ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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Toute leur conduite est en général si peu ressemblante
avec ce que nous regardons comme les manieres
d'être, adoptées dans la société, qu'on se trouve
porté, presque sans le vouloir, à les regarder comme
des especes singulieres; ce n'est rien moins qu'à
la raison qu'on attribue ce qu'on appelle leurs bisarreries ou leurs écarts, de - là tous les préjugés établis,
& que l'instruction a bien de la peine à détruire. Mais
a - t - on vû encore quelque espece d'hommes parfaite?
en trouve - t - on beaucoup qui portent une raison supérieure
dans plusieurs genres? qu'il nous suffise de
dire qu'on rencontre communément dans les vrais
talens une bonne foi comme naturelle, une franchise
de caractere, & sur - tout l'antipathie la plus décidée
pour tout ce qui a l'air d'intrigue, d'artifice, de
cabale. Pense - t - on que ce soit - là un des moindres
ouvrages de la raison? Aussi lorsque vous verrez un
homme de lettres, un peintre, un musicien souple,
rampant, fertile en détours, adroit courtisan, ne
cherchez point chez lui ce que nous appellons le vrai
talent. Peut - être aura - t - il des succès: il en est de passagers
que la cabale procure. Ne soyez point surpris
de le voir envahir toutes les places de son état, &
celles même qui paroissent lui être le plus étrangeres; il a la sorte de mérite qui les donne: mais un
nom illustre, une gloire pure & durable, cette considération
flateuse, apanage honorable des talens distingués,
ne seront jamais son partage. La charlatanerie
trompe les sots, entraîne la multitude, ébloüit
les grands; mais elle ne donne que des joüissances de
peu de durée. Pour produire des ouvrages qui restent,
pour acquérir une gloire que la postérité confirme,
il faut des ouvrages & des succès qui résistent
aux efforts du tems, & à l'examen des sages; il faut
avoir senti un enthousiasme vrai, & l'avoir fait passer
dans tous les esprits; il faut que le tems l'entretienne,
& que la réflexion, loin de l'éteindre, le justifie.
Il est de la nature de l'enthousiasme de se communiquer
& de se reproduire; c'est une flamme vive
qui gagne de proche en proche, qui se nourrit de
son propre feu, & qui loin de s'affoiblir en s'étendant,
prend de nouvelles forces à mesure qu'elle se
répand & se communique.
Je suppose le public assemblé pour voir la représentation
d'un excellent ouvrage; la toile se leve,
les acteurs paroissent, l'action marche, un transport
général interrompt tout - à - coup le spectacle; c'est
l'enthousiasme qui se fait sentir, il augmente par degrés,
il passe de l'ame des acteurs dans celle des spectateurs;
& remarquez qu'à mesure que ceux - ci s'échauffent,
le jeu des premiers devient plus animé;
leur feu mutuel est comme une balle de paume que
l'adresse vive & rapide des joüeurs se renvoye; c'estlà
où nous devons toûjours être sûrs d'avoir du
plaisir en proportion de la sensibilité que nous montrons
pour celui qu'on nous donne.
Dans ces spectacles magnifiques, au contraire,
que le zele le plus ardent prépare, mais où le respect
lie les mains, vous éprouvez une espece de langueur
à - peu - près vers le milieu de la représentation; elle
augmente par degrés jusqu'à la fin, & il est rare que
l'ouvrage le plus fait pour émouvoir ne vous laisse
pas dans un état tranquille. La cause de cette sorte
de phénomene est dans l'ame de l'acteur & du spectateur.
On ne verra jamais de représentation parfaite,
sans cette chaleur mutuelle qui entretient la
vivacité de celui qui represente, & le charme de
ceux qui l'écoutent; c'est un méchanisme constant
établi par la nature. L'enthousiasme de ce genre le plus
vif s'éteint, s'il ne se communique.
Il y a en nous une analogie secrete entre ce que
nous pouvons produire & ce que nous avons appris.
