ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"174"> ont pas moins fait une faute qu'on peut leur reprocher.

Le beau arbitraire se sous - divise selon le même auteur en un beau de génie, un beau de goût, & un beau de pur caprice: un beau de génie fondé sur la connoissance du beau essentiel, qui donne les regles inviolables; un beau de goût, fondé sur la connoissance des ouvrages de la nature & des productions des grands maîtres, qui dirige dans l'application & l'emploi du beau essentiel; un beau de caprice, qui n'étant fondé sur rien, ne doit être admis nulle part.

Que devient le système de Lucrece & des Pyrrhoniens, dans le systeme du pere André? que reste - t - il d'abandonné à l'arbitraire? presque rien: aussi pour toute réponse à l'objection de ceux qui prétendent que la beauté est d'éducation & de préjugé, il se contente de développer la source de leur erreur. Voici, dit - il, comment ils ont raisonné: ils ont cherché dans les meilleurs ouvrages des exemples de beau de caprice, & ils n'ont pas eu de peine à y en rencontrer, & à démontrer que le beau qu'on y reconnoissoit étoit de caprice: ils ont pris des exemples du beau de goût, & ils ont très - bien démontré qu'il y avoit aussi de l'arbitraire dans ce beau; & sans aller plus loin, ni s'appercevoir que leur énumération étoit incomplete, ils ont conclu que tout ce qu'on appelle beau, étoit arbitraire & de caprice; mais on conçoit aisément que leur conclusion n'étoit juste que par rapport à la troisieme branche du beau artificiel, & que leur raisonnement n'attaquoit ni les deux autres branches de ce beau, ni le beau naturel, ni le beau essentiel.

Le pere André passe ensuite à l'application de ses principes aux moeurs, aux ouvrages d'esprit & à la Musique; & il démontre qu'il y a dans ces trois objets du beau, un beau essentiel, absolu & indépendant de toute institution, même divine, qui fait qu'une chose est une; un beau naturel dépendant de l'institution du créateur, mais indépendant de nous; un beau arbitraire, dépendant de nous, mais sans préjudice du beau essentiel.

Un beau essentiel dans les moeurs, dans les ouvrages d'esprit & dans la Musique, fondé sur l'ordonnance, la régularité, la proportion, la justesse, la décence, l'accord, qui se remarquent dans une belle action, une bonne piece, un beau concert, & qui font que les productions morales, intellectuelles & harmoniques sont unes.

Un beau naturel, qui n'est autre chose dans les moeurs, que l'observation du beau essentiel dans notre conduite, relative à ce que nous sommes entre les êtres de la nature; dans les ouvrages d'esprit, que l'imitation & la peinture fidele des productions de la nature en tout genre; dans l'harmonie, qu'une soumission aux lois que la nature a introduite dans les corps sonores, leur résonnance & la conformation de l'oreille.

Un beau artificiel, qui consiste dans les moeurs à se conformer aux usages de sa nation, au génie de ses concitoyens, à leurs lois; dans les ouvrages d'esprit, à respecter les regles du discours, à connoître la langue, A à suivre le goût dominant; dans la Musique, à insérer à propos la dissonance, à conformer ses productions aux mouvemens & aux intervalles reçûs.

D'où il s'ensuit que, selon le P. André, le beau essentiel & la vérité ne se montrent nulle part avec tant de profusion que dans l'univers; le beau moral, que dans le philosophe chrétien; & le beau intellectuel, que dans une tragédie accompagnée de musique & de décorations.

L'auteur qui nous a donné l'essai sur le mérite & la vertu, rejette toutes ces distinctions du beau, & prétend, avec beaucoup d'autres, qu'il n'y a qu'un beau, dont l'utile est le fondement: ainsi tout ce qui est ordonné de maniere à produire le plus parfaitement l'effet qu'on se propose, est supremement bea. Si vous lui demandez qu'est - ce qu'un bel homme, il vous répondra que c'est celui dont les membres bien proportionnés conspirent de la façon la plus avantageuse à l'accomplissement des fonctions animales de l'homme. Voy. Essai sur le mérite & la vertu, pag. 48. L'homme, la femme, le cheval, & les autres animaux, continuera - t - il, occupent un rang dans la nature: or dans la nature ce rang détermine les devoirs à remplir; les devoirs déterminent l'organisation; & l'organisation est plus ou moins parfaite ou belle, selon le plus ou le moins de facilité que l'animal en reçoit pour vaquer à ses fonctions. Mais cette facilité n'est pas arbitraire, ni par conséquent les formes qui la constituent, ni la beauté qui dépend de ces formes. Puis descendant de - là aux objets les plus communs, aux chaises, aux tables, aux portes, &c. il tâchera de vous prouver que la forme de ces objets ne nous plaît qu'à proportion de ce qu'elle convient mieux à l'usage auquel on les destine; & si nous changeons si souvent de mode, c'est - à - dire, si nous sommes si peu constans dans le goût pour les formes que nous leur donnons, c'est, dira - t - il, que cette conformation la plus parfaite relativement à l'usage, est tres - difficile à rencontrer; c'est qu'il y a là une espece de maximum qui échappe à toutes les finesses de la Géométrie naturelle & artificielle, & autour duquel nous tournons sans cesse: nous nous appercevons à merveille quand nous en approchons & quand nous l'avons passé, mais nous ne sommes jamais sûrs de l'avoir atteint. De - là cette révolution perpétuelle dans les formes: ou nous les abandonnons pour d'autres, ou nous disputons sans fin sur celles que nous conservons. D'ailleurs ce point n'est pas partout au même endroit; ce maximum a dans mille occasions des limites plus étendues ou plus étroites: quelques exemples suffiront pour éclaircir sa pensée. Tous les hommes, ajoûtera - t - il, ne sont pas capables de la même attention, n'ont pas la même force d'esprit; ils sont tous plus ou moins patiens, plus ou moins instruits, &c. Que produira cette diversité? c'est qu'un spectacle composé d'Académiciens trouvera l'intrigue d'Héraclius admirable, & que le peuple la traitera d'embrouillée; c'est que les uns restraindront l'étendue d'une comédie à trois actes, & les autres prétendront qu'on peut l'étendre à sept; & ainsi du reste. Avec quelque vraissemblance que ce système soit exposé, il ne m'est pas possible de l'admettre.

