ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"275"> plus vrai de dire avec saint Pierre qu'on ne peut être sauvé que par Jesus - Christ.

11°. Que l'entrée du royaume des cieux qui est le terme de la prédestination, est tellement une grace: gratia Dei vita oeterna, Rom. vj. 23. qu'elle est en mêtems un salaire, une récompense, une couronne des bonnes oeuvres faites avec le secours de la grace: merces, corona justitioe, bravium. II. Tim. iv. 8. Philipp. iij. 14.

Tels sont sur la prédestination les divers points du dogme, ou contenus clairement dans l'Ecriture, ou décidés en différens tems par l'Eglise contre les Pélagiens, les Sémi - Pélagiens, les Calvinistes, & autres novateurs.

Mais on dispute vivement dans les églises catholiques, savoir, si le decret de la prédestination à la gloire est antérieur ou postérieur à la prévision des mérites surnaturels, formés par la grace. L'état de la question est de savoir précisément si Dieu veut en premier lieu d'une volonté absolue & efficace le salut de ses créatures, & s'il résout en conséquence de leur accorder dans le tems des graces qui leur sassent infailliblement opérer des bonnes oeuvres; ou si au contraire Dieu se propose d'abord de distribuer à ses créatures tous les secours de grace nécessaires pour l'observation des préceptes de la loi, & si ce n'est pas en conséquence de la prévision des mérites qui doivent résulter du bon usage de ces graces qu'il décide du bonheur éternel.

Les Thomistes & les Augustiniens soutiennent que le decret de la prédestination à la gloire est antérieur à la prévision de tout mérite; que Dieu n'a trouvé qu'en lui - même le motif de cette élection, & qu'il l'a décernée indépendamment de la connoissance de la chûte future d'Adam, chef de tout le genre humain. Quelques - uns d'eux prétendent qu'il est inutile de distinguer dans Dieu deux decrets, l'un de prédestination à la gloire, l'autre de prédestination à la grace; qu'il n'y en a qu'un seul qui envisage la gloire comme la fin & la grace, ou la collection des graces comme les moyens pour parvenir à cette fin: mais que, supposé même cette distinction des decrets, la prédestination à la gloire n'en est pas moins antérieure à la prévision des mérites, parce que, disent - ils, tout agent sage se propose d'abord une fin, ensuite il examine les moyens propres à conduire à cette fin. Or la gloire est la fin que Dieu se propose d'abord, les mérites ne sont que les moyens pour arriver à cette fin, d'où il s'ensuit que Dieu a décerné la gloire avant que de faire attention aux mérites. Enfin, quelques défenseurs de cette opinion pensent qu'elle appartient à la foi, & que saint Augustin étoit tellement persuadé de la gratuité de la prédestination considérée dans sa totalité, c'est - à - dire, prise pour un seul decret en Dieu qui destine la gloire à ses élus par certains moyens efficaces qu'il leur a préparés pour les y conduire, qu'il ne craint point de donner ce sentiment comme la créance de l'Eglise, & de soutenir que personne ne peut l'attaquer sans tomber dans l'erreur. Lib. de don. perseverant. c. xxiij. & xix.

Il faut convenir en effet, que l'Ecriture & saint Augustin, avec quelques autres peres latins, sont extrèmement favorables à ce sentiment; mais ce n'est point assez pour le mettre au nombre des dogmes de la foi, puisqu'on tire également de l'Ecriture, des Peres, & de saint Augustin même, des autorités qui appuient fortement l'opinion contraire, & que l'Eglise permet encore aujourd'hui que les Théologiens connus sous le nom de Molinistes & de Congruistes, la soutiennent.

