ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"540"> son travail pendant quelque tems considérable. Il ne se souviendroit plus de la maniere dont il auroit composé ses teintes, & il seroit exposé à placer à chaque instant ou les unes sur les autres, ou les unes à côté des autres, des couleurs qui ne sont point faites pour aller ensemble. Qu'on juge par - là combien il est difficile de mettre d'accord un morceau de peinture en émail, pour peu qu'il soit considérable. Le mérite de l'accord dans un morceau, peut être senti presque par tout le monde; mais il n'y a que ceux qui sont initiés dans l'art, qui puissent apprécier tout le mérite de l'artiste.

Quand on a ses couleurs, il faut se procurer de l'huile essentielle de lavande, & tâcher de l'avoir non adultérée; quand on l'a, on la fait engraisser: pour cet effet, on en met dans un gobelet dont le fond soit large, à la hauteur de deux doigts; on le couvre d'une gaze en double, & on l'expose au soleil, jusqu'à ce qu'en inclinant le gobelet on s'apperçoive qu'elle coule avec moins de facilité, & qu'elle n'ait plus que la fluidité naturelle de l'huile d'olive: le tems qu'il lui faut pour s'engraisser est plus ou moins long selon la saison.

On aura un gros pinceau à l'ordinaire qui ne serve qu'à prendre de cette huile. Pour peindre, on en fera faire avec du poil de queues d'hermine; ce sont les meilleurs, en ce qu'ils se vuident facilement de la couleur & de l'huile dont ils sont chargés quand on a peint.

Il faut avoir un morceau de crystal de roche, ou d'agate; que ce crystal soit un peu arrondi par les bords; c'est là - dessus qu'on broyera & délayera ses couleurs: on les broyera & délayera jusqu'à ce qu'elles fassent sous la molette la même sensation douce que l'huile même.

Il faut avoir pour palette un verre ou crystal qu'on tient posé sur un papier blanc; on portera les couleurs broyées sur ce morceau de verre ou de crystal; & le papier blanc servira à les faire paroître à l'oeil telles qu'elles sont.

Si l'on vouloit faire servir des couleurs broyées du jour au lendemain, on auroit une boîte de la forme de la palette; on coleroit un papier sur le haut de la boîte; ce papier soûtiendroit la palette qu'on couvriroit du couvercle même de la boîte; car la palette ne portant que sur les bords de la boîte, elle n'empêcheroit point que le couvercle ne se pût mettre. Mais il arrivera que le lendemain les couleurs demanderont à être humectées avec de l'huile nouvelle, celle de la veille s'étant engraissée par l'évaporation.

On commencera par tracer son dessein: pour cela, on se servira du rouge de Mars; on donne alors la préference à cette couleur, parce qu'elle est legere, & qu'elle n'empêche point les couleurs qu'on applique dessus, de produire l'effet qu'on en attend. On dessinera son morceau en entier avec le rouge de Mars; il faut que ce premier trait soit de la plus grande correction possible, parce qu'il n'y a plus à y revenir. Le feu peut détruire ce que l'artiste aura bien ou mal fait; mais s'il ne détruit pas, il fixe & les défauts & les beautés. Il en est de cette peinture à - peu - près ainsi que de la fresque; il n'y en a point qui demande plus de fermeté dans le dessinateur, & il n'y a point de peintres qui soient moins sûrs de leur dessein que les peintres en émail: il ne seroit point difficile d'en trouver la raison dans la nature même de la peinture en émail; ses inconvéniens doivent rebuter les grands talens.

L'artiste a à côté de lui une poële où l'on entretient un feu doux & modéré sous la cendre; à mesure qu'il travaille, il met son ouvrage sur une plaque de taule percée de trous, & le fait secher sur cette poële: si on l'interrompt, il le garantit de l'im<cb-> pression de l'air, en le tenant sous un couvercle de carton.

Lorsque tout son dessein est achevé au rouge de Mars, il met sa plaque sur un morceau de taule, & la taule sur un feu doux, ensuite il colorie son dessein comme il le juge convenable. Pour cet effet, il commence par passer sur l'endroit dont il s'occupe, une teinte égale & legere, puis il fait sécher; il pratique ensuite sur cette teinte les ombres avec la même couleur couchée plus forte ou plus foible, & fait sécher; il accorde ainsi tout son morceau, observant seulement que cette premiere ébauche soit par - tout extrèmement foible de couleur; alors son morceau est en état de recevoir un premier feu.

Pour lui donner ce premier feu, il faudra d'abord l'exposer sur la taule percée, à un feu doux, dont on augmentera la chaleur à mesure que l'huile s'évaporera. L'huile à force de s'évaporer, & la piece à force de s'échauffer, il arrivera à celle - ci de se noucir sur toute sa surface: on la tiendra sur le feu jusqu'à ce qu'elle cesse de fumer. Alors on pourra l'abandonner sur les charbons ardens de la poële, & l'y laisser jusqu'à ce que le noir soit dissipé, & que les couleurs soient revenues dans leur premier état: c'est le moment de la passer au feu.

