ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"134"> depuis retiré chez les Anglicans, dont il a épousé presque toutes les erreurs. Il qualifie le livre de la Perpetuité de la foi, qui contient ces raisonnemens & beaucoup d'autres semblables, de Triomphe de la dialectique sur la raison. C'est au lecteur à juger de la justesse de cette application.

Il. A la chaine de tradition qu'on leur oppose, les Protestans objectent qu'il n'y a point ou presque point de pere qui n'ait déposé en faveur du sens figuratif & métaphorique, & qui n'ait dit que l'euchatistie même après la consécration, est figure, signe, antitype, symbole, pain, & vin. Mais toutes ces chicanes que les Calvinistes ont rebattues en mille manieres, se détruisent aisément par cette seule solution; que l'eucharistie étant composée de deux parties, l'une extérieure & sensible, l'autre intérieure & intelligible, il n'est pas étonnant que les peres se servent souvent d'expressions qui ne conviennent à ce sacrement que selon ce qu'il a d'extérieur; comme on dit une infinité de choses des hommes, qui ne leur conviennent que selon leurs vêtemens. Ainsi l'eucharistie étant tout - à - la - fois, quoique sous différens rapports, figure & vérité, image & réalité, les peres ne laissent pas de donner aux symboles, même après la consécration, les noms de pain & de vin, & ceux d'image & de figure; puisque d'un côté les noms suivant ordinairement l'apparence extérieure & sensible, la nature du langage reçû parmi les hommes nous porte à ne les pas changer, lorsque ces apparences ne sont pas changées; & que de l'autre, par les mots d'image & de figure, ils n'entendent point une image & une figure vuide, mais une figure & une image qui contiennent réellement ce qu'elles représentent. En effet, quand les peres s'expliquent sur la partie intérieure & intelligible de l'eucharistie, c'est - à - dire sur l'essence & la nature du sacrement, ils s'expriment d'une maniere si nette & si précise, qu'ils ne laissent aucun lieu de douter qu'ils n'ayent admis la présence réelle. Ils enseignent, par exemple, que les symboles ayant été consacrés & faits eucharistie par les prieres que le Verbe de Dieu nous a enseignées, sont la chair & le sang de ce même Jesus - Christ qui a été fait homme pour l'amour de nous. S. Justin, ij. apologie. Que l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, est présent sur la table sacrée; qu'il est immolé par les prêtres sans effusion de sang, & que nous prenons véritablement son précieux corps & son précieux sang. Gelase de Cyzique, d'après le premier concile de Nicée. Que Jesus - Christ ayant dit du pain, ceci est mon corps; qui osera en douter desormais? & lui - même ayant dit, ceci est mon sang; qui oseroit en entrer en doute, en disant que ce n'est pas son sang? Il a autrefois changé l'eau en vin en Cana de Galilée; pourquoi ne mériterat - il pas d'être crû, quand il change le vin en son sang? S. Cyrille de Jérusalem, catech. jv. Que par la parole de Dieu & l'oraison, le pain est changé tout - d'un - coup au corps du Verbe par le Verbe, selon ce qui a été dit par le Verbe même: ceci est mon corps. S. Grég. de Nyss. orat. catech. Que le créateur & le maître de la nature, qui produit du pain de la terre, fait ensuite son propre corps de ce pain; parce qu'il le peut & l'a promis: & celui qui de l'eau a fait du vin, fait aussi du vin son sang. S. Gaudence évêque de Brescia, in Exod. tract. ij. Que le saint - Esprit fait que le pain commun proposé sur la table, devient le propre corps que Jesus - Christ a pris dans son incarnation. S. Isidore de Damiete, ép. cjx. Que l'eucharistie est le corps & le sang du Seigneur, même pour ceux qui le mangeant indignement, mangent & boivent leur jugement. S. August. liv. V. du baptême contre les Donatistes, chap. viij. Que nous croyons que le corps qui est devant nous, n'est pas le corps d'un homme commun & semblable à nous, & le sang de méme; mais que nous ie recerons comme ayant été fait le propre corps & le propre sang du Verbe qui vivifie toutes choses. S. Cyrille d'Alexandrie, explieat. du ij. de ses anathem. Que le prétre invisible (J. C.) change par une puissance secrete les créatures visibles en la substance de son corps & de son sang, en disant: prenez & mangez, ceci est mon corps. S. Eucher ou S. Cesaire, homél. v. sur la pàque. Que le saint - Esprit étant invisiblement présent par le bon plaisir du Pere & la volonte du Fils, fait cette divine opération; & par la main du prétre il consacre, change, & sait les dons proposés (c'est - à - dire le pain & le vin), le corps & le sang de Jesus - Christ. Germain patriarche de Constantinople, dans sa thcorie des mysteres. Que le pain & le vin ne sont point figures du corps & du sang de Jesus - Christ, mais que c'est le corps même déifie de Jesus - Christ; Notre Seigneur ne nous ayant pas dit, ceci est la figure de mon corps, mais ceci est mon corps; & n'ayant pas dit de même, ceci est la figure de mon sang, mais ceci est mon sang. S. Jean de Damas, de la foi orthod, lib. IV. chap. xjv. Il ne seroit pas difficile d'accumuler de pareils passages des peres, des conciles, des auteurs ecclesiastiques, & des théologiens, jusqu'au xvj. siecle, pour former une suite de tradition constante, & de montrer que tous ont pensé que les symboles sont changés, transmués, transélémentés, transsubstantiés au corps & au sang de Jesus - Christ. Dire après cela que ces peres & ces écrivains n'ont parlé que par métaphore, ou, comme l'auteur que nous avons cité ci - dessus, qu'il n'y a aucun de ces passages sur lequel on ne puisse disputer; c'est plûtôt aimer la dispute, que se proposer la recherche de la vérité, & contester qu'il fasse clair en plein jour. La doctrine & le langage des peres sur la présence réelle, ne peuvent paroître équivoques qu'à des esprits prévenus & déterminés à trouver des figures dans les discours les plus simples.

