Les Encyclopédistes forment une Société
de gens de lettres, & leurs adversaires plusieurs corps respectables.
Des magistrats, des théologiens; des religieux, des ministres
protestans, beaucoup d'écrivains, conduits peut-être
par des animosités particulières, quelques-uns
par un zèle véritables ont fait tous leurs efforts
pour empêcher la continuation de l'ouvrage annoncé
comme le plus vaste, le plus hardi, le plus utile qu'on ait jamais
conçu. Il devoit être la gloire de la nation, le
triomphe de l'esprit humain; & jamais phénomène
littéraire n'a causé plus de Scandale. On crut
voir heurter tous les principes, anéantir toutes les loix
divines & humaines, sous cette idée éblouïssante
de rassembler en un corps, & de transmettre à la postérité
le dépôt de toutes les sciences & de tous les
arts. On soupconna quelque conspiration secrette. Mille voix
s'élevèrent; pour la faire échouer. D'abord
on employa les manoeuvres; bientôt la critique, le ridicule
& les brocards; enfin les noirceurs & les accusations
les plus atroces. On parvint à renverser la prétendue
base sur laquelle portoient toutes les connoissances humaines.
Un journaliste de Trévoux lui donna les premières
secousses: cet écrivain, une des meilleures plumes de
la société, successeur des pères Longueval,
Fonteney & Brumoi, dans l'entreprise de l'Histoire de
l'église Gallicane, jette promptement l'allarme. Il
eut mauvaise opinion de l'Encyclopédie, avant même
qu'elle parut. Il la condamna sur le seul nom des auteurs. Ceux-ci
jugèrent sa partialité manifeste, en ce qu'ayant
beaucoup applaudi, en 1745, au simple projet de l'Encyclopédie
de Chambers, il annonça la nouvelle Encyclopédie
au mois de décembre I750, sans lui donner les mêmes
éloges. Les auteurs de celle-ci se flattoient pourtant
que leur plume valait celle d'un Anglois & d'un Allemand,
tous deux associés pour rendre Chambers en notre
langue; mais ils dévorèrent cette mortification,
& ils attendirent que le journaliste portât son jugement
sur le prospectus, qui parut bientôt.
Ce prospectus, de la composition de M. Diderot, lui fit
beaucoup d'honneur. On veut que cet écrivain, non moins
rempli de philosophie, que versé dans les belles-lettres,
ne soit, dans son Essai sur lé mérite &
la vertu, dans sa Lettre sur les sourds & muets,
dans son Interprétation de la nature, dans ses
comédies morales, qu'un vil & ridicule plagiaire:
mais n'enchérit-il jamais sur les originaux dont on le
dit copiste? Ne les embellit-il pas quelquefois? Ses écrits
sont-ils dénués de force & de raison? A travers
les ténèbres dont il s'enveloppe souvent, ne jette-t-il
pas des rayons lumineux? Son prospectus fit le plus grand
effet: c'est le frontispice superbe d'un palais immense &
magnifique.
Rien n'a fait plus de bruit que l'arbre généalogique
du chancelier Bacon, né à Londres en 1560, génie
créateur immortel, en vénération aujourd'hui
chez ses compatriotes, comme dans tout le reste de l'Europe;
le père de la physique expérimentale; le premier
qui osa voir & montrer la lumière aux hommes, qui,
se moquant avec raison de ces absurdités consacrées
quiddités, horreur du vuide, formes substantielles,
étudia la nature, en développa les causes &
les effets. Les expériences physiques qu'on a faites depuis,
sont presque toutes indiquées dans le nouvel organe
des sciences. Physicien admirable, il était encore
écrivain élégant, historien & bel-esprit.
Ses ouvrages sont une source où tout le monde a puisé,
les sots mal-adroitement, & les autres en hommes de génie,
qui sçavent donner à leurs matériaux la
forme convenable. Le larcin fait à Bacon, n'échappa
point au journaliste. Il marqua le sol d'où l'on avoit
transplanté l'arbre des connoissances humaines. Ce sol
est le livre de la dignité & de l'accroissement
des sciences. Le jésuite répéta longtemps,
de mois en mois que les encyclopédistes se paroient d'un
bien qui ne leur appartenoit pas. Il réclama, pour l'illustre
Anglois, le plan & le système de leur dictionnaire.
Il donna le parallele des deux arbres, & la ressemblance
frappa. L'un & l'autre sont divisés en trois branches
principales, relativement aux trois facultés de l'ame,
la mémoire, l'imagination & la raison; & ces trois
branches sont divisées encore, & sous-divisées
à l'infini.
On observera que Bacon, quoique protestant parle avec assez d'égards
des papes & des catholiques. Il avoit osé avancer
qu'en fait d'éducation de la jeunesse, aucune école
ne vaut celle des jésuites. Les louant en présence
du roi Jacques premier, il leur avoit appliqué le mot
d'Agesilaus, au sujet de Pharnabaze: Fait comme vous
êtes, que n'êtes-vous des nôtres? Le jésuite
ne manqua pas de rappeller ce trait si flatteur pour la société.
