ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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troisieme, c'est d'avoir pour ses bienfaits la reconnoissance qui leur est dûe; & le dernier enfin, c'est d'aimer ses perfections. Il est certain que le premier de ces sentimens dispose au second, le second au troisieme, le troisieme au quatrieme: or comme tout ce qui dispose à ce dernier mouvement, qui est le plus noble de tous, est pris de l'amour de nous - mêmes, il s'ensuit que la pure amitié dont Dieu même est l'objet, ne naît point indépendamment de ce dernier amour.

D'ailleurs, l'expérience nous apprend qu'entre les attributs de Dieu, nous aimons particulierement ceux qui ont le plus de convenance avec nous: nous aimons plus sa clémence que sa justice, sa bénéficence que son immensité; d'où vient cela? si ce n'est de ce que cette pure amitié, qui semble n'avoir pour objet que les perfections de Dieu, tire sa force principale des rapports que ces perfections ont avec nous.

S'il y avoit une pure amitié dans notre coeur à l'égard de Dieu, laquelle fût exempte du principe de l'amour de nous - mêmes, cette pure amitié naîtroit nécessan oment de la perfection connue, & ne s'éleveroit point de nos autres affections. Cependant les démons connoissent les perfections de Dieu sans les aimer, les hommes connoissent ces perfections avant leur conversion, & personne n'oseroit dire que dans cet état ils aient pour lui cette affection que l'on nomme de pure amitié; il s'ensuit donc qu'il faut autre chose que la perfection connue pour faire naître cet amour.

Pendant que nous regardons Dieu comme notre juge, & comme un juge terrible qui nous attend la foudre à la main, nous pouvons admirer ses perfections infinies, mais nous ne saurions concevoir de l'affection pour elles. Il est bien certain que si nous pouvions refuser à Dieu cette admiration, nous nous garderions bien de la lui rendre: & d'où vient cette nécessité d'admirer Dieu? C'est que cette admiration naît uniquement de la perfection connue: si donc vous concevez que la pure amitié a la même source, il s'ensuit que la pure amitié naîtra dans notre ame comme l'admiration.

1°. De ce que nous nous aimons nous - mêmes nécessairement, il s'ensuit que nous avons certains devoirs à remplir qui ne regardent que nous - mêmes: or les devoirs qui nous regardent nous - mêmes, peuvent se réduire en général à travailler à notre bonheur & à notre perfection; à notre perfection, qui consiste principalement dans une parfaite conformité de notre volonté avec l'ordre; à notre bonheur, qui consiste uniquement dans la joüissance des plaisirs, j'entens des solides plaisirs, & capables de contenter un esprit fait pour posséder le souverain bien.

2°. C'est dans la conformité avec l'ordre que consiste principalement la perfection de l'esprit: car celui qui aime l'ordre plus que toutes choses, a de la vertu; celui qui obéit à l'ordre en toutes choses, remplit ses devoirs; & celui - là mérite un bonheur solide, qui sacrifie ses plaisirs à l'ordre.

3°. Chercher son bonheur, ce n'est point vertu, c'est nécessité: car il ne dépend point de nous de vouloir être heureux; & la vertu est libre. L'amour propre, à parler exactement, n'est point une qualité qu'on puisse augmenter ou diminuer. On ne peut cesser de s'aimer: mais on peut cesser de se mal aimer. On peut par le mouvement d'un amour propre eclairé, d'un amour propre soutenu par la foi & par l'espérance, & conduit par la charité, sacrifier ses plaisirs présens aux plaisirs futurs, se rendre malheureux pour un tems, afin d'être heureux pendant l'éternité; car la grace ne détruit point la nature. Les pécheurs & les justes veulent également être heureux; ils courent également vers la source de la félicité: mais le juste ne se laisse ni tromper ni corrompre par les apparences qui le flattent; au lieu que le pécheur, aveuglé par ses passions, oublie Dieu, ses vengeances & ses récompenses, & employe tout le mouvement que Dieu lui donne pour le vrai bien, à courir après des fantômes.

4°. Notre amour propre est donc le motif qui secouru par la grace nous unit à Dieu, comme à notre bien, & nous soûmet à la raison comme à notre loi, ou au modele de notre perfection: mais il ne faut pas faire notre fin ou notre loi de notre motif. Il faut véritablement & sincerement aimer l'ordre, & s'unir à Dieu par la raison; il ne faut pas desirer que l'ordre s'accommode à nos volontés: cela n'est pas possible; l'ordre est immüable & nécessaire: il faut hair ses desordres, & former sur l'ordre tous les mouvemens de son coeur; il faut même venger à ses dépens l'honneur de l'ordre offensé, ou du moins se soûmettre humblement à la vengeance divine: car celui qui voudroit que Dieu ne punît point l'injustice ou l'ivrognerie, n'aime point Dieu; & quoique par la force de son amour propre éclairé, il s'abstienne de voler & de s'enivrer, il n'est point juste.

5°. De tout ceci il est manifeste premierement, qu'il faut éclairer son amour propre, afin qu'il nous excite à la vertu: en second lieu, qu'il ne faut jamais suivre uniquement le mouvement de l'amour propre: en troisieme lieu, qu'en suivant l'ordre inviolablement, on travaille solidement à contenter son amour propre: en un mot, que Dieu seul étant la cause de nos plaisirs, nous devons nous soûmettre à sa loi, & travailler à notre perfection.

6°. Voici en général les moyens de travailler à sa perfection, & d'acquérir & conserver l'amour habituel & dominant de l'ordre. Il faut s'accoûtumer au travail de l'attention, & acquérir par - là quelque force d'esprit; il ne faut consentir qu'à l'évidence, & conserver ainsi la liberté de son ame; il faut étudier sans cesse l'homme en général, & soi - même en particulier, pour se connoître parfaitement; il faut méditer jour & nuit la loi divine, pour la suivre exactement; se comparer à l'ordre pour s'humilier & se mépriser; se souvenir de la justice divine, pour la craindre & se réveiller. Le monde nous séduit par nos sens; il nous trouble l'esprit par notre imagination; il nous entraîne & nous précipite dans les derniers malheurs par nos passions. Il faut rompre le commerce dangereux que nous avons avec lui par notre corps, si nous voulons augmenter l'union que nous avons avec Dieu par la raison.

Ce n'est pas qu'il soit permis de se donner la mort, hi même de ruiner sa santé: car notre corps n'est pas à nous; il est à Dieu, il est à l'Etat, à notre famille, à nos amis: nous devons le conserver dans sa force, selon l'usage que nous sommes obligés d'en faire: mais nous ne devons pas le conserver contre l'ordre de Dieu, & aux dépens des autres hommes: il faut l'exposer pour le bien de l'Etat, & ne point craindre de l'affoiblir, le ruiner, le détruire, pour exécuter les ordres de Dieu. Je n'entre point dans le détail de tout ceci, parce que je n'ai prétendu exposer que les principes généraux sur lesquels chacun est obligé de régler sa conduite, pour arriver heureusement au lieu de son repos & de ses plaisirs. (X)

AMOUR ou CUPIDON

* AMOUR ou CUPIDON (Myth.) Dieu du Paganisme, dont on a raconté la naissance de cent manieres différentes, & qu'on a représenté sous cent formes diverfes, qui lui conviennent presque toutes également. L'amour demande sans cesse, Platon a donc pû le dire fils de la pauvreté; il aime e trouble & semble être né du cahos comme le prétend Hésiode: c'est un mêlange de sentimens sublimes, & de desirs grossiers, c'est ce qu'entendoit apparemment

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