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Il y a autant de sortes d'adjectifs qu'il y a de sortes de qualités, de manieres & de relations que notre esprit peut considérer dans les objets.
Nous ne connoissons point les substances en elles - mêmes, nous ne les connoissons que par les impressions qu'elles font sur nos sens, & alors nous disons que les objets sont tels, selon le sens que ces impressions affectent. Si ce sont les yeux qui sont affectés, nous disons que l'objet est coloré, qu'il est ou blanc, ou noir, ou rouge, ou bleu, &c. Si c'est le goût, le corps est ou doux, ou amer; ou aigre, ou fade, &c. Si c'est le tact, l'objet est ou rude, ou poli; ou dur, ou mou; gras, huileux, ou sec; &c.
Ainsi ces mots blanc, noir, rouge, bleu, doux, amer, aigre, fade, &c. sont autant de qualifications que nous donnons aux objets, & sont par conséquent autant de noms adjectifs. Et parce que ce sont les impressions que les objets physiques font sur nos sens, qui nous font donner à ces objets les qualifications dont nous venons de parler, nous appellerons ces sortes d'adjectifs adjectifs physiques.
Remarquez qu'il n'y a rien dans les objets qui soit semblable au sentiment qu'ils excitent en nous. Seulement les objets sont tels qu'ils excitent en nous telle sensation, ou tel sentiment, selon la disposition de nos organes, & selon les lois du méchanisme universel. Une aiguille est telle què si la pointe de cette aiguille est enfoncée dans ma peau, j'aurai un sentiment de douleur: mais ce sentiment ne sera qu'en moi, & nullement dans l'aiguille. On doit en dire autant de toutes les autres sensations.
Outre les adjectifs physiques il y a encore les adjectifs métaphy siques qui sont en très - grand nombre, & dont on pourroit faire autant de classes différentes qu'il y a de sortes de vûes sous lesquelles l'esprit peut considérer les êtres physiques & les êtres métaphysiques.
Comme nous sommes accoûtumés à qualifier les êtres physiques, en conséquence des impressions immédiates qu'ils font sur nous, nous qualifions aussi les êtres métaphysiques & abstraits, en conséquence de quelque considération de notre esprit à leur égard. Les adjectifs qui expriment ces sortes de vûes ou considérations, sont ceux que j'appelle adjectifs métaphysiques, ce qui s'entendra mieux par des exemples.
Supposons une allée d'arbres au milieu d'une vaste plaine: deux hommes arrivent à cette allée, l'un par un bout, l'autre par le bout opposé; chacun de ces hommes regardant les arbres de cette allée dit, voilà le premier; de sorte que l'arbre que chacun de ces hommes appelle le premier est le dernier par rapport à l'autre homme. Ainsi premier, dernier, & les autres noms de nombre ordinal, ne sont que des adjectifs métaphysiques. Ce sont des adjectifs de relation & de rapport numéral.
Les noms de nombre cardinal, tels que deux, trois, &c. sont aussi des adjectifs métaphysiques qui qualifient une collection d'individus.
Mon, ma, ton, sa, son, sa, &c. sont aussi des adjectifs métaphysiques qui désignent un rapport d'appartenance ou de propriété, & non une qualité physique & permanente des objets.
Grand & petit sont encore des adjectifs métaphysiques; car un corps, quel qu'il soit, n'est ni grand ni petit en lui - même; il n'est appellé tel que par rapport à un autre corps. Ce à quoi nous avons donné le nom de grand a fait en nous une impression différente de celle que ce que nous appellons petit nous a faite; c'est la perception de cette différence qui nous a donné lieu d'inventer les noms de grand, de petit, de moindre, &c.
Différent> pareil, semblable, sont aussi des adjectifs métaphysiques qui qualifient les noms substantifs en conséquence de certaines vûes particulieres de l'esprit. Différent qualifie un nom précisément entant que je sens que la chose n'a pas fait en moi des impressions pareilles à celles qu'un autre y a faites. Deux objets tels que j'apperçois que l'un n'est pas l'autre, font pourtant en moi des impressions pareilles en certains points: je dis qu'ils sont semblables en ces points là, parce que je me sens affecté à cet égard de la même maniere; ainsi semblable est un adjectif métaphysique.
Je me promene tout autour de cette ville de guerre, que je vois enfermée dans ses remparts: j'apperçois cette campagne bornée d'un côté par une riviere & d'un autre par une forêt: je vois ce tableau enfermé dans son cadre, dont je puis même mesurer l'étendue & dont je vois les bornes: je mets sur ma table un livre, un écu; je vois qu'ils n'occupent qu'une petite étendue de ma table; que ma table même ne remplit qu'un petit espace de ma chambre, & que ma chambre est renfermée par des murailles: enfin tout corps me paroît borné par d'autres corps, & je vois une étendue au - delà. Je dis donc que ces corps sont bornés, terminés, finis; ainsi borné, terminé, fini, ne supposent que des bornes & la connoissance d'une étendue ultérieure.
D'un autre côté, si je me mets à compter quelque
nombre que ce puisse être, fût - ce le nombre des
grains de sable de la mer & des feuilles de tous les
arbres qui sont sur la surface de la terre, je trouve
que je puis encore y ajoûter, tant qu'enfin, las de ces
additions toûjours possibles, je dis que ce nombre est
infini, c'est - à - dire, qu'il est tel, que je n'en appercois
pas les bornes, & que je puis toûjours en augmenter
la somme totale. J'en dis autant de tout corps
étendu, dont notre imagination peut toûjours écarter
les bornes, & venir enfin à l'étendue infinie. Ainsi
infini n'est qu'un adjectif métaphysique.
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