Une pareille attention ne devoit par elle-même nuire à
personne: mais l'éloge était malheureusement à
côté de cette critique vive, de ces paroles ironiques,
à la fin de la comparaison des deux célèbres
arbres.
"On nous promet dix tomes in-folio; & nous
ne devrions pas nous plaindre quand il y en auroit trente: on
dit, dans le public, que vingt-quatre sçavans ont été
choisis pour ce travail; & il n'y auroit rien d'extraordinaire
quand on en auroit choisi cent. On ne peut douter qu'il n'y ait
bien des années qu'on a mis la main à l'oeuvre;
& nous ne serions pas surpris qu'il y eut cinquante ans:
on demande aux souscripteurs deux cent quatre-vingt livres; on
en demandera trois cent soixante-douze à ceux qui n'auront
pas souscrit; & le premier de ces deux prix nous pa-roît
modique, le second ne nous paroît pas exorbitant."
Les encyclopédistes furent révoltés.
L'auteur du prospectus, pour se venger & venger tous
ses associés, adresse alors une lettre au journaliste,
avec ces mots en tête, Paete non dolet, allusion
à ceux que dit Arria, femme de Paetus, en lui présentant
un poignard qu'elle avoit essayé sur elle-même.
M. Diderot se plaignoit, dans la lettre, qu'on osât accuser
de plagiat une société d'écrivains qui,
dès l'annonce de leur grand ouvrage, avoient indiqué
la source où ils avoient puisé, avoient fait honneur
au chancelier Bacon de ses richesses, avaient déclaré
que, s'ils réussissoient, c'est à lui qu'ils en
seroient redevables: mais il soutenoit, en même temps,
que, pour s'être approprié l'idée de l'arbre
généalogique, les associés ne devoient pas
tout
à Bacon. Il vouloit que la branche philosophique fût
de leur seule invention. Il se permit des plaisanteries sur les
louanges données aux jésuites par le chancelier
Bacon, sur l'excellence des mémoires de Trévoux,
sur le cas qu'on doit faire de l'encens ou de la critique, lorsqu'on
les place mal.
"Oui, disoit-il au père Berthier, pour former
une encyclopédie, cinquante sçavans n'auroient
pas eté trop, quand vous eussiez été du
nombre."
Le journaliste, pour toute réponse à cette lettre,
la fit imprimer à la suite d'un de ses mémoires,
avec des notes à côté. Pourquoi, disoit-il,
imiterois-je le bon seigneur Paetus, en me donnant de la dague
dans le cur, par complaisance pour quelqu'un qui s'est blessé
sans aucune raison. Il parlait de la figure que les mémoires
de Trévoux font dans le monde, de leur avantage, vû
leur pètit volume, & une ancienne habitude de plus
de cinquante ans d'aller partout; de la nécessité
de ménager Ies auteurs autorisés à rendre
vengeance pour vengeance, à célébrer qui
les célèbre. Il promettoit de ne plus faire mention
de M. Diderot, de ne citer que des écrivains modestes.
Enfin, il disputa tout aux encyclopédistes, jusqu'à
leur branche philosophique.
Le premier volume de leur dictionnaire ayant paru au mois d'octobre
1751, la scene changea. l:'auteur de l'Épitre dédicatoire
à M. le comte d'Argenson, & du Discours préliminaire,
fut attaqué à son tour. Après avoir confirmé
les louanges données au Mécène, le journaliste
passe à l'analyse du discours en quatorze pages in-folio,
& parcourt les deux parties qui le divisent. La première
est le développement de ces secours mutuels que se prêtent
les sciences & les arts, & qui forment- une chaîne.
Dans la seconde, on expose la manière nouvelle & philosophique
dont les encyclopédistes traitent de toutes les sciences,
de tous les arts & de tous les métiers. Des vues sublimes
& utiles, une marche hardie, la dialectique la plus juste,
beaucoup de tableaux frappans, un stile nerveux, une philosophie
mâle, l'amour des arts & de l'humanité; voila
ce qui caractérise le discours préliminaire auquel
l'auteur doit en partie sa grande réputation. Le journaliste
sembla fermer les yeux sur les principales beautés de
l'ouvrage. S'il loua quelques morceaux de grand maître,
il parut que ce n était que pour acquérir le droit
de critiquer davantage. Dans l'extrait qu'il donna on crut entrevoir
la raison qui l'aigrissoit: on voulut l'attribuer à la
crainte de voir tomber le Dictionnaire de Trévoux,
& à l'ombrage que causèrent les éloges
prodigués à chaque encyclopédiste. M. d'Alembert
eut tout pardonné; mais les soupçons, jettés
sur lui dans les matières les plus graves, mirent dans
son coeur un ressentiment qu'il exhala par la suite.
Le journaliste vient-il à l'examen des articles de l'encyclopédie?
