Aublet de Maubuy
                Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers

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CHAPITRE XXXII.

SOMMAIRE.

Le Père Berthier est le premier agresseur de l'Encyclopédie. Histoire des querelles que cet Ouvrage & ses ennemis occasionnent. Portrait des principaux Encyclopédistes. Injustice a leur égard.

Le Pere Berthier, Journaliste de Trévoux, fut le premier agresseur de l'Encyclopédie; il s'éleva contre elle, avant même qu'elle existât. Cependant en 1745, il avoit beaucoup applaudi au simple projet de Chamber; mais lorsqu'en I750, il annonça l'ouvrage, il changea de langage. On crut que c'était de dépit de voir l'èxécution d'un projet, dont il aurait voulu que sa Société eût la gloire. Quoiqu'il en soit, dès que le Prospectus parut, il revint bien vite à la charge, & attaqua les Editeurs sans ménagement. Il les accusa de n'être que les copistes du Chancelier Bacon, d'avoir transplanté dans leur ouvrage l'arbre généalogique des Sciences humaines, imaginé & exposé par cet Anglois dans son nouvel organe des Sciences. Il leur reprocha que I'Encyclopédie, malgré leurs grandes vues, ne pourroit mettre en évidence, que les. richesses d'une partie de la Littérature & l'indigence des autres; que l'exécution de ce plan serait impossibIe, par le défaut où nous étions de Sçavans en état d'y concourir.

M. Diderot, qui ne regarda point le coup mortel, ni même douloureux, lui répondlt: Paete, non dolet. Il se plaignit cependant qu'il eût osé accuser de plagiat une société d'Ecrivains qui avoient expressément averti de la source où ils avoient puisé tout leur systême. Comme il lui avoit reproché de n'avoir pas des idées assez vastes, pour placer les Journalistes dans l'arbre Encyclopédique: pour le rassurer, il lui promit de célébrer avec justice ses illustres Prédécesseurs, de dire que le P. Bougeant mettoit dans ses Mémoires de la Logique; le P. Brumoi, des connoissances; le P. de la Tour, de l'usage du monde; le P. Castel, du feu & de l'esprit: qu'il n'oublieroit pas qu'on y distinguoit aujourd'hui les extraits du P. de Préville, son collegue, une Métaphysique fine & déliée, à un style noble & simple, & surtout à une grande impartialité; que lui en son particulier, ne seroit pas oublié; que pour remplir les intentions, il feroit passer à la Postérité l'idée de son mérite; & qu'il espéroit, qu'il trouveroit dans ce grand ouvrage plus de philosophie que de mémoire; mais que si l'ouvrage n'était pas de son goût, ce n'étoit que parce que dans son Journal tout y étoit loué, excepté l'histoire de Julien, les ouvrages de Mylord Bolin-brooke, & l'Esprit des Loix.

Le P. Berthier, pour réponse, inséra la Lettre dans un de ses Journaux, avec des Notes, dans lesquelles il contesta aux Auteurs jusqu'à la branche philosophique qu'ils disoient être de leur invention.

M. de Voltaire qui en vouloit à ce Journaliste pour de mauvaises plaisanteries lancées contre lui, saisit cette occasion pour se venger; outre plusieurs lettres qu'il écrivit contre lui, il donna la relation de la maladie, de la confession, de la mort & de l'apparition du Jésuite Berthier, production qui fait connoître que M. de Voltaire a dans les mains le fléau du ridicule.

En 1751, le premier volume parut. Le Journaliste en rendit compte, mais il eut l'infidélité de fermer les yeux sur les beautés du Discours Préliminaire, qui:étoit de M. d'Alembert. Pour le défigurer, il se contenta, selon l'usage des Journalistes, d'en citer quelques morceaux, qui décousus, ne pouvoient pas donner grande idée de l'ouvrage. Il parcourut les articles de l'Encyclopédie, & n'y voulut voir que larcins, que plagiats. Pour intéresser le Gouvernement, il dénonça l'ouvrage comme contenant des maximes hardies, contraires à la Religion, à l'Etat. Cette accusation grave alarma en effet le Gouvernement. Les travaux des Editeurs furent suspendus; & l'ouvrage arrêté. Alors, de part & d'autre, le combat s'engagea vivement. Les Editeurs chercherent à se justifier du reproche qu'on leur avoit fait. L'ouvrage parloit contre eux, ainsi ils ne purent convaincre. Néanmoins le tems, les amis, les raisons, les protecteurs appaiserent cette querelle, & les Encyclopédistes triomphans se réunirent & se remirent à l'ouvrage en 1754.

