ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"338"> esprit? Quoi! Dieu le créateur de tout ne peut - il pas éterniser ou anéantir votre ame à son gré, quelle que soit sa substance? Le superstitieux vient à son tour, & dit qu'il faut brûler pour le bien de leurs ames ceux qui soupçonnent qu'on peut penser avec la seule aide du corps: mais que diroit - il si c'étoit lui - même qui fût coupable d'irréligion? En effet quel est l'homme qui osera assûrer sans une impiété absurde, qu'il est impossible au Créateur de donner à la matiere la pensée & le sentiment? Voyez, je vous prie, à quel embarras vous êtes réduits, vous qui bornez ainsi la puissance du Créateur »? Dans ce raisonnement je vois l'homme d'esprit, & nullement le métaphysicien. Il ne faut pas s'imaginer que pour résoudre cette question il faille connoître l'essence & la nature de la matiere: les raisonnemens que l'Auteur fonde sur cette ignorance ne sont nullement concluans. Il suffit de remarquer que le sujet de la pensée doit être un; or un amas de matiere n'est pas un, c'est une multitude. Ces mots, amas, assemblage, collection, ne signifient qu'un rapport externe entre plusieurs choses, une maniere d'exister dépendamment les unes des autres. Par cette union nous les regardons comme formant un seul tout, quoique dans la réalité elles ne soient pas plus une que si elles étoient séparées. Ce ne sont là, par conséquent, que des termes abstraits qui au dehors ne supposent pas une substance unique, mais une multitude de substances. Or, que notre ame doive être une d'une unité parfaite, c'est ce qu'il est aisé de prouver. Je regarde une perspective agréable, j'écoute un beau concert; ces deux sentimens sont également dans toute l'ame. Si l'on y supposoit deux parties, celle qui entendroit le concert n'auroit pas le sentiment de la vûe agréable; puisque l'une n'étant pas l'autre, elle ne seroit pas susceptible des affections de l'autre. L'ame n'a donc point de parties, elle compare divers sentimens qu'elle éprouve. Or, pour juger que l'un est douloureux, & l'autre agréable, il faut qu'elle ressente tous les deux; & par conséquent qu'elle soit une même substance très - simple. Si elle avoit seulement deux parties, l'une jugeroit de ce qu'elle sentiroit de son côté, & l'autre de ce qu'elle sentiroit en particulier de son côté, sans qu'aucune des deux pût faire la comparaison, & porter son jugement sur les deux sentimens; l'ame est donc sans parties & sans nulle composition. Ce que je dis ici des sentimens, je peux le dire des idées. que A, B, C, trois substances qui entrent dans la composition du corps se partagent trois perceptions différentes; je demande où s'en fera la comparaison. Ce ne sera pas dans A, puisqu'elle ne sauroit composer une perception qu'elle a avec celles qu'elle n'a pas. Par la même raison, ce ne sera ni dans B ni dans C; il faudra donc admettre un point de réunion, une substance qui soit en même tems un sujet simple & indivisible de ces trois perceptions, distincte par conséquent du corps; une ame, en un mot, purement spirituelle.