En effet, ceux - ci alleguent en leur saveur le v. 25. du xxxiv. chap. de S. Matthieu, comparé avec le v. 41. du même chapitre, où la prédestination & la réprobation supposent également la prévision des mérites & des démérites. Ces paroles de S. Ambroise, non ante proedestinavit quam proesciret, sed quorum merita proescivit eorum proemia proedestinavit; lib. V. de fide, cap. vj. & celles - ci de S. Chrysostome, homil. in cap. xxv. Matth. Antequam nati sitis, quia sciebam vos hujusmodi futuros hoec vobis à me proeparata suerunt. Et enfin, que S. Augustin dans les textes que nous avons indiqués, ne parloit que de la prédestination à la grace, qui réellement ne suppose aucuns mérites, comme le prétendoient les Pélagiens, & non de la prédestination à la gloire, dont il a dit lui - même: quos voluit Deus hos elegit: elegit autem sicut dicit apostolus & secundum suam gratiam, & secundum eorum justitiam. Serm. de verb. evang. S. Luc. cap. x. Or, ajoutent ces théologiens, il est clair que dans ce passage il ne s'agit point de la prédestination à la grace, qui ne suppose en nous aucune justice; mais de la prédestination à la gloire, qui suppose des mérites fondés sur la grace. Et lorsque les Pélagiens soutenoient que la prédestination à la gloire étoit postérieure à la prévision des mérites, S. Augustin ne refusoit pas d'acquiescer à leurs sentimens, pourvu que de leur côte ils reconnussent que ces mérites étoient des effets de la grace, & non des seules forces de la nature. Si merita nostra sic intelligerent, dit - il, lib. de grat. & lib. arbitr. ut etiam ipsa dona Dei esse cognoscerent, non esset reprobanda ista sententia. Enfin, ils remarquent que dans le decret de la prédestination, Dieu n'envisage pas seulement la gloire comme fin, mais comme récompense qu'il décerne aux bonnes oeuvres opérées avec le secours de sa grace, & qu'il accorde non - seulement comme un bienfait, mais encore à titre de justice.

On sent que tout le noeud de cette difficulté, dépend des systèmes qu'embrassent ces diverses écoles sur la nature de la grace. Voyez Grace, Efficace, Augustiniens, Molinisme, Thomistes ; &c. Les Calvinistes sont aussi partagés sur l'article de la prédestination; car les Arminiens soutiennent qu'il n'y a point d'élection absolue, ni de préférence gratuite, par laquelle Dieu prépare à certaines personsonnes choisies, & à elles seules des moyens certains pour les conduire à la gloire; mais que Dieu offre à tous les hommes, & sur - tout à ceux à qui l'Evangile est annoncé, des moyens suffisans de se convertir, dont les uns usent, & les autres non, sans en employer aucun autre pour ses élus, non plus que pour les reprouvés; en sorte que l'élection n'est jamais que conditionnelle, & qu'on en peut déchoir en manquant a la condition: d'où il s'ensuit qu'on ne peut être en aucune sorte assuré de son salut.

Les Catholiques admettent cette conséquence, quoiqu'ils ne conviennent pas du principe, comme on l'a vu. Les Luthériens l'admettoient en partie, prétendant qu'on peut être sûr de sa justice présente, mais non pas de la persévérance future. Mais les Calvinistes au contraire déciderent dans leur synode de Dordrecht, que le decret de la prédestination est absolu & immuable; que Dieu donne la vraie & vive foi à tous ceux qu'il veut retirer de la damnation commune, & à eux seuls; que tous les élus sont dans leur tems assurés de leur élection... non en sondant les decrets de Dieu, mais en remarquant en eux - mêmes les fruits infaillibles de cette élection tels que la vraie foi, la douleur de ses péchés, & les autres, & que le sentiment & la certitude de leur élection, les rend toujours meilleurs de plus en plus. Sess. 36. pag. 249. actor. synod. Dordac. Bossuet, hist. des variat. liv. XIV. pag. 328. & 330.

