ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"745"> qu'on répétât souvent ces leÇons de respect pour les grands hommes.

Dans le tems que cette lettre fut écrite, Gémiste Pléthon étoit extrèmement vieux, & demeuroit dans le Péloponnèse où il s'étoit retiré depuis plusieurs années. Son grand âge, & le crédit de Scholarius son ennemi, qui étoit devenu patriarche de Constantinople, ne lui permettoient pas de défendre sa cause aussi vivement qu'il l'avoit fait dans le commencement. Cependant ses ennemis mêmes, ou le craignoient encore, ou le respectoient. A peine fut - il mort, qu'ils se déchaînerent aussi - tôt contre Platon & contre lui. George de Trébisonde publia en latin: comparaison de Platon & d'Aristote, comparatio Platonis & Aristotelis, Venet. 1523, in - 8°. Il ne se peut rien de plus amer & de plus violent que cet ouvrage; c'est, dit M. Boivin, un déluge de bile, & de la bile la plus noire, contre Platon & ses défenseurs.

Un écrit de cette nature ne pouvoit manquer de faire beaucoup de bruit chez les Platoniciens; aussi le cardinal bessarion crut devoir le réfuter dans un traité qui parut à Venise en 1516, in - fol. & qui est divisé en quatre livres.

Ce fur dans ce tems - là que l'ouvrage de Pléthon fut censuré par Gennade, à cause des impiétés & du paganisme dont ce patriarche prétendoit qu'il étoit rempli. L'ouvrage de Pléthon, condamné par Gennade, étoit intitulé en grec traité des Lois, en trois livres. L'auteur se proposoit d'y donner une théologie conforme à celle de Zoroastre & de Platon; une morale philosophique & stoicienne; un plan de république formé sur celui de Lacédémone, adouci par les principes de Platon; une forme de culte. & de cérémonies religieuses; un système de Physique tiré principalement J'Aristote; enfin, des regles pour vivre heureusement. Léon Allatius regrette fort la perte de cet ouvrage; il soutient que le dessein de l'auteur n'étoit nullement de renverser la religion chrétienne, mais seulement de développer le système de Platon, & d'éclaircir ce que lui & les autres philosophes avoient écrit sur les matieres de religion & de politioue.

Au reste, le livre du cardinal Bessarion effaca les mauvaises idées que celui de George de Trébisonde avoit données de Platon & de sa philosophie. Les sectateurs mêmes d'Aristote revinrent de leu'prévention contre Platon. Les invectives cesserent de part & d'autre, & la paix régna pendant plusieurs années entre les philosophes des deux sectes. (Le Chevalier de Jaucourt.)

PLATONISME (Page 12:745)

PLATONISME ou Philosophie de Platon, (Histoire de la Philosophie.) de toutes les sectes qui sortirent de l'école de Socrate, aucune n'eut plus d'éclat, ne fut aussi nombreuse, ne se soutint aussi longtems que le Platonisme. Ce fut comme une religion que les hommes professeren depuis son établissement, sans interruption, jusqu à ces derniers tems. Elle eut un sort commun avec le reste des connoissances humaines; elle parcourut les différentes contrées de l'Asie, de l'Afrique & de l'Europe, y entrant à mesure que la lumiere y poignoit, & s'en éloignant à mesure que les ténebres s'y reformoient. On voit Platon marcher d'un pas égal avec Aristote, & partageant l'attention de l'univers. Ce sont deux voix également éclatantes qui se font entendre l'une dans l'ombre des écoles, l'autre dans l'obscurité des temples. Platon conduit à sa suite l'éloquence, l'enthousiasme, la vertu, l'honnêteté, la décence & les graces. Aristote a la méthode à sa droite, & le syllogisme à sa gauche: il examine, il divise, il distingue, il dispute, il argumente, tandis que son rival semble prophétiser.

