ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

RECHERCHE Accueil Mises en garde Documentation ATILF ARTFL Courriel

Previous page

Page 1:873

fait la vision: mais je crois qu'on pourroit profiter autant, en questionnant un aveugle de bon sens... Si l'on vouloit donner quelque certitude à ces expériençes, il faudroit du moins que le sujet fût préparé de longue - main, & peut - être qu'on le rendît philosophe.... Il seroit très - à - propos de ne commencer les observations que long - tems après l'opération: pour cet effet il faudroit traiter le malade dans l'obscurité, & s'assûrer bien que sa blessure est guérie, & que les yeux sont sains. Je ne voudrois point qu'on l'exposât d'abord au grand jour.... Enfin ce seroit encore un point fort délicat que de tirer parti d'un sujet ainsi préparé, & de l'interroger avec assez de finesse pour qu'il ne dît précisément que ce qui se passe en lui... Les plus habiles gens, & les meilleurs esprits, ne sont pas trop bons pour une expérience si philosophique & si délicate.»

Finissons cet article avec l'auteur de la lettre, par la fameuse question de M. Molineux. On suppose un aveugle né, qui ait appris par le toucher à distinguer un globe d'un cube; on demande si, quand on lui aura restitué la vûe, il distinguera d'abord le globe du cube sans les toucher? M. Molineux croit que non, & M. Locke est de son avis; parce que l'aveugle ne peut savoir que l'angle avancé du cube, qui presse sa main d'une maniere inégale, doit paroître à ses yeux, tel qu'il paroît dans le cube.

L'auteur de la lettre sur les aveugles, fondé sur l'expérience de Cheselden, croit avec raison que l'aveugle né verra d'abord tout confusément, & que bienloin de distinguer d'abord le globe du cube, il ne vera pas même distinctement deux figures différentes: il croit pourtant qu'à la longue, & sans le secours du toucher, il parviendra à voir distinctement les deux figures: la raison qu'il en apporte, & à laquelle il nous paroît difficile de répondre, c'est que l'aveugle n'ayant pas besoin de toucher pour distinguer les couleurs les unes des autres, les limites des couleurs lui suffiront à la longue pour discerner la figure ou le contour des objets. Il verra donc un globe & un cube, ou, si l'on veut, un cercle & un quarré: mais le sens du toucher n'ayant aucun apport à celui de la vûe, il ne devinera point que l'un de ces deux corps est celui qu'il appelle globe, & l'autre celui qu'il appelle cube; & la vision ne lui rappellera en aucune maniere la sensation qu'il a reçûe par le toucher. Supposons présentement qu'on lui dise que l'un de ces deux corps est celui qu'il sentoit globe par le toucher, & l'autre celui qu'il sentoit cube; saura - t - il les distinguer? L'auteur répond d'abord qu'un homme grossier & sans connoissance prononcera au hasard; qu'un métaphysicien, sur - tout, s'il est géometre, comme Saunderson. examinera ces figures; qu'en y supposant de certaines lignes tirées, il verra qu'il peut démontrer de l'une toutes les propriétés du cercle que le toucher lui a fait connoître; & qu'il peut démontrer de l'autre figure toutes les propriétés du quarré. Il sera donc bien tenté de conclurre: voilà le cercle, voilà le quarré: cependant, s'il est prudent, il suspendra encore son jugement; car, pourroit - il dire: « peut - être que quand j'appliquerai mes mains sur ces deux figures, elles se transformeront l'une dans l'autre; de maniere que la même figure pourroit me servir à démontrer aux aveugles les propriétés du cercle, & à ceux qui voyent, les propriétés du quarré? Mais non, auroit dit Saunderson, je me trompe; ceux à qui je démontrois les propriétés du cercle & du quarré, & en qui la vûe & le toucher étoient parfaitement d'accord, m'entendoient fort bien, quoiqu'ils ne touchassent pas les figures sur lesquelles je faisois mes démonstrations, & qu'ils se contentassent de les voir. Ils ne voyoient donc pas un quarré quand je sentois un cercle, sans quoi nous ne nous fussions jamais entendus: mais puisqu'ils m'entendoient tous, tous les hommes voyent donc les uns comme les autres: donc je vois quarré ce qu'ils voyoient quarré, & par conséquent ce que je sentois quarré; & par la même raison je vois cercle ce que je sentois cercle ».

