GRENOUILLETTE, s. f. terme de Chirurgie, tumeur
qui se forme sous la langue par l'amas de la
salive dans ses reservoirs. Tous ceux qui ont parlé
de cette maladie avant la découverte des organes qui
servent à la secrétion de la salive, n'ont pû avoir
des idées précises sur la nature de cette tumeur: on
croit que Celse en parle dans le xij. chap. du VII.
liv. qui a pour titre, de abscessu sub linguâ. Ambroise
Paré dit que la grenouillette est formée de matiere
pituiteuse, froide, humide, grosse & visqueuse, tombant
du cerveau sur la langue. Fabrice d'Aquapendente met cette tumeur au nombre des enkistées, &
ajoûte qu'elle est de la nature du melliceris; Dionis
est aussi de ce sentiment, & il estime que la grenouillette tient un peu de la nature des loupes. Munnick
instruit par les découvertes de l'anatomie moderne,
ne s'est pas mépris sur la nature de cette maladie; il
dit positivement qu'elle vient d'une salive trop acre
& trop épaisse, laquelle ne pouvant sortir par les
canaux salivaires inférieurs, s'amasse sous la langue
& y produit une tumeur. Une idée si conforme à la
raison & à la nature des choses, n'a pas été suivie par
M. Heister; il a emprunté d'Aquapendente tout ce
qu'il dit sur la grenouillette; & M. Col de Villars, medecin
de Paris, dans son cours de Chirurgie, dicté aux
écoles de Medecine, dit que la ranule est causée par
le séjour & l'épaississement de la lymphe qui s'accumule
sous la membrane dont les veines ranules sont
couvertes. Enfin M. de la Faye, dans ses notes sur
Dionis, reconnoit deux especes de grenouillette, les
unes rondes placées sous la langue, qu'il dit produites
par la dilatation du canal excrétoire de la glande
sublinguale, les autres sont plus longues que rondes,
placées à la partie latérale de la langue, & formées,
dit - il, par la dilatation du canal excrétoire de la
glande maxillaire inférieure; il ajoûte que la salive
est la cause matérielle de ces tumeurs, par son épaississement & l'atonie du canal. Voilà le précis des
diverses opinions qu'on a eues sur la nature & le siége
de la grenouillette.
Ce n'est point une maladie rare, il n'y a point de
praticien qui n'ait eu occasion de voir un grand
nombre de tumeurs de cette espece: quand elles ne
sont pas invétérées, la liqueur qui en sort ressemble
parfaitement par sa couleur & sa consistance, à du
blanc d'oeuf; la matiere est plus épaisse si elle a séjourné
plus long - tems; elle devient quelquefois plâtreuse,
& peut même acquérir une dureté pierreuse.
Il sembleroit donc plus naturel de penser que l'épaississement
de la salive n'est point la cause de la grenouillette, puisque l'épaississement de cette humeur
est l'effet de son séjour. Cette maladie vient de la
disposition viciée des solides; elle dépend de l'oblitération
du canal excréteur: en effet on guérit toûjours
ces tumeurs sans avoir recours à aucun moyen
capable de délayer la salive, & de changer le vice
qu'on suppose dans cette humeur; c'est une maladie
purement locale; l'atonie du canal ne retiendroit pas
la salive; & l'on n'a jamais obtenu la guérison de
cette maladie que par le moyen d'un trou fistuleux
resté pour l'excrétion de la salive dans un des points
de l'ouverture qu'on a faite pour l'évacuation de la
matiere renfermée dans la tumeur. J'en ai ouvert
plusieurs; & il est presque toùjours arrivé, lorsque
l'incision n'avoit pas assez d'étendue, que les levres
de la plaie se réunissoient, & la tumeur se reproduisoit
quelque tems après: les anciens ont fait la même
observation. C'est la raison pour laquelle Paré préfere
le cautere actuel à la lancette, dans ces sortes de cas.