Je conviens avec l'auteur qu'il se mêle dans tous nos jugemens un coup d'oeil délicat sur ce que nous sommes, un retour imperceptible vers nous - mêmes, & qu'il y a mille occasions où nous croyons n'être enchantés que par les belles formes, & où elles sont en effet la cause principale, mais non la seule, de notre admiration; je conviens que cette admiration n'est pas toûjours aussi pure que nous l'imaginons: mais comme il ne faut qu'un fait pour renverser un système, nous sommes contraints d'abandonner celui de l'auteur que nous venons de citer, quelqu'attachement que nous ayons eu jadis pour ses idées; & voici nos raisons.

Il n'est personne qui n'ait éprouvé que notre attention se porte principalement sur la similitude des parties, dans les choses mêmes où cette similitude ne contribue point à l'utilité: pourvû que les piés d'une chaise soient égaux & solides, qu'importe qu'ils ayent la même figure? ils peuvent différer en ce point, sans en être moins utiles. L'un pourra donc être droit, & l'autre en pié de biche; l'un courbe en - dehors, & l'autre en - dedans. Si l'on fait une porte en forme de bierre, sa forme paroîtra peut - être mieux assortie à la figure de l'homme qu'aucune des formes qu'on [p. 175] suit. De quelle utilité sont en Architecture les imitations de la nature & de ses productions? A quelle fin placer une colonne & des guirlandes où il ne faudroit qu'un poteau de bois, ou qu'un massif de pierre? A quoi bon ces cariatides? Une colonne est - elle destinée à faire la fonction d'un homme, ou un homme a - t - il jamais été destiné à faire l'office d'une colonne dans l'angle d'un vestibule? Pourquoi imitet - on dans les entablemens, des objets naturels? qu'importe que dans cette imitation les proportions soient bien ou mal observées? Si l'utilité est le seul fondement de la beauté, les bas - reliefs, les cannelures, les vases, & en général tous les ornemens, deviennent ridicules & superflus.

Mais le goût de l'imitation se fait sentir dans les choses dont le but unique est de plaire; & nous admirons souvent des formes, sans que la notion de l'utile nous y porte. Quand le propriétaire d'un cheval ne le trouveroit jamais beau que quand il compare la forme de cet animal au service qu'il prétend en tirer; il n'en est pas de même du passant à qui il n'appartient pas. Enfin on discerne tous les jours de la beauté dans des fleurs, des plantes, & mille ouvrages de la nature dont l'usage nous est inconnu.

Je sai qu'il n'y a aucune des difficultés que je viens de proposer contre le systeme que je combats, à laquelle on ne puisse répondre: mais je pense que ces réponses seroient plus subtiles que solides.

Il suit de ce qui précede, que Platon s'étant moins proposé d'enseigner la vérité à ses disciples, que de desabuser ses concitoyens sur le compte des sophistes, nous offre dans ses ouvrages à chaque ligne des exemples du beau, nous montre très - bien ce que ce n'est point, mais ne nous dit rien de ce que c'est.

Que S. Augustin a réduit toute beauté à l'unité ou au rapport exact des parties d'un tout entr'elles, & au rapport exact des parties d'une partie considérée comme tout, & ainsi à l'infini; ce qui me semble constituer plûtôt l'essence du parfait que du beau.

Que M. Wolf a confondu le beau avec le plaisir qu'il occasionne, & avec la perfection; quoiqu'il y ait des êtres qui plaisent sans être beaux, d'autres qui sont beaux sans plaire; que tout être soi susceptible de la derniere perfection, & qu'il y en ait qui ne sont pas suceptibles de la moindre beauté: teis sont tous les objets de l'odorat & du goût, considérés relativement à ces sens.