Nouvelles plaintes, nouvelle matière de critique. Il ne
voit que larcins, que dictionnaires mis à contribution,
que pages entières, prises de tous côtes, tronquées,
imitées, ou même copiées mot pour mot. Il
revendique, pour son confrère, le père Buffier,
les articles agir & amitié, donnés
comme la preuve de la métaphysiquè claire &
profonde de l'abbé Yvon. Il produit les originaux
qu'on a défigurés. Plusieurs plagiats, dans le
goût de celui qu'on a découvert plus récemment
à l'article gravure, sont mis au jour. Furetière
s'étoit plaint que le Dictionnaire de Trévoux
étoit en grande partie, copié sur le sien &
sur celui de Basnage: mais, ici, les auteurs de l'Encyclopédie
sont accusés d'être des plagiaires effrontés.
On avance qu'ils exercent un continuel brigandage littéraire,
de façon qu'après avoir rendu à chacun ce
qui lui appartient, il ne leur reste qu'un fond de maximes hardies,.
téméraires, séditieuses, également
contraires au bien de la religion & de l'état.
Ces accusations d'esprit fort & de mauvais citoyen, langage
ordinaire des coeurs ulcérés & jaloux, répandues
dans le public, exagérées par l'ignorance, accréditées
par des circonstances malheureuses, par le bruit d'une thèse
soutenue sur les bancs de théologie par l'abbé
de Prades, qu'on prétendoit être l'écho des
autres & l'enfant perdu de la troupe, firent impression sur
des hommes puissans. Le gouvernement s'allarma: l'Encyclopédie
fut- arrêtée dès le second volume: le conseil
d'état s'expliquoit en ces termes :
"Sa majesté a reconnu que, dans ces deux volumes,
on a affecté plusieurs maximes tendantes à détruire
l'autorité royale, à établir l'esprit d'indépendance
& de révolte, & sous des termes obscurs &
équivoques, à élever les fondemens de l'erreur,
de la corruption des moeurs, de l'irréligion & de
l'incrédulité."
Le temps, les amis, les protections appaisèrent tout.
Les encyclopédistes triomphans se remirent à l'ouvrage
en 1753, c'est-à-dire, un an après la défense.
Leur dictionnaire ne fit que gagner. Les éditeurs devinrent
plus réservés: mais ils conservoient leur secret
dépit. Dans l'avertissement de leur troisième volume,
ils éclatèrent contre
"ce journaliste, plus orthodoxe peut-étre que
logicien, mais certainement plus mal intentionné qu'orthodoxe."
Ils s'étonnent qu'un écrivain qui entreprend
"de juger seul, ou presque seul, de tout ce qui paroît
en matière d'arts & de sciences, trouve fort étrange
qu'une société considérable de gens de lettres
& d'artistes, ait pu même commencer un tel ouvrage.
Pourquoi la nature n'auroit-elle pas répandu sur plusieurs
ce qu'elle a pu réunir dans un seul?"
Ils parlent le langage de la plus sublime philosophie, &
conviennent. que leur dictionnaire a été le
sujet d'un grand scandale, moins par leur faute toutefois,
que par celle de leurs ennemis, auxquels ils pardonnent leur
intention seulement, & non leur succès.
Les éditeurs protestent qu'ils ne sont responsables que
de la partie qui leur est propre, celle de chaque auteur étant
désignée par des marques distinctives. Ils étendent
leur indignation sur tous ces
"Aristarques subalternes, qui s'érigéant
sans droit & sans titre un tribunal où tout le monde
est appellé, sans que personne y paroisse, prononcent,
d'un ton de maître & d'un stile qui n'en est pas, des
arrêts que la voix publique n'a point dictés; qui,
dévorés par cette jalousie basse, l'opprobre des
grands talens & la compagne ordinaire des médiocres,
avilissent leur état & leur plume à décrier
des travaux utiles."
Le journaliste de Trévoux & lés éditeurs,
las d'être en guerre, cessèrent de répandre
leur fiel; mais tous les cris contre le dictionnaire ne furent
pas. étouffés. Il s'éleva d'autres voix
Un franciscain s'annonça comme un foudre qui allait tout
écraser. Les anti-encyclopédistes accueillirent
avec transport un pareil défenseur. Quelques-uns prirent
pour du talent le ton & la confiance du moine. On grava une
estampe où l'on lisoit:
Craignez encor, craignez le cordon de François.
On la trouve à la tête d'une brochure imprimée
au mois de janvier 1752, contre la société encyclopédique.
L'épigraphe étoit autour de l'estampe en forme
de médaillon, où l'on voyoit un bras sortir d'une
nuée, la main armée d'un fouet. On lifoit cet autre
vers au bas de l'estampe:
La droite tient la plume, & la gauche le fouet.
