ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"773"> puisse être le siége de la goutte, & qui ne le devienne en effet par succession ou par bizarrerie de la maladie; mais c'est alors un évenement extraordinaire. Elle se borne communément aux piés, aux mains, & à la hanche, qui sont les trois endroits par ou elle a coûtume de debuter. C'est à raison de ces trois sieges ou de ces trois origines principales, que les Grecs lui ont donné des noms particuliers, composés du nom de la partie attaquée & du mot grec A)/GRA, qui signifie capture ou saisissement. Ainsi de PODON, pié, ils ont fait PODAGRA, podagre, c'est - à - dire saisissement du pié ou la goutte au pié; de XEIR, main, ils ont fait XEIRAGRA, cheiragre, qui est la goutte à la main; & d'ISXIOI, hanche, ils ont fait I)/TXIADA, sciatique, qui est la goutte à la hanche. Voyez Sciatique. Ils auroient pû multiplier les noms autant que les articulations, s'ils eussent été prodigues de choses inutiles, comme l'a entrepris Ambroise Paré. De ces trois grandes sources, & principalement de la podagre, la goutte par succession de tems, par bizarrerie ou par accident, se répand dans les autres articulations, qui deviennent sa proie par extension, ou conjointement, ou séparément; mais elle n'est presque jamais reconnue pour telle, qu'après avoir debute de l'une des trois manieres. Aussi Galien remarque - t - il, au sujet de l'aphorisme xxviij. de la sect. 6. que presqu'aucun goutteux ne le devient, qu'il n'ait commencé par être podagre.

La douleur dont l'excès surpasse quelquefois toute patience humaine, n'est pas le seul symptome de la goutte existante; elle est encore accompagnée d'inquiétudes, d'insomnies, de legers frissons, de meuvemens de fievre, de petites sueurs, de dégoût des alimens, quelquefois de diarrhee, & d'une impuissance ou imbecillité de forces à la partie souffrante, telle qu'elle est incapable d'aucune fonction ou exercice, même quelque tems apres la dissipation de la douleur. Ce qu'il y a de remarquable dans cette maladre, c'est que la douleur, à quelque degré qu'elle paisse monter, n'est jamais suivie de convulsions ni de mouvemens convuisits, & que l'inflammation accompagnée de gonslement, de chaleur brûlante, de battemens, de tiraillemens, &c. ne tourne jamais en suppuration. A l'arrivee du gonflement la douleur diminue; & quand le gonslement commence a se dissiper, tout se dissipe aussi: il ne reste plus qu'une demangeaison à la peau, dont l'epiderme jaunit peu - à peu, se seche, tembe par lambeaux ou par écailles; & la partie reprend son état ordinaire, à la reserve qu'elle conserve pendant assez long - tems une couleur violette ou bleue semblable à la meurtrusure, qui succede à la rougeur au premier moment de la declinaison, & qu'elle devient aussi quelquefois oedemateuse pour quelque tems.

Quoique la goutte, quand elle est nouvelle & d'un caractere benin, ne laisse aucune trace après l'acces parfaitement fini; en vieillissant, ou lorsqu'elle est d'une mauvaise qualite, elle laisse sur les parties qu'elle attaque des depôts gypseux, tartareux, pierreux, qui usent peu à peu la peau, l'enflamment, & la percent pour se faire jour. Elle contourne aussi les os, les déplace, tuméfie leurs têtes, & détruit enfin, en s'invétérant, le mouvement des membres attaques hers même le tems des paroxysmes.