Pour la passer au feu, on observera de l'entretenir chaude; on chargera le fourneau, comme nous l'avons prescrit plus haut; c'est le tems même qu'il mettra à s'allumer, qu'on employera à faire sécher la piece sur la poële. Lorsqu'on aura lieu de présumer à la couleur rouge - blanche de la moufle qu'il sera suffisamment allumé; on placera la piece & sa taule percée sous la moufle, le plus avancées vers le fond qu'on pourra. On observera entre les charbons qui couvriront son entrée, ce qui s'y passera. Il ne faut pas manquer l'instant où la peinture se parsond, on le connoîtra à un poli qu'on verra prendre à la piece sur toute sa surface; c'est alors qu'il faudra la retirer.

Cette manoeuvre est très - critique; elle tient l'artiste dans la plus grande inquiétude; il n'ignore pas en quel état il a mis sa piece au feu, ni le tems qu'il a employé à la peindre: mais il ne sait point du - tout comment il l'en retirera, & s'il ne perdra pas en un moment le travail assidu de plusieurs semaines. C'est au feu, c'est sous la moufle que se manifestent toutes les mauvaises qualités du charbon, du métal, des couleurs & de l'émail; les piquûres, les souflures, les fentes mêmes. Un coup de feu efface quelquefois la moitié de la peinture; & de tout un tableau bien travaillé, bien accordé, bien fini, il ne reste sur le fond que des piés, des mains, des têtes, des membres épars & isolés; le reste du travail s'est évanoüi: aussi ai - je oüi dire à des artistes que le tems de passer au feu, quelque court qu'il fût, étoit presque un tems de fievre qui les fatiguoit davantage & nuisoit plus à leur santé, que des jours entiers d'une occupation continue.

Outre les qualités mauvaises du charbon, des couleurs, de l'émail, du métal, auxquelles j'ai souvent oüi attribuer les accidens du feu; on en accuse quelquefois encore la mauvaise température de l'air, & même l'haleine des personnes qui ont approché de la plaque pendant qu'on la peignoit.

Les artistes vigilans éloigneront d'eux ceux qui auront mangé de l'ail, & ceux qu'ils soupçonneront être dans les remedes mercuriels.

Il faut observer dans l'opération de passer au feu, deux choses importantes; la premiere de tourner & de retourner sa piece afin qu'elle soit par - tout également échauffée: la seconde, de ne pas attendre à ce premier feu que la peinture ait pris un poli vif; parce qu'on éteint d'autant plus facilement les couleurs que la couche en est plus legere, & que les couleurs [p. 541] une fois dégradées, le mal est sans remede; car comme elles sont transparentes, celles qu'on coucheroit dessus dans la suite, tiendroient toûjours de la foiblesse & des autres défauts de celles qui seroient dessous.

Après ce premier feu, il faut disposer la piece à en recevoir un second. Pour cet effet, il faut la repeindre toute entiere; colorier chaque partie comme il est naturel qu'elle le soit, & la mettre d'accord aussi rigoureusement que si le second feu devoit être le dernier qu'elle eût à recevoir; il est à propos que la couche des couleurs soit pour le second feu un peu plus forte, & plus caracterisée qu'elle ne l'étoit pour le premier. C'est avant le second feu qu'il faut rompre ses couleurs dans les ombres, pour les accorder avec les parties environnantes: mais cela fait, la piece est disposée à recevoir un second feu. On la fera sécher sur la poële comme nous l'avons prescrit pour le premier, & l'on se conduira exactement de la même maniere, excepté qu'on ne la retirera que quand elle paroîtra avoir pris sur toute sa surface un poli un peu plus vif que celui qu'on lui vouloit au premier feu.

Après ce second feu, on la mettra en état d'en recevoir un troisieme, en la repeignant comme on l'avoit repeinte avant que de lui donner le second; une attention qu'il ne faudra pas négliger, c'est de fortifier encore les couches des couleurs, & ainsi de suite de feu en feu.

On pourra porter une piece jusqu'à cinq feux; mais un plus grand nombre feroit souffrir les couleurs, encore faut - il en avoir d'excellentes pour qu'elles paissent supporter cinq fois le fourneau.

Le dernier feu est le moins long; on reserve pour ce feu les couleurs tendres, c'est par cette raison qu'il importe à l'artiste de les bien connoître. L'artiste qui connoîtra bien sa palette, ménagera plus ou moins de feux à ses couleurs selon leurs qualités. S'il a, par exemple un bleu tenace, il pourra l'employer dès le premier feu; si au contraire son rouge est tendre, il en différera l'application jusqu'aux derniers feux, & ainsi des autres couleurs. Quel genre de peinture? combien de difficultés à vaincre? combien d'accidens à essuyer? voilà ce qui faisoit dire à un des premiers peintres en émail à qui l'on montroit un endroit foible à retoucher, ce sera pou un autre morceau. On voit par cette réponse combien ses couleurs lui étoient connues: l'endroit qu'on reprenoit dans son ouvrage étoit foible à la vérité, mais il y avoit plus à perdre qu'à gagner à le corriger.