Luther avoit aussi toujours soutenu ces secrets absolus & particuliers, par lesquels Dieu prédestine un certain nombre d'élus; mais Melanchton adoucit cette doctrine, prétendant que la doctrine des Théologiens de la confession d'Augsbourg est que la prédesti - [p. 276] nation est conditionnelle & présuppose la préscience de la foi. A leur exemple, Jean Cameron écossois, célebre ministre, & professeur en théologie dans l'académie de Saumur, introduisit parmi les Calvinistes de France, le système d'une vocation & d'une grace universelle, qui fut soutenu par Testard & par Amyrault ses disciples, aussi - bien que par les ministres Daillé & Blondel. Mais il est constant que les Luthériens & les Calvinistes rigides, ont toujours tenu pour le dogme d'une prédestination absolue & particuliere.

Quoique les anciens hébreux fussent persuadés comme nous que Dieu a prévu ce que chaque homme doit être, faire, ou devenir, tant pour le bien que pour le mal, cependant il n'est pas aisé de se former une juste idée de leur système sur la prédestination. Joseph reconnoît que les Pharisiens admettoient le destin, sans toutefois exclure la liberté de l'homme; & comme les Hébreux admettoient la préexistence des ames, il est probable qu'ils pensoient que Dieu formoit son decret pour sauver ou pour damner les hommes, sur la connoissance qu'il a des bonnes ou des mauvaises qualités qui sont dans leurs ames avant leur infusion dans les corps; du bon ou mauvais usage qu'elles ont fait de leur liberté avant que de les animer, & de celui qu'elles en doivent faire dans le tems qu'elles vivront sur la terre. C'est sur ces idées qu'Origène avançoit que nous ne sommes pas prédestinés suivant la préscience de Dieu, mais en considération de nos mérites; & que Pélage avoit aussi formé son système, puisque saint Jérome lui reproche que sa doctrine n'est qu'une branche de celle d'Origène, doctrina sua Origenis ramusculus est; epist. ad Ctesiph. Saint Chrysostome, & la plûpart des peres grecs, ont aussi supposé dans la prédestination une prévision des mérites non passés, comme Origène, mais futurs, ni provenans de la nature, comme Pélage, mais fondés sur la grace.

Les Turcs admettent ordinairement une prédestination absolue & nécessitante pour tous les événemens de la vie, & en conséquence ils se précipitent aveuglément à la guerre dans les plus grands dangers; mais il y a aussi parmi eux la même différence sur la prédestination antérieure ou postérieure aux mérites, que chez les Chrétiens; dans le même sens les payens reconnoissoient le destin. Voyez Destin.

Voici quelques passages propres à fixer les sentimens des peres dans cette grande question qui a exercé toutes les sectes religieuses en quelque lieu du monde que ce soit, & qui les a exercées avec d'autant plus de chaleur que l'objet en a dû paroître plus important, puisqu'il est question du salut éternel, du moyen d'y parvenir, du mérite ou du démérite de nos actions, de l'usage de notre liberté, de l'empire de Dieu sur sa créature. Ce qui a dû encore ajouter à l'opiniatreté avec laquelle on devoit s'occuper de ces dogmes, c'est leur profondeur, leur incompréhensibilité. C'est une maladie de l'esprit humain que de s'attacher d'autant plus fortement à un objet qu'il lui donne moins de prise.

Il paroît très - vraisemblable que le sentiment général des Peres sur la prédestination, a été que ceux qui ne parviennent point au salut, périssent, parce qu'ils n'ont pas voulu faire le bien qu'ils pouvoient; & que c'est dans l'homme seul qu'il faut chercher la cause de ce qu'il n'est pas sauvé, attendu qu'étant appellé, il néglige de suivre sa vocation, & qu'ainsi il rend inutiles les dons de Dieu.

Irénée, l. IV. c. lxxvj. dit en termes exprès, que c'est à soi - même que l'homme doit s'en prendre, s'il n'a point de part aux graces du Très - haut. « Qui igitur abstiterunt à paterno lumine, & transgressi sunt legem libertatis, per suam abstiterunt culpam liberii arbitrii, & suoe potestatis facti».