Et qu'est-ce qui fait travestir ainsi le franciscain en exécuteur
des hautes oeuvres? Ce sont quelques plaisanteries sur les divisions
de Scot avec saint Thomas, sur l'obstination de chaque ordre
à se ranger aux sentimens particuliers de ses docteurs;
sur la diversité des écoles, école des jacobins,
école des franciscains, école des jésuites;
sur l'état où serait encore la physique, si l'on
ne l'avoit arrachée à l'esprit de corps &
de société; sur l'impossibilité que,
dans les productions d'une seule tête, il y ait dequoi
meubler celle de tous les franciscains qui existeront jamais,
& sur leur obligation.de ne penser que par Scot, lui qui
n'a point pensé du tout.
Le docteur subtil être ainsi maltraité! quel affront
pour tout l'ordre! Le franciscain, à main armée
d'un instrument de vengeance, déchire impitoyablement
l'auteur de l'article qui le révolte, & prend à
partie tous les encyclopédistes. Il leur applique ces
vers;
Air décisif & dent cynique;
Stile libre & ton peu chrétien,
Du clair obscur philosophique:
Tout cela fait qu'un livre est bien.
Il oppose, au mépris qu'on affecte pour Scot, 1e témoignage
que lui ont rendu les Ximenés, les Sixte-quint; les plus
célèbres universités de l'Europe celle de
Paris,. d'Oxford & de Cologne., la dernière, accomapagnée
des princes, & du peuple, ayant été processionnellement
le recevoir, lorsqu'il vint l'honorer & donner des leçons;
tous ceux enfin qui l'admiroient au quatorzième siècle.
"Paroissez, leur dit-il, & écoutez le jugement
qu'un docteur de ce siècle-ci prononce contre Scot &
vous."
Il cite à cette occassion la dispute élevée
entre les trois royaumes de la Grande- Bretagne, comme autrefois
entre sept villes de la Grèce, au sujet du lieu de la
naissance d'Homère.
Tous ces traits, lancés par le franciscain, eussent été
oubliés avec lui & avec son livre, si, dans le second
volume de l'Encyclopédie, article capuchon,
l'on n'avait fait allusion à ses emportemens, à
son bile injurieux & séraphique. II est aussi ridicule,
y disoit--on, de se battre pour le scotisme, que pour un coqueluchon
plus ou moins étroit: cependant, qui toucheroit à
l'un ou à l'autre, s'attireroit infailliblement une affaire
& des grossièretés. Une telle réflexion
était le comble de l'outrage pour les scotistes encapuchonnés..
Le cordelier redoubla de fureur, & publia, en 1754, une seconde
brochure sous le même titre que la première: Réflexion
d'un franciscain. Il avoit été jusques-là
sur la défenfive, mais il devint alors l'aggresseur. Il
abandonna la dispute du capuchon, en disant que Cardan &
Scaliger avoient bien agité sérieusement lequel
avoit plus de poil d'un bouc ou d'un chevreau. Plein d'une noble
audace, il s'élança contre ses ennemis, & les
attaqua par l'endroit le plus sensible.
Il parcourt tous les articles de l'Encyclopédie,
relevant des fautes donnant à son tour des ridicules,
publiant des personnalités, déclamant contre Deprades,
Yvon, Diderot, & défendant les opinions combattues
par les encyclopédistes, le célibat des prêtres,
les études de collège. Selon lui, on y fait d'excellentes
humanités: on y enseigne la plus saine philosophie. Notre
franciscain est saisi d'horreur à l'article autorité.
La main qui l'a composé lui paraît la plus.criminelle.
Après avoir porté son jugement sur l'Encyclopédie
& sur la personne de plusieurs encyclopédistes, il
termine sa critique par cet avis qu'il leur donne.
"Soyez à l'avenir plus réservés
dans vos articles; apprenez à respecter la religion, l'état,
le public, Scot & les cordeliers. Ne vous avisez point surtout,
dans l'article cordon, de rien insérer contr'eux, sinon
gare la corde."
Ses menaces furent méprisées, & son défi
ne fut point accepté. Pour lui, tout glorieux du silence
que l'on gardoit, il se flatta d'être craint, & compara
son cordon à la massue d'Hercule. Mais c'est trop influer
sur des rodomontades: passons à la querelle sé-rieuse
des ministres Génevois avec M. d'Alembert.
Dans l'article Genève, il parle ainsi d'eux:
"Plusieurs ne croient plus la divinité de Jésus-Christ,
& n'ont d'autre religion qu'un socianisme parfait, rejettant
tout ce qu'on appelle mystère."
Ils ne regardent pas aujourd'hui l'enfer comme un des principaux
points de leur croyance.
"Ce seroit, dans leurs principes, faire injure à
la divinité d'imaginer que cet être, plein de bonté
& de justice, fût capable de punir nos fautes par une
eternité de tourmens."
Leur religion est presque réduite
"à l'adoration d'un seul Dieu. Le respect pour
Jésus Christ & pour les écritures est peut-être
la seule chose qui distingue, d'un pur déisme, le christianisme
de Genève."
