ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"821"> préféré par bien des italiens. Mais pour ne point trop charger cet article, je parlerai de l'Arioste au lieu de sa naissance qui est Reggio, voyez donc Reggio, (Géog. mod.)

Ce fut à l'âge de 32 ans que le Tasse donna sa Jérusalem délivrée. Il pouvoit dire alors, comme un grand homme de l'antiquité: J'ai vécu assez pour le bonheur & pour la gloire. Le reste de sa vie ne fut plus qu'une chaîne de calamités & d'hum liations. Enveloppé des l'âge de huit ans dans le bannissement de son pere, sans patrie, sans biens, sans famille, persécuté par les ennemis que lui suscitoient ses talens; plaint, mais négligé par ceux qu'il appelloit ses amis; il souffrit l'exil, la prison, la plus extreme pauvreté, la saim même; & ce qui devoit ajouter un poids insupportable à tant de malheurs, la calomnie l'attaqua & l'opprima.

Il s'enfuit de Ferrare, où le protecteur qu'il avoit tant célébré, l'avoit fait mettre en prison: il alla à pié, couvert de haillons, depuis Ferrare jusqu'à Sarrento dans le royaume de Naples, trouver une sur dont il espéroit quelque secours; mais dont probablement il n'en reçut point, puisqu'il fut obligé de retourner à pié à Ferrare, où il fut encore emprisonné. Le désespoir altéra sa constitution robuste, & le jetta dans des maladies violentes & longues, qui lui ôterent quelquefois l'usage de la raison.

Sa gloire poétique, cette consolation imaginaire dans des malheurs reels, fut attaquée par l'académie de la Crusca en 1585, mais il trouva des defenseurs; Florence lui fit toutes sortes d'accueils; l'envie cessa de l'opprimer au bout de cinq ans, & son mérite surmonta tout. On lui offrit des honneurs & de la fortune; ce ne fut toutefois que lorsque son esprit fatigué d'une suite de malheurs étoit devenu insensible à tout ce qui pouvoit le flatter.

Il fut appellé à Rome par le pape Clément VIII. qui dans une congrégation de cardinaux avoit resolu de lui donner la couronne de laurier & les honneurs du triomphe, céremonie qui paroît bizarre aujourd'hui sur - tout en France, & qui étoit alors tres - sérieuse & très - honorable en ltalie. Le Tasse fut reçu à un mille de Rome par les deux cardinaux neveux, & par un grand nombre de prélats & d'hommes de toutes conditions. On le conduisit à l'audience du pape: « Je desire, lui dit le ponuse, que vous honoriez la couronne de laurier, qui a honoré jusqu ici tous ceux qui l'ont portée » Les deux cardinaux Aldobrandins neveux du pape, qui admiroient le Tasse, se chargerent de l'appareil de ce couronnement; il devoit se faire au capitole: chose assez singuliere, que ceux qui éclairent le monde par leurs écrits, triomphent dans la même place que ceux qui l'avoient désolé par leurs conquetes!

Il tomba malade dans le tems de ces préparatifs; & comme si la fortune avoit voulu le tromper jusqu'au dernier moment, il mourut la veille du jour destiné à la céremonie, l'an de Jesus - Christ 1595, à l'âge de 51 ans.

Le tems qui sappe la reputation des ouvrages médiocres, a assuré celle du Tasse. La Jerusalem délivrée est aujourd hui chantée en plusieurs endroits de l'Italie, comme les poëmes d'Homère l'étoient en Grèce.