La raison d'un homme de génie décompose les différentes
idées qu'elle a reçues, se les rend propres, &
en forme un tout, qui, s'il est permis de s'exprimer
ainsi, prend toûjours une physionomie qui lui est
propre: plus il acquiert de connoissances, plus il a
rassemblé d'idées; & plus ses momens d'enthousiasme
sont fréquens, plus les tableaux que la raison présente
à son ame sont hardis, nobles, extraordinaires, &c.
Ce n'est donc que par une étude assidue & profonde
de la nature, des passions, des chefs - d'oeuvre
des Arts, qu'on peut développer, nourrir, réchauffer,
étendre le génie. On pourroit le comparer à ces
grands fleuves, qui ne paroissent à leur source que
de foibles ruisseaux: ils coulent, serpentent, s'étendent;
& les torrens des montagnes, les rivieres des
plaines se mêlent à leur cours, grossissent leurs eaux,
ne font qu'un seul tout avec elles: ce n'est plus alors
un leger murmure, c'est un bruit imposant qu'ils excitent;
ils roulent majestueusement leurs flots dans
le sein de l'océan, après avoir enrichi les terres heureuses
qui en ont été arrosées. Voilà l'examen philosophique
de l'enthousiasme; voyez à l'article Eclectismf, sur - tout à la page 276, un abrégé historique
de quelques - uns de ses effets. (B)
ENTHOUSIASTE
ENTHOUSIASTE, s. m. (Philos. & Beaux - Arts)
personne qui est dans l'enthousiasme. Voyez Enthousiasme.
Ce mot, séparé du sens qu'on lui donne dans les
Beaux - Arts, se prend souvent en mauvaise part pour
désigner un fanatique. Voyez Fanatique. (G)
ENTHOUSIASTES
* ENTHOUSIASTES, s. m. pl. (Hist. eccl.) nom
d'anciens sectaires, les mêmes que ceux qui ont été
appellés Massaliens, Enchites. On leur avoit donné
ce nom, à ce que dit Théodoret, parce qu'étant agités
du démon, ils croyoient avoir de véritables inspirations.
On doûne encore aujourd'hui le nom d'Enthousiastes aux Anabaptistes, aux Quakers ou Trembleurs, qui se croyent remplis d'une inspiration divine,
& soûtiennent que la sainte Ecriture doit être
expliquée par les lumieres de cette inspiration.
Voyez Quaker, &c. (G)
ENTHRONISTIQUE
* ENTHRONISTIQUE, adj. pris sub. (Hist. eccl.)
somme d'argent déterminée que les ecclésiastiques
du premier ordre étoient obligés de payer pour être
installés.
ENTHYMEME
ENTHYMEME, s. m. (Logique) est un argument
qui ne comprend que deux propositions, l'antécedent,
& le conséquent qu'on en tire. Il faut cependant
observer que c'est un syllogisme parfait dans
l'esprit, mais imparfait dans l'expression, parce qu'on
y supprime quelqu'une des propositions, comme trop
claire & trop connue, & comme étant facilement
suppléée par l'esprit de ceux à qui on parle. Cette
maniere d'argument est si commune dans les discours
& dans les écrits, qu'il est rare, au contraire, qu'on
y exprime toutes les propositions. L'esprit humain
est flaté qu'on lui laisse quelque chose à suppléer;
sa vanité est satisfaite qu'on se remette de quelque
chose à son intelligence: d'ailleurs la suppression
d'une proposition, assez claire pour être supposée,
en abrégeant le discours, le rend plus fort & plus
vif. Il est certain, par exemple, que si de ce vers de
la Médée d'Ovide, qui contient un enthymème trèsélégant,
Servare potui, perdere an possim rogas?
on en avoit fait un argument en forme, toute la
grace en seroit ôtée: & la raison en est, que comme
une des principales beautés d'un discours est d'être
plein de sens, & de donner occasion à l'esprit de
former une pensée plus étendue que n'est l'expression,
c'en est au contraire un des plus grands défauts
d'être vuide de sens, & de renfermer peu de pensées;
ce qui est presque inévitable dans les syllogismes
philosophiques, où la même pensée est pesamment
renfermée dans trois propositions. C'est ce qui
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