ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"164"> noissent dans leurs langues les deux classes de possessifs que j'ai distinguées dès le commencement; mais c'est sous des dénominations différentes.

Nos grammairiens appellent mon, ton, son, & leurs semblables possessifs absolus; & ils regardent le mien, le tien, le sien, &c. comme des possessifs relatifs: ceuxci sont nommés relatifs, parce que n'étant pas joints avec leur substantif, dit M. Restaut, ils le supposent énoncé auparavant, & y ont relation: mais personne ne dit pourquoi on appelle absolus les possessifs de la premiere espece; & M. l'abbé Regnier paroît avoir voulu éviter cette dénomination, en les nommant simplement non - relatifs. Le mot de relatif est un terme dont il semble qu'on ne connoisse pas assez la valeur, puisqu'on en abuse si souvent; tout adjectif est essentiellement relatif au sujet déterminé auquel on l'applique, soit que ce sujet soit positivement exprimé par un nom ou par un pronom, soit que l'ellipse l'ait fait disparoître & qu'il faille le retrouver dans ce qui précede. Ainsi les deux especes de possessifs sont également relatives, & la distinction de nos grammairiens est mal caractérisée.

Les grammairiens allemands ont apparemment voulu éviter ce défaut, & M. Gottsched appelle conjonctifs les possessifs de la premiere espece, mon, ton, son, &c. & il nomme absolus ceux de la seconde, le mien, le tien, le sien, &c. Les premiers sont nommés conjonctifs, parce qu'ils sont toujours unis avec le nom auquel ils se rapportent; les autres sont appellés absolus, parce qu'ils sont employés seuls & sans le nom auquel ils ont rapport. Voilà comment les différentes manieres de voir une même chose, amenent des dénominations différentes & même opposées. M. de la Touche qui a composé en Angleterre l'art de bien parler françois, a adopté cette seconde maniere de distinguer les possessifs.

Avec un peu plus de justesse que la premiere, je ne crois pourtant pas qu'elle doive faire plus de fortune. Les termes téchniques de grammaire ne doivent pas être fondés sur des services accidentels, qui peuvent changer au gré de l'usage; la nomenclature des sciences & des arts doit être immuable comme les natures dont elle est chargée de reveiller les idées, parce qu'elle doit en effet exprimer la nature intrinséque, & non les accidens des choses. Or il est évident que mien, tien, sien, &c. ne sont absolus, au sens des grammairiens allemans, que dans l'usage présent de leur langue & de la nôtre; & que ces mêmes mots étoient conjonctifs lorsqu'il étoit permis de dire un mien frere, un sien livre, comme les Italiens disent encore il mio fratello, il suo libro.

M. Duclos, qui apparemment a senti le vice des deux nomenclatures dont je viens de parler, a pris un autre parti. « Mon, ton, son, ne sont point des pronoms, dit - il Remarque sur le chap. viij. de la II. part. de la gramm. gén. puisqu'ils ne se mettent pas à la place des noms, mais avec les noms mêmes: ce sont des adjectifs possessifs. Le mien, le tien, le sien, sont de vrais pronoms » Ce savant académicien juge que ces mots se mettent au lieu du nom qui n'est point exprimé; mais, comme je l'ai dejà dit, ce n'est point là le caractere distinctif des pronoms: & d'ailleurs les adjectifs mien, tien, sien, &c. ne se mettent pas au lieu du nom. On les emploie sans nom à la vérité, mais ils ont à un nom une relation marquée qui les assujettit aux lois de la concordance comme tous les autres adjectifs; & l'article qui les accompagne nécessairement est la marque la plus assurée qu'il y a alors ellipse d'un nom appellatif, la seule espece de mot qui puisse recevoir la détermination qui est indiquée par l'article.

C'est donc la différence que j'ai observée entre les deux especes de possessifs, qui doit fonder celle des dénominations distinctives de ces especes. Mon, ton, son, &c. sont des articles possessifs, puisqu'ils renferment en effet dans leur signification, celle de l'article & celle d'une dépendance relative à quelqu'une des trois personnes du singulier ou du pluriel; que d'ailleurs ils font avec les noms qu'ils accompagnent l'office de l'article, qu'on ne peut plus énoncer sans tomber dans le vice de la périssologie. Mien, tien, sien, &c. sont de purs adjectifs possessifs, puisqu'ils ne servent qu'à qualifier le sujet auquel ils ont rapport, par l'idée d'une dépendance relative à quelqu'une des trois personnes du singulier ou du pluriel.

Content d'avoir examiné la nature des adjectifs possessifs, ce qui est véritablement de l'objet de l'Encyclopédie, je ne m'arrêterai point ici à détailler les différens usages de ces adjectifs par rapport à notre langue; c'est à nos grammaires françoises à discuter ces lois accidentelles de l'usage; mais je m'arrêterai à deux points particuliers, dont l'un concerne notre langue, & l'autre la langue allemande.

