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Voilà un choeur. Voilà comme il convient de faire parler un peuple entier quand on ose le montrer sur la scene. Qu'on compare cette acclamation du peuple romain à l'élévation de l'empereur Pertinax, avec l'acclamation des peuples des Zéphirs, lorsqu'Atys est nommé grand sacrificateur de Cybele:
Que devant vous tout s'abaisse & tout tremble. Vivez heureux, vos jours sont notre espoir: Rien n est si beau que de voir ensemble Un grand mérite avec un grand pouvoir. Que l'on benisse Le ciel propice, Qui dans vos mains Met le sort des humains. Ou, qu'on lui compare cet autre choeur d'une troupe de dieux de fleuves:
Que l'on chante, que l'on danse, Rions tous, lorsqu'il le faut: Ce n'est jamais trop - tôt Que le plaisir commence. On trouve bien tot la fin Des jours de réjouissance; On a beau chasser le chagrin, Il revient plutôt qu'on ne pense.
Quel peuple a jamais exprimé ses transports les plus vifs d'une maniere aussi plate & aussi froide? Qu'on se rappelle maintenant l'air encore plus plat que Lully a fait sur ces couplets, & l'on trouvera que le musicien a surpassé son poëte de beaucoup.
Que les gens de goût décident entre ces choeurs & celui que je propose, & ils seront forcés de m'adjuger le rang sur le premier poëte lyrique de France. C'est que le tendre Quinault a cherché ses choeurs dans un genre insipide & faux; & moi, j'ai pris le mien dans la vérité & dans l'Histoire où Lampride nous l'a conservé mot pour mot.
Ce choeur pourra paroître long, mais ce ne sera pas à un compositeur habile qui sentira au premier coup d'oeil avec quellerapidité tous ces cris doivent se succéder & se répéter. Il me reprochera plu<cb->
De la danse. La danse est devenue dans tous les pays la compagne du spectacle en Musique.
En Italie & sur les autres théâtres de l'Europe, on remplit les entr'actes du poëme lyrique par des ballets qui n'y ont aucun rapport. Si cet usage est barbare, il est encore de ceux qu'on peut abolir, sans toucher aufond du spectacle; & cela arrivera dès que le poëme lyrique sera délivré de ses épisodes, & serré comme son esprit & sa constitution l'exigent.
En France, on a associé le ballet immédiatement avec le chant & avec le fond de l'opéra. Arrive - t - il quelque incident heureux ou malheureux, aussi - tôt il est célébré par des danses, & l'action est suspendue par le ballet. Cette partie postiche est même devenue en ces derniers tems la principale du poëme lyrique; chaque acte a besoin d'un divertissement, terme qui n'a jamais été pris dans une acception plus propre & plus stricte, & le succès d'un opéra dépend aujourd'hui, non pas précisément de la beauté des ballets, mais de l'habileté des danseurs qui l'exécutent.
Rien, ce semble, ne dépose plus fortement contre le poëme & la musique de l'opéra françois, que le besoin continuel & urgent de ces ballets. Il faut que l'action de ce poëme soit dénuée d'intérêt & de chaleur, puisque nous pouvons souffrir qu'elle soit interrompue & suspendue à tout instant par des menuets & des rigaudons; il faut que la monotonie du chant soit d'un ennui insupportable, puisque nous n'y tenons qu'autant qu'il est coupé dans chaque acte par un divertissement.
Suivant cet usage, l'opéra françois est devenu un spectacle où tout le bonheur & tout le malheur des personnages se réduit à voir danser autour d'eux.
Pour juger si cet usage mérite l'approbation des gens de goût, & si c'est un avantage inestimable, comme on l'entend dire sans cesse, que l'opéra françois a sur tous les spectacles lyriques, de réunir la danse à la Poésie & à la Musique, il sera nécessaire de réfléchir sur les observations suivantes.
La danse, ainsi que le couplet, peut quelquefois être historique dans le poëme lyrique. Roland arrive au rendez - vous que la perfide Angélique lui a donné. Après l'avoir vainement attendue pendant quelque tems, il voit venir une troupe de jeunes gens qui, en chantant & en dansant. célebrent le bonheur de Médor & d'Angélique qu'ils viennent de conduire au port. C'est par ces expressions de joie d'une jeunesse innocente & vive que Roland apprend son malheur & la trahison de sa maîtresse. Cette situation est très belle, & c'est avec raison qu'on a regardé cet acte comme le chef - d'oeuvre du théâtre lyrique en France. Voyons si l'exécution & la représentation théâtrale répondent à l'idée sublime du poëte, & si Quinault [p. 834]
Je me suis étendu exprès sur le ballet le plus heureusement placé qu'il y ait sur le théâtre lyrique en France, & l'on voit à quoi le goût & le bon sens réduisent ce ballet. Que feront - ils donc de ceux que le poëte amene à tout propos; & si leur voix est jamais écoutée sur ce théâtre, sera - t - il permis à un héros de l'opéra de prouver à sa maîtresse l'excès de ses feux par une troupe de gens qui danseront autour d'elle?
