ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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pueri sciunt. Quintill. IX. jv. 5. « Un tems, dit M. l'abbé d'Olivet, pag. 49. est ici ce qu'est le point dans la Géométrie, & l'unité dans les nombres ». c'est - à - dire, que ce tems n'est un, que relativement à un autre qui en est le double, & qui est par conséquent comme deux; que le même tems qui est un dans cette hypothese, pourroit être considéré comme deux dans une autre supposition, où il seroit comparé avec un autre tems qui n'en seroit que la moitié. C'est en effet de cette maniere qu'il faut calculer l'appréciation des tems syllabiques, si l'on veut pouvoir concilier tout ce que l'on en dit.

On distingue généralement les syllabes en longues & breves, & on assigne, dit M. d'Olivet, un tems à la breve, & deux tems à la longue, ibid. « Mais cette premiere division des syllabes ne suffit pas, ajoutet - il un peu plus loin: car il y a des langues plus longues, & des breves plus breves les unes que les autres ». Il indique les preuves de cette assertion, dans le traité de l'arrangement des mots par Denys d'Halicarnasse, ch. xv. & dans l'ouvrage de G. J. Vossius de arte grammaticâ, II. xij. où il a, dit - on, oublié ce passage formel de Quintilien: & longis longiores, & brevibus sunt breviores syllaboe. IX. jv.

Que suit - il de - là? Le moins qu'on puisse donner à la plus breve, c'est un tems, de l'aveu du savant prosodiste françois. J'en conclus qu'il juge donc lui - même ce tems indivisible, puisque sans cela on pourroit donner moins à la plus breve: donc le moins qu'on puisse donner de plus à la moins breve, sera un autre tems; la longue aura donc au moins trois tems, & la plus longue qui aura au - dela de trois tems, en aura au moins quatre. Dans ce cas que devient la maxime de Quintilien, reçue par M. d'Olivet, longam esse duorum cemporum, brevem unius?

Mais notre prosodiste augmente encore la difficulté.

« Je dis sans hésiter, c'est lui qui parle, pag. 51. que nous avons nos breves & nos plus breves; nos longues & nos plus longues. Outre cela nous avons notre syllabe séminine plus breve que la plus breve des masculines: je veux dire celle où entre l'e muet; soit qu'il fasse la syllabe entiere, comme il fait la derniere du mot armée; soit qu'il accompagne une consonne, comme dans les deux premieres du mot revenir. Quoiqu'on l'appelle muet, il ne l'est point; car il se fait entendre. Ainsi à parler exactement, nous aurions cinq tems syllabiques, puisqu'on peut diviser nos syllabes en muettes, breves, moins breves, longues & plus longues ». Par conséquent le moindre tems syllabique étant envisagé comme indivisible par l'auteur, la moindre différence qu'il puisse y avoir d'un de nos tems syllabiques à l'autre, est cet élément indivisible; & ils seront entr'eux dans la progression des nombres naturels 1, 2, 3, 4, 5.

Notre illustre académicien répondra peut - être, que je lui prête des conséquences qu'il n'a point avouées: qu'il a dit positivement que la plus breve auroit un tems; que la moins breve auroit un peu au - delà d'un tems; mais sans pouvoir emporter deux tems entiers; qu'ainsi la longue auroit justement deux tems. & la plus longue un peu au de - là. Je conviens que tel est le système de la prosodie françoise: mais je réponds, 1°. qu'il est inconséquent, puisque l'auteur commence par poser que le moins qu'on puisse donner à la plus breve, c'est un tems; ce qui est déclarer ce moins un élément indivisible, quoiqu'on le divise ensuite pour fixer la gradation de nos tems syllabiques sans excéder les deux tems élémentaires: 2°. que cette inconséquence même n'est pas encore suffisante pour renfermer le système de la quantité dans l'espace de deux tems élémentaires, puisqu'on est forcé de laisser aller la plus longue de nos syllabes un peu au - delà des deux tems; & que par conséquent il reste toujours à concilier les deux principes de Quintilien, que la breve est d'un tems & la longue de deux, & que cependant il y a des syllabes plus ou moins longues, ainsi que des breves plus ou moins breves: 3°. que dans ce systeme on n'a pas encore compris nos syllabes muettes, plus breves que nos plus breves masculines; ce qui reculeroit encore les bornes des deux tems élémentaires: 4°. enfin que, sans avoir admis explicitement les conséquences du principe de l'indivisibilité du premier tems syllabique, on doit cependant les admettre dans le besoin, puisqu'elles suivent nécessairement du principe; & qu'au reste c'est peut - être le parti le plus sûr pour graduer d'une maniere raisonnable les différences de quantité qui distinguent les syllabes.

