ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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On est obligé de convenir que, s'il produit quelquefois le bien, il fait encore plus de mal. Un nonce peut non - seulement anéantir une bonne décision; mais s'il s'en prend à toutes, il n'a qu'à protester & disparoître: la diete est rompue. Il arrive même qu'on n'attend pas qu'elle soit formée pour penser à la dissoudre. Le prétexte le plus frivole devient un instrument tranchant. En 1752 les nonces du palatinat de Kiovie avoient dans leurs instructions d'exiger du roi, avant tout, l'extirpation des francs - macons, société qui n'effraie que les imbécilles & qui ne faisoit aucune sensation en Pologne.

Le remede aux dietes rompues, c'est une confédération dans laquelle on décide à la pluralité des voix, sans avoir égard aux protestations des nonces; & souvent une consédération s'éleve contre l'autre. C'est ensuite aux dietes générales à confirmer ou à casser les actes de ces confédérations. Tout cela produit de grandes convulsions dans l'état, sur - tout si les armees viennent à s'en mêler.

Les affaires des particuliers sont mieux jugées. C'est toujours la pluralité qui décide; mais point de juges permanens. La noblesse en crée chaque année pour former deux tribunaux souverains: l'un à Petrikow pour la grande Pologne, l'autre à Lublin pour la petite. Le grand duché de Lithuanie a aussi son tribunal. La justice s'y rend sommairement comme en Asie. Point de procureurs ni de procédures: quelques avocats seulement qu'on appelle juristes, ou bien on plaide sa cause soi - méme. Une meilleure disposition encore, c'est que la justice se rendant gratuitement, le pauvre peut l'obtenir. Ces tribunaux sont vraiment souverains; car le roi ne peut ni les prévenir par évocation, ni casser leurs arrêts.

P?isque j'en suis sur la maniere dont la justice s'exerce en Pologne, j'ajouterai qu'elle se rend selon les statuts du royaume, que Sigismond Auguste fit rédiger en un corps en 1520; c'est ce qu'on appelle droit polonois. Et quand il arrive certains cas qui n'y sont pas compris, on se sert du droit saxon. Les jugemens se rendent dans trois tribunaux supérieurs, à la pluralité des voix, & on peut en appeller au roi. Ces tribunaux jugent toutes les affaires civiles de la noblesse. Pour les criminelles, un gentilhom me ne peut être emprisonné, ni jugé que par le roi & le sénat.

Il n'y a point de confiscation, & la proscriprion n'a lieu que pour les crimes capitaux au premier chef, qui sont les meurtres, les assassinats, & la conjuration contre l'état. Si le criminel n'est point arrêté prisonnier dans l'action, il n'est pas besoin d'envoyer des soldats pour l'aller investir; on le cite pour subir le jugement du roi & du sénat. S'il ne comparoit pas, on le déclare infâme & convaincu; par - là il est proscrit, & tout le monde peut le tuer en le rencontrant. Chaque starostie a sa jurisdiction dans l'étendue de son territoire. On appelle des magistrats des villes au chancelier, & la diete en décide quand l'affaire est importante.

Les crimes de lèze - majesté ou d'état sont jugés en diete. La maxime que l'église abhorre le sang, ne regarde point les évêques polonois. Une bulle de Clément VIII. leur permet de conseiller la guerre, d'opiner à la mort, & d'en signer les decrets.

Une chose encore qu'on ne voit guere ailleurs, c'est que les mêmes hommes qui déliberent au sénat, qui font des lois en diete, qui jugent dans les tribunaux, marchent à l'ennemi. On appercoit par - là qu'en Pologne la robe n'est point séparée de l'épée.

La noblesse ayant saisi les rênes du gouvernement, les honneurs & tous les avantages de l'état a pensé que c'étoit à elle seule à le défendre, en laissant aux terres tout le reste de la nation. C'est aujourd'hui le seul pays où l'on voie une cavalerie toute composée de gentilhommes, dont le grand duché de Lithuanie fournit un quart, & la Pologne le reste.

