ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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que nous parlons d'objets réels; au lieu qu'un nom métaphysique marque que nous ne parlons que de quelque concept particulier de notre esprit. Or comme lorsque nous disons le soleil, la terre, la mer, cet homme, ce cheval, cette pierre, &c. notre propre expérience & le concours des motifs les plus légitimes nous persuadent qu'il y a hors de nous un objet réel qui est soleil, un autre qui est terre, &c. & que si ces objets n'étoient point réels, nos peres n'auroient jamais inventé ces noms, & nous ne les aurions pas adopté: de même lorsqu'on dit la nature, la fortune, le bonheur, la vie, la santé, la maladie, la mort, &c. les hommes vulgaires croient par imitation qu'il y a aussi indépendemment de leur maniere de penser, je ne sais quel être qui est la nature; un autre, qui est la fortune, ou le bonheur, ou la vie, ou la mort, &c. car ils n'imaginent pas que tous les hommes puissent dire la nature, la fortune, la vie, la mort, & qu'il n'y ait pas hors de leur esprit une sorte d'être réel qui soit la nature, la fortune, &c. comme si nous ne pouvions avoir des concepts, ni des imaginations, sans qu'il y eût des objets réels qui en fussent l'exemplaire.

A la vérité nous ne pouvons avoir de ces concepts à moins que quelque chose de réel ne nous donne lieu de nous les former: mais le mot qui exprime le concept, n'a pas hors de nous un exemplaire propre. Nous avons vû de l'or, & nous avons observé des montagnes; si ces deux représentations nous donnent lieu de nous former l'idée d'une montagne d'or, il ne s'ensuit nullement de cette image qu'il y ait une pareille montagne. Un vaisseau se trouve arrêté en pleine mer par quelque banc de sable inconnu aux Matelots, ils imaginent que c'est un petit poisson qui les arrête. Cette imagination ne donne aucune réalité au prétendu petit poisson, & n'empêche pas que tout ce que les Anciens ont cru du remora ne soit une fable, comme ce qu'ils se sont imaginés du phénix, & ce qu'ils ont pensé du sphinx, de la chimere, & du cheval Pégase. Les personnes sensées ont de la peine à croire qu'il y ait eu des hommes assez déra sonnables pour réaliser leurs propres abstractions: nais entre autres exemples, on peut les renvoyer à l'histoire de Valentin hérésiarque du second siecle de l'Eglise: c'étoit un Philosophe Platonicien qui s'écarta de la simplicité de la foi, & qui imagina des aons, c'est - à - dire des êtres abstraits, qu'il réalisoit; le silence, la vérité, l'intelligence, le propator, ou principe. Il commença à enseigner ses erreurs en Egypte, & passa ensuite à Rome où il se fit des disciples appellés Valentiniens. Tertullien écrivit contre ces hérétiques. Voyez l'Histoire de l'Eglise. Ainsi dès les premiers tems les abstractions ont donné lieu à des disputes, qui pour être frivoles n'en ont point été moins vives.

Au reste si l'on vouloit éviter les termes abstraits, on seroit obligé d'avoir recours à des circonlocutions & à des périphrases qui énerveroient le discours. D'ailleurs ces termes fixent l'esprit; ils nous servent à mettre de l'ordre & de la précision dans nos pensées; ils donnent plus de grace & de force au discours; ils le rendent plus vif, plus serré, & plus énergique: mais on doit en connoître la juste valeur. Les abstractions sont dans le discours ce que certains signes sont en Arithmétique, en Algebre & en Astronomie: mais quand on n'a pas l'attention de les apprécier, de ne les donner & de ne les prendre que pour ce qu'elles valent, elles écartent l'esprit de la réalité des choses, & deviennent ainsi la source de bien des erreurs.