Pour ce qui concerne la conciliation de ce calcul avec le principe, connu des enfans mêmes, que l'art métrique, en grec & en latin, ne connoît que des longues & des breves; il ne s'agit que de distinguer la quantité naturelle & la quantité artificielle.

La quantité naturelle est la juste mesure de la durée du son dans chaque syllabe de chaque mot, que nous prononçons, conformément aux lois du méchanisme de la parole & de l'usage national.

La quantité artificielle est l'appréciation conventionnelle de la durée du son dans chaque syllabe de chaque mot, relativement au méchanisme artificiel de la versification métrique & du rythme oratoire.

Dans la quantité naturelle, on peut remarquer des durées qui soient entre elles comme les nombres 1, 2, 3, 4, 5, ou même dans une autre progression: & ceux qui parlent le mieux une langue, sont ceux qui se conforment le plus exactement à toutes les nuances de cette progression quelconque. Les femmes du grand monde sont ordinairement les plus exactes en ce point, sans y mettre du pédantisme. Ciceron (de Orat. III. 21.) en a fait la remarque sur les dames romaines, dont il attribue le succès à la retraite ou elles vivoient. Mais si l'on peut dire que la retraite conserve plus sûrement les impressions d'une bonne éducation; on peut dire aussi qu'elle fait obstacle aux impressions de l'usage, qui est dans l'art de parler le maître le plus sûr, ou même l'unique qu'il faille suivre: nous voyons en effet que des savans très profonds s'expriment sans exactitude & sans grace, parce que continuellement retenus par leurs études dans le silence de leur cabinet, ils n'ont avec le monde aucun commerce qui puisse rectifier leur langage; & d'ailleurs les succes de nos dames en ce genre ne peuvent plus être attribués à la même cause que ceux des dames romaines, puisque leur maniere de vivre est si différente. La bonne raison est celle qu'ailegue M. l'abbé d'Olivet, pag. 99. c'est qu'elles ont, d'une part, les organes plus délicats que nous, & par conséquent plus sensibles, plus susceptibles des moindres différences; & de l'autre, plus d'habitude & plus d'inclination à discerner & à suivre ce qui plaît. A peine distinguons - nous dans les sons toutes les différences appréciables; nos dames y démêlent toutes les nuances sensibles: nous voulons plaire, mais sans trop de frais; & rien ne coûte aux dames, pourvu qu'elles puissent plaire.

S'il avoit fallu tenir un compte rigoureux de tous les degrés sensibles ou même appréciables de quantité, dans la versification métrique, ou dans les combinaisons harmoniques du rythme oratoire; les difficultés de l'art, excessives ou même insurmontables, l'auroient fait abandonner avec justice, parce qu'elles auroient été sans un juste dédommagement: les chefs - d'oeuvres des Homeres, des Pindares, des Virgiles, des Horaces, des Démosthènes, des Cicérons, ne seroient jamais nés; & les noms illustres, ensevelis dans les ténebres de l'oubli qui est dû aux hommes vulgaires, n'enrichiroient pas aujourd'hui les

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