D'ailleurs il fait un grand éloge de cette ville, de
ses moeurs, de son gouvernement, de son clergé, de sa
costitution ecclésiastique. Son dessein n'étoit
pas d'offenser un corps respectable. Il vouloit, au contraire,
faire honneur aux ministres de leur esprit de philosophie, de
modération, de tolérance, & du soin qu'ils
apportent à prêcher moins le dogme que la morale.
Les réflexions d'un des chefs de l'entreprise encyclopédique,
étoient une inattention repréhensible & mon
une méchanceté condamnable.
Il est à remarquer qu'avant que de s'ouvrir sur la façon
de penser des pasteurs Génevois, il avoit fait un voyage
dans leur ville. Son article parut le résultat de ses
conversations avec eux. Plusieurs de ces messieurs, dit-il, s'imaginent
que le premier caractère d'une religion est l'accord parfait
de celle-ci avec la raison. Un d'eux, ayant trouvé le
terme de nécessité trop fort à la
tête d'un livre sur la révélation, substitua
le mot d'utilité. Ceux qui s'étoient expliqués
le plus ouvertement- sur des matières aussi délicates,
furent les p1emiers à se plaindre, à demander hautement
réparation de l'outrage, à protester contre ce
qu'on imputoit à la vénérable compagnie
des pasteurs & pro-fesseurs de l'église & de l'académie
de Genève.
Toute la ville murmura & fut indignée, On établit
une comité de ministres pour faire un désaveu public
des sentimens étranges qu'on prêtoit à leur
corps. Lorsqu'on lut, dans le consistoire, l'article en question,
on crut entendre un Servet qui ne méritoit aucune
grace. Il sembloit, selon 1'expression d'un Génevois,
que ce fut le bourdonnement d'un essaim d'abeilles pour chasser
un frelon de leur ruche. Cependant les délibérations
durèrent longtemps. On fut plus de six semaines pour arranger
une profession de foi.
Dans l'intervalle de ces assemblées, certains ministres,
qui craignoient que M. d'Alembert, maltraité, ne se vengeât
à son tour, qu'il ne ménageât plus rien,
& qu'il ne les citât, lui écrivirent, faisant
parade, dans leurs lettres, d'une doctrine toute contraire à
celle qu'ils avoient débitée. Il les devina, les
rassura, leur répondit que, quoiqu il n'eût rien
avancé qu'il ne tînt des principaux d'entr'eux,
il n'avoit en vue aucun pasteur en particulier; qu'ils fussent
tous tranquilles, & que personne ne seroit compromis.
Enfin parut sa réfutation si desirée; elle fut
mise dans tous les journaux de l'Europe. La vénérable
compagnie devoit ces soins à elle-même &
à toutes les églises protestantes. Elle repasse
sur chaque point qui l'a scandalisée, le combat &
développe des principes amirables.
"Nous estimons, dirent les ministres, & nous cultivons
la philosophie: mais ce n'est point cette philosophie licencieuse
& sophistique dont on voit aujourd'hui tant d'écarts.
C'est une philosophie solide qui, loin d'affaiblir la foi, conduit
les plus sages à être aussi les plus religieux."
Rien de plus sensé, de plus modéré que
cette déclaration. Le nom même de l'auteur du scandale
ne s'y trouve pas.
On va croire peut-être qu'elle le ramena: point du tout;
elle le confirma dans ce qu'il avoit dit. Le mot de consubstantialité
manque à la déclaration, & ce mot est essentiel.
L'affectation de ne le pas mettre, surtout après avoir
eu parole de M. d'Alembert qu'il se rétracterait si les
ministres convenoient qu'ils professassent la consubstantialité
du verbe, semble justifier ses accusations. Aussi écrivait-il
à l'un d'eux: Votre déclaration n'a rien qu'Arias
n'eût signé. On me sçaura gré,
dans la suite, d'avoir parlé comme j'ai fait. Mes idée
se fortifieront dans des têtes républicaines. En
moins de vingt ans, on m'élevera une statue à Genève.
J.-J. Rousseau sera-t-il le statuaire? On le demande à
M. d'Alembert, dont il a prétendu relever l'imprudence.
Plusieurs pasteurs de Genève n'ont, selon vous, qu'un
socianisme parfait. Voilà ce que vous déclarez
hautement à la face de toute l'Europe. J'ose vous demander
comment vous l'avez appris. Ce ne peut être que par vos
propres conjectures ou par le témoignage d'autrui, ou
sur l'aveu des pasteurs en question. Or, dans les matières
de pur dogme, & qui ne tiennent point à la morale,
comment peut-on juger de la foi d'autrui par conjecture? Comment
peut-on même juger sur la déclaration d'un tiers
contre celle de la personne intéressée? Qui sçait
mieux que moi ce que je crois ou ne crois pas, & à
qui doit-on s'en rapporter là-dessus plutôt qu'à
moi-même?.... Il resteroit donc à penser, sur ceux
de nos pasteurs, que vous prétendez être sociniens
parfaits, & rejetter les peines éternelles; qu'ils
vous ont confié là-dessus leurs sentimens particuliers:
mais, si c'étoit en effet leur sentiment, & qu'ils
vous l'eussent confié, sans doute ils vous l'auroient
dit en secret; dans l'honnête & libre épanchement
d'un commerce philosophique, ils l'auroient dit au philosophe
& non pas à l'auteur."