Les ministres calvinistes ne l'ont que trop bien senti; & pour éluder le poids d'une pareille autorité, ils ont imaginé différens systemes qui tendent tous à prouver que la créance de la présence réelle n'a pas été la foi de la primitive église & de l'antiquité. Les uns, comme Blondel dans son éclaircissement sur l'eucharistie, ont fait naître l'opinion de la transsubstantiation long - tems après Berenger: les autres, comme Aubertin, le ministre de la Roque, & M. Basnage, ont remonté jusqu'au vij. siecle, où ils ont prétendu que contre la foi des six premiers siecles, Anastase religieux du mont Sinaï, avoit enseigné le premier que ce que nous recevons dans l'eucharistie n'est pas l'antitype, mais le corps de Jesus - Christ; que cette innovation fut embrassée par Germain patriarche de Constantinople en 720, par S. Jean de Damas en 740, par les peres du ij. concile de Nicée en 787, par Nicéphore patriarche de Constantinople en 806; que le même langage passa d'orient en occident, comme il paroît par les livres que Charlemagne fit faire au concile de Francfort en 794. Pour sentir l'absurdité de ce système, il suffit de se rappeller que depuis S. Ignace le martyr & S. Justin, tous les peres grecs dont nous avons cité quelques - uns, avoient enseigné constamment que l'eucharistie étoit le vrai corps & le vrai sang de Jesus - Christ; que l'orient étoit plein des ouvrages de ces peres, & des liturgies de S. Basile & de S. Chrysostome, où la présence réelle est si clairement énoncée. Anastase le Sinaïte n'a donc rien innové en tenant précisément le même langage que les auteurs qui l'avoient précédé.