Platon naquit à gine: il fut allié par Ariston son pere à Codrus, & par sa mere Périctioné à Solon. Le septieme de Thargelion de la 87° olympiade, jour de sa naissance, fut dans la suite un jour de fête pour les Philosophes. Ses premieres années furent employées aux exercices de la Gymnastique, à la pratique de la Peinture, & à l'étude de la Musique, de l'Eloquence & de la Poésie dithyrambique, épi que & tragique: mais ayant comparé ses vers avec ceux d'Homere, il les brûla & se livra tout entier à la Philosophie.

On dit qu'Apollon, épris de la beauté de sa mere Périctioné, habita avec elle, & que notre philosophe dut le jour à ce dieu. On dit qu'un spectre se reposa sur elle, & qu'elle conÇut cet enfant sans cesser d'être vierge. On dit qu'un our Ariston & sa femme sacrifiant aux muses sur le mont Hymetre, Périctioné déposa le jeune Platon entre des myrtes, où elle le retrouva environné d'un essaim d'abeilles, dont les unes voltigeoient autour de sa tête & les autres enduisoient ses levres de miel. On dit que Socrate vit en songe un jeune cigne s'échapper de l'autel qu'on avoit consacré à l'Amour dans l'académie, se reposer sur ses genoux, s'élever dans les airs, & attacher par la douceur de son chant les oreilles des hommes & des dieux; & que lorsqu'Ariston présenta son fils à Socrate, celui - ci s'écria: Je reconnois le cigne de mon songe. Ce sont autant de fictions que des auteurs graves n'ont pas rougi de débiter comme des vérités, & qu'il y auroit peut être du danger à contredire, si Platon étoit le fondateur de quelque système religieux adopté.

Il s'attacha dans sa jeunesse à Cratile & à Héraclite. Socrate, sous lequel il étudia pendant huit ans, lui reconnut bientôt ce goût pour le syncrétisme, ou cette espece de philosophie qui cherchant à concilier entr'elles des opinions opposées, les adultere & les corrompt. Voyez l'article Syncrétisme.

Il n'abandonna point son maître dans la persécution. Il se montra au milieu de ses juges; il entreprit son apologie; il offrit sa fortune pour qu'il fût sursis à sa condamnation: mais ceux qui lui avoient fermé la bouche par leurs clameurs lorsqu'il se défendoit, reietterent ses offres, & Socrate but la ciguë.

La mort de Socrate laissa la douleur & la terreur parmi les Philosophes. Ils se réfugierent à Megare chez le dialecticien Euclide, où ils attendirent un tems moins orageux. De - là Platon passa en Egypte, où il visita les prétres; en Italie, où il s'initia dans la doctrine de Pithagore; il vit à Cyrene le géometre Théodore, il ne négligea aucun moyen d'augmenter ses connoissances. De retour dans Athènes il ouvrit son école: il choisit un gymnase environné d'arbres, & situé sur les confins d'un fauxbourg; ce lieu s'appelioit l'académie; on lisoit à l'entrée, RDEIZ ALEWME/TBHTOC ETSEITO, on n'est point admis ici sans être géometre.

L'académie étoit voisine du Céramique. Là il y avoit des statues de Diane, un temple, & les tombeaux de Thrasibule, de Périclès, de Chabrias, de Phormion, & de ceux qui étoient morts à Marathon, & des monumens de quelques hommes qui avoient bien mérité de la république, & une statue de l'Amour, & des autels consacrés à Minerve, à Mercure, aux Muses & Hercule, & à Jupiter, surnommé KATAIBA/TOS, & les trois graces, & l'ombre de quelques platanes antiques. Platon laissa cette partie de son patrimoine en mourant à tous ceux qui aimeroient le repos, la solitude, la méditation & le silence.