A Paris, le cri général fut contre M. d'Alembert.
Ses partisans même le blâmèrent, & ses
ennemis 1'accusèrent de n'avoir parlé des sentimens
de quelques ministres rebèles à Calvin, que pour
avoir occasion d'autoriser ses propres idées. Ce portrait,
qu'il trace de la République de Genève, portraits
si flatté, si chimérique, même, à
quelques égards, de l'aveu de ses citoyens, n'est destiné
que pour étre le passeport des opinions qu'il hazarde.
Une observation cependant qu'on se permettra, est que, dans le
temps même que parut la profession de foi des pasteurs
qui se disoient calomniés, on fit imprimer, à Neufchâtel
en Suisse, le socianisme tout pur.
Les désagrémens dont fut suivi le zè1e ardent
d'un philosophe pour le progrès de la philosophie, le
dégoûtèrent des dictionnaires: il quitte
celui de l'Encyclopédie. Tous les travaux furent
suspendus. Les libraires associés à l'entreprise,
désespérés alors, représentèrent
au public l'injustice de la persécution élevée
contre des écrivains qui servent si bien la patrie, les
lettres, une branche importante de commerce. Ils sentoient les
obligations qu'on avait aux éditeurs. Ils appréhendoient
qu'une désertion n'en occasionnât d'autres; qu'ils
ne perdissent le fruit de douze ans & plus de travaux
& de sollicitudes. Ils tachèrent de fléchir
le rédacteur géomètre dont ils regrettoient
la perte. Ils le conjurèrent, par son désintéressement,
par son amour des lettres & de la nation, par sa bienveillance
pour eux, de ne se venger des clameurs de l'envie, qu'en la méprisant,
en suivant l'élevation de son ame, en continuant d'être
la lumière qui dirige tout. Il cède à leurs
instances; mais c'est pour s'en tenir uniquement à la
partie des mathématiques.
Voilà les grands combats rendus au sujet de l'Encyclopédie.
Pour les escarmouches, elles sont inombrables.
Sous le nom seul de Cacouacs, il y en eut plusieurs. Le
public n'étoit entretenu que d'avis utile concernant
les Cacouacs, de nouveau mémoire pour servir à
l'histoire des Cacouacs, de cathéchisme des
Cacouacs. Par ce mot, on entendit d'abord une nation sauvage
& méchante, mais dont les méchancetés
se bornoient à l'humeur caustique, au persiflage, à
la singularité. Bientôt on attaqua ses principes
& ses moeurs, son enthousiasme, son ardeur
"à faire des prosélytes, son indépendance
des rois & des dieux, qu'elle n'a pas la folie de combattre,
comme firent les Titans, mais dont elle nie l'existence;"
ses cris, lorsqu'on s'élève contre ses maximes;
son horreur des sifflets, ses enchantemens, sa magie,
& principalement son penchant invincible au vol, vice qui
gagne tout étranger qu'elle naturalise. Le pauvre Valentin,
pendu l'année dernière à Francfort,
en est une preuve touchante. Les Cacouacs, enchantés de
leur pays, le désertent quelquefois, après y avoir
fait naître des divisions intestines qui n'élatent
que trop. Un de leurs anciens s'est tourné contr'eux,
indigné de les entendre déraisonner sur la musique.
Dans ce déluge d'écrits polémiques, il faut
distinguer les petites lettres sur de grands philosophes:
elles firent quelque sensation. On y saisit assez bien les ridicules
de quelques philosophes modernes qui abusent de ce nom, le mépris
fastueux de la gloire qu'ils afféctent pour y parvenir
plus surement; leurs cabales, leurs intrigues; l'intérêt
qu'ils veulent inspirer, en exagérant la persécution,
en citant sans cesse les Montesquieu, les Voltaire, pour être
mis à côté de ces grands hommes; leur attention
à se renvoyer des brevets de célébrité,
leur ton décisif, leur charlatannerie; la hauteur avec
laquelle ils commandent à la nation de croire au mérite.de
leurs protégés; la violence avec laquelle ils veulent
emporter les suffrages du public, qu'ils obtiendroient mieux
par la modestie; enfin tant de pensées, tant d'expressions,
tant de débuts emphatiques. J'ai vécu; ...j'écris
de Dieu; . . . jeune homme , prends &. lis;... ô homme,
écoute, voici ton histoire.... Ah ! si l'on eût
fait voyager des hommes tels que les Montesquieu, les d'Alembert
& les Duclos, chez les Hurons ou chez les Iroquois, combien
de merveilles ils nous auroient apprises! Un de ces philosophes
qui pense le plus, dit que tout homme qui pense est un animal
dépravé.
