ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Mais tous ceux qui ont la pénétration du sage, n'en ont pas la modération. Paucis imponit leviter extrinjecùs induta facies...tenue est mendacium: perlucet, si diligenter inspexeris (Senec.). Dans un monde cultive sur - tout, la vanité des petits humiliée a des yeux de lynx pour pénétrer la petitesse orgueilleuse des grands; & celui qui en faisant sentir le poids de sa grandeur en laisse appercevoir le vuide, peut s'assûrer qu'il est de tous les hommes le plus severement juge.

Un homme de mérite élevé aux grandeurs, tâche de consoler l'envie, & d'échapper à la malignité. Mais ma'heurculement celui qui a le moins à prétendre, est toûjours celui qui exige le plus. Moins il soûtient sa grandeur par lui même, plus il l'appesantit sur les autres. Il s'incorpore ses terres, ses équipages, ses ayeux, & ses valets, & sous cet attirail, il se croit un colosse. Proposez - lui de sortir de son enveloppe, de se dépouiller de ce qui n'est pas à lui, osez le distinguer de sa naissance & de sa place, c'est lui arracher la plus chere partie de son existence; réduit à lui même, il n'est plus rien. Etonné de se voir si haut, il prétend vous inspirer le respect qu'il s'inspire à lui même. Il s'habitue avec ses valets à humilier des hommes libres, & tout le monde est peuple à ses yeux.

Asperius nihil est humili qui surgit in altum. (Clod.)

C'est ainsi que la plûpart des grands se trahissent & nous détrompent. Car an seul mécontent qui a leur secret, suffira pour le repandre; & leur personnage n'est plus que ridicule des que l'illusion a cessé.

Qu'un grand qui a besoin d'en imposer à la multitude, s'observe donc avec les gens qui pensent, & qu'il se dise à lui - même ce que diroient de lui ceux qu'il auroit reçûs avec dédain, ou rebutés avec arrogance.

« Qui es - tu donc, pour mépriser les hommes? & qui t'éleve au - dessus d'eux? tes services, tes vertus? Mais combien d'hommes obscurs plus vertueux que toi, plus laborieux, plus utiles? Ta naissance? on la respecte: on salue en toi l'ombre de tes ancêtres; mais est ce à l'ombre à s'énorgueillir des hommages rendus au corps? Tu aurois lieu de te glorifier, si l'on donnoit ton nom à tes ayeux, comme on donnoit au pere de Caton le nom de ce fils, la lumiere de Rome (Cic. off.). Mais quel orgueil peut t'inspirer un nom qui ne te doit rien, & que tu ne dois qu'au hasard? La naissance excite l'émulation dans les grandes ames, & l'orgueil dans les petites. Ecoute des hommes qui pensoient noblement, & qui savoient apprétier les hommes. Point de rois qui n'ayent eu pour ayeux des esclaves; point d'esclaves qui n'ayent eu des rois pour ayeux (Plat.). Personne n'est né pour notre gloire: ce qui fut avant nous n'est point à nous (Senec.). En un mot, la gloire des ancêtres se communique comme la flamme; mais comme la flamme, elle s'éteint si elle manque de nourriture, & le mérite en est l'aliment. Consulte - toi, rentre en toi - même: nudum inspice, animum uere, qualis quantusque sit, alicno an suo magnus (ibid.)».

Il n'y a que la véritable grandeur, nous dira - t - on, qui puisse soûtenir cette épreuve. La grandeur factice n'est imposante que par ses dehors. Hé bien, qu'elle ait un cortege fastueux & des moeurs simples, ce qu'elle aura de dominant sera de l'état, non de la personne. Mais un grand dont le faste est dans l'ame, nous insulte corps à corps. C'est l'homme qui dit à l'homme, tu rampes au - dessous de moi: ce n'est pas du haut de son rang, c'est du haut de son orgueil qu'il nous regarde & nous méprise.