Cette victoire engagea d'autres Critiques à se réunir aux Journalistes de Trévoux. La querelle devint plus vive, & pour en soutenir la chaleur, on inonda le public d'ouvrages furieux contre l'Encyclopédie & contre tous ceux qui avaient coopéré au grand oeuvre. M. Abraham-Joseph Chaumeix se montra des plus courageux par le nombre de volumes, qui lui méritèrent le titre de convulsionnaire, par ceux qu'on appelle philosophes. Cette épithète donne une idée de sa critique. Cependant ses partisans convinrent qu'il s'y étoit mal pris, quoiqu'il eut relevé avec succès, bien des fautes dans cet ouvrage que l'on doit regarder plutôt comme un monument de la présomption, de l'orgueil & de l'ignorance de notre siécle, que celui de ses vertus & de ses talens. Mais lorsque tous les Peuples y applaudissent, qu'aux écarts près, ils cherchent à se l'approprier en l'imitant, lorsqu'ils envient l'honneur que la Littérature Françoise en a retiré, lorsque l'accueil a été général, pour compléter ce Livre précieux, doit-on être surpris qu'on ne souscrive pas à ce jugement?

Le Parlement ayant joint ses Arrêts aux écrits des Anti-Encyclopédistes, on peut dire que l'ouvrage n'est pas sans tache, d'autant qu'en I757 le Privilege fut révoqué. Ce fut un triomphe complet pour les Anti-Encyclopédistes, qui, infatigables, firent tous leurs efforts, pour que la victoire leur restât. Il n'y a gueres d'années qu'il n'ait paru des critiques contre ce grand ouvrage, & des Satyres contre ceux qui croyoient avoir mieux mérité de leurs contemporains, en leur consacrant leurs veilles & leurs travaux. Sans prétendre justifier ce qui est blâmable, qui n'est soulevé, en voyant l'injustice des Censeurs & leur acharnement, pour décrier un ouvrage qui, malgré eux, passera à la Postérité? Ont-ils cru réussir pour décrier l'ouvrage, de parler des Auteurs avec le dernier mépris? Il y a en effet une distiction à faire entre eux; la différence même qui s'y trouve, a empêché le point de perfection dont l'ouvrage étoit susceptible. Mais que pensera-t-on des inférieurs, des subordonnés, en voyant les Maîtres traités ignominieusement? Voici leurs portraits.

"M. Diderot est connu par excellence pour avoir été le dessinateur de l'Encyclopédie, l'enrôleur des ouvriers, & l'ordonnateur des travaux. On peut dire, après une foule de critiques, que cet ouvrage n'a été pour lui qu'un enfant adoptif, dont Bacon & Chambert ne l'avoient pas fait légataire. L'excellent Prospectus, qui 1'annonçoit avec tant de pompe, n'a produit, comme la caverne d'Eole, que du vent, du bruit & du désordre. La plûpart des articles de ce Dictionnaire informe, auxquels on a mis le nom de M. Diderot, ne sont que la compilation de quelques ouvrages médiocres qu'il n'a fait qu'altérer & abréger. Auteur plus prôné, que sçavant; plus sçavant qu'homme d'esprit; plus homme d'esprit, que de génie; écrivain incorrect, traducteur infidele; métaphysicien hardi; moraliste dangereux; mauvais géométre; physicien médiocre; philosophe enthousiaste; littérateur enfin, qui a fait beaucoup d'ouvrages, sans qu'on puisse dire que nous ayons de lui un bon livre."