L'examen du premier point peut servir à faire voir combien il est aisé de se méprendre dans les décisions grammaticales, & combien il faut être attentif pour ne pas tomber dans l'erreur sur ces matieres. « Plusieurs ne peuvent comprendre, dit Vaugelas, remarque 320, comment ces...... possessifs, mon, ton, son, qui sont masculins, ne laissent pas de se joindre avec les noms féminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet).... Quelques-uns croient qu'ils sont du genre commun, servant toujours au masculin, & quelquefois aufeminin, c'est - à - dire à tous les mots feminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet), afin d'éviter la cacophonie que feroient deux voyelles.... D'autres soutiennent que ces pronoms sont toujours du masculin, mais qu'à cause de la cacophonie on ne laisse pas de les joindre avec les feminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet), tout de même, disent - ils, que les Espagnols qui se servent de l'article masculin el pour mettre devant les noms féminins commençant par une voyelle, disant el alma, & non pas la alma. De quelque façon qu'il se fasse, il suffit de savoir qu'il se fait ainsi, & il n'importe guere, ou point du tout, que ce soit plutôt d'une maniere que de l'autre ».

Cela peut n'être en effet d'aucune importance s'il ne s'agit que de connoître l'usage de la langue & de s'y conformer: mais cela ne peut être indifférent à la Philosophie, si ce n'est à la philosophie sceptique qui aime à douter de tout. Thomas Corneille crut apparemment qu'une décision valoit mieux que l'incertitude, & il décide, dans sa note sur cette remarque, que cet usage de notre langue n'autorise pas à dire que mon, ton, son, sont du genre commun. « Je ne puis comprendre, dit l'abbé Girard à ce sujet, tom. I. discours vij. pag. 376. par quel goût, encore moins par quelle raison, un de nos puristes veut que mon, ton, son, ne puissent être feminins, & qu'ils sont toujours masculins, même en qualifiant des substantifs féminins. Il dit que la vraie raison qui les fait employer dans ces occasions est pour éviter la cacophonie: j'en conviens; mais cette raison n'empêche pas qu'ils n'y soient employés au féminin: bien loin de cela, c'est elle qui a déterminé l'usage à les rendre susceptibles de ce genre. Quel inconvénient y a - t - il à les regarder comme propres aux deux, ainsi que leur pluriel? Quoi! on aimera mieux confondre & bouleverser ce que la syntaxe a de plus constant, que de convenir d'une chose dont la preuve est dans l'évidence du fait? Voilà où conduit la méthode de supposer des maximes & des regles indépendantes de l'usage, & de ne point chercher à connoître les mots par la nature de leur emploi ». L'opinion de M. [p. 165] l'abbé Girard, & la conséquence qu'il en tire contre la méthode trop ordinaire des grammairiens, me paroissent également plausibles; & je révoque volontiers & sans détour, ce que je me rappelle d'avoir écrit de contraire à l'article Gallicisme.

Je passe à l'observation qui concerne la langue allemande: c'est que l'usage y a introduit deux articles & deux adjectifs possessifs qui ont rapport à la troisieme personne du singulier; l'un s'emploie quand la troisieme personne est du feminin, & l'autre, quand elle est du masculin. Cette différence ne sert qu'à déterminer le choix du mot, & n'empêche pas qu'il ne s'accorde en genre avec le nom auquel on l'applique. Ainsi son, quand la troisieme personne est du masculin, se dit en allemand sein, m. seine, f. & sein, n. & sien se dit seiner, m. seine, f. seines, n. ou bien der sernige, m. die seinige, f. das seinige, n. & tous ces mots sont dérivés du génitif masculin seiner (de lui). Mais si la troisieme personne est du feminin, son se dit en allemand ihr, m. ihre, f. ihr, n. & sien se dit ihrer, m. ihre, f. ihres, n. ou bien der ihrige, m. die ihrige, f. das ihrige, n. & tous ces mots sont dérivés du génitif feminin ihrer (d'elle). On peut concevoir, par cette propriété de la langue allemande, combien l'usage a de ressources pour enrichir les langues, pour y mettre de la clarté, de la précision, de la justesse, & combien il importe d'examiner de près les idiotismes pour en demêler les finesses & le véritable sens. C'est la conclusion que j'ai prétendu tirer de cette observation. (B. E. R. M.)

POSSESSION (Page 13:165)

POSSESSION, s. f. (Jurisprud.) est la détention & la jouissance d'une chose, soit qu'il s'agisse d'une chose mobiliaire que l'on peut tenir en sa main, soit qu'il s'agisse d'un héritage ou autre immeuble, ou droit réel reputé immeuble, dont la possession s'acquiert & se conserve par des actes tendans à user de la jouissance, ou à en disposer comme propriétaire.

On distingue plusieurs sortes de possessions, savoir la possession de fait, & celle de droit; la possession naturelle & la possession civile, & autres, ainsi qu'on l'expliquera dans les subdivisions suivantes.

La possession est de fait & de droit; mais pour connoître quand elle est acquise, on a plutôt égard à la volonté qu'au seul fait.

On peut acquérir la possession par autrui; savoir par un fermier ou locataire, par un dépositaire, un fondé de procuration, un tuteur.

