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On voit par - là clairement la divinité divisée en autant de parties qu'il y a de bêtes & d'hommes. Cet esprit, cet entendement répandu, selon Virgile, par toute la masse de la matiere, peut - il être composé de moins de parties que la matiere? ne faut - il pas qu'il soit dans l'air par des portions de sa sabstance numériquement distinctes des portions par lesquelles il est dans l'eau réellement; donc les philosophes qui semblent avoir enseigné l'unité de Dieu ont été plus polythéistes que le peuple. Ils ne savoient ce qu'ils disoient, s'ils croyoient dire que l'unité appartient à Dieu. Elle ne peut lui convenir selon leur dogme, que de la maniere qu'elle convient à l'Océan, à une nation, à une ville, à un palais, à une armée. Le dieu qu'ils reconnoissoient être un amas d'une infinité de parties, si elles étoient homogènes, chacune étoit un dieu, ou aucune ne l'étoit. Or si aucune ne l'avoit été, le tout n'auroit pas pû être dieu. Il falloit donc qu'ils admissent au pié de la lettre une infinité de dieux, ou pour le moins un plus grand nombre qu'il n'y en avoit dans le poëme d'Hésiode, ni dans aucune autre lithurgie. Si elles étoient hétérogenes, on tomboit dans la même conséquence, car il falloit que chacune participât à la nature divine & à l'essence de l'ame du monde. Elle n'y pouvoit participer sans être un dieu, puisque l'essence des choses n'est point susceptible du plus ou du moins. On l'a toute entiere, ou l'on n'en a rien du tout. Voilà donc autant de dieux que de parties dans l'univers. Que si la nature
Qu'on se tourne de quelque côté qu'on voudra; on ne peut trouver jamais dans les systemes des anciens philosophes, l'unité de Dieu; ce sera toujours une unité collective. Affectez de dire sans nommer jamais l'armée, que tels ou tels bataillons ont fait ceci, ou sans jamais articuler ni régimens, ni bataillons, que l'armée a fait cela, vous marquerez également une multitude d'acteurs. S'il n'y a qu'un seul Dieu, selon eux, c'est de la même maniere qu'il n'y a qu'un peuple romain, ou que, selon Aristote, il n'y a qu'une matiere premiere. Voyez dans saint Augustin les embarras ou la doctrine de Varron se trouve réduite. Il croyoit que Dieu n'étoit autre chose que l'ame du monde. Onlui fait voir que c'est une division de Dieu en plasieurs choses, & laréduction de plusieurs choses en un seul Dieu. Lactance aussi a très - bien montré le ridicule du sentiment des Stoiques, qui étoit à - peu - près le même que celui de Varron. Spinoza est dans le même laby inthe. Il soutient qu'il n'admet qu'une substance, & il la nomme Dieu. Il semble donc n'admettre qu'un Dieu; mais dans le fond il en admet une infinité sans le savoir. Jamais on ne comprendra que l'unité de substance, à quoi il réduit l'univers, soit autre chese que l'unité collective, ou que l'uniré formelle des Logiciens, qui ne subsiste qu'idéalement dans notre esprit. S'il se trouve donc dans les philosophes payens quelques passages qui semblent autoriter d'une maniere plus orthodoxe l'unité de Dieu, ce ne sont la plûpart du tems qu'un galimathias pompeux; saites - en bien l'analyse, il en sortira toujours une multitude de dieux. On n'est parfaitement unitaire qu'autant qu'on reconnoît une intelligence parfaitement simple, totalement distinguée de la matiere & de la forme du monde, productrice de toutes choses, & véritablement spirituelle. Si l'on affirme cela, l'on croit qu'il n'y a qu'un Dieu; mais si on ne l'affirme pas, on a beau sifsler tous les dieux du paganisme, & témoigner de l'horrcur pour la multitude desdieux, on en admettra réellement une infinité. Or c'est là précisément le cas de tous les anciens philosophes que nous avons prouvé ailleurs n'avoir aucune teinture de la veritable spiritualité.
Si M. Bayle s'étoit contenté de dire qu'en raisonnant conséquemment, on ne se persuaderoit jamais que l'unité de Dieu fùt compatible avec la nature de Dieu, telle que l'admettoient les anciens philosophhes, je me rangerois à son avis. Il me semble que ce qu'ils disoient de l'unité de Dieu, ne couloit point de leur doctrine touchant la nature de cet Etre. Je parle même de la dectrine des premiers peres de l'Fglise, qui mettoient dans Dieu une espece de matérialisme. Certe doctrine bien pénétrée, & conduite exactement de conséquence en conséquence, étoit l'éponge de toute religion. Les raisonnomens de M. Bayle, que j'ai apportés en objection, en sont une preuve bien évidente. Mais comme les opinions, inconséquemment & très - impertinemment tirées d'une hypothese, n'entrent pas moins facilement dans les esprits, que si elles émanoient nécessairement d'un bon principe; il faut convenir que les philosophes payens ont veritablement reconnu l'unité de Dieu, [p. 962]
Un des plus grands esprits de l'ancienne Rome, s'avisa d'examiner les opinions des philosophes sur la nature divine. Il disputa pour & contre avec beaucoup d'attention. Qu'en arriva - t - il? c'est qu'au bout du compte, il se trouva athée, ou peu s'en fallut, ou qu'au moins il n'évita ce grand changement que parce qu'il eut plus de déférence pour l'autorité de ses ancêtres que pour ses lumieres philosophiques.
