ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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De quatre fameuses villes qu'il y avoit dans Céos, il ne reste que Carthée, sur les ruines de laquelle est bâti le bourg de Zia: c'est de quoi l'on ne sauroit douter en lisant Strabon & Pline. Ce dernier assure que Poeeesse & Caressus furent abimées, & Strabon écrit que les habitans de Poecesse passerent à Carthée, & ceux de Caressus à Ioulis. Or la situation d'Ioulis est si bien connue qu'on n'en peut pas douter. Il ne reste donc plus que Carthée remplie encore d'une infinité de marbres cassés ou employés dans les maisons du bourg de Zia.

En prenant la route du sud - sud - est du bourg de Zia, on arrive aux restes superbes de l'ancienne ville d'Ioulis, connue par les gens du pays sous le nom de Polis, comme qui diroit la ville. Ces ruines occupent une montagne, au pié de laquelle les vagues se viennent briser, mais du tems de Strabon éloignée de la mer d'environ trois milles. Caressus lui servoit de port. Aujourd'hui il n'y a que deux méchantes cales, & les ruines de l'ancienne citadelle sont sur la pointe du cap. Dans un lieu plus enfoncé on distingue le temple par la magnificence de ses débris. La plûpart des colonnes ont le fust moitié lisse, moitié cannelé, du diametre de deux piés moins deux pouces, à cannelures de trois pouces de large. On descend à la marine par un escalier taillé dans le marbre pour aller voir sur le bord de la cale une figure sans bras & sans tête. La draperie en est bien entendue; la cuisse & la jambe sont bien articulées. On croit que c'est la statue de la déesse Némesis; car elle est dans l'attitude d'une personne qui poursuit quelqu'un.

Les restes de la ville sont sur la colline, & s'étendent jusque dans la vallée où coule la fontaine loulis, belle source d'où la place avoit pris son nom. On ne sauroit guere voir de plus gros quartiers de marbre que ceux qu'on avoit employés à bâtir les murailles de cette ville. Il y en a de longs de plus de douze piés. Dans les ruines de la ville, parmi les champs semés d'orge, on trouve dans une chapelle greque le reste d'une inscription sur un marbre cassé, où on lit encore *IOULIDA, accusatif d'*IOULIS2: le mot de *STE/FANOS2 s'y trouve deux fois.

On alloit de cette ville à Canhée par le plus beau chemin qu'il y eût peut - être dans la Grece, & qui subsiste encore l'espace de plus de trois milles, traversant les collines à mi - côte, soutenu par une muraille couverte de grands quartiers de pierre plate grisâtre, qui se fend aussi facilement que l'ardoise, & dont on couvre les maisons & les chapelles dans la plûpart des îles. Ioulis, comme dit Strabon, l. X. fut la patrie de Simonide, poëte lyrique, & de Bachylide, son cousin. Erasistrate, fameux médecin, le sophiste Prodicus & Ariston le péripatéticien, naquirent aussi dans cette île. Les marbres d'Oxford nous apprennent que Simonide, fils de Léopépris, inventa une espece de mémoire artificielle, dont il montroit les principes à Athènes, & qu'il descendoit d'un autre Simonide, grand poëte, aussi fort estimé dans la même ville, & dont il est parlé dans l'époque 50. Le poete Simonide composa des vers si tendres & si touchans, que Catulle les appelle les larmes de Simonide.

Après la défaite de Cassius & de Brutus, Marc - Antoine donna aux Athéniens Céa, AEgine, Ténos, & quelques autres îles voisines. Il est hors de doute que Céa fut soumise aux empereurs romains, & passa dans le domaine des Grecs. Ensuite elle tomba entre les mains des ducs de l'Archipel. Jacques Chrispole la donna en dot à sa soeur Thadée, femme de Jean - François de Sommerive, qui en fut dépouillé par Barberousse sous Sohman II.

Strabon rapporte un fait bien singulier de l'ancienne Céos, mais qu'il ne faut pas croire sans examen. Il prétend qu'il y avoit une loi dans cette île qui obligeoit les habitans à s'empoisonner avec de la cigue, quand ils avoient passé 60 ans, afin qu'il restât assez de vivres pour la subsistance publique.