Comme l'atthme, la gortte est une maladie intermittente de toute la vie, elle revient presque tous les ans, & souvent plusieurs fois dans la même année; l'hyver, le printems, l'autonne, sont les tems de ses accès. Leur durée n'a rien de limite, quoiqu'Hippocrate, aphorisme xljx. sect. 6. la fixe à 40 jours. Les premiers ne sont souvent que d'un demi-jour, d'un jour, ou deux, ou trois, &c. ils deviennent plus longs à - mesure qu'ils se répetent; enfin en vieillissant, ils durent les mois & les saisons entieres; de sorte que les vieux goutteux souffrent pendant les trois quarts de l'année, & n'ont de libre, encore très - imparfaitement, que le tems des plus fortes chaleurs de l'été. Les paroxysmes qui viennent pendant la maturité de l'âge, & dans les commencemens d'une goutte confirmée, sont les plus douloureux & les plus insupportables; ils sont chacun composés d'autres petits paroxysmes de dix ou douze heures chaque jour; les autres qui sont longs, & qui regardent l'âge le plus avancé, sont aussi composés d'autres paroxysmes chacun de plusieurs jours, pendant lesquels les douleurs se soûtiennent au même degré, mais moins insupportables que dans la vigueur de l'âge.

Outre les paroxysmes de la goutte qui reviennent périodiquement, les goutteux sont quelquefois exposés à des accès subits & irréguliers d'une douleur si vive, si véhemente, si intolérable, qui surprend quelque partie du corps, qu'elle jette le souffrant dans le desespoir, & qu'elle seroit capable de lui arracher la vie, si elle ne se dissipoit presqu'aussi brusquement qu'elle arrive. Ils sont aussi sujets à des petites douleurs vagues & irrégulieres indépendantes des acces qui durent plus ou moins, selon les circonstances, & qui peuvent menacer de quelque paroxysme surnuméraire ou de quelque anomalité, selon le siége qu'elle occupent.

Quand la goutte s'est une fois emparée d'un corps, elle y regne seule ordinairement; les autres maladies en sont presque bannies; & s'il s'en déclare quelqu'une, elle est fort suspecte d'être une goutte déguisée, à cause de la propriété qu'elle a d'affecter, comme un prothée, toutes sortes de formes. Celle qu'elle s'associe, & qui est sa compagne la plus ordinaire, c'est la pierre dans la vessie, & quelquefois les hémorrhordes; comme si ce n'étoit pas assez d'elle seule pour tourmenter un malheureux goutteux, & qu'il fallût la reunion de deux autres terribles maladies pour achever de le desespérer.

Differences. Les articulations, principalement celles des extrémités, sont le siége naturel de la goutte réguliere qui vient d'être decrite; mais il n'est aucune partie du corps, ni aucun viscere qui ne puisse le devenir dans son irrégularité. C'est pourquoi on distingue la goutte en réguliere & en irréguliere. Lorsque le levain ne se porte que sur les piés & les mains, comme sur son propre domaine, elle est parfaitement réguliere: lorsqu'il tombe sur les autres articulations, conjointement ou separement, elle est imparfaitement réguliere; & même irréguliere, selon quelques auteurs, quand elle assecte les articulations du tronc. Mais ce n'est pas - là la vraie irrégularité. La goutte irreguliere veritable, celle qui merite le nom d'anomate, qu'on appelle aussi remontec, est celle qui attaque les visceres ou l'interieur du corps, & qui fait autant de maladies différentes qu'elle afflige de parties, soit qu'elle s'y jette avant de tomber sur les articulations, soit qu'elle abandonne les articulations pour rentrer dans l'intérieur du corps. Il y a des apoplexies, des esquinancies, des fluxions de poitrine, des coliques goutteures, &c. qui sont l'effet du levain goutteux qui se porte au cerveau, au gosier, sur le poumon, dans le bas - ventre, &c.