Au milieu de toutes ces lances, rompues contre les encyclopédistes
& leurs adhérans, écrivains, amateurs, libraires,
colporteurs, il s'est élevé tout à coup
un athlète inconnu dans la république des lettres.
Il osa se mesurer lui seul avec tous: il se flatta d'ensévelir
les encyclopédistes sous le poids de ses volumes. Il est
vrai que le titre de son ouvrage est modeste; Préjugés
légitimes contre l'Encyclopédie: mais cette
modestie est peut-être plus fondée que sincère.
Quel stile! quel fatras de raisonnemens & de paroles! Son
objet n'a d'abord été que de mettre en évidence
les fautes du dictionnaire, par rapport à la métaphysique,
à la morale & à la religion. Les louanges lui
furent prodiguées, moins.par estime pour un tel zoïle,
que par l'idée de rabbaisser.ceux qu'il attaquoit. Ce
qui flattoit le plus Abraham Chaumeix, c'est le silence
que gardoient ses ennemis; silence qu'ils auroient dû toujours
observer, ou du moins ne pas interrompre par une réfutation
scandaleuse. La police fit arrêter promptement les exemplaires
d'un libèle qui parut à ce sujet. La manière
dont Chaumeix rapproche dans son livre les systêmes semés
dans différens articles de l'Encyclopédie,
révolta une grande partie du public. Au reste, tous ces
excès ne doivent être mis que sur le compte des
fanatiques des deux partis.
Mais, qui l'eût cru que la ruine des encyclopédistes
ne viendroit point du déchaînement de leurs advérsaires;
qu'elle seroit creusée par un de leurs plus zélés
prosélytes, dont les principes ne sont qu'un écoulement
des leurs. Le livre de l'Esprit leur a porté le
dernier coup. Leurs maximes, leurs loix, leurs raisonnemens parurent
fondus dans ce livre,
"le code des passions les plus odieuses & les plus
infames, l'apologie du matérialisme & de tout ce que
l'irréligion peut dire pour inspirer la haine du christianisme
& de la catholicité. Les écarts de raison,
de décence, d'amour de la société; les hypothèses
chimériques & indécentes s'y présentent
à chaque page."
On detesta le progrès d'une philosophie dont les apôtres
frondent tout, détruisent tout, & ne substituent rien;
dont les prosélytes s'annoncent avec beaucoup d'enthousiasme
& d'audace, se glorifient de n'être d'aucun pays,
d'aucune secte, d'aucun état. On voulut aller à
la source du mal, dont on voyoit des effets déplorables.
Ces deux ouvrages furent à la fois l'objet de l'attention
du parlement.
En quels termes en parle M. Joli de Fleuri?
"La Société, l'état & la religion
se présentent aujourd'hui au tribunal de la justice, pour
lui porter leurs plaintes. Leurs droits sont violés; leurs
loix sont méconnues... Le livre de l'Esprit est
comme l'abrégé de cet ouvrage trop fameux qui,
dans don véritable objet, devoit être le livre de
toutes les connoissances, & qui est devenu celui de toutes
les erreurs: on ne cessoit de nous le vanter comme le monument
le plus propre à faire honneur au génie de la nation,
& il en fait aujourd'hui l'opprobre. On y a fait entrer une
compilation alphabétique de toutes les absurdités,
de toutes les impiétés répandues dans tous
les auteurs. On les a embellies, augmentées, mises dans
un jour plus frappant."
L'avocat général examine les renvois, la clef
du systême encyclopédique, le secret
d'une mystérieuse philosophie, & cite ce morceau remarquable.
"Les renvois des choses attaqueront, ébranleront,
renverseront secrettement quelques opinions qu'on n'oseroit insulter
ouvertement,... Il y auroit un grand art dans ces renvois. L'ouvrage
entier en recevroit une force interne & une utilité
secrette, dont les effets sourds seroient nécessairement
sensibles avec le temps. Toutes les fois, par exemple, qu'un
préjugé national mériteroit du respect,
il faudroit, à son article particulier, l'exposer respectueusement
avec tout son cortège de vraisemblance & de séduction;
mais, renverser l'édifice de fange, dissiper un vain amas
de poussière, en renvoyant aux articles où des
préjugés solides servent de base aux vérités
oppofées: cette manière de détromper les
hommes, opère très promptement sur les bons esprits,
& elle opère infailliblement sans aucune fâcheuse
conséquence, secrettement & sans éclat, sur
tous les esprits."
Les articles adorer, dimanche, christianisme, conscience,
athées, autorités, démonstration, cerf,
corruption, Ethiopien, sont le principal objet du zèle
du magistrat. Il dit de
"ces prétendus philosophes qui osent se donner
aujourd'hui pour des génies du premier ordre, pour la
gloire de la nation, pour les restaurateurs de la vraie science
& les bienfaiteurs de l'humanité, ayant le courage
d'aimer les hommes & la prudence de les fuir, que n'ont-ils
eu plutôt le courage & la prudence de ne pas écrire."
