RECHERCHE | Accueil | Mises en garde | Documentation | ATILF | ARTFL | Courriel |
PHILOSOPHE (Page 12:509)
PHILOSOPHE, s. m. Il n'y a rien qui coute moins à acquérir aujourd'hui que le nom de philosophe; une vie obscure & retirée, quelques dehors de sagesse, avec un peu de lecture, suffisent pour attirer ce nom à des personnes qui s'en honorent sans le mériter.
D'autres en qui la liberté de penser tient lieu de raisonnement, se regardent comme les seuls véritables philosophes, parce qu'ils ont osé renverser les bornes sacrées posées par la religion, & qu'ils ont brisé les entraves où la foi mettoit leur raison. Fiers de s'être défaits des préjugés de l'éducation, en matiere de religion, ils regardent avec mépris les autres comme des ames foibles, des génies serviles, des esprits pusillanimes qui se laissent effrayer par les conséquences où conduit l'irréligion, & qui n'osant sortir un instant du cercle des vérités établies, ni marcher dans des routes nouvelles, s'endorment sous le joug de la superitition.
Mais on doit avoir une idée plus juste du philosophe, & voici le caractere que nous lui donnons.
Les autres hommes sont determinés à agir sans sentir. ni connoître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire deméle les causes autant qu'il est en lui, & souvent même les prévient, & se livre à elles avec connoissance: c'est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle - même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentimens qui ne conviennent ni au bien - être, ni à l'être raisonnable, & cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophe, ce que la grace est à l'égard du chretien. La grace détermine le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe.
Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient précédées de la réflexion: ce sont des hommes qui marchent dans les ténebres; au lieu que le philosophe dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réflexion; il marche la nuit, mais il est précedé d'un flambeau.
Le philosophe forme ses principes sur une infinitê d'observations particulieres. Le peuple adopte le principe sans penser aux observations qui l'ont produit: il croit que la maxime existe pour ainsi dire par elle - même; mais le philosophe prend la maxime dès sa source; il en examine l'origine; il en connoît la propre valeur, & n'en fait que l'usage qui lui convient.
La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, & qu'il croie trouver par - tout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'appercevoir, Il ne la confond point avec la vraissemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, & pour vraissemblable ce qui n'est que vraissemblable. Il fait plus, & c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif propre pour juger, il fait demeurer indéterminé.
Le monde est plein de personnes d'esprit & de [p. 510]
L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation & de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention & ses soins.
L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer, ou dans le fond d'une forêt: les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire; & dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins & le bien être l'engagent à vivre en société. Ainsi la raison exige de lui qu'il connoisse, qu'il étudie, & qu'il travaille à acquérir les qualités sociables.
Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde; il ne croit point être en pays ennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avec les autres: & pour en trouver, il en faut faire: ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le font vivre; & il trouve en même tems ce qui lui convient: c'est un honnête homme qui veut plaire & se rendre utile.
La plûpart des grands à qui les dissipations ne laislent pas assez de tems pour méditer, sont féroces envers ceux qu'ils ne croient pas leurs égaux. Les philosophes ordinaires qui méditent trop, ou plûtôt qui méditent mal, le sont envers tout le monde; ils fuient les hommes, & les hommes les évitent. Mais notre philosophe qui sait se partager entre la retraite & le commerce des hommes, est plein d'humanité. C'est le Chrémès de Térence qui sent qu'il est homme, & que la seule humanité intéresse à la mauvaise ou à la bonne fortune de son voisin. Homo sum, humani à me nihil alienum puto.
Il seroit inutile de remarquer ici combien le philosophe est jaloux de tout ce qui s'appelle honneur & probité. Lasociété civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui sur la terre; il l'encense, il l'honore par la probité, par une attention exacte à ses devoirs, & par un desir sincere de n'en être pas un membre inutile ou embarrassant. Les sentimens de probité entrent autant dans la constitution méchanique du philosophe, que les lumieres de l'esprit. Plus vous trouverez de
D'ailleurs dans toutes les actions que les hommes font, ils ne cherchent que leur propre satisfaction actuelle: c'est le bien ou plutôt l'attrait présent, suivant la disposition méchanique où ils se trouvênt qui les fait agir. Or le philosophe est disposé plus que qui que ce soit par ses réflexions à trouver plus d'attrait & de plaisir à vivre avec vous, à s'attirer votre confiance & votre estime, à s'acquitter des devoirs de l'amitié & de la reconnoissance. Ces sentimens sont encore nourris dans le fond de son coeur par la religion, ou l'on conduit les lumieres naturelles de sa raison. Encore un coup, l'idée de mal - honnête homme est autant opposée à l'idée de philosophe, que l'est l'idée de stupide; & l'expérience fait voir tous les jours que plus on a de raison & de lumiere, plus on est sûr & propre pour le commerce de la vie. Un sot, dit la Rochefoucault, n'a pas assez d'étosse pour être bon: on ne péche que parce que les lumieres sont moins fortes que les passions; & c'est une maxime de théologie vraie en un certain sens, que tout pécheur est ignorant.
Cet antour de la société si essentiel au philosophe,
fait voir combien est véritable la remarque de l'empereur
Antonin:
Le philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, & qui joint à un esprit de réflexion & de justesse les moeurs & les qualités sociables. Entez un souverain sur un philosophe d'une telle trempe, & vous aurez un parfait souverain.
De cette idée il est aisé de conclure combien le sage insensible des sloîciens est éloigné de la perfection de notre philosophe: un tel philosophe est homme, & leur sage n'étoit qu'un phantôme. Ils rougissoient de l'humanité, & il en fait gloire; ils vouloient follement anéantir les passions, & nous élever au - dessus de notre nature par une insensibilité chimérique: pouc lui, il ne prétend pas au chimérique honneur de détruire les passions, parce que cela est impossible; mais il travaille à n'en être pas tyrannisé, à les mettre à profit, & à en faire un usage raisonnable, parce que cela est possible, & que la raison le lui ordonne.
On voit encore par tout ce que nous venons de dire, combien s'éloignent de la juste idée du philosophe ces indolens, qui, livrés à une méditation paresseuse, négligent le soin de leurs affaires temporelles, & de tout ce qui s'appelle fortune. Le vrai philosophe n'est point tourmenté par l'ambition, mais il veut [p. 511]
Philosophes (Page 12:511)
Il existe dans la Chimie ordinaire plusieurs préparations
& opérations, la plûpart assez communes, &
qui sont apparemment des presens de l'Alchimie qui
sont specitiees par le nom de leurs inventeurs, qualisiés
du titre de philosophes. Ainsi il y a une huile des
Philosophes, appellée autrement huile de brique,
oleum laterinum, qui n'est autre chose que de l'huile
d'olive dont on a imbibé des briques rougies au seu,
& qu'on a ensuite distillée à feu nud; une édulcoration
philosophique, qui est une distillation des sels metalliques
à la violence du feu (Voyez
Philosophes (Page 12:511)
The Project for American and French Research on the Treasury of the French Language (ARTFL) is a cooperative enterprise of Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) of the Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), the Division of the Humanities, the Division of the Social Sciences, and Electronic Text Services (ETS) of the University of Chicago.