La goutte considérée en elle - même, est d'un bon ou d'un mauvais caractere, simple ou noüée: elle est d'un caractere benin, ou benigne, quand ses douleurs sont supportables, qu'elle occupe une petite étendue, qu'elle est bornée aux extrémites, & que les paroxysmes sont courts. Elle est d'un caractere malin, ou maligne, quand les souffrances sont excessives, qu'elle occupe plusieurs membres à - la - fois ou successivement, qu'elle menace l'intérieur en s'attachant au tronc ou à la tête, & que les paroxysmes sont si longs ou se répetent si souvent, qu'elle [p. 774] dure la meilleure partie de l'année. Elle est simple, quand elle se résout parfaitement, & qu'elle ne laisse aucune trace après la solution parfaite de l'accès. Elle est noüée, lorsqu'elle contourne les articulations, qu'elle les déplace, les gonsle, en détruit le mouvement, & qu'elle y laisse des concrétions plâtreuses, pierreuses, &c.

On fait encore plusieurs différences de la goutte; l'une est récente ou douteuse; l'autre ancienne ou confirmée. L'une est fixe & sédentaire, quand elle s'attache à la partie qu'elle occupe pendant toute la durée du paroxysme. L'autre est vague, ambulante & in déterminée, quand elle parcourt plusieurs articulations successivement, sans se décider pour aucune. L'une est particuliere, quand elle n'attaque qu'une articulation ou un seul membre. L'autre est universelle, quand elle les attaque tous ou presque tous à la - fois. Enfin l'une est héréditaire, quand elle est transmise par les parens. L'autre est accidentelle, quand elle est acquise & née d'elle - même.

Il a plu à Musgrave, on ne sait pas pourquoi, de considérer la goutte ou comme maladie essentielle & indépendante, ou comme maladie subordonnée & produite par une autre, de distinguer par conséquent la goutte en idiopatique & en symptomatique, & se bornant à cette derniere, de donner un traité détaillé de la filiation de la goutte par le rhûmatisme, le scoibut, la chlorose, l'asthme, &c. Comme s'il n'étoit pas plus raisonnable de croire que la goutte est une maladie toûjours premiere, idiopatique & essentielle; qu'elle n'est engendrée par aucune autre, & que celles dont il la fait descendre ne sont qu'une goutte déguisée, ou tout - au - plus compliquée avec elles, puisqu'on connoît la propriété qu'elle a de se métamorphoser sous toute sorte de formes, & que selon Musgrave même, elle est très - difficile, pour ne pas dire impossible, à reconnoître avant qu'elle ait pris celle qui lui est propre.

Causes. Nous recevons de nos parens au moment de la conception, ou nous engendrons en nous mêmes & de notre propre fond, ou, comme le pense Boerhaave, nous acquérons par la communication & la contagion, le levain propre à former la goutte. Ce levain, comme bien d'autres auxquels le corps est sujet, produit tantôt un effet prompt & prématuré, tantôt il n'agit qu'après plusieurs années. Quand il s'est une fois annoncé, & qu'il a donné des marques certaines de son existence, son propre est de se renouveller chaque année, soit que le corps une fois insecté soit capable d'en engendrer une nouvelle quantité, soit que quelque parcelle du premier dompté pour un tems sans être détruit, reprenne vigueur & se multipl e pour former un nouvel accès.

On connoît mieux les effets de ce maudit levain, qu'on n'en connoît ni la nature ni les qualités. A en juger par les principaux, la douleur excessive, la chaleur, les concrétions plâtreuses ou pieireuses; par les urines épaisses, chargées de caroncules & d'un sédiment tartareux ou piâtreux; & par son association avec la pierre dans la vessie: on peut croire que sa nature est saline, tartareuse, acre, mordante, & peut - être pierreuse, comme l'a avancé Quercetan dans une consultation sur la goutte & le calcul, & comme n'ose le décider Sydenham.

On ne connoît guere mieux les causes éloignées de la goutte, que la qualité du levain; la multitude de celles qu'on accuse, ne prouve que trop bien qu'on ignore la plus coupable. Hippocrate a écrit que les bûveurs d'eau, les eunuques, les enfans avant l'âge de puberté, & les femmes avant d'avoir perdu leurs regles, n'étoient point sujets à la goutte. Il en a conclu qu'elle étoit fille de Bacchus & de Vénus. Mais l'expérience a démenti tout ce qu'il a avancé à cet égard; & tous ceux qui étoient de son tems favorisés d'une heureuse exemption, avoient déjà perdu leur privilége du tems de Galien, & ne joüissent plus d'aucun parmi nous, où le nombre des goutteux tant hommes que femmes, est devenu prodigieux.