Piaton ne manqua pas d'auditeurs. Speusippe, Xénocrate & Aristote assisterent à ses leÇons. Il forma Hyperide, Lycurgue, Démosthène & Ifocrate. La courtisane Lasthénie de Mantinée fréquenta l'académie; Axiothée de Phliase s'y rendoiten habit d'homme. Ce fut un concours de personnes de tout âge, de tout état, de tout sexe, & de toute contrée. Tant de célébrité ne permit pas à l'envie & à la calomnie de [p. 746] rester assoupies: Xénophon, Antisthène, Diogene, Aristippe, Æ schine, Phédon s'éleverent contre lui, & Athénée s'est plû à transmettre à la postérité les imputations odieuses dont on a cherché à flétrir la mémoire de Platon; mais une ligne de son ouvrage suffit pour faire oublier & ses défauts, s'il en eut, & les reproches de ses ennemis. Il semble qu'il soit plus permis aux grands hommes d'être méchans. Le mal qu'ils commettent passe avec eux; le bien qui résulte de leurs ouvrages dure éternellement: ils ont affligé leurs parens, leurs amis, leurs concitoyens, leurs contemporains, je le veux, mais ils continuent d'instruire & d'éclairer l'univers. J'aimerois mieux Bacon grand auteur & homme de bien; mais s'il faut opter, je l'aime mieux encore grand homme & fripon, qu'Homme de bien & ignoré: ce qui eût été le mieux pour lui & pour les siens, n'est pas le mieux pour moi: c'est un jugement que nous portons malgré nous. Nous lisons Homere, Virgile, Horace, Cicéron, Milton, le Tasse, Corneille, Racine, & ceux qu'un talent extraordinaire a placés sur la même ligne, & nous ne songeons guere à ce qu'ils ont été. le méchant est sous la terre, nous n'en avons plus rien à craindre; ce qui reste après lui de bien, subsiste & nous en jouissons. Voilà des lignes vraies que j'écris à regret, car il me plaîroit bien davantage de troubler le grand homme qui vit tranquille sur sa malfaisance, que de l'en consoler par l'oubli que je lui en promets; mais après tout, cette éponge des siecles fait honneur à l'espece humaine.

Platon fut un homme de génie, laborieux, continent & sobre, grave dans son discours & dans son maintien, patient, affable; ceux qui s'offensent de la liberté avec laquelle son banquet est écrit, en méconnoissent le but; & puis il n'est pas moins important pour juger les moeurs que pour juger les ouvrages, de remonter aux tems & de se transporter sur les lieux; nous sommes moins ce qu'il plaît à la nature qu'au moment où nous naissons.