Dionis dit aussi qu'il a vû des grenouillettes qui revenoient,
parce qu'on s'étoit contenté d'une simple
ouverture avec la lancette. Pour prévenir cet inconvénient,
il prescrit de tremper dans un mêlange de
miel rosat & d'esprit de vitriol, un petit linge attaché
au bout d'un brin de balai, avec lequel on frottera
rudement le dedans du kiste, pour le faire exfolier
ou se consumer. Il n'y a point d'auteur qui ne semble
regretter que la situation de la tumeur ne permette
pas la dissection totale du kiste. Les succès que Fabrice d'Aquapendente a eus en incisant seulement la
tumeur dans toute son étendue, ne lui ont point ôté
cette prévention; & M. Heister conseilleroit l'extirpation,
si la nature des parties voisines qu'on pourroit
blesser, n'y apportoit, dit - il, le plus grand obstacle;
mais si ce prétendu kiste, si cette poche n'est
autre chose que la glande même ou son canal excréteur
dilaté par la rétention de l'humeur salivaire, on
conviendra qu'il seroit dangereux d'irriter le fond
de la tumeur, pour en détruire les parois, au défaut
de l'extirpation qu'on estime nécessaire, & qu'on est
fâché de ne pas trouver possible. Toutes les fois
qu'on a fait une assez grande incision qui a permis
l'affaissement des levres de la plaie, il n'y a point de
récidive: Munnick recommande expressément cette
incision; & Rossius met la petite ouverture qu'on
fait dans ce cas, au nombre des fautes principales
qu'on peut commettre dans la méthode de traiter
cette maladie, & d'où dépend le renouvellement de
la tumeur. Il ne faut pas dissimuler qu'il recommande
aussi la destruction du kiste: mais pour parvenir à
ce but, il ne propose que des remedes astringens &
dessicatifs, dont l'effet est borné à donner du ressort
aux parties qui ont souffert une trop grande extension,
& à les réduire, autant qu'il est possible, à leur
état naturel: c'est donc par pure prévention que cet
autear croyoit dissoudre & consumer insensiblement
le kiste avec des remedes de cette espece.
Les tumeurs salivaires sont les glandes même, &
leurs tuyaux excrétoires dilatés par la matiere de
l'excrétion retenue. Ainsi le nom de tumeur enkistée
ne convient qu'improprement à la grenouillette, au moins
est - il certain que si l'on appelle ces sortes de
dilatations, tumeurs enkistées, elles ne sont pas du
genre de celles dont on doive détruire & extirper le
kiste; c'est bien assez de les ouvrir dans toute leur
longueur, l'on peut même retrancher les levres de
l'incision, dans le cas où ces bords seroient tumesies,
durs, ou incapables de se rétablir à - peu - près dans
l'état naturel, à cause de la grande extension que
ces parties auroient soufferte par le volume considérable
de la tumeur. J'ai observé que la guérison radicale
dépendoit toûjours d'un trou fistuleux qui restoit
pour l'excrétion de la salive; & lorsqu'il se trouve
inférieurement derriere les dents incisives, il y
a dans certains mouvemens de la langue, une éjaculation de salive très incommode. On peut prévenir
cet inconvénient, puisque pour la guérison parfaite,
il suffit de procurer à l'humeur salivaire retenue
une issue qui ne puisse pas se consolider; il semble
que la perforation de la tumeur avec le cautere
actuel, comme Paré l'avoit proposée, seroit un
moyen aussi efficace que l'incision, mais moins douloureux,
& présérable en ce que l'on seroit assaré
de former l'ouverture de la tumeur pour l'exerétion
permanente de la salive, dans la partie la plus éloignée du devant de la bouche; & de mettre les ma<pb->
Next page
The Project for American and French Research on the Treasury of the
French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et
Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the
Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division
of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic
Text Services (ETS) of the University of Chicago.
PhiloLogic Software, Copyright © 2001 The University of Chicago.