L'armée qui en résulte, ou plutôt ces deux armées polonoise & lithuanienne, ont chacune leur grand général indépendant l'un de l'autre. Nous avons dit que la charge de grand maréchal, apres la primatie, est la premiere en dignité: le grand général est supérieur en pouvoir. Il ne connoît presque d'autres bornes que celles qu'il se prescrit lui - même. A l'ouverture de la campagne, le roi tient conseil avec les sénateurs & les chefs de l'armée sur les opérations à faire; & dès ce moment le grand général exécute arbitrairement. Il assemble les troupes, il legle les marches, il décide des batailles, il distribue les récompenses & les punitions, il éleve, il casse, il fair couper des têtes, le tout sans rendre compte qu'à la république dans la diete. Les anciens connétables de France qui ont porté ombrage au trône, n'étoient pas si absolus. Cette grande autorité n'est suspendue que dans le cas où le roi commande en personne.

Les deux armées ont aussi respectivement un général de campagne, qui se nomme petit général. Celui - ci n'a d'autorité que celle que le grand général veut lui laister; & il la remplit en son absence. Un autre personnage, c'est le stragénik qui commande l'avantgarde.

La Pologne entretient encore un troisieme corps d'armée, infanterie & dragons. L'emploi n'en est pas ancien. C'est ce qu'on appelle l'armée étrangere, presqu'entierement composée d'allemands. Lorsque tout est complet, ce qui arrive rarement, la garde ordinaire de la Pologne est de quarante - huit mille hommes.

Une quatrieme armée, la plus nombreuse & la plus inutile c'est la pospolite ou l'arriere - ban. On vérroit dans un besoin plus de cent mille gentilhommes monter à cheval, pour ne connoître que la discipline qui leur conviendroit; pour se révolter, si on vouloit les retenir au - delà de quinze jours dans le lieu de l'assemblée sans les faire marcher; & pour refuser le service, s'il salloit passer les frontieres.

Quoique les Polonois ressemblent moins aux Sarmates leurs ancêtres, que les Tartares aux leurs, ils en conservent pourtant quelques traits. Ils sont francs & fiers. La fierté est assez naturelle à un gentilhomme qui élit son roi, & qui peut être roi lui - même. Il, sont emportés. Leurs représentans, dans les assemblées de la nation, décident souvent les affaires le sabre à la main. Ils font apprendre la langue latine à leurs enfans; & la plûpart des nobles, outre la langue esclavonne, qui leur est naturelle, parlent allemand, francois & italien. La langue polonoise est une dialecte de l'esclavonne; mais elle est mêlée de plusieurs mots allemands.

Ils ont oublié la simplicité & la frugalité des Sarmates leurs ancêtres. Jusqu'à la fin du regne de Sobieski, quelques chaises de bois, une peau d'ours, une paire de pistolets, deux planches couvertes d'un matelas, meubloit un noble d'une fortune honnête. Aujourd'hui les vêtemens des gentilhommes sont riches ils portent pour la plûpart des bottines couleur de soufre, qui ont le talon ferré, un bonnet fourré, & des vestes doublées de zibeline, qui leur vont jusqu'à mi - jambe, c'est ainsi qu'ils paroissent dans les dietes ou dans les fêtes de cérémonies. D'autres objets de luxe se sont introduits en Pologne sous Auguste II. & les modes francoises déja recues en Allemagne, se sont mêlées à la magnificence orientale, qui montre plus de richesse que de goût. Leur faste est monté si haut, qu'une femme de qualité ne sort guere qu'en carosse à six chevaux. Quand un grand seigneur voyage d'une province à une autre, c'est avec deux cens chevaux, & autant d'hommes. Point d'hôtelleries; il porte tout avec lui; mais il déloge les plébéiens [p. 930] qui ne regardent cette haute noblesse que comme un fléau; elle est de bonne heure endurcie au froid & à la fatigue; parce que tous les gentilhommes se lavent le visage & le cou avec de l'eaufroide, quelque tems qu'il fasse. Ils baignent aussi les enfans dans l'eau froide de très - bonne heure, ce qui endurcit leurs corps à l'âpreté des hivers dès la plus tendre jeunesse.