Il s'appliqua toute sa vie à rendre la jeunesse instruite & vertueuse. Il ne se mêla point des affaires publiques. Ses idées de législation ne quadroient pas avec celles de Dracon & de Solon: il parloit de l'égalité de fortune & d'autorité qu'il est difficile d'établir, & peut - être impossible de conserver chez un peuple. Les Arcadiens, les Thébains, les Cyrénéens, les Syracusains, les Crétois, les Eléens, les Pyrrhéens, & d'autres qui travailloient à réformer leurs gouvernemens l'appellerent; mais trouvant ici une répugnance invincible à la communauté générale de toutes choses, de la férocité, de l'orgueil, de la suffisance, trop de richesses, trop de puissance, des difficultés de toute espece, il n'alla point, il se contenta d'envoyer ses disciples. Dion, Pithon & Héraclide qui avoient puisé dans son école la haine de la tyrannie, en affranchirent le premier la Sicile, les deux autres la Thrace. Il fut aimé de quelques souverains. Les souverains ne rougissoient pas alors d'être philosophes. Il voyagea trois fois en Sicile; la premiere, pour connoître l'île & voir la chaudiere de l'Etna; la seconde, à la sollicitation de Denis & des Pythagoriciens qui avoient esperé que son éloquence & sa sagesse pourroient beaucoup sur les esprits; ce fut aussi l'objet de la troisieme visite qu'il fit à Denis. De retour dans Athènes, il se livra tout entier aux Muses & à la Philosophie. Il jouit d'une santé constante & d'une longue vie, récompense de sa frugalité; il mourut âgé de 81 ans, la premiere de la cent huitieme olympiade. Le perse Mithridate lui éleva une statue, Aristote un autel: on consacra par la solemnité le jour de sa naissance, & l'on frappa des monnoies à son effigie. Les siecles qui se sont écoulés, n'ont fait qu'accroître l'admiration qu'on avoit pour ses ouvrages. Son style est moyen entre la prose & la poésie: il offre des modeles en tout genre d'éloquence: celui qui n'est pas sensible aux charmes de ses dialogues, n'a point de goût. Personne n'a su établir le lieu de la scene avec plus de vérité, ni mieux soutenir ses caracteres. Il a des momens de l'enthousiasme le plus sublime. Son dialogue de la sainteté est un chef - d'oeuvre de finesse; son apologie de Socrate en est un de véritable éloquence. Ce n'est pas à la premiere lecture qu'on saisit l'art & le but du banquet: il y a plus à profiter pour un homme de génie dans une page de cet auteur, que dans mille volumes de critique. Homere & Platon attendent encore un traducteur digne d'eux: il professa la double doctrine. Il est difficile, dit - il dans le Timée, de remonter à l'auteur de cet univers, & il seroit dangereux de publier ce qu'on en découvriroit. Il vit que le doute étoit la base de la véritable science; aussi tous ses dialogues respirent - ils le scepticisme. Ils en ressemblent d'autant plus à la conversation: il ne s'ouvrit de ses véritables sentimens qu'à quelques amis. Le sort de son maître l'avoit rendu circonspect; il fut partisan jusqu'à un certain point du silence pythagorique; il imita les prêtres de l'Egypte, les mortels les plus taciturnes & les plus cachés. Il est plus occupé à refuter qu'à prouver, & il échappe presque toujours à la malignité du lecteur à l'aide d'un grand nombre d'interlocuteurs qui ont alternativement tort & raison. Il appliqua les Mathématiques à la Philosophie; il tenta de remonter à l'origine des choses, & il se perdit dans ses spéculations; il est souvent obscur; il est peut - être moins à lire pour les choses qu'il dit que pour la maniere de le dire, ce n'est pas qu'on ne rencontre chez lui des vérités générales d'une Philosophie profonde & vraie. Parle - t - il de l'harmonie générale de l'univers, celui qui en fut l'auteur emprunteroit sa langue & ses idées.

De la philosophie de Platon. Il disoit:

Le nom de sage ne convient qu'à Dieu, celui de philosophe suffit à l'homme.

La sagesse a pour objet les choses intelligibles; la science, les choses qui sont relatives à Dieu & à l'ame quand elle est séparée du corps.

La nature & l'art concourent à former le philosophe.

Il aime la vérité dès son enfance, il a de la mémoire & de la pénétration, il est porté à la tempérance, il se sent du courage.

Les choses sont ou intelligibles ou actives, & la science est ou théorique ou pratique.

Le philosophe qui contemple les intelligibles imite l'Etre suprème.

Ce n'est point un être oisif; il agira, si l'occasion s'en présente.

Il saura prescrire des lois, ordonner une république, appaiser une sédition, amender la vieillesse, instruire la jeunesse.

Il ne néglige ni l'art de parler, ni celui d'arranger ses pensées.

Sa dialectique aidée de la géométrie l'élevera au premier principe, & déchirera le voile qui couvre les yeux des barbares.

Platon dit que la dialectique est l'art de diviser, de définir, d'inférer & de raisonner ou d'argumenter.

Si l'argumentation est nécessaire, il l'appelle apodectique; si elle est probable, épichérématique; si imparfaite ou inthimématique, réthorique; si fausse, sophismatique.

Si la philosophie contemp lative s'occupe des êtres fixes, immobiles, constans, divins, existans par eux - mêmes, & causes premieres des choses, elle prend le nom de Théologie; si les astres & leurs révolutions, le retour des substances à une seule, la constitution de l'univers sont ses objets, elle prend celui de Philosophie naturelle; si elle envisage les pro,

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