La possession du défunt se continue en la personne de l'héritier; elle est regardée comme la même & non comme une possession nouvelle.

Celui qui a la possession d'une chose, quoiqu'il n'en soit pas le véritable propriétaire, a beaucoup d'avantage sur ceux qui ne la possedent pas; c'est pourquoi l'on dit en droit, in pari causâ, melior est possidentis.

Lorsqu'il est troublé dans sa possession, après an & jour, il peut intenter complainte, & par ce moyen se faire maintenir en sa possession, même contre le véritable propriétaire, auquel il ne reste plus que la ressource du pétitoire, & de demander la restitution des fruits. Voyez Complainte & Possessoire.

Le possesseur n'est pas obligé de montrer son titre, il lui suffit de dire qu'il possede parce qu'il possede; & en cas de dénégation, on peut ordonner la preuve par témoins.

Quand la chose est sujette à prescription, & que le propriétaire en a laissé jouir paisiblement le possesseur assez long - tems pour acquérir la prescription, le possesseur devient lui - même légitime propriétaire.

Le tems nécessaire pour donner cet effet à la possession, est différent selon les objets dont il s'agit, & aussi selon les pays, ainsi qu'il sera expliqué au mot Prescription.

Celui qui a été dépossédé par force & par violen<cb-> ce, peut intenter dans l'an & jour l'action de réintégrande, pour être rétabli dans sa possession; & cette action est si favorable que quand ce seroit le propriétaire qui auroit commis la violence, & qu'il justifieroit sur le champ de sa propriété, on ne l'écouteroit point jusqu'à ce qu'il ait retabli celui qu'il a dépouillé: c'est la maxime des Canonistes, spoliatus ante omnia restituendus est. Voyez Réintégrande.

La possession se perd par négligence & par le défaut d'exercice, ou par un jugement d'éviction qui envoie un autre en possession de la chose. Voyez au digeste le livre XLII. le tit. 4 de acquirenda vel amittendâ possessione, & livre XLII. les tit. 4. & 5. au code, livre VII. tit. 32. de acquirendâ & retin. possessione; les lois civiles, & Argout, tit, de la possession.

Possession actuelle (Page 13:165)

Possession actuelle, est celle que l'on a réellement & dans le moment présent.

Possession d'an et jour (Page 13:165)

Possession d'an et jour, est celle qui a duré pendant une année entiere & encore un jour au - delà. Pour pouvoir s'aider de cette possession, il faut qu'elle ait duré pendant l'an & jour qui ont précédé le trouble.

Possession annale (Page 13:165)

Possession annale, c'est ainsi qu'en matiere canonique & bénéficiale on appelle la possession du bénéficier qui jouit paisiblement depuis un an de son bénéfice.

Cette possession se compte du jour de la prise de possession du bénéfice, & doit être paisible & non interrompue par aucun exploit.

Elle donne droit au pourvu de demeurer en possession du bénéfice, jusqu'à ce que le pétitoire soit jugé.

Telle est la teneur de la regle de chancellerie romaine, appellée regle de annali possessore.

Cette regle étoit suivie en France du tems de Rebuffe & de Dumolin, mais présentement elle n'y est plus suivie; & il n'y a point de provisions par dévolu dans lesquelles on ne déroge à cette regle, & quand la dérogation ne s'y trouveroit pas nommément exprimée, elle y seroit toujours sous - entendue. Voyez ci - après Possession triennale.

Possession artificielle (Page 13:165)

Possession artificielle ou feinte, est une fiction de droit qui nous fait réputer possesseur d'une chose qu'un autre possede sous notre nom, comme dans le cas de la relocation, du constitut ou précaire Voyez Constitut, Précaire, Relocation

Possession de bonne foi (Page 13:165)

Possession de bonne foi, est celle où le possesseur est convaincu qu'il possede légitimement. Voyez Prescription.

Possession centenaire (Page 13:165)

Possession centenaire, est celle qui dure depuis cent ans; cette possession est aussi appellée possession ancienne & immémoriale: elle v ut titre.

Possession civile (Page 13:165)

Possession civile, est celle qui est plus de droit que de fait, comme quand on dit suivant la regle, le mort saisit le vif, qu'un héritier est en possession de tous les biens du défunt des le moment de son décès. Cela est vrai selon les principes; mais cette possession est purement civile, & n'est qu'une fiction de droit, parce que cet héritier ne possede naturellement & réellement les choses que quand il les a appréhendées, & qu'il les a mises de fait en sa main & jouissance.

On appelle aussi possession civile, celle d'un bénéficier qui a pris possession de droit. Il acquiert par ce moyen la qualité & les actions de possesseur, quoiqu'il ne jouisse pas & réellement, & même qu'il y ait un autre pourvu qui jouisse du même bénéfice.

Quelquefois au contraire le terme de possession civile est opposé à la possession naturelle; on entend alors par possession civile la détention d'une chose avec affection de la tenir comme en ayant la propriété, quoiqu'on ne l'ait pas encore véritablement. Telle est la possession d'un possesseur de bonne foi, lequel ayant acheté un fonds de celui qu'il en croyoit le véritable

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