Si la Jérusalem paroît à quelques égards imitée de l'Iliade, il faut avouer que c'est une belle chose qu'une imitation où l'auteur n'est pas au - dessous de son modele. Le Tasse a peint quelquefois ce qu'Homere n'a fait que crayonner. Il a perfectionné l'art de nuer les couleurs, & de distinguer les différentes especes de vertus, de vices & de passions, qui ailleurs semblent être les mêmes. Ainsi Godefroi est prudent & modéré. L'inquiet Aladin a une politique cruelle; la généreuse valeur de Tancrède est opposée à la fureur d'Argan; l'amour dans Armide est un mélange de coquetterie & d'emportement. Dans Herminie, c'est une tendresse douce & aimable; il n'y a pas jusqu'à l'hermite Pierre, qui ne fasse un personnage dans le tableau, & an beau contraste avec l'enchanteur Ismene: & ces deux figures sont assurément au - dessus de Calcas & de Taltibius.

Il amene dans son ouvrage les aventures avec beaucoup d'adresse; il distribue sagement les lumieres & les ombres. Il fait passer le lecteur des allarmes de la guerre aux délices de l'amour; & de la peinture des voluptés, il le ramene aux combats; il excite la sensibilité par degré; il s'éleve au - dessus de lui - même de livre en livre. Son style est par - tout clair & élégant; & lorsque son sujet demande de l'élévation, on est étonné comment la mollesse de la langue italienne prend un nouveau caractere sous ses mains, & se change en majesté & en force.

Voilà les beautés de ce poëme, mais les défauts n'y sont pas moins grands. Sans parler des épisodes malcousus, des jeux de mots, & des concetti puérils, espece de tribut que l'auteur payoit au goût de son siecle pour les pointes, il n'est pas possible d'excuser les fables pitoyables dont son ouvrage est rempli. Ces sorciers chrétiens & mahométans; ces démons qui prennent une infinité de formes ridicules; ces princes métamorphosés en poissons; ce perroquet qui chante des chansons de sa propre composition; Renaud destiné par la Providence au grand exploit d'abattre quelques vieux arbres dans une forêt; cette forêt qui est le grand merveilleux de tout le poëme; Tancrède qui y trouve sa Clorinde enfermée dans un pin; Armide qui se présente à - travers l'écorce d'un myrthe; le drable qui joue le rôle d'un misérable charlatan: toures ces idées sont autant d'extravagances également indignes d'un poëme épique. Enfin, l'auteur y donne imprudemment aux mauvais esprits les noms de Pluton & d'Alecton, confondant ainsi les idees payennes avec les idées chrétiennes.

Sur la fin du seizieme siecle, l'Espagne produisit un poëme épique, céleore par quelques beautés particulieres qui s'y trouvent, par la singularité du sujet, & par le caractere de l'auteur.

On le nomme don Alonzo d'Ercilla y Cunéga. Il fut élevé dans la maison de Philippe II. suivit le parti des armes, & se distingua par son courage à la bataille de Saint - Quentin. Entendant dire, étant à Londres, que quelques provinces du Chily avoient pris les armes contre les Espagnols leurs conquérans & leurs tyrans, il se rendit dans cet endroit du nouveau monde pour y combattre ces américains.

Sur les frontieres du Chily, du côté du sud, est une petite contrée montagneuse, nommée Araucana, habitée par une race d hommes plus robustes & plus féroces que les autres peuples de l'Amérique. Ils défendirent leur liberté avec plus de courage & plus long tems que les autres américains.

Alonzo soutint contre eux une pénible & longue guerre. Il courut des dangers extrèmes; il vit, & fit des actions étonnantes, dont la seule récompense fut l'honneur de conquérir des rochers, & de réduire quelques contrées incultes sous l'obéissance du roi d'Espagne.

Pendant le cours de cette guerre, Alonzo conçut le dessein d'immortaliser ses ennemis en s'immortalisant lui - même. Il fut en même tems le conquérant & le poëte: il employa les intervalles de loisir que la guerre laissoit, à en chanter les événemens.

Il commence par une description géographique du Chily, & par la peinture des moeurs & des coutumes des habitans. Ce commencement qui seroit insupportable dans tout autre poëme, est ici nécessaire & ne déplaît pas, dans un sujet où la scene est par - delà l'autre tropique, & où les héros sont des sauvages, qui [p. 822] nous auroient été toujours inconnus s'il ne les avoit pas conquis & célébrés.