Un usage excellent des seigneurs, c'est qu'ils passent la plus grande partie de l'année dans leurs terres. Ils se rendent par - là plus indépendans de la cour, qui n'oublie rien pour les corrompre, & ils vivifient les campagnes par la dépense qu'ils y font.

Ces campagnes seroient peuplées & florissantes, si elles étoient cultivées par un peuple libre. Les serfs de Pologne sont attachés à la glèbe; tandis qu'en Asie même on n'a point d'autres esclaves que ceux qu'on achete, ou qu'on a pris à la guerre: ce sont des étrangers. La Pologne frappe ses propres enfans. Chaque seigneur est obligé de loger son serf. C'est dans une tres - pauvre cabane, où des enfans nuds sous la rigueur d'un climat glacé, pêle - mêle avec le bétail, semblent reprocher à la nature de ne les avoir pas habillés de même. L'esclave qui leur a donné le jour verroit tranquillement brûler sa chaumiere, parce que rien n'est à lui. Il ne sauroit dire mon champ, mes enfans, ma femme; tout appartient au seigneur, qui peut vendre également le laboureur & le boeuf. Il est rare de vendre des femmes, parce que ce sont elles qui mulltiplient le troupeau; population misérable: le froid en tue une grande partie.

Envain le pape Alexandre III. proscrivit dans un concile la servicude au xij. siecle, la Pologne s'est endurcie à cet égard plus que le reste du christianisme: malheur au serf si un seigneur ivre s'emporte contre lui. On diroit que ce que la nature a refusé à de certains peuples, c'est précisément ce qu'ils aiment avec le plus de fureur. L'excès du vin & des liqueurs fortes font de grands ravages dans la république. Les casuistes passent légeremnnt sur l'ivrognerie, comme une suite du climat; & d'ailleurs les affaires publiques ne s'arrangent que le verre à la main.

Les femmes disputent aux hommes les jeux d'exercice, la chasse, & les plaisirs de la table. Moins delicates & plus hardies que les beautés du midi, on les voit faire sur la neige cent lieues en traîneau, sans craindre ni les mauvais gîtes, ni les difficultés des chemins.

Les voyageurs éprouvent en Pologne que les bonnes moeurs valent mieux que les bonnes lois. La quantité des forêts, l'éloignement des habitations, la coûtume de voyager de nuit comme de jour, l'indifférence des starostes pour la sureté des routes, tout favorise le vol & l'assassinat; dix ans en montrent à peine un exemple.

La Pologne avoit déjà cette partie des bonnes moeurs avant que de recevoir le christianisme. Elle fut idolâtre plus long - tems que le reste de l'Europe. Elle avoit adopté les dieux grecs qu'elle défigura, parce qu'ignorant les lettres, & ne se doutant pas de l'existence d'Homere ni d'Hésiode, elle n'avoit jamais ouvert les archives de l'idolâtrie; elle marchoit au crépuscule d'une tradition confuse.

Vers le milieu du dixieme siecle, le duc Miécislaw, premier du nom, cédant aux sollicitations de la belle Dambrowka sa femme, née chrétienne, embrassa la foi, & entreprit de la répandre. Dieu se sert de tout, adorable en tout. Ce sont des femmes sur le trône, qui en engageant leurs maris à se faire baptiser, ont converti la moitié de l'Europe; Giselle, la Hongrie; la sur d'un empereur grec, la Russie; la fille de Childebert, l'Angleterre; Clotilde, la France.