Clément d'Alexandrie parlant des payens dit, « que ceux qui ne se sont pas repentis, seront condamnés; les uns, parce qu'ayant pu croire, ils ne l'ont pas voulu; les autres, parce que l'ayant bien voulu, ils n'ont pas travaillé à devenir des croyans ». Un autre passage fait comprendre la pensée de ce pere de l'Eglise: voici comme il s'exprime dans les Stromates, lib. VI. p. 669. Paris. 1631. D) MO\NON TOI/NON. &c. « Celui qui croit, & l'infidele qui ne croit pas, sont jugés très - justement; car comme Dieu par sa préscience savoit que cet homme ne croiroit point, néanmoins il lui a donné la philosophie avant la loi. Il a fait le soleil, la lune, & les étoiles pour tous les peuples, afin que s'ils n'étoient pas idolâtres, ils ne périssent point ».

On trouve un passage assez semblable à celui de saint Clément, dans Origène contre Celse, liv. III. p. 115. le voici: « Quand saint Paul dit à l'égard des vérités que quelques sages d'entre les Grecs avoient découvertes, qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu; l'apôtre témoigne par - là qu'ils connoissoient Dieu, & que c'est Dieu qui leur avoit donné cette connoissance ».

Saint Chrysostome, in cap. ix. ep. ad Rom. p. 196. s'exprime d'une maniere claire par rapport à Pharaon: *O)\UTE GAR O\ QEO\S2 E)NE/LIPE, c'est - à - dire, « Dieu n'a rien obmis de ce qui pouvoit contribuer à son amendement; il n'a aussi rien obmis de ce qui devoit le condamner, & le rendre inexcusable: cependant il le supporta avec beaucoup de douceur, voulant l'amener à la repentance; car s'il n'avoit pas eu ce dessein, il n'auroit point usé de tant de support. Mais Pharaon n'ayant pas voulu profiter de cette bonté pour s'amender, & s'étant préparé à la colere, Dieu l'a fait servir d'exemple pour la correction des autres ».

Il paroît par quelques écrits de saint Augustin, que ce pere étoit alors d'accord sur ce point avec les docteurs qui l'avoient précédé; je ne citerai pour le prouver qu'un passage frappant, qui se trouve dans son tract. 53. saint Augustin y explique les versets 39. & 40. du chap. xij. de l'Evang. selon saint Jean, & voici comme il s'exprime: « Ces paroles de l'Evangile donnent lieu à une question profonde; car l'évangéliste ajoute, ils ne pouvoient croire, à cause qu'Isaïe dit, il a aveuglé leurs yeux, & a endurci leurs coeurs, afin qu'ils ne voyent point de leurs yeux, & n'entendent point de leurs coeurs. On nous objecte: s'ils ne pouvoient croire, quel péché y a - t - il dans l'homme de ne point faire ce qu'il ne peut faire? Si donc ils ont péché en ne croyant point, il étoit en leur pouvoir de croire, & ils n'ont point cru; mais s'ils l'ont pu, comment l'Evangile dit - il, ils ne pouvoient croire? Vous avez entendu, mes freres, l'objection à laquelle nous répondons ainsi. Ils ne pouvoient croire, parce que le prophete Isaïe avoit prédit leur incrédulité, & le prophete l'avoit prédite, parce que Dieu avoit prévu la chose: il avoit prévu leur mauvaise disposition, & l'avoit déclaré par son prophete. Mais, dira - t - on, le prophete en apporte une autre raison indépendante de leur volonté. Quelle? C'est que Dieu leur a donné des yeux pour ne point voir, & des oreilles pour ne point entendre; il a aveuglé leurs yeux, & endurci leurs coeurs. Je réponds que cela même, ils l'ont mérité; car Dieu aveugle & endurcit lorsqu'il abandonne l'homme, qu'il ne lui accorde point des secours; & c'est ce qu'il est en droit de faire par un jugement secret, qui ne peut être injuste ».

Il résulte assez clairement de tous ces passages & autres, dont les citations nous meneroient trop loin, que les Peres attribuent la perte des pécheurs à leurs

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