Le sujet qui étoit neuf a fait naître à l'auteur quelques pensées neuves & hardies. On remarque aussi de l'éloquence dans quelques - uns de ses discours, & beaucoup de feu dans ses batailles; mais son poëme peche du côté de l'invention. On n'y voit aucun plan, point de variété dans les descriptions, point d'unité dans le dessein. Enfin, ce poëme est plus sauvage que les nations qui en font le sujet. Vers la fin de l'ouvrage, l'auteur qui est un des premiers héros du poëme, fait pendant la nuit une longue & ennuyeuse marche, suivi de quelques soldats; & pour passer le tems, il fait naître entr'eux une dispute au sujet de Virgile, & principalement sur l'épisode de Didon. Alonzo saisit cette occasion pour entretenir ses soldats de la mort de Didon, telle qu'elle est rapportée par les anciens historiens; & afin de restituer à la reine de Carthage sa réputation, il s'amuse à en discourir pendant deux chants entiers. Ce n'est pas d'ailleurs un défaut médiocre de son poëme d'être composé de trente - six chants: on peut supposer avec raison qu'un auteur qui ne sait, ou qui ne peut s'arrêter, n'est pas propre à fournir une telle carriere.

Milton (Jean) naquit à Londres en 1608. Sa vie est à la tête de ses oeuvres, mais il ne s'agit ici que de son poëme épique, intitulé: le paradis perdu, the paradise lost. Il employa neuf ans à la composition de cet ouvrage immortel; mais à - peine l'eut - il commencé qu'il perdit la vûe. Il étoit pauvre, aveugle, & ne fut point découragé. Son nom doit augmenter la liste des grands hommes persécutés de la fortune. Il mourut en 1674, sans se douter de la réputation qu'auroit un jour son poëme, sans croire qu'il surpassoit de beaucoup celui du Tasse, & qu'il égaloit en beautés ceux de Virgile & d'Homere.

Les François rioient quand on leur disoit que l'Angleterre avoit un poëme épique, dont le sujet étoit le diable combattant contre Dieu, & un serpent qui persuadoit à une femme de manger une pomme. Ils imaginoient qu'on ne pouvoit faire sur ce sujet que des vaudevilles; mais ils sont bien revenus de leur erreur. Il est vrai que ce poëme singulier a ses taches & ses défauts. Au milieu des idées sublimes dont il est rempli, on en trouve plusieurs de bisarres & d'outrées. La peinture du péché, monstre féminin, qui après avoir violé sa mere, met au monde une multitude d'enfans sortant sans cesse de ses entrailles, pour y rentrer & les déchirer, révolte avec raison les esprits délicats; c'est manquer au vraissemblable que d'avoir placé du canon dans l'armée de satan, & d'avoir armé d'épées des esprits qui ne pouvoient se blesser C'est encore se contredire que de mettre dans la bouche de Dieu le pere, un ordre à ses anges de poursuivre ses ennemis, de les punir & de les précipiter dans le Tartare: cependant Dieu parle & manque de puissance; la victoire de ses anges reste indécise, & on vient à leur résister.

Mais enfin ces sortes de défauts sont noyés dans le grand nombre de beautés merveilleuses dont le poëme étincelle. Admirez - y les traits majestueux avec lesquels l'auteur peint l'Etre suprème, & le caractere brillant qu'il ose donner au diable. On est enchanté de la description du printems, de celle du jardin d'Eden, & des amours innocens d'Adam & d'Eve. En effet, il est bien remarquable que dans tous les autres poëmes l'amour est regardé comme une foiblesse; dans Milton seul l'amour est une vertu. Ce poëte a su lever d'une main chaste le voile qui couvre ailleurs les plaisirs de cette passion. Il transporte le lecteur dans le jardin de délices: il semble lui faire goûter les voluptés pures dont Adam & Eve sont remplis. Il ne s'éleve pas au - dessus de la nature humaine, mais au - dessus de la nature humaine corrompue; & comme il n'y a point d'exemple d'un pareil amour, il n'y en a point d'une pareille poésie.