On ne sauroit douter que les excès dans tous les genres ne soient capables d'attirer la goutte, comme ils le sont de produire toute autre maladie, telle que l'asthme, la migraine, la néphrétique, &c. mais on ne voit pas assez clairement qu'ils ayent le pouvoir de l'engendrer, non plus que les autres maladies qu'on vient de citer. Tous les excès nuisent, en ce qu'ils épuisent ou qu'ils dérangent les fonctions du corps, & qu'un levain qui seroit peut - être demeuré caché toute sa vie, se trouve par - là disposé à germer comme une semence, à se développer & à produire son action. On ne sauroit pourtant assurer qu'un tel excès, par exemple celui du vin, ait engendré la goutte. Le nombre des goutteux ivrognes est très - petit, & celui des ivrognes non - goutteux très - grand. S'il y a des vins propres à fomenter ou à irriter la goutte, comme on le prétend des vins de Moravie, de Bohème, du Champagne mousseux, &c. il y en a aussi, tels que les vins d'Espagne, de Bourgogne, &c. qui non - seulement ne lûi sont point contraires de l'aveu de tout le monde; mais qui en sont plûtôt le préservatif & le remede, si l'on en croit M. Liger dans son traité de la goutte, & Ambroise Paré qui, liv. XVIII. chap. xjv. rapporte un exemple de guérison par la crapule qu'on n'avoit pu obtenir par aucun autre moyen, & qui la conseille deux ou trois fois le mois pour se préserver de la goutte. La Bourgogne & la Champagne sont presque exemptes de la goutte, selon M. Liger, à cause de leurs vins; tandis qu'elle est endém que en Flandres & en Normandie, où l'on n'en cueille point. S'il est vrai que ces heureuses provinces n'enfantent point de goutteux, elles deviendront bien - tôt la patrie de ceux qui le sont; l'agrément du remede autant que ses vertus, augmenteront chaque jour le nombre de ses partisans & de leurs citoyens. Le vin ne doit pourtant pas se trop glorifier encore de sa nouvelle fortune; l'eau dont personne ne fait excès, & qui avoit été accusée, selon Sennert, de donner la goutte à ceux qui en bûvoient par goût ou par nécessité, joüissoit depuis long - tems de l'honneur d'être un spécifique, quand le vin convaincu d'être le seul coupable est venu le lui enlever; s'il manque de pouvoir pour soûtenir sa nouvelle réputation, il sera bien tôt dépossédé. La gloire vraie ou fausse que l'eau & le vin ont eus en différens tems d'être tantôt les auteurs & tantôt les libérateurs de la goutte, marque trop bien qu'ils sont aussi indifférens à son égard que les autres choses non - naturelles, & qu'on ignore parfaitement toutes les vraies causes de cette cruelle maladie.

Il en est des excès de Vénus comme de ceux de Bacchus; les intempérans sont malades après leurs débauches, de toute autre maladie que de la goutte; s'ils deviennent goutteux, ils ont cela de commun avec les plus retenus. Il y a plus de goutteux modérés en ansour, qu'il n'y en a de débauchés. On peut raisonner tout de même de la bonne chere & de tous les excès, & conclure qu'il n'en est aucun en particulier qui ait la propriété de produire la goutte; mais que chacun peut tellement disposer le corps, que le levain engendré de lui - même ou par une cause inconnue & cachée, se réveille & se mette en action pour former la maladie.

Les gens de la campagne & ceux qui s'occupent à des travaux pénibles, sont moins sujets à la goutte que ceux de la ville & que les fainéans: mais ce n'est pas à raison de leur sobriété; ils font des excès de vin & souvent de femmes, comme ceux de la ville.

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