Je voudrois donc que dans le style didactique, c'est - à - dire lorsqu'il s'agit d'enseigner, on usât avec beaucoup de circonspection des termes abstraits & des expressions figurées: par exemple, je ne voudrois pas que l'on dît en Logique l'idée renferme, ni lorsque l'on juge ou compare des idées, qu'on les unit, ou qu'on les sépare; car idée n'est qu'un terme abstrait. On dit aussi que le sujet attire à soi l'attribut; ce ne sont - là que des métaphores qui n'amusent que l'imagination. Je n'aime pas non plus que l'on dise en Grammaire que le verbe gouverne, veut, demande, régit, &c. Voyez Régime. (F)

ABSTRAIRE

ABSTRAIRE, v. act. c'est faire une abstraction; c'est ne considérer qu'un attribut ou une propriété de quelque être, sans faire attention aux autres attributs ou qualités; par exemple quand on ne considere dans le corps que l'étendue, ou qu'on ne fait attention qu'à la quantité ou au nombre.

Ce verbe n'est pas usité en tous les tems, ni même en toutes les personnes du présent; on dit seule<-> j'abstrais, tu abstrais, il abstrait: mais au lieu de dire nous abstraïons, &c. on dit nous faisons abstraction.

Le parfait & le prétérit simple ne sont pas usités, mais on dit j'ai abstrait, tu as abstrait, &c. j'avois abstrait, &c. j'eus abstrait, &c.

Le présent du subjonctif n'est point en usage; on dit j'abstrairois, &c. on dit aussi que j'aie abstrait. &c. (F)

Abstrait

Abstrait, abstraite, adjectif participe; il se dit des personnes & des choses. Un esprit abstrait, c'est un esprit inattentif, occupé uniquement de ses propres pensées, qui ne pense à rien de ce qu'on lui dit. Un Auteur, un Géometre, sont souvent abstraits. Une nouvelle passion rend abstrait: ainsi nos propres idées nous rendent abstraits; au lieu que distrait se dit de celui qui à l'occasion de quelque nouvel objet extérieur, détourne son attention de la personne à qui il l'avoit d'abord donnée, ou à qui il devoit la donner: on se sert assez indifféremment de ces deux mots en plusieurs rencontres. Abstrait marque une plus grande inattention que distrait. Il semble qu'abstrait marque une inattention habituelle, & distrait en marque une passagere à l'occasion de quelque objet extérieur.

On dit d'une pensée qu'elle est abstraite, quand elle est trop recherchée, & qu'elle demande trop d'attention pour être entendue. On dit aussi des raisonnemens abstraits, trop subtils. Les Sciences abstraites, ce sont celles qui ont pour objet des êtres abstraits; tels sont la Métaphysique & les Mathématiques. (F)

Abstraits

* Abstraits en Logique. Les termes abstraits, ce sont ceux qui ne marquent aucun objet qui existe hors de notre imagination. Ainsi beauté, laideur, sont des termes abstraits. Il y a des objets qui nous plaisent; & que nous trouvons beaux; il y en a d'autres au contraire qui nous affectent d'une maniere désagréable, & que nous appellons laids. Mais il n'y a hors de nous aucun être qui soit la laideur ou la beauté. Voyez Abstraction.

Abstrait

Abstrait est aussi un mot en usage dans les Mathématiques: en ce sens l'on dit que les nombres abstraits sont des assemblages d'unités considérées en elles - mêmes, & qui ne sont point appliqués à signifier des collections de choses particulieres & déterminées. Par exemple 3 est un nombre abstrait, tant qu'il n'est pas appliqué à quelque chose: mais si on dit 3 piés par exemple, 3 devient un nombre concret. Voyez Concret. Voyez aussi Nombre.

Les Mathématiques abstraites ou pures sont celles qui traitent de la grandeur ou de la quantité considérée absolument & en général, sans se borner à aucune espece de grandeur particuliere. Voyez Mathématiques.

Telles sont la Géométrie & l'Arithmétique. Voyez Arithmétique & Géométrie.

En ce sens les Mathématiques abstraites sont opposées aux Mathématiques mixtes, dans lesquelles on applique aux objets sensibles les propriétés simples & abstraites, & les rapports des quantités dont on

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