L'ame étant une substance très - simple, il ne peut y avoir de division dans elie; & celles que nous y supposons pour concevoir d'une maniere plus nette les diverses choses qui s'y passent, ne consistent qu'en pures abstractions. L'entendement, c'est l'ame entant qu'elle se représente simplement un objet; la volonté, c'est l'ame entant qu'elle se détermine vers tel objet ou s'en éloigne. C'est ce qu'on a désigné du nom de facultés de l'ame. Ce sont diverses manieres d'exercer la force unique qui constitue l'essence de l'ame. Quiconque veut s'instruire à fond de toutes les opérations de l'ame, trouvera de quoi se satisfaire dans plusieurs excellens Ouvrages dont les principaux sont la recherche de la vérité, le traité de l'entendement humain, & les deux Philosophies de M. Wolf. Ces dernieres surtout sont ce qui a paru jusqu'à présent de plus circonstancié & de mieux développé sur cet important sujet. Après avoir établi l'existence de l'ame, M. Wolf la considere par rapport à la faculté de connoître qu'il distingue en inférieure & supérieure. La partie inférieure comprend la perception, source des idées, le sentiment, l'imagination, la faculté de former des fictions, la mémoire, l'oubli & la réminiscence. La partie supérieure de la faculté de connoître consiste dans l'attention & la réflexion, dans l'entendement en général & ses trois opérations en particulier, & dans les dispositions naturelles de l'entendement. La seconde faculté générale de l'ame, c'est celle d'appéter ou de se porter vers un objet, entant qu'elle le considere comme un bien; d'où résulte la détermination contraire, lorsqu'elle l'envisage comme un mal. Cette faculté se partage même en partie inférieure & partie supérieure. La premiere n'est autre chose que l'appétit sensitif & l'aversation sensitive, ou le goût & l'éloignement que nous conservons pour les objets en nous laissant diriger par les idées confuses des sens; delà naissent les passions. La partie supérieure est la volonté entant que nous voulons ou ne voulons pas, uniquement parce que des idées distinctes, exemptes de toute impression machinale, nous y déterminent. La liberté est l'usage que nous faisons de ce pouvoir de nous déterminer. Enfin, il regne une liaison entre les opérations de l'ame & celles du corps dont l'expérience nous apprend les regles invariables. Voilà l'analyse psychologique de M. Wolf.

La question de l'immortalité de l'ame est nécessairement liée avec la spiritualité de l'ame. Nous ne connoissons de destruction que par l'altération ou la séparation des parties d'un tout; or nous ne voyons point de parties dans l'ame: bien plus nous voyons positivement que c'est une substance parfaitement une & qui n'a point de parties. Pherécide le Syrien est le premier qui au rapport de Cicéron & de S. Augustin, répandit dans la Grece le dogme de l'immortalité de l'ame. Mais ni l'un ni l'autre ne nous détaillent les preuves dont il se servoit, & de quelles preuves pouvoit se servir un Philosophe qui, quoique rempli de bon sens, confondoit les substances spirituelles avec les matérielles, ce qui est esprit avec ce qui est corps. On sait seulement que Pythagore n'entendit point parler de ce dogme dans tous les voyages qu'il fit en Egypte & en Assyrie, & qu'il le reçut de Phérécide, touché principalement de ce qu'il avoit de neuf & d'extraordinaire. L'Orateur Romain ajoûte que Platon étant venu en Italie pour converser avec les disciples de Pythagore approuva tout ce qu'ils disoient de l'immortalité de l'ame, & en donna même une sorte de démonstration qui fut alors très applaudie: mais il faut avoüer que rien n'est plus frêle que cette démonstration, & qu'elle part d'un principe suspect. En effet, pour connoître quelle espece d'immortalité il attribuoit à l'ame, il ne faut que considérer la nature des argumens qu'il emploie pour la prouver. Les argumens qui lui sont particuliers & pour lesquels il est si fameux ne sont que des argumens métaphysiques tirés de la nature & des qualités de l'ame, & qui par conséquent ne prouvent que sa permanence, & certainement il la croyoit; mais il y a de la différence entre la permanence de l'ame pure & simple, & la permanence de l'ame accompagnée de châtimens & de récompenses. Les preuves morales sont les seules qui puissent prouver un état futur & proprement nommé de peines & de récompenses. Or Platon, loin d'insister sur ce genre de preuves, n'en allegue point d'autres, comme on peut le voir dans le douzieme livre de ses lois, que l'autorité de la tradition & de la religion. Je tiens tout cela pour vrai, dit - il, parce que je l'ai oüi dire. Par là [p. 339] il fait assez voir qu'il en abandonne la vérité, & qu'il n'en réclame que l'inutilité. 2°. L'opinion de Platon sur la métempsycose a donné lieu de le regarder comme le plus grand défenseur des peines & des récompenses d'une autre vie. A l'opinion de Pythagore qui croyoit la transmigration des ames purement naturelle & nécessaire, il ajoûta que cette transmigration étoit destinée à purifier les ames qui ne pouvoient point à cause des souillures qu'elles avoient contractées ici bas, remonter au lieu d'où elles étoient descendues, ni se rejoindre à la substance universelle dont elles avoient été séparées; & que par conséquent les ames pures & sans tache ne subissoient point la métempsycose. Cette idée étoit aussi singuliere à Platon que la métempsycose physique l'étoit à Pythagore. Elle semble renfermer quelque sorte de dispensation morale que n'avoit point celle de son maître; & elle en différoit même en ce qu'elle n'y assujettissoit pas tout le monde sans distinction, ni pour un tems égal. Mais pour faire voir néanmoins combien ces deux Philosophes s'accordoient pour rejetter l'idée des peines & des récompenses d'une autre vie, il suffira de se rappeller ce que nous avons dit au commencement de cet article de leur sentiment sur l'origine de l'ame. Des gens qui étoient persuadés que l'ame n'étoit immortelle que parce qu'ils la croyoient une portion de la divinité elle - même, un être éternel, incréé aussi bien qu'incorruptible; des gens qui supposoient que l'ame, après un certain nombre de révolutions, se réunissoit à la substance universelle où elle étoit absorbée, confondue & privée de son existence propre & personnelle: ces gens - là, dis - je, ne croyoient pas sans doute l'ame immortelle dans le sens que nous le croyons: autant valoit - il pour les ames être absolument détruites & anéanties, que d'être ainsi englouties dans l'ame universelle, & d'être privées de tout sentiment propre & personnel. Or nous avons prouvé au commencement de cet article, que la réfusion de toutes les ames dans l'ame universelle étoit le dogme constant des quatre principales sectes de Philosophes qui florissoient dans la Grece. Tous ces Philosophes ne croyoient donc pas l'ame immortelle au sens que nous l'entendons.

