ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"xxxix"> avoient été transmis dans un Ouvrage encyclopédique, qui eût exposé en même tems les vrais principes de leurs Langues! Faisons donc pour les siecles à venir ce que nous regrettons que les siecles passés n'ayent pas fait pour le nôtre. Nous osons dire que si les Anciens eussent exécuté une Encyclopédie, comme ils ont exécuté tant de grandes choses, & que ce manuscrit se fût échappé seul de la fameuse bibliotheque d'Alexandrie, il eût été capable de nous consoler de la perte des autres.

Voilà ce que nous avions à exposer au Public sur les Sciences & les Beaux - Arts. La partie des Arts méchaniques ne demandoit ni moins de détails, ni moins de soins. Jamais peut - être il ne s'est trouvé tant de difficultés rassemblées, & si peu de secours dans les Livres pour les vaincre. On a trop écrit sur les Sciences: on n'a pas assez bien écrit sur la plûpart des Arts libéraux; on n'a presque rien écrit sur les Arts méchaniques; car qu'est - ce que le peu qu'on en rencontre dans les Auteurs, en comparaison de l'étendue & de la fécondité du sujet? Entre ceux qui en ont traité, l'un n'étoit pas assez instruit de ce qu'il avoit à dire, & a moins rempli son sujet que montré la nécessité d'un meilleur Ouvrage. Un autre n'a qu'effleuré la matiere, en la traitant plûtôt en Grammairien & en homme de Lettres, qu'en Artiste. Un troisieme est à la vérité plus riche & plus ouvrier: mais il est en même tems si court, que les opérations des Artistes & la description de leurs machines, cette matiere capable de fournir seule des Ouvrages considérables, n'occupe que la très - petite partie du sien. Chambers n'a presque rien ajoûté à ce qu'il a traduit de nos Auteurs. Tout nous déterminoit donc à recourir aux ouvriers.

On s'est adressé aux plus habiles de Paris & du Royaume; on s'est donné la peine d'aller dans leurs atteliers, de les interroger, d'écrire sous leur dictée, de développer leurs pensées, d'en tirer les termes propres à leurs professions, d'en dresser des tables, de les définir, de converser avec ceux de qui on avoit obtenu des mémoires, & (précaution presqu'indispensable) de rectifier dans de longs & fréquens entretiens avec les uns, ce que d'autres avoient imparfaitement, obscurément, & quelquefois infidellement expliqué. Il est des Artistes qui sont en même tems gens de Lettres, & nous en pourrions citer ici: mais le nombre en seroit fort petit. La plûpart de ceux qui exercent les Arts méchaniques, ne les ont embrassés que par nécessité, & n'operent que par instinct. A peine entre mille en trouve - t - on une douzaine en état de s'exprimer avec quelque clarté sur les instrumens qu'ils employent & sur les ouvrages qu'ils fabriquent. Nous avons vû des ouvriers qui travaillent depuis quarante années, sans rien connoître à leurs machines. Il a fallu exercer avec eux la fonction dont se glorifioit Socrate, la fonction pénible & délicate de faire accoucher les esprits, obstetrix animorum.

Mais il est des métiers si singuliers & des manoeuvres si déliées, qu'à moins de travailler soi - même, de mouvoir une machine de ses propres mains, & de voir l'ouvrage se former sous ses propres yeux, il est difficile d'en parler avec précision. Il a donc fallu plusieurs fois se procurer les machines, les construire, mettre la main à l'oeuvre, se fendre, pour ainsi dire, apprentif, & faire soi - même de mauvais ouvrages pour apprendre aux autres comment on en fait de bons.

C'est ainsi que nous nous sommes convaincus de l'ignorance dans laquelle on est sur la plûpart des objets de la vie, & de la difficulté de sortir de cette ignorance. C'est ainsi que nous nous sommes mis en état de démontrer que l'homme de Lettres qui sait le plus sa Langue, ne connoît pas la vingtieme partie des mots; que quoique chaque Art ait la sienne, cette langue est encore bien imparfaite; que c'est par l'extrème habitude de converser les uns avec les autres, que les ouvriers s'entendent, & beaucoup plus par le retour des conjonctures que par l'usage des termes. Dans un attelier c'estle moment qui parle, & non l'artiste.

Voici la méthode qu'on a suivie pour chaque Art. On a traité, 1°. de la matiere, des lieux où elle se trouve, de la maniere dont on la prépare, de ses bonnes & mauvaises qualités, de ses différentes especes, des opérations par lesquelles on la fait passer, soit avant que de l'employer, soit en la mettant en oeuvre.

2°. Des principaux ouvrages qu'on en fait, & de la maniere de les faire.

3°. On a donné le nom, la description, & la figure des outils & des machines, par pieces détachées & par pieces assemblées; la coupe des moules & d'autres instrumens, dont il est à propos de connoître l'intérieur, leurs profils, &c.

4°. On a expliqué & représenté la main - d'oeuvre & les principales opérations dans une ou plusieurs Planches, où l'on voit tantôt les mains seules de l'artiste, tantôt l'artiste entier en action, & travaillant à l'ouvrage le plus important de son art.

5°. On a recueilli & défini le plus exactement qu'il a été possible les termes propres de l'art.

Mais le peu d'habitude qu'on a & d'écrire, & de lire des écrits sur les Arts, rend les choses difficiles à expliquer d'une maniere intelligible. De - là naît le besoin de Figures. On pourroit démontrer par mille exemples, qu'un Dictionnaire pur & simple de définitions, quelque bien [p. xl] qu'il soit fait, ne peut se passer de figures, sans tomber dans des descriptions obscures ou vagues; combien donc à plus forte raison ce secours ne nous étoit - il pas nécessaire? Un coup d'oeil sur l'objet ou sur sa représentation en dit plus qu'une page de discours.