Quant à l'occident, Aubertin oubliant qu'il a attribué à un concile nombreux & célebre, tel que celui de Francfort, l'introduction du dogme de la présence réelle, lui donne une origine encore plus récente. Il pretend que Paschase Ratbert d'abord moine, puis abbé de Corbie, dans un traité du corps & du sang du Seigneur, qu'il composa vers l'an 831, [p. 135] & dédia à Charles - le - Chauve en 844, rejetta le sens de la figure, admis jusqu'alors par tous les fideles, & y substitua celui de la réalité, fruit de son imagination; que cette nouveaute prit si rapidement en moins de deux siecles, que lorsque Bérenger voulut revenir au sens de la figure, on lui opposa comme immémorial le consentement de toute l'Eglise décidée pour le sens de la réalité. Mais 1°. puisqu'il s'agissoit de constater l'antiquité de l'un ou l'autre de ces deux sentimens, Bérenger qui vivoit au xj. siecle étoit - il si éloigné du neuvieme & si peu instruit, qu'il ne pût reclamer contre l'mnovation de Paschase Ratbert, & même la démontrer? Dans tous les conciles où il a comparu, s'est - il jamais défendu autrement que par des subtilités métaphysiques; a - t - il jamais allegué le fait de Ratbert à Laniranc & à ses autres adversaires, qui lui opposoient perpétuellement l'antiquité? C'eut été un moyen aussi court qu'il étoit simple, pour décider cette importante question.

2°. Supposons pour un moment que Berenger ne fût pas instruit, ou ne voulut pas user de tous ses avantages; le systeme d'Aubertin & des ministres n'en est pas moins absurde: car le changement qu'ils supposent, introduit par Ratbert dans la créance de l'Eglise universelle sur l'eucharistie, s'est fait brusquement & tout - à - coup, ou insensibiement & par degrés. Or ces deux suppositions sont également fausses. En premier lieu, il faut bien peu connoitre les hommes, leurs passions, leur caractere, leur attachement à leurs opinions en matiere de religion, pour avancer qu'un particulier sans autorité, tel qu'un simple religieux, puisse tout - à - coup &, pour ainsi parlet, du jour au lendemain, changer la créance publique de tout l'Univers pendant neuf siecles sur un point de la cerniere conséquence, & d'un usage aussi général, aussi journalier pour le peuple que pour les savans, sans que les premiers se soulevent, sans que les autres reclament, sans que les évêques & les pasteurs s'opposent au torrent de l'erreur. C'est une prétention contraire à l'expérience de tous les siecles. Combien de sang répandu dans l'Orient pour la dispute des images infiniment moins importante? & que de guerres & de carnages dans le xvj. siecle, lorsque les Luthériens & les Calvinistes ont voulu faire prédominer leurs opinions! Les hommes du siecle de Ratbert auroient été d'une espece bien finguliere, & totalenrent differente du caractere des hommes qui les ont précédés & qui les ont suivia. Encore une fois, il faut ne les point connoitre, pour avancer qu'ils se laissent troubler plus tranquillement dans la possession de leurs opinions, que dans celle de leurs biens. Dans l'hypothèse des Calvinistes, Paschase Ratbert étoit un novateur décidé; & cependant ce novateur aura été protégé des princes, cru des peuples sur sa parole, chéri des évêques avec lesquels il a assisté à plusieurs conciles, respecté des savans qui seront demeurés en silence devant lui. Luther & Calvin qui, selon les ministres, ramenoient au monde la vérité, & qui ont été accueillis bien différemment, auroient été bien embarrassés eux - mêmes à nous êxpliquer ce prodige.