Mais l'idée d'associer dans le même spectacle deux manieres d'imiter la nature, ne seroit - elle pas essentiellement opposée au bon sens & au vrai goût? Ne seroit - ce pas là une barbarie digne de ces tems gothiques où le devant d'un tableau étoit exécuté en relief, où l'on barbouilloit une belle statue pour lui faire des yeux noirs ou des cheveux châtains? Seroit - il permis de confondre deux hypothèses différentes dans le même poëme, & de le faire exécuter moitié par des gens qui disent qu'ils ne savent parler qu'en chantant, moitié par d'autres qui prétendent n'avoir d'autre langage que celui du geste & des mouvemens?
Pour exécuter ce spectacle avec succès, ne faudroit - il pas du - moins avoir des acteurs également habiles dans les deux arts, aussi bons danseurs qu'excellens chanteurs? Comment seroit - il possible de supporter que les uns ne dansassent jamais, & que les autres ne chantassent jamais? Seroit - il bien agréable pour un Dieu de ne savoir pas danser le plus méchant couplet d'une chacone, & d'être obligé de céder sa place à M. Vestris, qui n'est qualifié dans le programme que du titre de suivant, mais qui écrase son Dieu en un instant par la grace & la noblesse de ses attitudes, tandis que celui - ci est relégué avec son rang suprème sur une banquette dans un coin du théâtre?
Une execution ou puérile ou impossible, voilà un des moindres inconvéniens de cette confusion de deux talens, de deux manieres d'imiter, qu'on a osé
A en juger par l'emploi continuel des ballets, on seroit autorisé à croire que l'art de la danse est porté au plus haut degré de perfection sur le théâtre de l'opera françois; mais lorsqu'on considere que le ballet n'est employé à l'opéra françois qu'à danser & non à imiter par la danse, on n'est plus surpris de la médiocrité où l'art de la danse est resté en France, & l'on conçoit qu'un françois plein de talens & de vues (M. Noverre), a pu être dans le cas d'aller créer le ballet loin de sa patrie.
Il est vrai qu'en lisant les programmes des différens opéra, on y trouve une variété merveilleuse de fetes & de divertissemens; mais cette variété fait place dans l'exécution à la plus triste uniformité. Toutes les fêtes se réduisent à danser pour danser; tous les ballets sont composes de deux files de danseurs & de danseuses qui se rangent de chaque côté du theâ>, & qui se mêlant ensuite, forment des figures & des grouppes sans aucune idée. Les meilleurs danseurs cependant sont réservés pour danser tantôt seuls, tantôt deux; dans les grandes occasions ils forment des pas de trois, de quatre, & même de cinq ou de six, après quoi le corps du ballet qui s'est arrête pour laisser la place à ses maîtres, reprend ses danses jusqu'à la fin du ballet. Pour tous ces différens divertissemens, le musicien fournit des chaconnes, des loures, des sarabandes, des menuets, des passe - pies, des gavottes, des rigaudons, des contredanses. S'il y a quelquefois dans un ballet une idée, un instant d'action, c'est un pas de deux ou de trois qui l'exécute, après quoi le corps du ballet reprend incontinent sa danse insipide. La seule différence réelle qu'il y a d'une fête à une autre, se réduit à celle que le tailleur de l'opéra y met, en habillant le ballet tantôt en blanc, tantôt en verd, tantôt en jaune, tantôt en rouge, suivant les principes & l'étiquette du magasin.
Le ballet n'est donc proprement dans l'opéra françois qu'une académie de danse, où sous les yeux du public les sujets médiocres s'exercent à figurer, à se rompre, à se reformer, & les grands danseurs à nous montrer des études plus difficiles dans différentes attitudes nobles, gracieuses & savantes. Le poëte donne à ces exercices académiques cinq ou six noms différens dans le cours de son poëme; il fait donner à ses danseurs tantôt des bas blancs, tantôt des bas rouges, tantôt des perruques blondes, tantôt des perruques noires; mais l'homme de goût n'apperçoit d'ailleurs aucune diversité dans ces ballets, & ne peut que regretter que tant d'habiles danseurs ne soient employés qu'à faire sur un théâtre des pas & des tours de salle.
C'est en effet avoir méconnu trop long - tems l'usage de l'art qui agit sur nos sens avec le plus d'empire, & qui produit les impressions les plus profondes & les plus terribles. Que dirions - nous d'une académie de peintres & de statuaires qui dans une exposition publique de leurs ouvrages ne nous montreroient que des études, des têtes, des bras, des jambes, des attitudes, sans idée, sans application, sans imitation précise? Toutes ces choses ont sans doute du prix aux yeux d'un connoisseur éclairé; mais un sallon d'exposition est autre chose qu'un attelier.
Il en est de la danse comme du chant: la joie doit
avoir créé les premieres danses comme elle a inspiré
les premiers chants, mais un menuet, une contredanse,
& toute la danse récréative d'un bal, sont
précisément aussi déplacés sur le théâtre que la chanson
& le couplet. Ce n'est que lorsque l'homme de
génie s'est apperçu qu'on pouvoit faire de la danse un
art d'imitation propre à exprimer sans autre langue
que celle du geste & des mouvemens tous les senti<pb->
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