S'il arrive à une couleur de disparoître entierement, on en sera quitte pour repeindre, pourvû que cet accident n'arrive pas dans les derniers feux.

Si une couleur dure a été couchée avec trop d'huile & en trop grande quantité, elle pourra former une croûte sous laquelle il y aura infailliblement des trous: dans ce cas, il faut prendre le diamant & grater la croûte, repasser au feu afin d'unir & de repolir l'endroit, repeindre toute la piece, & surtout se modérer dans l'usage de la couleur suspecte.

Lorsqu'un verd se trouvera trop brun, on pourra le rehausser avec un jaune pâle & tendre; les autres couleurs ne se rehausseront qu'avec le blanc, &c.

Voilà les principales manoeuvres de la peinture en émail, c'est à - peu - près tout ce qu'on peut en écrire; le reste est une affaire d'expérience & de génie. Je ne suis plus étonné que les artistes d'un certain ordre se déterminent si rarement à écrire. Comme ils s'apperçoivent que dans quelques détails qu'ils pûssent entrer, ils n'en diroient jamais assez pour ceux que la nature n'a point préparés, ils négligent de préscrire des regles générales, communes, grossieres & matérielles qui pourroient à la vérité servir à la conservation de l'art, mais dont l'observation la plus scrupuleuse feroit à peine un artiste médiocre.

Voici des observations qui pourront servir à ceux qui auront le courage de s'occuper de la peinture sur l'émail ou plûtôt sur la porcelaine. Ce sont des notions élémentaires qui auroient leur utilité, si nous avions pû les multiplier, & en former un tout; mais il faut espérer que quelque homme ennemi du mystere, & bien instruit de tous ceux de la peinture sur l'émail & sur la porcelaine, achevera, rectifiera même dans un traité complet ce que nous ne faisons qu'ébaucher ici. Ceux qui connoissent l'état où sont les choses aujourd'hui, apprétieront les peines que nous nous sommes données, en profiteront, nous sauront gré du peu que nous révélons de l'art, & trouveront notre ignorance, & même nos erreurs très - pardonnables.

1. Toutes les quintessences peuvent servir avec succès dans l'emploi des couleurs en émail. On fait de grands éloges de celle d'ambre; mais elle est fort chere.

2. Toutes les couleurs sont tirées des métaux, ou des bols dont la teinture tient au feu. Ce sont des argiles colorées par les métaux - couleurs.

3. On tire du safre un très - beau bleu. Le cobolt donne la même couleur, mais plus belle; aussi celui - ci est - il plus rare & plus cher; car le safre n'est autre chose que du cobolt adultéré.

4. Tous les verds viennent du cuivre, soit par la dissolution, soit par la calcination.

5. On tire les mars du fer. Ces couleurs sont volatiles; à un certain degré de feu elles s'évaporent ou se noircissent.

6. Les mars sont de différentes couleurs, selon les différens fondans. Ils varient aussi selon la moindre variété qu'il y ait dans la réduction du métal en safran.

7. La plus belle couleur que l'on puisse se proposer d'obtenir du fer, c'est le rouge. Les autres couleurs qu'on en tire ne sont que des combinaisons de différens dissolvans de ce métal.

8. L'or donnera les pourpres, les carmins, & les violets. La teinture en est si forte, qu'un grain d'or peut colorer jusqu'à 400 fois sa pesanteur de fondant.

9. Les bruns qui viennent de l'or ne sont que des pourpres manques; ils n'en sont pas moins essentiels à l'artiste.

10. En général les couleurs qui viennent de l'or sont permanentes. Elles souffrent un degré de feu considérable. Cet agent les altérera pourtant, si l'on porte son action à un degré excessif. Il n'y a guere d'exception à cette regle, que le violet qui s'embellit à la violence du feu.

11. On peut tirer un violet de la manganese; mais il est plus commun que celui qui vient de l'or.

12. Le jaune n'est pour l'ordinaire qu'un émail opaque qu'on achete en pain, & que l'on broye très fin. On tire encore cette couleur belle, mais foncée, du jaune de Naples.

13. Les pains de verre opaque donnent aussi des verds: ils peuvent être trop durs; mais on les attendrira par le fondant. Alors leur couleur en deviendra moins foncée.

14. L'étain donnera du blanc.

15. On tirera un noir du fer.

16. Le plomb ou le minium donnera un fondant; mais ce fondant n'est pas sans défaut. Cependant on s'opiniâtre à s'en servir, parce qu'il est le plus facile à préparer.

17. La glace de Venise, les stras, la rocaille de Hollande, les pierres - à - fusil bien mûres, c'est - à - dire bien noires; le verre de Nevers, les crystaux de Boheme, le sablon d'Etampes, en un mot toutes les matieres vitrifiables non colorées, fourniront des

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