Il rappelle la fin malheureuse de Morin & de Bertelot.
"Nos prédéceffeurs ont condamné
au Supplice le plus affreux, comme criminels de lèze-majesté,
des auteurs qui avoient composé des vers contre l'honneur
de Dieu, son église & l'honnêteté publique."
Toutefois, avant que de prendre aucun parti décisif
contre le dictionnaire, contre les éditeurs & rédacteurs,
il propose de soumettre l'ouvrage à l'examen de quelques
personnes éclairées, aimant la religion & l'état,
& dont le rapport fidèle autorise la cour à
une décision sure & authentique. La cour goûta
ce plan, conforme à celui qu'elle suivit en 1715, au sujet
de la Collection des conciles du P. Hardouin. Il y eut
défenfe aux imprimeurs de débiter aucun exemplaire
des sept volumes de l'Encyclopédie.
L'arrêt du parlement est du 23 janvier 1759, & celui
du conseil du roi, qui révoque le privilège accordé
pour l'impression du livre, est du 8 mars de la méme année.
Le conseil d'état motive ainsi ses ordres.
"L'avantage qu'on peut retirer d'un ouvrage de ce genre,
pour le progrès des Sciences & des arts, ne peut jamais
balancer le tort irréparable qui en résulte pour
les murs & la religion."
Il rappelle l'indulgence qu'il avoit eue de ne pas révoquer
le privilège dans le temps de la suppression des deux
premiers volumes.
Les gens qui entendent finesse à tout, dirent que le coup
mortel porté à l'Encyclopédie, était
l'ouvrage des jésuites: mais ceux-ci objectèrent
qu'on leur faisoit ce reproche dans le temps même qu'on
les accusoit d'avoir approuvé le livre de l'Esprit,
& d'être coupables d'une sorte de complicité
avec l'auteur & avec ceux du dictionnaire.
Quel bruit ne fit pas la condamnation des encyclopédistes!
Leurs vainqueurs la célébrèrent. Il courut
une estampe en forme de médaille: la religion, descendue
d'un nuage, foulait aux pieds l'impiété avec tous
ses attributs. On lisoit, sur la légende, la folle
& l'impie sagesse foulée.
Mais, de tous les moyens employés pour rendre odieuse
une Société d'écrivains, le plus violent
est la comédie des Philosophes. A l'imitation d'Aristophane,
qui ne respectoit rien & qui divertissoit les Grecs aux dépens
du mérite envié, on a tâché, dans
la pièce Françoise, de couvrir d'opprobre les gens
qui, s'ils sont réellement philosophes, méritent
l'estime publique. Tout a paru surprenant dans cette comédie,
l'idée de la pièce, l'exécution, le stile
nerveux & correct, le ton satyrique, le succès prodigieux,
le nombre des représentations, l'affluence des spectateurs.
Il sembloit que ceux que l'auteur avoit en vue fussent des hommes
frappés d'anathème, & qu'on leur fît
faire amende honorable aux yeux de la nation & de toute l'Europe.
On a voulu les venger de cet outrage par des écrits mordans;
mais la satyre a été funeste à quelques-uns
de les auteurs.
Peut-être que, sans la comédie des Philosophes,
celle de l'Écossaise n'eût pas été
donnée. La première fut l'occasion indirecte de
quelques autres petits combats, quoiqu'assez vifs, livrés
au milieu de cette dissension qu'elle répandit généralement,
& qui amenèrent des brochures sous des titres singuliers.
Toutes ces plaisanteries, signées la plupart par des monosyllabes,
sont connues. On a eu l'attention de les recueillir & de
les publier sous le titre de Facéties Parisiennes.
Depuis la publication du recueil, on a fourni, & l'on fournit
encore chaque jour dequoi l'augmenter considérablement.
L'Encyclopédie, ce monument qu'on se proposoit
d'élever à la gloire de la nation & de l'esprit
humain, auroit continué de mériter l'approbation
du gouvernement, s'il n'avoit eu d'autres fondemens que ceux
des sciences & des arts. Bâti sur la politique &
sur la théologie, il devait crouler. Comment ses auteurs
ne l'ont-ils pas prévu? Quel autre avantage encore n'eût-il
pas résulté de l'exclusion de ces deux parties
si critiques? Le dictionnaire, embrassant moins d'objets, eût
été susceptible de perfection; au lieu que, malgré
le nombre choisi de ses coopérateurs, il ne peut être
considéré que comme un ouvrage incomplet. Il a
surtout un grand défaut: c'est le mélange des stiles
emphatique & déclamatoire dans certains articles;
diffus & languissant dans d'autres: dans ceux-ci, chargés
de phrases & de lambeaux pris de toutes parts. Autant d'écrivains
associés, autant de systêmes différens. L'accord
des parties d'un tout fait sa perfection.