« Le caméléon est fait comme le lézard, si ce n'est
qu'il a la tête plus grosse & plus large: il a quatre
piés, à chacun trois doigts; la queue longue, avec
laquelle il s'attache aux arbres aussi bien qu'avec
les piés; elle lui sert à grimper; & lorsqu'il ne peut
atteindre de ses piés quelque lieu où il veut aller,
pourvû qu'il y puisse toucher de l'extrémité de la
queue, il y monte facilement. Il a le mouvement
tardif comme la tortue, mais fort grave. Sa queue
est plate, le museau long: il a le dos aigu, la peau
plissée & hérissée comme une scie, depuis le cou
jusqu'au dernier noeud de la queue, & une forme
de crête sur la tête. Il a la tête sans cou, comme
les poissons; il fait des oeufs comme les lézards;
son museau est en pointe obtuse; il a deux petites
ouvertures dans la tête qui lui servent de narines;
ses yeux sont gros, & ont plus de cinq lignes de
diametre, dont l'iris est isabelle, bordée d'un cercle
d'or; & comme il a la tête presqu'immobile,
& qu'il ne peut la tourner qu'avec tout le corps,
la nature l'a dédommagé de cette incommodité en
donnant à ses yeux toutes sortes de mouvemens;
car il peut non - seulement regarder de l'un devant
lui, & de l'autre derriere, de l'un en - haut & de
l'autre en - bas: mais il les remue indépendamment
l'un de l'autre avec tous les changemens imaginables.
Sa langue est longue de dix lignes & large de
trois, faite de chair blanche, ronde, & applatie
par le bout, où elle est creuse & ouverte, semblable
en quelque façon à la trompe d'un éléphant. Il
la darde & retire promptement sur les mouches,
qui s'y trouvent attrapées comme sur de la glu; il
s'en nourrit, & il lui en faut très - peu pour se repaître,
quoiqu'il rende beaucoup d'excrémens. On
dit même qu'il vit long - tems sans autre nourriture
que l'air, dont il se remplit au soleil jusqu'à ce qu'il
en soit enflé. Il n'a point d'oreilles, & ne reçoit ni
ne produit aucun son. Il a dix - huit côtes, & son
épine a soixante & quatorze vertebres, y compris
les cinquante de sa queue. Il devient quelquefois
si maigre qu'on lui compte les côtes, de sorte que
Tertullien l'appelle une peau vivante. Lorsqu'il se voit
en danger d'être pris, il ouvre la gueule & siffle
comme une couleuvre. Gesner & Aldrovande disent
qu'il se défend du serpent, par un fétu qu'il
tient dans sa gueule.
Le caméléon habite dans les rochers: ce qu'il a
de plus merveilleux, c'est le changement de couleur
qu'il éprouve à l'approche de certains objets.
Il est ordinairement verd, tirant sur le brun vers
les deux épaules, & d'un verd - jaune sous le ventre,
avec des taches quelquefois rouges quelquefois
blanches. Sa couleur verte se change souvent en
un brun foncé, sans qu'il reste rien de la premiere
couleur: les taches blanches disparoissent aussi quelquefois,
ou changent seulement en une couleur
plus obscure, qui tire sur le violet, ce qui arrive ordinairement
lorsqu'il est épouvanté. Lorsqu'il dort
sous une couverture blanche, il devient blanc,
mais jamais ni rouge ni bleu; il devient aussi verd,
brun ou noir, si on le couvre de ces couleurs. Telles sont au moins les relations ordinaires qu'on a
données de ce phenomène: mais il me paroît exagéré;
& avant que d'en entreprendre l'explication,
il faudroit bien constater le fait. Le P. Feuillée.
Minime, par exemple, prétend dans son Journal
d'observations physiques, mathématiques & botaniques,
que le changement de couleurs de cet animal vient
des divers points de vûe où l'on le regarde, ce qui
n'est point aussi merveilleux que ce qu'en avoient
publié les anciens (Mém. de Trevoux, Août 1727.
pag. 1419.). M. Souchu de Rennefort assûre dans
son Histoire des Indes Orientales, que les caméléons
prennent par les yeux les couleurs des objets sur
lesquels ils s'arrêtent (Hist. des ouvr. des Sav. Mars
1688. tom. II. p. 308.). Un autre auteur avance
qu'il n'est pas vrai que le caméléon change de couleur,
suivant les choses sur lesquelles il se trouve:
mais ce changement arrive, selon lui, suivant les
différentes qualités de l'air froid ou chaud qui l'environne
(Rec. d'Hist. & de Litter. tom. III. p. 73.)
Mlle de Scudery, dans une relation qu'elle a publiée
de deux caméléons qui lui furent apportés d'Afrique, assûre qu'elle les conserva dix mois, & que
pendant ce tems - là ils ne pritent rien du - tout. On
les mettoit au soleil & à l'air, qui paroissoit être
leur unique aliment: ils changeoient souvent de
couleur, sans prendre celle des choses sur quoi on
les mettoit. On remarquoit seulement, quand ils
étoient variés, que la couleur sur laquelle ils étoient
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