Cependant si le christianisme, en s'établissant, avoit été par - tout aussi violent qu'en Pologne, il manqueroit de deux caracteres de vérité qui le fai<cb-> soient triompher dans les trois premiers siecles, la douceur & la persuasion. L'évêque de Mersebourg, qui vivoit au tems de Miécislaw, nous apprend qu'on arrachoit les dents à ceux qui avoient mangé de la viande en carême; qu'on suspendoit un adultere ou un fornicateur à un clou par l'instrument de son crime, & qu'on mettoit un rasoir auprès de lui, avec la liberté de s'en servir pour se dégager, ou de mourir dans cette torture. On voyoit d'un autre côté des peres tuer leurs enfans imparfaits, & des enfans dénaturés assommer leurs peres décrépits; coûtume barbare des anciens Sarmates, que les Polonois n'ont quittée qu'au treizieme siecle. Le terrible chrétien Miécissaw avoit répudié sept femmes payennes pour s'unir à Dambrow ka, & lorsqu'il l'eut perdue, il finit, si l'on en croit Baronius & Dithmar, par épouser une religieuse, qui n'oublia rien pour étendre la foi.

Son fils & son successeur, Boleslas I. étouffa sans violence les restes de l'idolâtrie. Humain, accessible, familier, il traita ses sujets comme des malades. Les armes qu'il employ a contre leurs préjugés, furent la raison & la mansuétude; le pere leur avoir ordonné d'être chrétiens, le fils le leur persuada.

Cet esprit de paix & de douceur dans les rois, passa à la nation. Elle prit fort peu de part à toutes les guerres de religion qui désolerent l'Europe au xvj. & xvij. siecle. Elle n'a eu dans son sein ni conspiration des poudres, ni saint Barthelemy, ni sénat égorgé, ni rois assassinés, ni des freres armés contre des freres; & c'est le pays où l'on a brûlé moins de monde pour s'etre trompé dans le dogme. La Pologne cependant a été barbare plus long - tems que l'Espagne, la France, l'Angleterre, & l'Allemagne; ce qui prouve qu'une demi - science est plus orageuse que la grossiere ignorance; & lorsque la Pologne a commencé à discourir, un de ses rois, Sigismond I. prononça la peine de mort contre la religion protestante.

Un paradoxe bien étrange, c'est que tandis qu'il poursuivoit avec le fer, des hommes qui contestoient la présence de Jesus - Christ sur les autels, il laissoit en paix les juifs qui en nioient la divinité. Le sang couloit, & devoit couler encore plus; mais la république statua que désormais, les rois en montant sur le trône, jureroient la tolérance de toutes les religions.

On voit effectivement en Pologne des calvinistes, des luthériens, des grecs schismatiques, des mahométans & des juifs. Ceux - ci jouissent depuis longtems des privileges que Casimir - le - grand leur accorda en faveur de sa concubine, la juive Esther. Plus riches par le trasic que les naturels du pays, ils multiplient davantage. Cracovie seule en compte plus de vingt mille, qu'on trouve dans tous les besoins de l'état; & la Pologne qui tolere près de trois cens synagogues, s'appelle encore aujourd'hui le paradis des Juifs: c'est - là qu'ils semblent revenus au regne d'Assuérus, sous la protection de Mardochée.

Il n'est peut - être aucun pays où les rites de la religion romaine soient observés plus strictement. Les Polonois, dès les premiers tems, ne trouverent point ces rites assez austeres, & commencerent le carême à la septuagésime; ce fut le pape Innocent IV. qui abrogea cette surerogation rigoureuse, en récompense des contributions qu'ils lui avoient fournies pour faire la guerre à un empereur chrétien, Ferdinand II. A l'abstinence ordinaire du vendredi & du samedi, ils ont ajouté celle du mercredi.

Les confréries sanglantes de Flagellans sont aussi communes dans cette partie du nord que vers le midi; c'est peut - être de - là que le roi de France, Henri III. en rapporta le goût.

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