Nous avons substitué ici avec l'auteur le cercle au globe, & le quarré au cube, parce qu'il y a beaucoup d'apparence que celui qui se sert de ses yeux pour la premiere fois, ne voit que des surfaces, & ne sait ce que c'est que saillie; car la saillie d'un corps consiste en ce que quelques - uns de les points paroissent plus voisins de nous que les autres: or c'est par l'expérience jointe au toucher, & non par la vûe seule, que nous jugeons des distances.

De tout ce qui a été dit jusqu'ici sur le globe & sur le cube, ou sur le cercle & le quarré, éoncluons avec l'auteur qu'il y a des cas où le raisonnement & l'expérience des autres peuvent éclairer la vûe sur la relation du toucher, & assûrer, pour ainsi dire, l'oeil qu'il est d'accord avec le tact.

La lettre finit par quelques réflexions sur ce qui arriveroit à un homme qui auroit vû dès sa naissance, & qui n'auroit point eu le sens du toucher; & à un homme en qui les sens de la vûe & du toucher se contrediroient perpétuellement. Nous renvoyons nos lecteurs à ces réflexions: elles nous en rappellent uné autre à peu près de la même espece, que fait l'auteur dans le corps de la lettre. « Si un homme, dit - il, qui n'auroit vû que pendant un jour ou deux, se trouvoit confondu chez un peuple d'aveugles, il faudroit qu'il prit le parti de se taire, ou celui de passer pour un fou: il leur annonceroit tous les jours quelque nouveau mystere, qui n'en seroit un que pour eux, & que les esprits forts se sauroient bon gré de ne pas croire. Les défenseurs de la religion ne pourroient - ils pas tirer un grand parti d'une incrédulité si opiniâtre, si juste même à certains égards, & cependant si peu fondée?» Nous terminerons cet article par cette réflexion, capable d'en contrebalancer quelques - autres qui se trouvent répandues dans l'ouvrage, & qui ne sont pas tout - à - fait si orthodoxes. (O)

Aveugles

* Aveugles, (Hist. mod.) hommes privés de la vûe qui forment au Japon un corps de savans fort considérés dans le pays. Ces beaux esprits sont bien venus des grands; ils se distinguent sur - tout par la fidélité de leur mémoire. Les annales, les histoires, les antiquités, forment un témoignage moins fort que leur tradition: ils se transmettent les uns aux autres les évenemens; ils s'exercent à les retenir, à les mettre en vers & en chant, & à les raconter avec agrément. Ils ont des académies où l'on prend des grades. Voyez Barth. Asia. & l'Hist. du Japon du peré Charlevoix.

AVEUGLEMENT

AVEUGLEMENT, s. m. (Med.) privation du sentiment de la vûe, occasionnée par le dérangement total de ses organes, ou par la cessation involontaire de leurs fonctions. L'aveuglement peut avoir plusieurs causes; la cataracte, la goutte sereine, &c. Voyez Cataracte, Goutte sereine , &c. On a divers exemples d'aveuglement périodique; quelques personnes ne s'appercevant du défaut de leur vûe que dans la nuit, & d'autres que pendant le jour. L'aveuglement qui empêche de voir pendant la nuit s'appelle nyctalopie. Celui qui empêche de voir les objets durant le jour, hemeralopie.

Le mot d'aveuglement, comme on l'a observé plus haut, se prend très - rarement dans le sens littéral.

L'auteur de l'ambassade de Garcias de Silva Figueroa en Perse, rapporte qu'il y a certains lieux dans ce royaume où l'on trouve un grand nombre d'aveu<pb->

Next page


The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.

PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.