Mais une chose qu'on ne peut pardonner aux anciens philosophes qui reconnoissoient un seul Dieu, c'est que satisfaits de ne point tomber dans l'erreur, ils regardoient comme une de leurs obligations d'y entretenir les autres. Le sage, avoue l'orateur philosophe, doit maintenir tout l'extérieur de la religion qu'il trouve établi, & conserver inviolablement les cérémonies brillantes, sacrées, auxquelles les ancêtres ont donné cours. Pourlui qu'il considere la beauté de l'univers, qu'il examine l'arrangement des corps célestes, il verra que sans rien changer aux choses anciennes, il doit adorer en secret l'Etre suprême. En cela consistoit toute la religion des Payens, gens d'esprit. Ils reconnoissoient un Dieu qu'ils regardoient comme remplissant le monde de sa grandeur, de son immensité. Ils retenoient avec cela les principaux usages du pays où ils vivoient, craignoient surtout d'en troubler la paix par un zele surieux, ou par trop d'attachement à leurs opinions particulieres. C'est sur quoi appuie Séneque d'une maniere très sensée. Quand nous plions, dit - il, devant cette foule de divinités qu'une vieille superstition a entassée les unes sur les autres, nous donnons ces hommages à la coûtume, & non pas à la religion. Nous voulons parlà contenir le peuple, & non point nous avilir honteusement.
Suivant quelques philosophes, tout le polythéisme poétique, tout ce qu'il y a eu de divinites parmi les Grecs, tout ce qui entre dans le détail de leurs généalogies, de leurs familles, de leurs domaines, de leurs amours, de leurs avantures, n'est autre chose que la physique mise sur un certain ton & agréablement tournée. Ainsi Jupiter n'est plus que la matiere éthérée, & Junon la masse liquide de notre atmosphere. Apollon estle soleil, & Diane est la lune. Pour abreger, tous les dieux ne sont que les élémens & les corps physiques; la nature se trouve partagée entre
Il faut convenir que cette premiere institution des dieux, est un fait d'histoire assez constant, du - moins pris en général. On sait que dans l'origine du paganisme, la physique qui n'avoit pas encore formé de science, laissoitles écrivains dans une si grande sécheresse sur le fond des choses, que pour la corriger, ils emprunterent le secours des allusions & des fables, genre d'écrire que favorisoit le penchant, & en quelque sorte l'enfance des lecteurs, comme il paroît dans Cicéron. Mais ce fait même, la défense du paganisme dans le tems que le Christianisme s'élevoit sur ses ruines & ses débris, étoit la plus forte démonstration contre lui. 1°. Si les dieux n'étoient que des portions de l'univers, il demeuroit évident que l'univers prenoit la place de son auteur, & que l'homme aveugle décernoit à la créature, l'adoration qui n'est dûe qu'au Créateur. 2°. Quand même les dieux n'auroient été dans l'origine que les élémens personnifiés, cette théologie symbolique ne devenoit - elle pas une occasion de scandale & d'erreur impie? Quelle que fût l'origine physique du mot Jupiter, n'etoit - il pas dans la signification d'usage, le nom propre d'un Dieu, pere des autres dieux? Lorsque le peuple lisoit dans ses poëtes que Jupiter frappoit Junon son épouse & sa s>ur, concevoit - il qu'il ne s'agissoit là que du choc des élémens? Recouroit - il aux allusions pour l'intelligence des autres fables, où il voyoit un sens clair, qui dès le premier aspect, fixoit sa croyance? Où étoit le poete qui eût appris à distinguer ces images allégoriques d'avec la simplicité de la lettre? Où étoient même les poëtes qui n'eussent pas représenté le même Dieu sous des emblèmes tous différens, & quelquefois opposés? Il étoit donc impossible que le valgaire ignorant saisît au milieu de ces variations un point fixé d'allégorie qui le déterminât, & dèslors il ne lui restoit qu'un système scandaleux où la raison trompée n'offroit à la morale que des exemples trompeurs.
Quelque parti que prît l'Idolatrie, soit qu'elle regardât ses dieux comme des élémens qu'elle avoit personnifiés, soit qu'elle les regardât comme des hommes qu'elle avoit déifiés après leur mort, pour les bienfaits dont ils avoient comblé les humains, toujours est - il vrai de dire que son fonds étoit une ignorance brutale, & une entiere dépravation du sens humain. Ajoutez à cela que les Poëtes épuiserent en sa faveur tout ce qu'ils avoient d'esprit, de délicatesse & de graces, & qu'ils s'étudierent à employer les couleurs les plus vives pour fonder des vices & des crimes qui seroient tombés dans le décri, sans la parure qu'ils leur prêtoient, pour en couvrir la difformité, l'absurdité & l'infamie.
On sait que le plus sage des philosophes condamnoit
sans réserve ces fictions profanes, si manifestement
injurieuses à la divinité.
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