On a envoyé des Dessinateurs dans les atteliers. On a pris l'esquisse des machines & des outils. On n'a rien omis de ce qui pouvoit les montrer distinctement aux yeux. Dans le cas où une machine mérite des détails par l'importance de son usage & par la multitude de ses parties, on a passé du simple au composé. On a commencé par assembler dans une premiere figure autant d'élémens qu'on en pouvoit appercevoir sans confusion. Dans une seconde figure, on voit les mêmes élémens avec quelques autres. C'est ainsi qu'on a formé successivement la machine la plus compliquée, sans aucun embarras ni pour l'esprit ni pour les yeux. Il faut quelquefois remonter de la connoissance de l'ouvrage à celle de la machine, & d'autres fois descendre de la connoissance de la machine à celle de l'ouvrage. On trouvera à l'article Art quelques réflexions sur les avantages de ces méthodes, & sur les occasions où il est à propos de préférer l'une à l'autre.

Il y a des notions qui sont communes à presque tous les hommes, & qu'ils ont dans l'esprit avec plus de clarté qu'elles n'en peuvent recevoir du discours. Il y a aussi des objets si familiers, qu'il seroit ridicule d'en faire des figures. Les Arts en offrent d'autres fi composés, qu'on les représenteroit inutilement. Dans les deux premiers cas, nous avons supposé que le lecteur n'étoit pas entierement dénué de bon sens & d'expérience; & dans le dernier, nous renvoyons à l'objet même. Il est en tout un juste milieu, & nous avons tâché de ne le point manquerici. Un seul art dont on voudroit tout représenter & tout dire, fourniroit des volumes de discours & de planches. On ne finiroit jamais si l'on se proposoit de rendre en figures tous les états par lesquels passe un morceau de fer avant que d'être transformé en aiguille. Que le discours suive le procédé de l'artiste dans le dernier détail, à la bonne heure. Quant aux figures, nous les avons restraintes aux mouvemens importans de l'ouvrier & aux seuls momens de l'opération, qu'il est très - facile de peindre & très - difficile d'expliquer. Noùs nous en sommes tenus aux circonstances essentielles, à celles dont la représentation, quand elle est bien faite, entraîne nécessairement la connoissance de celles qu'on ne voit pas. Nous n'avons pas voulu ressembler à un homme qui feroit planter des guides à chaque pas dans une route, de crainte que les voyageurs ne s'en écartassent. Il suffit qu'il y en ait par - tout où ils seroient exposés à s'égarer.

Au reste, c'est la main - d'oeuvre qui fait l'artiste, & ce n'est point dans les Livres qu'on peut apprendre à manoeuvrer. L'artiste rencontrera seulement dans notre Ouvrage des vûes qu'il n'eût peut - être jamais eues, & des observations qu'il n'eût faites qu'après plusieurs années de travail. Nous offrirons au lecteur studieux ce qu'il eût appris d'un artiste en le voyant opérer, pour satisfaire fa curiosité; & à l'artiste, ce qu'il seroit à souhaiter qu'il apprit du Philosophe pour s'avancer à la perfection.

Nous avons distribué dans les Sciences & dans les Arts libéraux les figures & les Planches, selon le même esprit & la même oeconomie que dans les Arts méchaniques; cependant nous n'avons pû réduire le nombre des unes & des autres, à moins de six cens. Les deux volumes qu'elles formeront ne seront pas la partie la moins intéressante de l'Ouvrage, par l'attention que nous aurons de placer au verso d'une Planche l'explication de celle qui sera vis - à - vis, avec des renvois aux endroits du Dictionnaire auxquels chaque figure sera relative. Un lecteur ouvre un volume de Planches, il apperçoit une machine qui pique sa curiosité: c'est, si l'on veut, un moulin à poudre, à papier, à soie, à sucre, &c. il lira vis - à - vis, figure 50. 51. ou 60. &c. moulin à poudre, moulin à sucre, moulin à papier, moulin à soie, &c. il trouvera ensuite une explication succincte de ces machines avec les renvois aux articles Poudre, Papier, Sucre, Soie, &c.

La Gravure répondra à la perfection des desseins, & nous espérons que les Planches de notre Encyclopédie surpasseront autant en beauté celles du Dictionnaire Anglois, qu'elles les surpassent en nombre. Chambers a trente Planches; l'ancien projet en promettoit cent vingt, & nous en donnerons six cens au moins. Il n'est pas étonnant que la carriere se soit étendue sous nos pas; elle est immense, & nous ne nous flatons pas de l'avoir parcourue.

Malgré les secours & les travaux dont nous venons de rendre compte, nous déclarons sans peine, au nom de nos Collegues & au nôtre, qu'on nous trouvera toûjours disposés à convenir de notre insuffisance, & à profiter des lumieres qui nous seront communiquées. Nous les recevrons avec reconnoissance, & nous nous y conformerons avec docilité, tant nous sommes persuadés que la perfection derniere d'une Encyclopédie est l'ouvrage des siecles. Il a fallu des siecles pour commencer; il en faudra pour finir: mais nous serons satisfaits d'avoir contribué à jetter les fondemens d'un Ouvragé utile.

Nous aurons toûjours la satisfaction intérieure de n'avoir rien épargné pour réussir: une des preuves que nous en apporterons, c'est qu'il y a des parties dans les Sciences & dans les

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