit en Arabie avant le tems de Mahomet, le calife Almamon fut le premier qui fit revivre les sciences chez les Arabes: il sit traduire en leur langue un grand nombre des livres qu'il avoit forcé Michel III. empereur de Constantinople, de lui laisser choisir de sa bibliotheque & par tout l'empire, après l'avoir vaincu dans une bataille.

Le roi Manzor ne fut pas moins assidu à cultiver les lettres. Ce grand prince fonda plusieurs écoles & bibliotheques publiques à Maroc, où les Arabes se vantent d'avoir la premiere copie du code de Justinien.

Eupennas dit que la bibliotheque de Fez est composée de 32 mille volumes; & quelques - uns prétendent que toutes les décades de Tite - Live y sont, avec les ouvrages de Pappus d'Alexandrie, fameux Mathématicien; ceux d'Hippocrate, de Galien, & de plusieurs autres bons auteurs, dont les écrits ou ne sont pas parvenus jusqu'à nous, ou n'y sont parvenus que très - imparfaits.

Selon quelques voyageurs il y a à Gaza une autre belle bibliotheque d'anciens livres, dans la plûpart desquels on voit des figures d'animaux & des chiffres, à la maniere des Egyptiens; ce qui fait présumer que c'est quelque reste de la bibliotheque d'Alexandrie.

Il y a une bibliotheque à Damas, où François Rosa de Ravenne trouva la philerophie mystique d'Aristote en Arabe, qu'il publia dans la suite.

On a vû par ce que nom avons dejà dit, que la bibliotheque des empereurs Grecs n'a p été conservée, & que celle des sultans est tres - peu de chose; ainsi ce qu'on trouve à cet égard dans Baudier, & d'autres auteurs qui en racontent des merveilles, ne doit point prévaloir sur le récit simple & sincere qu'ont fait sur le même sujet les savans judicie qu'on avoit envoyés à Constantinople, pour tenter s'il ne seroit pas possible de recueillir quelques lambeaux de ces précieuses bibliotheques. D'ailleurs, le mépris que les Turcs en général ont toûjours témoigné pour les sciences des Européens, prouve assez le peu de cas qu'ils feroient des auteurs Grecs & Latins: mais s'ils les avoient eus en leur possession, on ne voit pas pourquoi ils auroient refusé de les communiquer à la requisition du premier prince de l'Europe.

Il y avoit anciennement une très - belle bibliotheque dans la ville d'Ardwil en Perse, où résiderent les Mages, au rapport d'Oléarius dans son Itinéraire. La Boulaye le Goux dit que les habitans de Sabea ne se servent que de trois livres, qui sont le livre d'Adam, celui du Divan, & l'Alcoran. Un écrivain Jésuite assûre aussi avoir vû une bibliotheque superbe à Alger.

L'ignorance des Turcs n'est pas plus grande que n'est aujourd'hui celle des Chrétiens Grecs, qui ont oublié jusqu'à la langue de leurs peres, l'ancien Grec. Leurs évéques leur défendent la lecture des auteurs Payens, comme si c'étoit un crime d'être savant; de sorte que toute leur étude est bornée à la lecture des actes des sept synodes de la Grece, & des oeuvres de saint Basile, de saint Chrysostome, & de saint Jean de Damas. Ils ont cependant nombre de bibliotheques, mais qui ne contiennent que des manuscrits, l'impression n'étant point en usage chez eux. Ils ont une bibliotheque sur le mont Athos, & plusieurs autres où il y a quantité de manuscrits, mais très - peu de livres imprimés. Ceux qui voudront savoir quels sont les manuscrits qu'on a apportés de chez les Grecs en France, en Italie, & en Allemagne, & ceux qui restent encore à Constantinople entre les mains de particuliers, & dans l'île de Pathmos, & les autres îles de l'Archipel. dans le monastere de sainte Basile à Caffa, anciennement Théodosia, dans la Tartarie Crimée, & dans les autres états du grand - Turc, peuvent s'instruire à fond dans l'excellent traité du pere Possevin, intitulé apparatus sacer, & dans la relation du voyage que fit M. l'abbé Sevin à Constantinople en 1729: elle est insérée dans les Mémoires de l'Académie des Belles - Lettres, tome VII.

Le grand nombre des bibliotheques, tant publiques que particulieres, qui font aujour d'hui un des principaux ornemens de l'Europe, nous entraîneroit dans un dé<pb->

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