Mais pour dire ici quelque chose de plus précis; lorsque Platon insiste en plusieurs endroits de ses ouvrages sur le dogme des peines & des récompenses d'une autre vie, comment le fait - il? C'est toûjours en suivant les idées grossieres du peuple; que les ames des méchans passent dans le corps des ânes & des pourceaux; que ceux qui n'ont point été initiés restent dans la fange & dans la boue; qu'il y a trois juges dans les enfers: il parle du Styx, du Cocyte & de l'Achéron, &c. & il y insiste avec tant de force, que l'on peut & que l'on doit même croire qu'il a voulu persuader les lecteurs auxquels il avoit destiné les ouvrages où il en parle, comme le Phédon, le Gorgias, sa République, &c. Mais qui peut s'imaginer qu'il ait été lui - même persuadé de toutes ces idées chimériques? Si Platon, le plus subtil de tous les Philosophes, eût crû aux peines & aux récompenses d'une autre vie, il l'eût au moins laissé entrevoir comme il l'a fait à l'égard de l'éternité de l'ame, dont il étoit intimement persuadé; c'est ce qu'on voit dans son Epinomis, lorsqu'il parle de la condition de l'homme de bien après sa mort: « J'assûre, dit - il, très - fermement, en badinant comme sérieusement, que lorsque la mort terminera sa carriere, il sera à sa dissolution dépouillé des sens dont il avoit l'usage ici - bas; ce n'est qu'alors qu'il participera à une condition simple & unique; & sa diversité étant résolue dans l'unité, il sera heureux, sage & fortuné ». n'est pas sans dessein que Platon est obscur dans ce passage. Comme il croyoit que l'ame se réunissoit finalement à la substance universelle & unique de la nature dont elle avoit été séparée, & qu'elle s'y confondoit, sans conserver une existence distincte, il est assez sensible que Platon insinue ici secretement, que lorsqu'il badinoit, il enseignoit alors que l'homme de bien avoit dans l'autre vie une existence distincte, particuliere, & personnellement heureuse, conformément à l'opinion populaire sur la vie future; mais que lorsqu'il parloit sérieusement, il ne croyoit pas que cette existence fût particuliere & distincte: il croyoit au contraire que c'étoit une vie commune, sans aucune sensation personnelle, une résolution de l'ame dans la substance universelle. J'ajoûterai seulement ici, pour confirmer ce que je viens de dire, que Platon dans son Timée s'explique plus ouvertement, & qu'il y avoue que les tourmens des enfers sont des opinions fabuleuses.