Mais ne faut - il pas un mérite supérieur pour conserver des moeurs simples dans un rang si élevé? cela peut être, & cela prouve qu'il est très - difficile d'occuper décemment les grandeurs sans les remplir, & de n'être pas ridicule par - tout ou l'en est déplacé.

Un grand, lorsqu'il est un grand homme, n'a recours ni à cette hauteur humiliante qui est le singe de la dignité, ni à ce faste imposant qui est le fantôme de la gloire, & qui ruine la haute noblesse par la contagion de l'exemple & l'émulation de la vanité.

Aux yeux du peupie, aux yeux du sage, aux yeux de l'envie elle - même, il n'a qu'a se montrer tel qu'il est. Le respect le devance, la vénération l'environne. Sa vertu le couvre tout entier; elle est son cortége & sa pompe. Sa grandeur a beau se ramasser en lui - même, & se dérober à nos hommages, nos hommages vont la chercher. Voyez Labruyere, du mérite personnel. Mais qu'il faut avoir un sentiment noble & pur de la véritable grandeur, pour ne pas craindre de l'avilir en la dépouillant de tout ce qui lui est étranger! Qui d'entre les grands de notre âge voudroit etre surpris, comme Fabrice par les ambassadeurs de Pyrrhus, faisant cuire ses légumes? Article de M. Marmontel.

Grandeur d'Ame

Grandeur d'Ame. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de prouver que la grandeur d'ame est quelque chose de réel: il est difficile de ne pas sentir dans un homme qui maîtrise la fortune, & qui par des moyens puissans arrive à des fins élevées, qui subjugue les autres hommes par son activité, par sa patience, ou par de profonds conseils; il est difficile, dis - je, de ne pas sentir dans un génie de cet ordre une noble dignité: cependant il n'y a rien de pur, & dont nous n'abusions.

La grandeur d'ame est un instict élevé, qui porte les hommes au grand, de quelque nature qu'il soit; mais qui les tourne au bien ou au mal, selon leurs passions, leurs lumieres, leur éducation, leur fortune, &c. Egale à tout ce qu'il y a sur la terre de plus élevé, tantôt elle cherche à soûmettre par toutes sortes d'efforts ou d'artifices les choses humaines à elle; & tantôt dédaignant ces choses, elle s'y soûmet elle - même, sans que sa soûmission l'abaisse: pleine de sa propre grandeur. elle s'y repose en secret, contente de se posseder. Qu'elle est belle, quand la vertu dirige tous ses mouvemens; mais qu'elle est dangereuse alors qu'el e se soustrait à la regle! Représentez - vous Catilina au - dessus de tous les préjugés de sa naissance, meditant de changer la face de la terre, & d'anéantir le nom romain: concevez ce génie audacieux, menaçant le monde du sein des plaisirs, & formant d'une troupe de voluptueux & de voleurs un corps redoutable aux armées & à la sagesse de Rome. Qu'un homme de ce caractere auroit porté loin la vertu, s'il eût tourné au bien! mais des circonstances malheureuses le poussent au crime. Catilina étoit né avec un amour ardent pour les plaisirs, que la sévérité des lois aigrissoit & contraignoit; sa dissipation & ses débauches l'engagerent peu - à - peu à des projets criminels: ruiné, decrié, traversé, il se trouva dans un état, où il lui étoit moins facile de gouverner la république que de la détruire; ne pouvant être le héros de sa patrie, il en méditoit la conquête. Ainsi les hommes sont souvent portés au crime par de fatales rencontres, ou par leur situation: ainsi leur vertu dépend de leur fortune. Que manquoit - il à César, que d'être né souverain? Il étoit bon, magnanime, généreux, brave, clément; personne n'etoit plus capable de gouverner le monde & de le rendre heureux: s'il eût eû une fortune égale à son génie, sa vie auroit été sans tache; mais César n'étant pas né roi, n'a passé que pour un tyran.

De - là il s'ensuit qu'il y a des vices qui n'excluent pas les grandes qualités, & par conséquent de grandes qualités qui s'eloignent de la vertu. Je reconnois

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