On convient néanmoins que rien n'étoit plus fait pour produire un excellent ouvrage, que le discours de M. d'Alembert, pour servir de Prospectus à l'Encyclopédie, mais il a eu, dit-on, la douleur d'avoir contribué par un bel ouvrage, à faire naître de fausses espérances.... Mais comment a-t-il pu faire un bon ouvrage? lui de qui le même Critique dit, «qu'on ne peut le regarder comme bon géomètre, que parmi ceux qui n'ont pas eu le génie de l'invention. Que s'il lui reste quelque réputation en cette qualité, ce n'est que dans les Provinces, dans quelques Pays septentrionaux: qu'on a tort de placer parmi nos bons Littérateurs un métaphysicien, dont les écrits sont obscurs, entortillés, dont le style est inégal, tantôt foible, tantôt plein de morgue, & presque toujours froid & bourgeois; un Ecrivain qui n'a mis sous les yeux du Lecteur, que le contraste qui résulte de la médiocrité de ses productions, & du ton de mépris qu'il affecte dans toutes les occasions, pour ce qu'il appelle le bas peuple des Poëtes, des Orateurs, des Historiens. Aussi, sans doute, ce n'est pas sur ses productions Littéraires qu'il fonde sa réputation. Sera-ce par le modele de cette République, dont M. d'Alembert aurait pu être le Platon, si les gens de Lettres pouvoient se résoudre à réduire ces avis en pratique? Mais la destinée de ce Littérateur, est de proposer des félicités qui ne se réalisent pas.» L'Auteur de ce portrait ne le prouve que trop. Il ne veut pas sans doute être du nombre de ceux qui rougissent de voir subsister parmi les Littérateurs, ces rivalités malignes, ces basses jalousies, ces cabales iniques qui avilissent les talens, & révoltent l'honnêteté. On proscriroit ces bureaux d'esprit singuliers, où l'on anathématise les meilleurs ouvrages, quoiqu'on ne puisse s'en dissimuler le mérite; où l'on encense la médiocrité. On auroit la douce joie de voir couler le lait & le miel à côté de l'hypocrene, de pouvoir cueillir les fruits du sacré Vallon, sans redouter ceux de la Discorde.

Est-ce pour la faire taire, que le même Aristarque a dit, «que dès qu'il s'agiroit de Tragédies, de Pastorales Lyriques, de Poësies légères, M. Marmontel ne figureroit jamais parmi les bons Poëtes de notre Nation; que si l'Opéra bouffon est plus de son genre, c'est parce que son esprit est précisément fait pour les bagatelles; que si, comme Poëte, il disserte, c'est pour n'avoir raison que dans les choses dites & prouvées avant lui, & pour s'égarer en avançant des nouveautés paradoxales, que personne n'a été tenté d'adopter. Traducteur, il ne fait que montrer les défauts de l'original, sans en faire conno"tre le mérite. Cependant après tous les grands essais auxquels il s'est attaché, on aura peine à croire que le genre, en quoi il puisse servir de modele, se réduifé à des Contes, où il peut occuper agréablement l'oisiveté, sans cependant lui donner la gloire de la suppression des dit-il, répondit-il, dont l'invention seroit plutôt due à Rabelais, à l'Auteur du moyen de parvenir, qui en ont fait usage bien avant lui; les articles qu'il a faits pour l'Encyclopédie, & les critiques qu'ils lui ont mérité, ainsi que Bélisaire, donnent l'espérance qu'il se guérira de la manie d'être théologue. Veut-il se montrer généreux? (la voix des pauvres) sa muse n'est pas heureuse à seconder les transports de sa générosité. Ses Vers sont prosaïques, boursoufflés, le plus souvent d'une expression assez pauvre, & peu propre à produire un grand effet. Il a fallu être Poëte bien médiocre, pour n'avoir pas réussi avec un pareil sujet, qui était l'événement de l'incendie de l'Hôtel-Dieu, du 30 Décembre 1772».

M. Chesneau du Marsais fut mieux traité, on va juger pourquoi, de même que M. de Jaucourt.

Les articles de Grammaire qui se trouvent dans les premiers volumes de l'Encyclopédie sont de M. du Marsais, & ne font que mieux appercevoir la maigreur & la foiblesse de ceux des volumes suivans.

De Jaucourt, Ecrivain laborieux, après avoir donné beaucoup d'Ouvrages, se livra tout entier à l'Encyclopédie: on peut dire que les deux tiers de cette immense compilation ont été fournis par lui seul; ce n'est pas qu'il ait tiré tout de son propre fonds; la vie d'un homme ne suffiroit pas pour produire une si grande abondance d'idées & de préceptes sur tant de matieres différentes; mais on doit lui savoir gré d'avoir soutenu si courageusement la fatigue & le dégoût des recherches; il eût encore ajouté à sa gloire en se rendant plus sévere dans le choix des matériaux, & en indiquant les sources où il les a puisés. A sa louange, l'esprit philosophique ne l'a jamais entraîné dans aucuns de ces démêlés où la philosophie de notre siécle a si fort prouvé combien elle était éloignée de la véritable philosophie. Il auroit même, dit-on, à se plaindre de l'ingratitude des Philosophes Encyclopédiques, s'il eût attendu de la reconnoissance de leur part. L'expérience l'a sans doute éclairé sur les principes de ces Messieurs.