En effet, les Anciens les plus éclairés ont regardé ce que ce Philosophe dit des peines & des récompenses d'une autre vie, comme choses d'un genre exotérique, c'est - à - dire, comme des opinions destinées pour le peuple, & dont il ne croyoit rien lui - même. Lorsque Chrysippe, fameux Stoïcien, blâme Platon de s'être servi mal - à - propos des terreurs d'une vie future pour détourner les hommes de l'injustice, il suppose lui - même que Platon n'y ajoûtoit aucune foi; il ne le reprend pas d'avoir crû ces opinions, mais de s'être imaginé que ces terreurs puériles pouvoient être utiles au progrès de la vertu. Strabon fait voir qu'il est du même sentiment, lorsqu'en parlant des Brachmanes des Indes, il dit qu'ils ont à la maniere de Platon, inventé des fables concernant l'immortalité de l'ame & le jugement futur. Celse avoue que ce que Platon dit d'un état futur & des demeures fortunées destinées à la vertu, n'est qu'une allégorie. Il réduit le sentiment de ce Philosophe sur la nature des peines & des récompenses d'une autre vie, à l'idée de la métempsycose qui servoit à la purification des ames; & la métempsy cose elle - même se réduisoit finalement à la réunion de l'ame avec la nature divine, lorsque l'ame, pour me servir de ses expressions, étoit devenue assez forte pour pénétrer dans les hautes régions.

Les Péripatéticiens & les Stoïciens ayant renoncé au caractere de Législateurs, parloient plus ouvertement contre les peines & les récompenses d'une autre vie. Aussi voyons - nous qu'Aristote s'explique sans détour, & de la maniere la plus dogmatique contre les peines & les récompenses d'une autre vie: « La mort, dit - il, est de toutes les choses la plus terrible, c'est la fin de notre existence; & après elle l'hom<-> » me n'a ni bien à espérer, ni mal à craindre.

Epictere, vrai Stoïcien s'il y en eut jamais, dit en parlant de la mort: « Vous n'allez point dans un lieu de peines: vous retournez à la source dont vous êtes sortis, à une douce réunion avec vos élémens primitifs; il n'y a ni enfer, ni Achéron, ni Cocyte, ni Phlégéton.» Séneque dans sa consolation à Marcia, fille du fameux Stoïcien Crémutius Cordus, reconnoît & avoue les mêmes principes avec aussi peu de tour qu'Epictete: « Songez que les morts ne ressentent aucun mal; la terreur des enfers est une fable; les morts n'ont à craindre ni ténebres, ni prison, ni torrent de feu, ni fleuve d'oubli; il n'y a après la mort ni tribunaux, ni coupables, il regne une liberté vague sans tyrans. Les Poëtes donnant carriere à leur imagination, ont voulu nous épouvanter par de vaines frayeurs: mais la mort est la fin de toute douleur, le terme de tous les maux; elle nous remet dans la même tranquillité où nous étions avant que de naître ».

Cicéron dans ses Epîtres familieres où il fait connoître les véritables sentimens de son coeur, dans ses Offices même, se déclare expressément contre ce dogme: « La consolation, dit - il dans une lettre

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