Héraclide raconte seulement que l'air de l'île de Céa étoit si bon, qu'on y vivoit fort long - tems, mais que les habitans ne se prévaloient pas de cette faveur de la nature, & qu'avant que de se laisser atteindre par les infirmités de l'âge caduc, ils terminoient leurs jours, les uns avec du pavot, les autres avec de la ciguë. Elien, l. III. c. xxxvij. assure aussi que ceux de cette île qui se sentoient incapables à cause de leur décrépitude, d'être utiles à la patrie, s'assembloient en un sestin, & avaloient de la ciguë.

Il paroit d'abord de ces divers récits que Strabon s'est faussement imaginé qu'il y avoit une loi dans Céos, par laquelle on devoit se donner la mort, dès que l'on avoit passé l'âge de 60 ans; les termes d'Héraclide & d'Elien insinuent seulement une coutume volontaire, & vraissemblablement ils ont pris pour coutume ce qui n'étoit arrivé qu'à quelques particuliers; car si cet usage eût été commun, il n'est pas possible que tous les autres historiens l'eussent passé sous silence. Il y avoit peut - être à Céa le même usage qui regnoit à Marseille. Valere Maxime dit qu'on gardoit publiquement dans cette derniere ville un breuvage empoisonné, & qu'on le donnoit à ceux qui exposoient au sénat les raisons pour lesquelles ils souhaitoient de mourir. Le sénat examinoit leurs raisons avec un certain tempérament, qui n'étoit ni favorable à une passion téméraire de mourir, ni contraire à un desir légitime de la mort, soit qu'on voulût se délivrer des persécutions de la mauvaise sortune, soit qu'on ne voulùt pas courir le risque d'être abandonné de son bonheur. Après tout, il est sûr que s'il n'y avoit point de loi à Céa pour engager quelqu'un à abreger ses jours quand il étoit las de vivre, on pouvoit prendre ce parti sans s'être fait autoriser par le souverain. Voyez pour cette preuve l'article Ioulis, (Géog.)

Valere Maxime rapporte, comme témoin oculaire à ce sujet, avoir vû une citoyenne de cette île issue d'une maison illustre, laquelle après avoir vécu long tems dans une félicité parfaite, craignant que l'inconstance de la fortune ne troublât par malheur l'ariangement de ses jours, résolut de se donner la mort. Elle informa ses concitoyens de la résolution qu'elle avoit prise, non par ostentation, mais pour ne pas quitter son poste sans être autorisée.

Pompee qui étoit sur les lieux, accourut à ce spectacle. Il trouva la dame couchée sur un lit, & proprement ajustée. Il employa toute la vivacité de son éloquence pour la détourner de son dessein, mais elle n'en sut point ébranlée. La tête appuyée sur le coude, elle entretenoit gaiement ceux qui l'étoient venus voir. Enfin, après avoir exhorté ses enfans à l'union, & leur avoir partagé ses biens, elle prit d'une main assurée un verre plein d'un poison temperé qu'elle avala. Elle n'oublia pas d'invoquer Mercure, & de le prier de la conduire en l'une des meilleures places de l'élizée, & sans perdre un moment de sa tranquillité, elle marquoit les parties de son corps où le poison faisoit impression; lorsqu'elle le sentit proche du coeur, elle appella ses filles pour lui fermer les yeux, & expira.

Pline, l. IV. c. xij. prétend que ce fut une femme de l'île de Céos qui inventa l'art de filer l'ouvrage des vers à soie, & d'en faire des étoffes. Telas araneorum modo texunt (bombyces), ad vestem luxumque feminarum, quoe bombycina appellatur. Prima eas redordiri, rursusque texere, invenit in Ceo mulier Panphila, lato ifilia, non fraudanda gloriâ excogitatoe rationis, ut denudet feminas vestis. Aristote, l. V. c. xix. a fourni ce fait à Pline; mais il est vraissemblable que les paroles d'Aristote doivent s'entendre de l'île de Côs,

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