Reste donc à dire que le sentiment de Paschase, combattu d'abord par quelques personnes, séduisit insensiblement & par degrés la multitude à la faveur des ténebres du x. siecle, qu'on a appellé un siecle de plomb & de fer. Mais d'abord ces adversaires de Paschase qu'on fait sonner si haut, se réduisent à ce Jean Scot dont nous avons déjà parlé, à un Heribald auteur très - obscur, à un anonyme, à Raban Maur, & à Ratramne ou Bertramne; & ces trois derniers qui ont reconnu la présence réelle aussi expressément que Paschase, ne disputoient avec lui que sur quelques conséquences de l'eucharistie, sur une erreur de fait, sur quelques mots mal - entendus de part & d'au<cb-> tres, qui ne touchoient point au fond de la question: tandis que Paschase avoit pour lui Hincmar archevêque de Reims, Prudence évêque de Troyes, Flore diaere de Lyon, Loup abbé de Ferrieres, Christian Drutmar, Walfridus, les prélats les plus célebres, & les auieurs les plus accrédités de ce tems - là. Ce neuvieme siecle, que les Calvinistes prennent tant de plaisir a rabaisser, a été encore plus fécond on grands hommes instruits de la véritable doctrine de l'Eglise, & capables de la défendre. On y compte en Allemagne S. Unny archevêque de Hambourg, apôtre du Danemant & de la Norvege; Adalbert, un de ses successeurs; Brunon archevéque de Cologne, Willelme arche véque de Mayence, Francon & Burchard évêques de Wormes, Saint Udalric évêque d'Augsbourg, S. Adalbert archevêque de Prague, qui porta la foi dans la Hongrie, la Prusse, & la Lithuanie; S. Bonisace & S. Brunon, qui la prêcherent aux Russiens. En Angleterre on trouve S. Dunstan archeveque de Cantorberi, Etelvode évéque de Winchester, & Oswald évêque de Worcester: en Italie, les papes Etienne VIII. Léon VII. Marin, Agapet II. & un grand nombre de savans évèques: en France, Etienne évêque d'Autun, Fulbert évêque de Chartres, S. Mayeul, S. Odon, S. Odilon, premiers abbés de Clugny: en Espagne, Gennadius évêque de Zamore, Attilan évéque d'Asturie, Rudeimde évêque de Composteile; & cela sous le regne d'empereurs & de princes zélés pour la foi. Or soûtenir que tant de grands hommes, dont la plûpart avoient vécu dans le neuvieme siecle, & pouvoient avoir été témoins, ou avoir connu les témoins de l'innovation introduite par Radbert, l'ayent favorisée dans l'esprit des peuples; c'est se joüer de la crédulité des lecteurs.

Une derniere considération qui démontre que les Protestans sont venus troubler l'Eglise catholique dans sa posseslion; c'est que si cette derniere eût innové au jx. siecle dans la foi sur l'eucharistie, les Grecs qui se sont séparés d'elle vers ce tems - là. n'eussent pas manqué de lui reprocher sa défection. Or c'est ce qu'ils n'ont jamais fait: car pou de tems après que Léon IX. eut condamné l'hérésie de Berenger, Michel Cerularius patriarche de Constantinople, pubüa plusieurs écrits, où il n'oublia rien de ce qui pouvoit rendre odieuse l'Eglise latine; il l'attaque entre autres avec chaleur sur la question des azymes, qui ne fait rien au fond du mystere, & allegue la diversité des sentimens des deux églises sur ce point, comme un des principaux motifs du schisme, sans dire un mot sur la presence réelle.

Dans le concile de Florence, où l'on traita de la réunion des Grecs, l'empereur de Constantinople & les évêques ses sujets agiterent toutes les questions sur lesquelles on étoit divisé, & en particulier celle qui regardoit les paroles de la consécration; mais il ne fut pas mention de celle de la transsubstantiation, ni de la présence réelle. Les Grecs & les Latins étoient donc dans cette persuasion commune, que dans l'une & l'autre eglise il ne s'étoit introduit aucune innovation sur cet article: car dans la disposition où étoient alors les esprits depuis plus de trois cents ans, si cette innovation eût commencé chez les Grecs à Anastase le Sinaïte, ou chez les Latins à Paschase Ratbert, ils n'auroient pas manqué de se la reprocher réciproquement. Dira - t - on que pour le bien de la paix & pour étouffer dans sa naissance quelque secte ennemie du dogme de la présence réelle, les deux églises convinrent de concert de ce point: mais en premier lieu, la réunion moins conclue que projettée à Florence ne fut pas durable, & Marc d'Ephese, Cabasilas, & les autres évêques grecs qui rompirent les premiers l'accord, loin de combattre la présence réelle, la soûtiennent ouvertement dans

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