On pense bien que M. Fréron ne fut pas simple spectateur dans la querelle, & de quel côté se rangea celui à qui on fait dire que M. Diderot qui a tant écrit n'a pas encore fait un bon Livre; que M. d'Alembert, Traducteur de plusieurs morceaux de Tacite, n'entend pas le Latin; que ses mélanges de Littérature, si estimés de tous ses amis, sont écrits avec sécheresse & avec froideur; que de tous les Ouvrages de M. Marmontel, on ne lit plus que quelques-uns de ses Contes; que M. Thomas est moins éloquent que boursoufflé, plus compilateur & copiste que penseur & original; que M. de la Harpe, qui a traduit Suétone, a besoin d'étudier encore la Langue des Césars; que les extraits qu'il fournit au Mercure sont plus apprêtés que savans, que son égoïsme enfin le rend d'abord insupportable & ensuite ridicule; que les Comédies de M. de Voltaire n'ont d'autre mérite que celui de la versification, que ses Tragédies pour la plupart sont médiocres.

Au reste, malgré cet amas de critiques, de Satyres, sous lequel on tâchoit d'étouffer l'Encyclopédie, il y en avoit & en grand nombre qui pensoient que son plus grand défaut étoit de n'être point achevée; le voeu général, les Souscripteurs, les Libraires, faisoient connoître leurs desirs; les Libraires sur-tout paroissoient jaloux d'acquitter leurs engagemens pécuniaires; à cet effet ils redoublerent leurs efforts pour obtenir une tolérance qui les mît en état de remplir le voeu général: ils l'obtinrent enfin. En 1766, un prétendu Libraire étranger ayant imprimé dans le silence les manuscrits qui lui avoient été cédés, en annonça la publication. On s'empressa de jouir du fruit de tant d'années d'attente. L'on peut dire que la critique n'aurait plus osé se faire entendre, si M. Luneau de Boisgermain ne l'eût ranimée par le procès qu'il intenta aux Libraires de l'Encyclopédie, moins par l'intérêt pécuniaire, puisqu'il ne répétoit pour lui que 198 liv., que pour venger les Gens de Lettres de l'oppression des Tyrans Typographiques qu'ils font vivre par leur esprit.

Ce qu'il y eut de singulier, c'est que M. Diderot se trouva du nombre des Censeurs de l'Encyclopédie; sa Critique est le meilleur Ouvrage qui ait paru, pour faire connoître que celui dont il avoit donné le plan étoit susceptible d'une plus grande perfection; qu'on pouvoit se rendre propres les découvertes des autres, en y ajoutant des traits de lumiere qui auraient servi à les faire valoir; que si jusqu'alors il se fût trouvé un Censeur connoisseur & impartial, il en auroit connu les vrais défauts & les auroit pu relever sans soulever le Public contre lui, parce qu'on n'auroit vu en lui qu'un homme estimable qui ne cherche qu'à éclairer la Littérature, & à persuader que le goût & les Lettres sont intéressés à établir une espece d'ostracisme; mais il faudrait que ceux qui le composeroient eussent un privilége exclusif qui les autorisât à n'y admettre que ceux qui y seroient conduits par un véritable amour de l'humanité, pour en exclure ceux qui ne sçavent entasser que calomnies sur calomnies, qui, pour se rendre plaisans, chargent leurs critiques d'invectives, d'injures grossieres, qu'ils nous donnent pour de précieuses saillies, qui empoisonnent & altèrent tous les faits qui convertissent en poison tout ce qui passe par la distillation de leur plume, qui, bizares, vindicatifs, orgueilleux, égoïstes, pleins de morgue, & qui, ne déployant jamais leurs talens qu'aux dépens de la vérité, de la décence, de l'honnêteté & de la raison, cherchent plutôt à effrayer par les mots d'impie, d'Athée, d'âne, de sot par bé, mol & par bé quarre, de croquant, de cuistre, de polisson, de roué, de fripon, de maraut, de Sodomite, de scélérat, de Sicophante, d'insecte, de chenille, de vermisseau, de belître, de veau, qu'à porter dans les ames raisonnables le plaisir avec la conviction.

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