Ce génie supérieur a encore réuni dans son ouvrage, le grand, le beau, l'extraordinaire. Personne n'a mieux su étonner & agir sur l'imagination. Son poëme ressemble à un superbe palais bâti de briques, mais d'une architecture sublime. Rien de plus grand que le combat des anges, la majesté du Messie, la taille & la conduite du démon & de ses collegues. Que peut - on se représenter de plus auguste que le pandæmonium (lieu de l'assemblée des démons), le paradis, le ciel, les anges, & nos premiers parens? Qu'y a - t - il de plus extraordinaire que sa peinture de la création du monde, des différentes métamorphoses des anges apostats, & les avantures qu'éprouve leur chef en cherchant le paradis? Ce sont - là des scenes toutes neuves & purement idéales; & jamais poëte ne pouvoit les peindre avec des couleurs plus vives & plus frappantes. En un mot, le paradis perdu peut être regardé comme le dernier effort de l'esprit humain, par le merveilleux, le sublime, les images superbes, les pensées hardies, la variété, la force & l'energie de la poésie. Toutes ces choses admirables ont fait dire ingénieusement à Dryden, que la nature avoit formé Milton de l'ame d'Homere & de celle de Virgile.

La France n'a point eu de poëme épique jusqu'au dix - huitieme siecle. Aucun des beaux génies qu'elle a produits n'avoit encore travaillé dans ce genre. On n'avoit vû que les plus foibles oser porter ce grand fardeau, & ils y ont succombé. Enfin, M. de Voltaire, âgé de 30 ans, donna la Henriade en 1723 sous le nom de poëme de la ligue.

Le sujet de cet ouvrage épique est le siege de Paris, commencé par Henri de Valois & Henri le Grand, & achevé par ce dernier seul. Le lieu de la scene ne s'étend pas plus loin que de Paris à Ivry, où se donna cette fameuse bataille qui décida du sort de la France & de la maison royale.

Le poëme est fondé sur une histoire connue, dont l'auteur a conservé la vérité dans les principaux événemens. Les autres moins respectables ont été ou retranchés, ou arrangés suivant la vraissemblance qu'exige un poëme.

Celui - ci donc est composé d'événemens réels & de fictions. Les événemens réels sont tirés de l'Histoire; les fictions forment deux classes. Les unes sont puisées dans le système merveilleux, telles que la prédiction de la conversion d'Henri IV. la protection que lui donne saint Louis, son apparition, le feu du ciel détruisant les operations magiques qui étoient alors si communes, &c. Les autres sont purement allégoriques: de ce nombre sont le voyage de la Discorde à Rome, la Politique, le Fanatisme personnifiés, le temple de l'Amour, enfin les passions & les vices:

Prenant un corps, une ame, un esprit, un visage.

Telle est l'ordonnance de la Henriade. A - peine eutelle vû le jour que l'envie & la jalousie déchirerent l'auteur par cent brochures calomnieuses. On joua la Henriade sur le théâtre de la comédie italienne & sur celui de la foire; mais cette cabale & cet odieux acharnement ne purent rien contre la beauté du poëme. Le public indigné ne l'admira que davantage. On en fit en peu d'années plus de vingt éditions dans toute l'Europe; & Londres en particulier publia la Henriade par une souscription magnifique. Elle fut traduite en vers anglois par M. Lockman; en vers italiens, par MM. Maffey, Ortolani & Nénéi; en vers allemands, par une aimable muse madame Gotsched; & en vers hollandois, par M. Faitema. Quoique les actions chantées dans ce poëme regardent particulierement les François, cependant comme elles sont simples, intéressantes, & peintes avec le

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