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Dans les épitaphes on fait quelquefois parler la personne morte, par forme de prosopopée; nous en avons un bel exemple, digne du siecle d'Auguste, dans ces deux vers, où une femme morte à la fleur de son âge, tient ce langage à son mari:
Immatura perî; sed tu felicior, annos Vive tuos, conjux optime, vive meos.
Du même genre est celle - ci, faite par Antipater le Thessalonicien, qu'on trouve dans l'Anthologie manuscrite de la bibliotheque du Roi, & que M. Boivin a traduite ainsi:
La formule sta viator, qui se rencontre dans un
grand nombre d'épitaphes modernes (comme dans
celle - ci Sta, viator; heroem calcas), fait allusion à
la coûtume des anciens Romains, dont les tombeaux
étoient le long des grands chemins. Voyez
L'épitaphe est communément un trait de loüange ou de morale, ou de l'une & de l'autre.
L'épitaphe de cet homme si grand & si simple, si vaillant & si humain, si heureux & si sage, auquel l'antiquité pourroit tout au plus opposer Scipion & César, si le premier avoit été plus modeste, & le second moins ambitieux; cette épitaphe qui ne se trouve plus que dans les livres:
Turenne a son tombeau parmi ceux de nos Rois, &c. fait encore plus l'éloge de Louis XIV. que celui de M. de Turenne.
Celle d'Alexandre, que gâte le second vers, & qu'il faut réduire au premier:
Sufficit huic - iumulus, cui non suffecerat orbis. est un trait de morale plein de force & de vérité: c'est dommage qu'Aristote ne l'ait pas faite par anticipation, & qu'Alexandre ne i'ait pas lûe.
Le même contraste est vivement exprimé dans celle de Newton:
Isaacum Newton, Quem immortalem Testantur Tempus, Natura, Coelum, Mortalem hoc marmor Fatetur. Mais ce contraste si humiliant pour le conquérant, n'ôte rien à la gloire du philosophe. Qu'un être avec des ressorts fragiles, des organes foibles & bornés, calcule les tems, mesure le Ciel, fonde la Nature; c'est un prodige. Qu'un être haut de cinq piés, qui ne fait que de naître & qui va mourir, dépeuple la terre pour se loger, & s'y trouve encore à l'étroit; c'est un petit monstre.
Du reste cette idée a été cent fois employée par les Poëtes. Voyez dans les Catalectes l'épitaphe de Scipion l'Afriquain, celle de Cicéron, celle d'Antenor. Voyez Ovide sur la mort de Tibule, Properce sur la mort d'Achille, &c.
Les Anglois n'ont mis sur le tombeau de Dryden que ce mot pour tout éloge,
Dryden. & les Italiens sur le tombeau du Tasse,
Les os du Tasse. Il n'y a guere que les hommes de génie qu'il soit sûr de loüer ainsi.
P>rmi les épitaphes épigrammatiques, les unes ne sont que naïves & plaisantes, les autres sont mordantes & cruelles. Du nombre des premieres est celle - ci, qu'on ne croiroit jamais avoir été faite sérieusement, & qu'on a vûe cependant gravée dans une de nos églises:
Ci gît le vieux corps tout usé Du Lieutenant civil rusé, &c.
Lorsque la plaisanterie ne porte que sur un leger
ridicule, comme dans l'exemple précédent, elle
n'est qu'indécente; on croit voir les fossoyeurs
d'Hamlet, qui jouent avec des ossemens. Mais les
épitaphes insultantes & calomnieuses, telles que la
rage en inspire trop souvent, sont de tous les genres
de satyre le plus noir & le plus lâche. Il y a quelque
chose de plus insame que la calomnie; c'est la calomnie
contre les morts. L'expression des anciens,
troubler la cendre des morts, est trop foible. Le satyrique
qui outrage un homme qui n'est plus, ressemble
à ces animaux carnaciers qui fouillent dans les tombeaux
pour se repaître de cadavres. Voyez
Quelquefois l'épitaphe n'est que morale, & n'a rien de personnel; telle est celle de Jovianus Pontanus, qui n'a point été mise sur son tombeau:
Servire superbis dominis, Ferre jugum superstitionis, Quos habes caros sepelire, Condimenta vitoe sunt.
L'épitaphe à la gloire d'un mort, est de toutes les loüanges la plus noble & la plus pure, sur - tout lorsqu'elle n'est que l'expression naïve du caractere & des actions d'un homme de bien. Les vertus privées ont droit à cet hommage, comme les vertus publiques; & les titres de bon parent, de bon ami, de bon citoyen, méritent bien d'être gravés sur le marbre. Qu'il me soit permis à cette occasion de placer ici, non pas comme un modele, mais comme un foible témoignage de ma reconnoissance, l'épitaphe d'un citoyen dont la mémoire me sera toûjours chere:
Non sibi, sed patrioe vixit, regique, suisque. Quod daret, hinc dives; felix numerare beatos.
Les gens de Lettres seroient bien à plaindre, si
dans un ouvrage public on leur envioit quelques
retours sur eux - mêmes, quelques traits relatifs à
leurs sentimens & à leurs devoirs. Si leur plume
doit leur être bonne à quelque chose, c'est à ne
pas mourir ingrats. Mais la reconnoissance fait
en eux, parce qu'elle est noble, ce que l'espoir
des récompenses n'eût jamais fait, parce qu'il
est bas & servile. On a remarqué au commencement
de cet article, que le tombeau du duc de Malboroug étoit encore sans épitaphe; le prix proposé justifie
& rend vraissemblable la stérilité des poëtes anglois.
Devant une place assiégée un officier françois
fit proposer aux grenadiers une somme considérable
pour celui qui le premier planteroit une fascine dans
un fossé exposé à tout le feu des ennemis. Aucun des
grenadiers ne se présenta; le général étonné, leur
en fit des reproches: Nous nous serions tous offerts,
lui dit l'un de ces braves soldats, si l'on n'avoit pas
mis cette action à prix d'argent. Il en est des bons vers
comme des actions courageuses. Voyez
Quelques auteurs ont fait eux - mêmes leur épitaphe. Celle de la Fontaine, modele de naïveté, est
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