Que M. Crouzas en chargeant sa définition du beau, ne s'est pas apperçù que plus il multiplioit les caracteres du beau, plus il le particularisoit; & que s'étant proposé de traiter du beau en général, il a commencé par en donner une notion, qui n'est applicable qu'à quelques especes de beaux particuliers.

Que Hutcheson qui s'est proposé deux objets, le premier d'expliquer l'origine du plaisir que nous éprouvons à la présence du beau; & le second, de rechercher les qualités que doit avoir un être pour occasionner en nous ce plaisir individuel, & par conséquent nous paroître beau; a moins prouvé la réalité de son sixieme sens, que fait sentir la difficulté de développer sans ce secours la source du plaisir que nous donne le beau; & que son principe de l'uniformité dans la variété n'est pas général; qu'il en fait aux figures de la Géométrie une application plus subtile que vraie, & que ce principe ne s'applique point du tout à une autre sorte de beau, celui des démonstrations des vérités abstraites & universelles.

Que le système proposé dans l'essai sur le mérite & sur la vertu, où l'on prend l'utile pour le seul & unique fondement du beau, est plus défectueux encore qu'aucun des précédens.

Enfin que le pere André Jésuite, ou l'auteur de l'essai sur le beau, est celui qui jusqu'à présent a le mieux approfondi cette matiere, en a le mieux connu l'éten<cb-> due & la difficulté, en a posé les principes les plus vrais & les plus solides, & mérite le plus d'être lù.

La seule chose qu'on pût desirer peut - être dans son ouvrage, c'étoit de déveloper l'origine des notions qui se trouvent en nous de rapport, d'ordre, de symmétrie: car du ton sublime dont il parle de ces notions, on ne sait s'il les croit acquises & factices, ou s'il les croit innées: mais il faut ajoûter en sa faveur que la maniere de son ouvrage, plus oratoire encore que philosophique, l'éloignoit de cette discussion, dans laquelle nous allons entrer.

Nous naissons avec la faculté de sentir & de penser: le premier pas de la faculté de penser, c'est d'examiner ses perceptions, de les unir, de les comparer, de les combiner, d'appercevoir entr'elles des rapports de convenance & disconvenance, &c. Nous naissons avec des besoins qui nous contraignent de recourir à différens expédiens, entre lesquels nous avons souvent été convaincus par l'effet que nous en at. ndions, & par celui qu'ils produisoient, qu'il y en a de bons, de mauvais, de prompts, de courts, de complets, d'incomplets, &c. la plûpart de ces expédiens étoient un outil, une machine, ou quelqu'autre invention de ce genre: mais toute machine suppose combinaison, arrangement de parties tendantes à un même but, &c. Voilà donc nos besoins, & l'exercice le plus immédiat de nos facultés, qui conspirent aussi - tôt que nous naissons à nous donner des idées d'ordre, d'arrangement, de symmétrie, de méchanisme, de proportion, d'unité: toutes ces idées viennent des sens, & sont factices; & nous avons passé de la notion d'une multitude d'êtres artificiels & naturels, arrangés, proportionnés, combinés, symmétrisés, à la notion positive & abstraite d'ordre, d'arrangement, de proportion, de combinaison, de rapports, de symmétrie, & à la notion abstraite & négative de disproportion, de desordre & de cahos.

Ces notions sont expérimentales comme toutes les autres: elles nous sont aussi venues par les sens; il n'y auroit point de Dieu, que nous ne les aurions pas moins: elles ont précédé de long - tems en nous celle de son existence: elles sont aussi positives, aussi distinctes, aussi nettes, aussi réelles, que celles de longueur, largeur, profondeur, quantité, nombre: comme elles ont leur origine dans nos besoins & l'exercice de nos facultés, y eût - il sur la surface de la terre quelque peuple dans la langue duquel ces idées n'auroient point de nom, elles n'en existeroient pas moins dans les esprits d'une maniere plus ou moins étendue, plus ou moins développée, fondée sur un plus ou moins grand nombre d'expériences, appliquée à un plus ou moins grand nombre d'êtres; car voilà toute la différence qu'il peut y avoir entre un peuple & un autre peuple, entre un homme & un autre homme chez le même peuple; & quelles que soient les expressions sublimes dont on se serve pour désigner les notions abstraites d'ordre, de proportion, de rapports, d'harmonie; qu'on les appelle, si l'on veut, éterneles, originales, souveraines, regles essentielles du beau; elles ont passé par nos sens pour arriver dans notre entendement, de même que les notions les plus viles; & ce ne sont que des abstractions de notre esprit.

Mais à peine l'exercice de nos facultés intellectuelles, & la nécessité de pourvoir à nos besoins par des inventions, des machines, &c. eurent - ils ébauché dans notre entendement les notions d'ordre, de rapports, de propoition, de liaison, d'arrangement, de symmétrie, que nous nous trouvâmes environnés d'êtres où les mêmes notions étoient, pour ainsi dire, répétées à l'infini; nous ne pûmes faire un pas dans l'univers sans que quelque production ne les ré<pb->

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